Vocations : qu’en est-il chez nos voisins ?


Voici quelques réflexions à partir de statistiques, sur les vocations sacerdotales, réflexions porposées par le Père Claude Digonnet, coordonnateur du SNV.

Et d’abord en France

On n’a pas fini de parler de crise des vocations. Je crois même que cela ne fait que commencer.
Car si la crise n’est pas d’aujourd’hui, c’est seulement aujourd’hui et encore plus demain qu’on en verra tous les effets.

Que la crise ne date pas d’aujourd’hui, la meilleure preuve, c’est qu’en 1961, il y a plus de trente ans, on trouve déjà ce titre révélateur dans un des numéros de la revue trimestrielle du Centre National des Vocations "La plus grave crise depuis 150 ans". En 1961 ! vous avez bien lu.
En effet, en l’espace de dix ans, de 1951 à 1960, le chiffre des ordinations de prêtres diocésains en France venait de passer de 1 028 à 595.
Pour avoir une idée exacte de l’amplitude et de la durée de la crise, regardons le chiffre moyen annuel des ordinations par période de cinq ans, entre 1945 et 1990.

de 1945 à 1949
1 389
 
de 1950 à 1954
946
 
de 1955 à 1959
700
 
de 1960 à 1964
569
 
de 1965 à 1969
501
 
de 1970 à 1974
220
 
de 1975 à 1979
127
 
de 1980 à 1984
106
 
de 1985 à 1989
119
 
de 1990 à 1993
128
(4 ans seulement)

Même si une étude de sociologie religieuse (1) parue en 1983 et envisageant l’hypothèse de 45 ordinations en 1990 et 20 en 2000, se trouve déjà largement démentie par les faits, il reste qu’un redressement de la courbe, prévu par d’autres n’a pas eu lieu (simple frémissement).

Et lorsqu’on sait que le nombre annuel des décès de prêtres se situe aux environs de 800, il est facile de constater l’importance du déficit annuel (de l’ordre de 600 à 700).

Ces chiffres-là ne concernent que le clergé diocésain. Ils ne tiennent pas compte des ordinations de prêtres engagés dans la vie religieuse.
Mais il faut savoir que le nombre de ces ordinations depuis une quinzaine d’années oscille entre 30 et 65 par an. En 1993, 38, en 1992, 48 (2), dont 1/4 de moines environ.

Dans le monde

Mais qu’en est-il à l’échelle du monde et plus précisément de l’Eglise Universelle ?

Remarquons d’abord qu’au niveau mondial, entre 1973 et 1990, le nombre total de prêtres ne varie que très peu. En effet il est toujours resté compris entre 400 000 et 435 000. Pour être plus précis, il était de 433 089 en 1973 ; il est de 403 173 en 1990. Après avoir connu une baisse continue jusqu’en 1989 (401 479) il amorce une remontée en 1990.
Autre remarque : dans cet ensemble de plus de 400 000 prêtres, les diocésains représentent environ 5/8, les religieux 3/8.

En ce qui concerne les ordinations, à l’échelle mondiale il est remarquable que dans la même période (de 1973 à 1990) leur nombre a subi des variations relativement importantes (diocésains et religieux ensemble).

- 7 160 en 1973

- 5 765 en 1979, le point le plus bas dans cette période

- 7 998 en 1988, le point le plus élevé "

A noter que parmi les prêtres ordonnés, la proportion de diocésains par rapport aux religieux va en augmentant : 65 % en 1978 ; 74 % en 1989.

Retenons de ces statistiques mondiales que le nombre des ordinations, en baisse jusqu’en 1979, connaît depuis cette date une remontée régulière et importante, à tel point qu’en 1988 il y eut près de 1 000 ordinations de plus qu’en 1973.

Et en Europe ?

Dans ce numéro de la revue "Jeunes et Vocations" consacré à la pastorale des Vocations en Europe, notre propos est évidemment d’observer ce qui se passe à nos frontières, chez nos voisins les plus proches.
Mais pour que parlent les chiffres, il faut des points de comparaison. D’où ce détour par la situation en France puis dans l’Eglise Universelle.

