Qu’attendent les jeunes de nos monastères - I -


Conférence du Père Paul Houix, Abbé de Timadeuc, qui intervient ici en premier dans un apport à deux voix avec Soeur Françoise de Fouchecour.

Les jeunes viennent dans nos monastères. Qu’attendent-ils ? Il s’agit d’abord des jeunes qui passent, un jour ou quelques jours, ensuite des jeunes qui fréquentent, c’est-à-dire qui repassent dans nos monastères, et enfin des jeunes qui parfois frappent à la porte et qui entrent.
Donc il y aura trois parties dans ce que je dirai :

  • Ceux qui passent : Je m’appuierai beaucoup sur ce que m’ont dit les frères qui font l’accueil
  • Ceux qui fréquentent  : ce sera plutôt mon expérience personnelle
  • Ceux qui frappent  : ce sera en fait l’expérience de douze années de père maître des novices.

Avec des genres littéraires très différents dans les trois parties.

1 - Ceux qui passent :

Tout d’abord distinguons entre ceux qui passent un jour (groupes scolaires, classes, professions de foi) ; de fait nos monastères aux mois de mai et juin sont envahis par les groupes de jeunes qui arrivent par cars entiers et à Timadeuc comme partout je pense, c’est une invasion pacifique, plus ou moins ! Il y a des nuits qui ne sont pas pacifiques ! Parfois ce sont vraiment des classes entières qui viennent, et parfois ce sont des volontaires qui ont décidé de venir.
L’âge varie beaucoup, ça va entre 10 et 16 ans. Ce matin Guy Lescanne nous a ciblé un public précis : 20-30 ans, nous, nous sommes devant un public qui est quand même très vaste. Peut-on parler d’un jeune de 10 ans comme d’un jeune de 16 ans ? ça me paraît difficile, c’est pourquoi je parle avec un peu de méfiance, d’humilité.
D’autre part, il y a les jeunes qui viennent plusieurs jours. Même catégorie mais ici il y a la rencontre plus privilégiée avec une communauté et bien souvent avec un moine, ce sont les groupes de recherche, les scouts, ce sont les SDV, des classes aussi qui restent un, deux ou trois jours. Qu’attendent-ils ?

Tout d’abord, je voudrais commencer par dire ce qu’ils n’attendent pas, cela nous permettra de dire ce qu’ils attendent.
En effet, nous sommes frappés de voir que certains viennent au monastère et n’attendent rien sinon de trouver des locaux. Et en particulier, on s’est aperçu que parfois des animateurs ou des prêtres disent : on n’a besoin de rien, on ne veut même pas de moine... ils sont là.... En général, on insiste pour qu’ils viennent à un office, l’office de sexte (milieu du jour), pour que malgré tout ils voient des moines en prière et qu’ils sachent qu’ils sont dans un monastère. Mais effectivement, il arrive bien souvent que des groupes repartent sans avoir rencontré un seul frère, sinon le frère de l’accueil qui leur dit : "voilà vous avez la salle, la cuisine", et ils se débrouillent entre eux et parfois ils ne veulent pas de parole monastique. Ils ont leur programme. Les moines sont là, mais... Et avouons-le , parfois il y a une certaine méfiance. Nous n’avons rien à leur dire, c’est bien.
Par contre, à l’opposé, il y a des groupes qui demandent tout, qui veulent qu’on anime tout. Là aussi on prend du recul.
Rarement les questions ont trait à Dieu lui-même. Ce qui ne veut pas dire que leur silence sur Dieu soit un désintéressement, au contraire. Mais il y a semble-t-il pour beaucoup de jeunes aujourd’hui, une incapacité de dire une parole sur Dieu et même de poser une question sur Dieu. Cela vient bien souvent du fait que dans leur classe, dans leur collège, dans leur lycée, beaucoup de jeunes chrétiens sont seuls, sont vraiment tout seuls et donc ils n’osent pas dire leur foi et dans un monastère également, leur silence sur Dieu continue ce silence qu’ils vivent dans leur lieu de vie. Ceci va justifier l’importance des témoins. Je suis pour ma part assez convaincu que nous avons la réponse à la question qui est souvent posée : pourquoi les monastères attirent-ils ? C’est, me semble-t-il, parce que nous donnons l’impression d’être des témoins. Je dis bien nous donnons l’impression d’être des témoins dans un monde qui peut-être manque de témoins.
D’autre part, la notion d’Eglise est très peu perçue ou très mal perçue. Il y a là une question qui me taraude et me fait souffrir : est-ce que l’Eglise va réussir à avoir un langage qui puisse permettre aux jeunes de la comprendre ? Un frère de l’accueil disait que le mot "Eglise" est devenu un mot obsolète, comme on dit aujourd’hui, et qu’il n’a plus de contenu, qui est déphasé, qui est attardé.

