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Prêtre du vrai berger
Voici l’homélie prononcée le dimanche 24 avril 1994, par le P. Robert Jorens.
Messe du 4e dimanche de Pâques, célébrée avec la paroisse St François de Sales - Paris 17e.
Dieu s’occupe des hommes : le Bon Pasteur.
En ce jour de Résurrection, "Le Jour du Seigneur" les chrétiens se réunissent pour se réconforter de la présence du Christ. Nous regardons le grand Christ qui domine notre assemblée et nous le voyons comme Marie et les disciples l’ont vu. Il surgit comme "le grain tombé en terre, mort et qui maintenant porte du fruit". C’est lui qui peut affirmer ainsi : "Je suis le Bon Pasteur. Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. Je donne ma vie pour mes brebis".
Sentez-vous la force de cette image ? Il s’agit donc de Dieu et de nous. De Dieu et du monde. Le monde a besoin que quelqu’un vienne s’occuper du monde.
Tout le monde a besoin de quelqu’un.
On ne peut s’en tirer tout seul.
Heureusement, dans l’existence, tous les hommes peuvent trouver un vis-à-vis. Ce sont les parents pour les enfants, pas seulement au début de la vie quand ils sont tout petits mais jusqu’au bout. De même les enfants pour les parents : regardez cet homme, cette femme que vous avez fait et qui est devenu grand, il vient vous parler en face comme un frère... presque comme un égal et il ne vous considère pas comme devenu inférieur à cause de votre âge. Et encore les liens d’amitié : personne ne peut se passer d’une oreille qui écoute, d’une main tendue au bon moment, d’une bourrade d’encouragement. Et encore une femme pour son mari, un mari pour sa femme : il n’y a de véritable amour qui si, au désir s’allie l’invincible besoin de dévouement. Nul couple conjugal ne peut s’en passer.
Avez-vous remarqué que j’ai énuméré toutes les images prises par la Bible pour nous dire Dieu ? Le Père, l’Epoux, l’ami même : on disait de Moïse que "Dieu lui parlait face à face comme un ami parle à son ami".
L’image du Bon pasteur résume bien cette relation primordiale : "Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. Je donne ma vie pour mes brebis".
Dieu choisit des hommes pour s’occuper des hommes
Dès le début de son action au bord du Jourdain comme près du lac de Génésareth, Jésus appelle des hommes pour qu’ils viennent avec lui : "Venez avec moi, je ferai de vous des pécheurs d’hommes".
L’Evangile nous dit même : "Il les fit Douze", comme s’il créait une réalité unique. Et l’Eglise était là. "Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie". Ils étaient appelés pour être, tous ensemble, l’Eglise, le Christ dans le monde.
Rappelez-vous Pierre. Choisi par Jésus "Tu es Pierre". Il y avait eu cette brisure du reniement et, après la Résurrection, au bord du lac, le pardon : "M’aimes-tu ? Pais mes agneaux, pais mes brebis. Sois le Pasteur de mes brebis".
Dans les lettres de saint Paul comme dans le livre des "Actes" nous voyons que la force du Christ passe toujours par la naissance de la communauté chrétienne et en elle pour en être selon le mot de saint Paul "la jointure et l’articulation" des hommes qui ont entendu l’appel.
Un théologien résumait d’une phrase cette façon de faire du Christ : "Par l’Incarnation Dieu s’est fait notre frère et c’est le Christ. Par l’Incarnation il a donné à notre frère d’être pour nous le Christ..." et c’est l’Eglise.
Cette action du Christ continue jusqu’à nous
II y a aujourd’hui comme hier un unique Berger, c’est le Christ. Mais comme il le fit hier pour les Douze, le Christ appelle les hommes à réunir la communauté chrétienne.