C’est bien connu : peut-être par un complexe de "fille aînée de l’Eglise", la France aurait tendance à se prendre pour le centre de la chrétienté et à croire trop facilement que ce qui se passe chez elle retentit dans le monde entier et que, s’il y a crise chez elle, il ne tardera pas à y avoir crise partout ailleurs.
Pour se guérir de ce complexe, et ne pas, non plus, verser dans un complexe opposé de "fille perdue de l’Eglise", il n’est peut-être pas mauvais de voir ce qui se passe à nos frontières.
Les chiffres ne sont que les chiffres. Ils demandent toujours à être interprétés. Il est, d’autre part, si facile de les manipuler . Pourtant à leur manière, ils sont l’expression d’une certaine objectivité.

Risquons-nous donc à la lecture de quelques statistiques concernant nos voisins européens. J’ai délibérément choisi de ne retenir qu’un certain nombre de pays, mais en nombre suffisant pour que la comparaison soit intéressante.

Tous les pays limitrophes y figurent, les plus peuplés aussi, et encore tous les pays à majorité catholique. Si la Pologne seule est retenue parmi les pays de l’Est, c’est en raison de ces deux derniers critères et parce que les données statistiques sont complètes en ce qui la concerne.

On peut ainsi constituer plusieurs sous-ensembles représentant des aires culturelles différentes :

- des pays latins : ITALIE, ESPAGNE, PORTUGAL et FRANCE

- des pays "anglo-saxons" : ALLEMAGNE, AUTRICHE, ROYAUME-UNI, PAYS-BAS, IRLANDE.

- des pays mixtes : BELGIQUE, SUISSE.

- un pays slave : la POLOGNE.

- Il me semble qu’ainsi l’éventail est assez large pour être instructif.
Avant d’aborder l’étude proprement dite de ces données chiffrées, concernant des pays d’Europe, deux remarques encore.

En ce qui concerne la France, il existe deux sources de statistiques : celle émanant de l’enquête annuelle de la Commission épiscopale Clergé-Séminaires et celle qui provient de l’annuaire statistique romain. La première est faite à la date du 15 novembre, la seconde à la date du 31 décembre. D’où certaines variantes et reports d’une année sur l’autre.
L’annuaire statistique romain pour l’Eglise Universelle n’existe sous cette forme, semble-t-il, que depuis 1970. Depuis cette date, les données sont très précises et complètes. Au-delà, c’est plus difficile et peut-être moins fiable.
Et maintenant, venons-en à quelques tableaux de chiffres et de pourcentages
avec quelques commentaires.

1er tableau -

Il concerne les ordinations de prêtres diocésains par pays, année par année, de 1970 à 1991, d’après l’annuaire de statistiques de l’Eglise Universelle.
Pour chaque pays sont soulignés les maxima et minima

Tableau 1
-
NOMBRE D’ORDINATIONS DE PRETRES DIOCESAINS
-
70
71
72
73
74
75
76
77
78
79
80
81
82
83
84
85
86
87
88
89
90
91
AUTRICHE
54
32
34
47
40
38
34
38
22
23
36
29
35
34
32
36
25
26
41
29
38
32
BELGIQUE
107
88
70
56
44
35
43
45
38
31
35
29
27
36
34
39
33
31
41
36
29
27
RFA
252
234
220
208
184
170
170
166
164
163
192
118
197
226
234
219
256
259
276
298
294
264
RDA
38
15
31
11
22
20
11
24
45
16
2
13
11
11
14
-
-
-
-
-
-
-
G.B.
111
98
120
113
123
105
90
96
101
76
58
73
79
84
87
77
75
71
86
89
97
85
IRLANDE
69
75
63
89
87
49
74
59
77
66
77
73
76
74
74
84
95
70
78
63
68
63
ITALIE
698
610
558
499
467
425
389
388
431
373
347
347
355
344
391
387
465
500
526
431
492
547
PAYS BAS
8
13
9
17
17
8
4
9
9
12
7
18
15
18
12
9
20
19
19
20
20
21
POLOGNE
260
366
472
460
490
453
316
354
405
407
472
484
572
553
620
703
700
725
802
818
741
838
PORTUGAL
47
30
37
32
24
11
22
19
20
30
21
28
30
38
26
29
32
39
36
37
35
43
ESAGNE
355
350
320
322
264
244
198
224
169
177
168
169
210
139
182
166
186
235
230
203
231
259
SUISSE
27
29
35
29
16
20
27
20
19
19
11
20
16
19
17
22
17
17
29
22
14
20
FRANCE
264
256
202
206
193
163
146
104
114
133
108
105
114
95
120
113
105
108
126
133
128
131