Maintenant, qu’est-ce qu’ils attendent ?

Trois choses :

  • attente de témoins,
  • attente de réponses
  • attente de repères.

attente de témoins .
Ceci vient du fait, je crois, que nous sommes devant une génération qui manque de repères, qui a perdu ses repères en particulier parce que sans doute, elle a perdu le père. Ils n’ont plus de père, ils n’ont plus de repères. Or justement, le témoin est là, lui, il est présent, il a une parole, il a des mots pour expliquer. Il vit quelque chose même si souvent ça paraît très mystérieux. Il a des convictions solides, il a de l’assurance, il exprime sa foi en des valeurs. Guy Lescanne parlait de l’importance du croire et c’est sûr qu’il est important que les jeunes soient devant nous et que nous puissions leur dire ce à quoi nous croyons. Ceci exprime, me semble-t-il une espèce de fascination que peut exercer un témoin comme le moine dans un cadre nouveau, menant une vie originale. Ceci aussi explique que le moine peut très facilement parler de son expérience de Dieu. Un jeune frère qui parle souvent à des jeunes, dit :"quand on a un témoignage cohérent sur l’expérience concrète de Dieu , les jeunes ont une écoute et un respect extraordinaires qui permettent un échange profond." Les trois frères qui se relaient à l’accueil, par semaine, me disent tous cela, on peut très facilement parler aujourd’hui devant les jeunes de notre expérience de Dieu. Ils attendent une telle parole.

attente de réponses.
En effet, quand ils viennent au monastère les jeunes portent en eux une foule de questions qui surgissent à leur esprit. Je donne cinq lieux de questions :

- Questions sur la prière.
Vous savez, ça leur fait un sacré choc quand ils arrivent à sexte et que tout d’un coup ils se trouvent devant 35-40 hommes en prière, ils se disent : "Tiens, ça existe encore, des hommes qui prient ? " Ils sont tellement peu habitués à ce "spectacle" que ça leur fait un choc. Du coup ils ont envie de poser des questions sur la prière : " Qu’est-ce que la prière ? comment parlez-vous à Dieu ? " Il est très remarquable de voir qu’ils posent des questions parfois très simples et qui rejoignent leur désir profond car j’ai été frappé dans ce que disait G. Lescanne, sur le fait que beaucoup de jeunes avaient pensé à consacrer leur vie à Dieu. Je crois qu’il y a beaucoup de jeunes qui prient, mais qui ne savent pas ce qu’est la prière. Ils prient mais n’ont pas de mots pour dire la prière. Donc il est important qu’ils se trouvent devant des hommes qui leur disent ce qu’est la prière.

- Questions sur la vocation.
Pourquoi es-tu devenu moine ? Comment es-tu devenu moine ? C’est un grand mystère pour eux, et ils essaient de savoir, de questionner. Des questions aussi sur la vie monastique elle-même mais on s’aperçoit qu’il y a eu un déplacement fantastique. Il y a vingt ans, on nous posait des questions sur la nourriture, sur l’heure du lever. Aujourd’hui, on pose des questions beaucoup plus fondamentales sur la vie monastique elle-même : à quoi vous servez ? Est-ce que Dieu vous rend heureux ? Etes-vous heureux dans cette vie-là ?

- Des questions sur les problèmes de société.
Tous les frères me disent qu’on parle toujours du sida, des préservatifs. Effectivement les jeunes sont affrontés à ce problème-là et ils posent des questions très précises et il faut leur répondre.