Pensez, frères, à quelques prêtres que vous connaissez. Pour moi c’est une bénédiction qu’ils aient été appelés à remplir cette tâche au service du Peuple de Dieu. "Pastores dabo vobis" "Je vous donnerai des pasteurs", c’est le titre de l’exhortation apostolique de Jean Paul II sur l’appel et la formation des prêtres dans les circonstances actuelles.
Je suis sûr que ces prêtres vous les avez rencontrés à un moment important de votre vie, un des moments dont vous sentiez qu’il était lié à Dieu : votre mariage qu’il fallait préparer, la naissance d’un enfant, une grosse décision à prendre.
Ce qui vous importait avant tout c’est que ce prêtre ait un intérêt profond, une passion même pour Jésus-Christ. Même si vous n’auriez pas dit les choses ainsi. Et en même temps qu’il soit devant vous un homme véritable tout simplement qui s’efforçait, comme dit l’Evangile, de "ne pas juger" et qui cherchait avec vous l’issue, même si elle était exigeante.
J’espère que vous avez trouvé cet homme.
Bien sûr je voudrais que les prêtres soient encore plus simples, plus purs, plus audacieux, plus inventifs, plus "Jésus-Christ". Mais comme cela, déjà, je suis heureux qu’ils existent. Je pense à beaucoup d’amis, de prêtres que j’ai connus à travers la France, je les vois en train de vivre et je me dis que leur existence a quelque chose à voir avec la parole de Jésus : "Je suis le Bon pasteur".
Qui percevra le drame spirituel qui se joue dans le monde ?
Regardez les prêtres qui sont ici. Ils sont tous différents selon leur âge, leurs histoires, leurs tempéraments.
Nous avons tous perçu ce besoin du monde et pensé à cet appel du Christ, peut-être malgré tout ce qui hésitait ou résistait en nous, alors que nous étions entre 20 et 30 ans.
J’imagine que tout jeune chrétien, normalement constitué, devrait entendre quelqu’un lui transmettre cette parole du Christ. Ou rencontrer un groupe de chrétien qui lui donne envie d’accomplir cette tâche au milieu des hommes.
Lequel d’entre nous ici ne serait pas capable de donner sa vie pour une cause qui en vaille la peine ? Et nous l’avons la cause qui en vaut la peine.
D’un côté, nous avons un monde passionnant et qui vit un drame spirituel atroce. Chacun, de ceux qui portent de grands savoirs sont infiniment modestes et savent qu’il ne suffit pas d’être biologiste, sociologue, économiste, ethnologue, médecin pour résoudre le drame du monde.
De l’autre, le chrétien sait qu’il y a le Christ qui dans ce monde souffre sa Passion et qui a toujours besoin des mains, des esprits, des coeurs d’hommes pour apporter cette guérison qui ne vient que de Dieu.
Un critique faisait remarquer que la même année en France étaient parus trois ouvrages importants : "La Nausée" de Sartre, "Le Voyage au bout de la nuit" de Céline et "Le Journal d’un curé de campagne" de Bernanos. Il disait que deux de ces univers nous étaient encore familiers mais que le troisième - celui de Bernanos - était pour nous comme "une maison oubliée". Pourquoi ? parce que ce roman était le seul à lire encore l’histoire des hommes comme un combat et un drame spirituel.
Il n’y a pas besoin d’être un grand homme pour être prêtre. Le monde a besoin que quelqu’un s’occupe du monde. Ce quelqu’un c’est le Christ. Il faut être simple, simple, simple pour être l’humble serviteur des hommes. Pour laisser en soi place à la clarté de l’Evangile.
Le sacrement qui fait le prêtre le met dans une proximité particulière avec le Corps du Christ de l’eucharistie que nous vivons et avec ce grand Corps formé d’hommes. Dans le drame spirituel d’aujourd’hui l’Eglise et le prêtre en elle sont placés dans l’oeil du cyclone, uniquement à cause de l’Evangile et du sacrement, c’est-à-dire à cause du Christ.
P. Robert Jorens