Quelques constats qui ménagent quelques surprises :

- Pour six pays sur douze, dont la France, les maxima se situent au point de départ, en 1970. Ce sont tous des pays à majorité catholique et quatre sont des pays "latins".

- A une exception près (11 sur 12) , les minima se situent entre 1975 et 1983.

- La grande exception de ce tableau, c’est la Pologne, dont minimum et maximum sont inversés : minimum en 1970 maximum en 1991.

2ème tableau

Il complète le précédent, porte sur les mêmes pays et la même période et provient de la même source : l’annuaire romain de statistiques de l’Eglise Universelle.
Il s’agit cette fois du nombre de grands séminaristes diocésains. L’avantage de ce 2ème tableau, c’est qu’il permet de faire un peu de prospective sur les années à venir, car ceux qui seront ordonnés jusqu’en l’an 2000 sont déjà pour la plupart dans les séminaires.
Comme pour le tableau précédent, sont soulignés maxima et minima pour chaque pays.

Tableau 1
-
NOMBRE DE SEMINARISTES DIOCESAINS
-
70
71
72
73
74
75
76
77
78
79
80
81
82
83
84
85
86
87
88
89
90
91
AUTRICHE
462
444
437
429
401
376
373
366
357
388
374
412
406
415
441
418
395
391
374
363
332
338
BELGIQUE
594
534
470
448
378
330
307
311
305
294
284
297
318
328
320
311
291
285
275
213
212
193
RFA
2387
2125
1900
1743
1871
1838
1918
2092
2149
2300
2194
2277
2507
2589
2596
2843
3014
2812
2723
2601
2322
2117
RDA
243
208
202
199
187
168
173
171
139
132
138
134
134
129
143
162
-
-
-
-
-
-
G.B.
845
863
816
787
716
719
651
607
606
636
636
669
675
680
653
665
652
600
559
515
522
457
IRLANDE
655
647
632
595
575
596
599
628
633
647
652
671
656
678
665
654
623
610
524
504
443
488
ITALIE
6337
5151
4393
4062
3566
3357
2874
2746
2864
2873
2823
2924
2904
3004
3018
3075
3477
3565
3591
3581
3588
3551
PAYS BAS
329
155
142
254
297
311
329
248
258
266
258
257
246
262
224
222
190
201
202
152
124
130
POLOGNE
3048
3064
3012
3009
3074
3088
3419
3598
3809
4132
4410
4720
5001
5208
5355
5515
5581
5798
5771
5497
5436
5350
PORTUGAL
666
596
440
490
450
407
386
321
377
396
377
313
360
385
424
433
423
470
467
473
556
557
ESAGNE
3581
3098
2809
2371
2090
1900
1829
1675
1658
1686
1694
1648
1770
1875
1877
2016
2038
2066
1936
1918
1853
1828
SUISSE
303
292
245
285
215
129
192
227
191
175
251
193
190
197
202
179
191
223
193
162
170
160
FRANCE
2632
2142
1889
1726
1483
1320
1122
1137
1133
1127
1093
1137
1161
1164
1146
1142
1141
1157
1096
1115
1021
1069

Quelques constats

- Dans huit pays sur douze les maxima se situent au point de départ, c’est-à-dire en 1970. Aux six pays qui se trouvaient dans cette situation, selon le tableau précédent, s’ajoutent Pays-Bas et Suisse. Ce qui signifie clairement que ces deux pays où le catholicisme n’est pas majoritaire connaissent eux aussi une crise depuis 1970, au moins.