- des questions sur des points spécifiques, qui peut-être vont vous faire sourire : les loisirs.
Vous comprenez, ils vivent dans un monde de loisirs : vous ne sortez jamais ! la télévision ? Pas de télévision ou très peu , comment ça se fait, ce n’est pas possible ! vous arrivez à vivre sans télévision ? Ils sont vraiment fascinés par la télévision.
Ils posent ces questions à des moines. Je ne suis pas sûr que les moines sont toujours aptes à répondre à ces questions. Mais au moins les questions leur sont posées.

attente de repères.
Même si elle est souvent inconsciente. On est frappé de voir qu’aujourd’hui les jeunes sont au courant d’un tas de choses, ils sont super-informés. Mais ils ont un mal fou à distinguer l’essentiel de l’accessoire. Et je crois qu’au fond ils se posent la question essentielle : qu’est-ce que la vérité ? Or ils manquent beaucoup de recul par rapport à notre monde d’aujourd’hui, ce monde des médias et en particulier de la télé. Ce qui est dit à la télé est vrai pour eux. Or le moine, justement, leur apparaît tout de suite comme un homme qui a pris du recul par rapport à ce monde-là et donc qui a une parole à leur dire. La distance dont on parlait ce matin avec tellement de force, et je crois que c’est très vrai, celui qui a une distance peut dire une parole. Même s’il y a un premier temps de déphasage entre le jeune et le moine, paradoxalement le moine, la moniale (quand je parle du moine je parle toujours de la moniale) est apte à leur parler de repères, à leur donner des repères, comme si la distance devenait apte à la communication. La distance permet la communication, c’est très sûr.

Qu’est-ce qu’on répond ?
Je dirai une seule chose : la réponse est celle du témoignage. Un témoignage qui prend plusieurs formes, le témoignage de la vie, le témoignage de la parole, le témoignage de la fidélité et enfin le témoignage du silence.

le témoignage de la vie.
Il me semble que c’est le plus important, le plus visible. Il est vrai que très souvent ils sont déconcertés par notre vie, par ce qu’ils voient. Comme ils viennent souvent d’un monde comme on dit paganisé, ils nous posent des questions tout à fait surprenantes : tiens, vous vous inclinez au Gloria, qu’est-ce qui se passe , qu’est-ce que vous avez ? des questions aussi surprenantes que ça et auxquelles il faut être prêt à répondre.
Mais ce qui est important pour nous, je crois, c’est que notre vie n’est pas uniquement une vie de prière, ils savent que nous travaillons et parfois dur. Il est important de leur dire qu’on fait du fromage par exemple, et que c’est sérieux, qu’on a des problèmes de vente. Ils ont devant eux des hommes bien vivants, incarnés et quelque chose leur dit qu’on ne triche pas avec la vie. C’est peut-être à mon sens le plus grand témoignage que nous pouvons leur donner parce qu’à partir de là nous pouvons leur donner une parole qui est un témoignage sur notre relation avec Dieu et qui est l’essentiel.

Témoignage de la parole.
Mais ici il me semble qu’il y a peut-être une difficulté et une chance. Une difficulté parce que je vous disais que les jeunes qui arrivent au monastère portent en eux un tas de questions, qu’ils posent aux moines, mais je vous avoue que souvent, pour ma part, je me sens absolument incapable de leur répondre. D’une part il y a l’âge, il y a la distance et, surtout, cette différence du monde dans lequel ils vivent aujourd’hui. Je crois qu’en tant que maître des novices, j’ai toujours été beaucoup à l’écoute des frères qui entraient, et j’étais très intéressé de voir combien le monde avait évolué depuis le temps où j’étais entré. Le monde va tellement vite aujourd’hui que nous moines, vous moniales, nous risquons au fond de ne plus être capables de comprendre et c’est pourquoi j’étais très intéressé par G. Lescanne qui disait : il faut d’abord les écouter. Car ils viennent de ce monde-là et c’est eux qui vont nous dire et ensuite nous pourrons leur répondre car nous devons leur répondre. Je vous disais c’est une difficulté mais aussi nous avons une chance. Par exemple la sexualité, le mariage. Il est sûr que notre discours à nous est à contre courant mais je suis très frappé de voir combien nous pouvons leur parler avec vérité de la sexualité, des problèmes du mariage. C’est étonnant de voir comment ils nous écoutent et nous pouvons aller très, très loin avec eux dans ce domaine-là.

Le témoignage de la fidélité.
Celle-ci éclate devant les jeunes quand ils apprennent qu’on ne sort jamais - enfin ... ! - qu’on s’est engagé pour la vie. D’où ils posent la question : avez-vous des regrets d’avoir fait ce choix ? Vous est-il arrivé d’avoir envie de quitter le monastère ou de vous marier ? Livrés sans défense à un monde où le divorce devient presque une chose banale, où les alliances politiques se font et se défont, où les idoles passent comme des météores, voilà que ces jeunes reçoivent en pleine figure un monde monastique qui est marqué par la stabilité. Ils retrouvent les mêmes visages, c’est vrai pour ceux qui fréquentent, et parfois le moine à la même place au chœur. On ne se rend pas compte mais dans leur cervelle, ils se disent : c’est cela la stabilité, la fidélité.

Enfin le témoignage du silence.
Je crois que ce n’est pas exagéré de dire que les jeunes qui passent au monastère reçoivent le choc de notre silence qui fait tellement contraste avec le bruit dans lequel ils sont souvent plongés. Une sœur me disait que ce qui est important pour les jeunes c’est la sortie des moniales. Ils restent là en silence et ils regardent. Il serait sans doute faux d’affirmer que quelque chose se passe automatiquement dans ce silence mais je crois que nous n’avons pas à avoir peur de notre silence. C’est le plus beau cadeau que nous avons à leur faire car dans ce silence ils entendent une parole.

2 - Ceux qui fréquentent.

Ce sont ceux qui viennent plus souvent. Qu’attendent-ils ? Je dirais plutôt qu’ils "s’attendent à" trouver quelque chose.

D’abord un lieu
Et j’insiste beaucoup sur cela, ceux qui fréquentent un monastère depuis cinq, dix ans s’attendent d’abord à trouver un lieu et je diraient volontiers que quand ils reviennent au monastère, ils retrouvent leur lieu. Ils retrouvent leur monastère, ils retrouvent leurs frères. Les jeunes d’aujourd’hui voyagent beaucoup, ils circulent, ils passent la nuit chez un copain ou une copine, ils vont et viennent et quand ils reviennent au monastère, ils ont l’impression de retrouver leur maison. Des citations : "Timadeuc est pour moi un havre de paix, de joie, d’amitié" ; "Quand j’arrive à Timadeuc c’est comme si j’arrivais dans un autre monde. Un monde où le temps se serait arrêté, dans lequel on prend réellement le temps de vivre, de partager avec les autres et de les écouter" L’importance du lieu. D’où l’importance pour nous de notre stabilité, dans un monde qui bouge tellement. Les moines sont là.

Des hommes.
J’aurais beaucoup de citations à faire à ce propos : "J’aime parler de tel frère en tant qu’homme et j’entends par ce mot "homme" tout ce que cela comprend d’humanité " ou encore "j’ai pu découvrir des hommes formidables qui vivaient légèrement isolés du monde mais qui sont très proches de la vie et de tout ce qui se passe à travers le monde" ou encore "nous te découvrons toujours un peu plus en tant qu’homme qui aime participer et partager notre joie, notre bonne humeur. Cela nous a permis de démystifier la vie du moine , de découvrir l’homme derrière l’habit.." Peu à peu ils découvrent un ami, un homme à qui ils peuvent parler et c’est ce poids d’humanité qui pour eux est extrêmement important. Au point de départ, quand ils arrivent , il faut bien avouer qu’ils nous considèrent un peu comme des anges, un peu désincarnés, et peu à peu ils s’aperçoivent qu’il y a des hommes avec leur histoire, leur faiblesse, leur fragilité et pour eux c’est très important aussi.

Ils découvrent une communauté
"Je voudrais souligner la place importante de la communauté des frères à travers tel frère. Par lui et avec lui j’ai mieux perçu le poids de la communauté avec son témoignage de prière et de vie pour Dieu". Cela m’apparaît décisif parce qu’il y a le risque très grand du séducteur, du moine séducteur, ça me paraît extrêmement dangereux cette espèce de séduction que nous, moines, nous exerçons. Il faut savoir passer au-delà de l’homme pour rejoindre la communauté. "Pour moi Timadeuc est mon point de chute privilégié où je suis entouré de la prière de tous les frères et cela me fait comprendre que l’Eglise est une grande famille" "Ta présence me permettait de me sentir davantage en communion avec la communauté tout entière" je pense que c’est important pour les hôteliers, les hôtelières de savoir être des passages vers la communauté. Je me méfie de ceux qui gardent pour eux "mes hôtes" ou "mes novices".

Un visage d’Eglise
Après la communauté, c’est l’Eglise qui est perçue, au moins au niveau des jeunes qui fréquentent mais là j’avoue que je suis beaucoup moins sûr de ce que je dis, parce que ce qui me frappe c’est qu’en fait l’Eglise n’est pas perçue. J’ai reçu une longue lettre de quatre pages, d’une jeune fille qui vient au monastère depuis très longtemps. Elle a répondu à mes questions ; or, dans les quatre pages il n’y a pas une seule fois le mot "Eglise". Et c’est une fille très chrétienne, engagée, elle n’a pas écrit une seule fois le mot "Eglise", c’est quand même quelque chose qui est significatif. C’est à nous de leur révéler l’Eglise, c’est à nous de leur prononcer le mot Eglise. Ils connaissent l’Eglise à travers l’abbé Pierre, à travers le pape, à travers des figures, des symboles. Mais je crois que si on retrouve la vocation baptismale, nous avons à leur dire et redire que par le baptême ils sont entrés dans une famille qui est l’Eglise et que la communauté monastique est un visage d’Eglise et qu’à travers nous ils sont invités à découvrir la grande Eglise.

Une source d’amitié
Le mot "source" est choisi volontairement par moi parce qu’ils ont vraiment l’impression de venir à une source où ils peuvent boire. "La présence, l’amour, l’écoute de tel frère est et restera toujours pour moi source de confiance et de force" "Quand je retourne à Timadeuc, même une journée, je me ressource de l’amour et de l’Esprit de Dieu" . Un monastère comme source, c’est un beau symbole. Source d’amitié et ici je reviens un peu en arrière car, même si je me méfie de la séduction du moine, je crois qu’il est important pour des jeunes de pouvoir rencontrer un frère ou une sœur et même je me demande si ce n’est pas la plus forte expérience qu’un jeune aujourd’hui peut faire. Pour ma part, je rencontre des jeunes qui viennent à des camps depuis des années, et je m’arrange toujours pour les voir un par un. C’est fou ce que ça peut être important pour eux de parler avec un adulte de leur foi, de leur vie affective, de tout ce qu’ils portent. On s’aperçoit que le drame des jeunes aujourd’hui, c’est qu’ils ne parlent pas avec des adultes. Alors qu’ils ont besoin de repères, ils ont besoin de références. Ce qui est décisif, c’est le fait d’avoir un adulte à qui ils peuvent parler et de tout. Et ça va très loin. Je me dis que nous avons une chance fantastique. Une fille m’a écrit ceci :" Pour moi tu es plus qu’un ami, tu es un confident qui gardera toujours une place dans ma vie. Tu m’as fait découvrir l’amour de Dieu, l’amour du Père".

Des chercheurs de Dieu
Le jeune qui fréquente les monastères signifie qu’il a trouvé des hommes qui le mènent à un autre que lui-même. Les jeunes disent que le monastère est un lieu où on trouve Dieu plus facilement qu’ailleurs, je ne sais pas si c’est vrai, mais ils le disent facilement et j’ai un bel exemple d’un jeune, Thierry, qui a fait un passage de ce qu’il appelait : le moine "bête noire" au moine "chercheur de Dieu". Quand il est arrivé au monastère la première fois, il s’est dit : "qu’est-ce que c’est ces bonshommes, des bêtes noires" ! Pour lui c’était vraiment quelque chose d’absolument extraordinaire et il est parti en disant : "jamais je ne reviendrai ici" Et ça fait dix ans qu’il revient tous les ans ! Mais en dix ans il a fait le cheminement de la bête noire qui lui faisait peur au chercheur de Dieu qui peu à peu l’a mené au Dieu auquel il croit.

Que répondons-nous ?
J’ai dit que nous répondons à ceux qui passent, par le témoignage et j’aurais envie de dire que nous répondons à ceux qui fréquentent les monastères, par l’accompagnement.
Claude Flipo a dit que l’accompagnement spirituel personnel, après une longue éclipse ré-apparaît avec force dans l’Eglise, comme une grâce et une nécessité pour beaucoup, et en particulier les jeunes. A mon niveau d’expérience qui est petit, qui est relatif, je dirais volontiers que je vois l’accompagnement à trois niveaux.

Tout d’abord au plan de la vie de foi.
Cette vie de foi qui est si difficile pour l’ensemble des jeunes d’aujourd’hui tant le contexte, le climat , l’ambiance ne sont plus porteurs des réalités de la foi. Et je vous disais on ne mesure pas assez combien il est difficile pour un jeune d’affirmer sa foi aujourd’hui dans les écoles. Il y a aujourd’hui en France "une persécution larvée". Les jeunes aujourd’hui sont persécutés au niveau de leur foi, mais c’est larvé. D’où l’importance que les jeunes puissent se rassembler et qu’ils trouvent devant eux des frères, des sœurs, qui leur permettent d’entrer plus avant dans leur vie de foi, surtout quand elle est affrontée à des problèmes très graves.

Au plan de leur vie affective.
Il y a deux mois, on m’appelle au téléphone :

- Allo ! c’est Sandrine.

- Sandrine ? qu’est-ce qui se passe ?" Sandrine me téléphonait, pour me dire qu’elle était enceinte. Elle a 20 ans et elle venait de savoir qu’elle était enceinte de son copain. Vous vous imaginez un peu ce que cela représente ? Une fille de 20 ans qui prend son téléphone pour annoncer à un père abbé qu’elle était enceinte. Et c’était important pour elle qu’elle me le dise. Nous sommes là au cœur de ce que vivent les jeunes et il faut avouer qu’ils sont prêts à parler très librement de cette part mystérieuse mais si importante de leur existence. Je cite : "Quand on grandit, la vie sentimentale grandit et prend beaucoup de place dans nos cœurs. C’est merveilleux de pouvoir en parler avec un adulte qui prend toujours au sérieux ce qu’on lui dit." Un garçon qui me dit : "je te revois assez régulièrement soit pour des camps et à chaque fois je prends plaisir à te rencontrer parce qu’avec toi on peut discuter de tout , on sait que tu nous comprends et que tu es là pour nous aider".
Je vous avoue qu’une de mes grandes souffrances c’est de voir que l’Eglise n’arrive pas à parler aux jeunes d’aujourd’hui de leur sexualité. Pourtant elle le fait. Les jeunes attendent aujourd’hui de l’Eglise une parole à ce niveau-là mais c’est difficile et on s’aperçoit que dans un dialogue fraternel, amical, on va très loin et en confiance.

Et enfin, au plan de l’engagement.
Claude Flipo dit qu’un accompagnateur est un passeur. Nous avons nous aussi à être des passeurs et à passer du monastère à leur milieu de vie, du sentir à l’agir. Il faut sans cesse faire passer les jeunes, nous sommes là pour ça. Ils faut qu’ils nous dépassent.

3 - Les jeunes qui frappent.

On pourrait parler longuement, très longuement, du processus d’accompagnement des jeunes qui frappent. Mais je voudrais vous dire les cinq principes qui fondent la parole que je dis à ceux que j’accompagne pour une éventuelle vocation.

Premier principe : c’est que la vocation est un mystère divin et humain.
C’est le grand principe de la synergie. Je crois, avec la tradition ignatienne, que Dieu agit directement, immédiatement dans le cœur de l’homme et de la femme, et ceci peut expliquer des vocations totalement inattendues, imprévisibles, invraisemblables, qui nous arrivent. C’est vrai. Mais d’autre part, l’homme doit agir, il n’est pas un robot que Dieu va manipuler. D’où parfois la lenteur des réponses, les difficultés à trouver sa voie parce que la vocation sera toujours la rencontre de deux libertés, de deux libertés qui vont dans le même sens. C’est Jésus à Gethsémani qui accueille sa vocation de crucifié. Donc la vocation c’est un mystère divin et humain.

Deuxième principe : la vocation n’est pas un piège.
Dieu ne cherche pas à coincer un jeune. Et pourtant bien des jeunes ont peur de l’appel de Dieu sur eux, mais la peur de l’appel vient d’une peur plus fondamentale, de la peur de Dieu. Ca me frappe beaucoup de voir combien nous portons tous en nous cette peur de Dieu et nous avons besoin de nous débarrasser des fausses images de Dieu, des idoles. L’idole n’appelle pas, elle capture. Le vrai Dieu appelle.

Troisième principe : rien n’est écrit d’avance.
Je dis souvent aux jeunes : rien n’est écrit d’avance car la vocation est une histoire d’amour d’un Dieu qui se propose à notre capacité d’amour . Il faut souvent libérer le jeune d’un sentiment d’une volonté extérieure de Dieu à lui-même, d’un surmoi, comme si Dieu l’emprisonnait dans sa liberté et le conduisait là où il ne veut pas aller.
En fait je crois que Dieu me veut libre pour une réponse libre. Dieu me donne la liberté pour répondre à son désir de me rendre heureux.

Quatrième principe que je dis souvent, c’est que Dieu me connaît mieux que moi-même. Et donc, Dieu peut m’inspirer une vocation que de moi-même je n’aurais jamais choisie mais qui va s’avérer la vocation qui va me rendre heureux. Jamais je n’aurais pensé que j’aurais pu être un jour cistercien trappiste. Et je trouve que Dieu a une imagination extraordinaire pour m’avoir inspiré une telle vocation qui me rend tellement heureux.
Dieu nous devance, Dieu nous précède car il nous aime le premier. Donc la vocation n’apparaît plus comme une aliénation, mais comme une libération. Il faut le dire aux jeunes.

Cinquième principe : il ne peut pas y avoir de vocation s’il n’y a pas un désir.
Pas de vocation sans désir. D’où il faut vraiment chercher quel est le désir que portent les jeunes. Désires-tu vivre ? la volonté de Dieu c’est l’homme vivant avec ses désirs.

En guise de conclusion.

C’est une sorte de définition de la vocation que je me suis donné à moi-même et que j’ai parfois exposée dans des rencontres de SDV :

La vocation, c’est un chemin que l’on découvre avec l’aide de Dieu,
en faisant des pas et en se faisant accompagner.

La vocation c’est un chemin que l’on découvre  : Il y a la notion de dynamisme, de progrès.
Pour découvrir sa vocation, il faut avancer et c’est en avançant que l’on s’aperçoit qu’un chemin s’ouvre pour nous. Il n’était pas tracé d’avance, mais il apparaît ; ce n’est pas la découverte d’une route déjà faite, mais d’un chemin qui se construit au fur et à mesure que l’on progresse. Lorsqu’on est arrivé au but, c’est-à-dire lorsqu’on s’est engagé dans telle forme de vocation, un regard en arrière permet de découvrir ce chemin. parfois on pouvait avoir l’impression d’être dans une impasse, mais c’était un chemin qui se formait.

Avec l’aide de Dieu : car l’homme est partenaire de Dieu dans la recherche de sa vocation ; il ne peut la trouver que s’il vit profondément en relation avec Dieu par la prière, par l’écoute de la Parole de Dieu, par une vie sacramentelle intense.
En particulier il faut souligner l’importance de la prière à l’Esprit Saint qui joue son rôle de conseiller, de guide, de soutien dans cette recherche parfois difficile. C’est justement dans ces moments de nuit qu’il ne faut surtout pas cesser de prier !

En faisant des pas : nous retrouvons l’idée de chemin, mais ici je voudrais souligner l’importance capitale des actions qui permettent de s’ouvrir à l’inspiration de l’Esprit. Car il ne suffit pas de prier pour découvrir la volonté de Dieu ! Même si la prière est nécessaire, absolument indispensable, elle ne dispensera jamais de faire des pas et parfois des petits pas : faire une retraite de discernement, un stage dans une communauté religieuse, lire tel livre, rencontrer telle personne, donner un coup de téléphone... C’est pourquoi il m’arrive parfois de dire à des jeunes, avec un brin d’humour : "si vous attendez un coup de téléphone personnel du Père éternel, vous risquez de ne jamais trouver votre vocation !"

Et en se faisant accompagner. Suivre le Christ est une aventure que personne ne peut vivre seul ; il faut avancer avec l’aide d’un frère ou d’une sœur dans la foi. Ceci permet d’entrevoir que toute vocation ne peut être découverte et vécue que dans l’Eglise.
Combien de fois n’a-t-on pas vu tel jeune incapable de répondre à un appel de Dieu parce qu’il voulait prendre sa vie en main tout seul ! Il a fallu beaucoup d’humilité à Saul de Tarse pour se laisser guider par Ananie, mais tous ceux et celles qui ont mis leurs pas dans ceux de Jésus pourraient témoigner de la présence d’une personne qui a joué ce rôle d’Ananie dans leur vie.

Père Paul Houix, abbaye de Timadeuc