- Autre constatation importante et quelque peu surprenante : Pour sept pays sur douze, les minima se situent dans les deux dernières années 1990 ou 1991. Pour ces pays-là, en toute logique, on peut affirmer que d’ici l’an 2000 on ne peut espérer voir remonter de façon significative le nombre des ordinations. Or il y a dans ce groupe des pays aussi divers que la Belgique et la Suisse, l’Autriche et les Pays-Bas, l’Angleterre, l’Irlande et la France.

- Par contre, il est à noter que l’Italie, le Portugal et l’Espagne, après avoir connu une baisse considérable, commencée bien avant 1970, ont amorcé un redressement significatif depuis une douzaine d’années au moins.

- Le cas de la Pologne reste unique, le nombre des grands séminaristes demeurant encore ces dernières années très élevé et très supérieur à celui des années 1970-80.

3ème tableau -

Ce troisième tableau n’apporte pas d’éléments vraiment nouveaux, puisqu’il concerne les mêmes pays au cours de la même période. De lecture plus facile et plus rapide parce qu’il porte sur des moyennes établies par périodes de cinq ans, il permet de mieux percevoir les tendances.
Ces chiffres concernent uniquement les ordinations de prêtres diocésains

-
de 1970 à 74
de 75 à 79
de 80 à 84
de 85 à 89
de 90 à 91
variations
ITALIE
568
401
356
461
519
- 09 %
ESPAGNE
322
202
173
204
245
- 24%
FRANCE
224
132
108
117
129
- 43 %
PORTUGAL
34
20
28
34
39
+ 14 %
POLOGNE
409
387
540
749
789
+ 92 %
ALLEMAGNE
243
189
203
261
279
+ 14 %
AUTRICHE
41
31
33
31
35
- 15 %
ROYAUME-UNI
113
93
76
79
91
- 20 %
IRLANDE
76
65
74
78
65
- 15 %
PAYS-BAS
13
8
14
17
20
+ 53 %
BELGIQUE
73
38
32
36
28
- 62 %
SUISSE
27
21
16
21
17
- 38 %

sont soulignés les niveaux les plus bas dans les diverses périodes considérées

A remarquer que la dernière moyenne, pour chaque pays, est établie sur deux ans seulement (1990-1991) faute de disposer des statistiques d’ensemble pour 1992 et 1993.
Le pourcentage de la dernière colonne représente en positif ou négatif le rapport de la moyenne 1990-91 à la moyenne des années 1970-74, c’est-à-dire une comparaison à 20 ans de distance.
Pour l’Allemagne sont additionnés les chiffres de RFA + RDA.

Quelques constats

- Le plus étonnant, me semble-t-il, est la diminution générale - douze pays sur douze- Pologne comprise, entre les deux premières périodes considérées (1970-74 et 1975-79)
Quelles explications à cela ? Je laisse à d’autres le soin de les chercher et de les donner.
Entre les deux périodes suivantes, six pays seulement (au lieu de douze) voient la moyenne annuelle des ordinations diminuer encore (Italie, Espagne, France, Royaume-Uni, Belgique et Suisse). Ce qui veut dire que pour les six autres pays considérés, la moyenne annuelle est en augmentation.
Autre sujet d’étonnement : entre les deux périodes suivantes (1980-84 et 1985-89), il n’y a plus qu’un seul pays (l’Autriche) où la moyenne est en diminution. Partout ailleurs (11 pays sur douze) le nombre annuel des ordinations augmente.
Enfin la dernière comparaison, compte-tenu de la remarque faite plus haut sur une moyenne de deux années seulement en 1990-91, fait apparaître une diminution dans trois pays sur douze : Irlande, Belgique et Suisse.

- Instructif aussi, parce qu’établissant une comparaison à vingt ans de distance, le constat que quatre pays seulement sur douze (Pologne, Allemagne, Portugal et Hollande) ont retrouvé un niveau supérieur à celui de la période 1970-74. A noter pourtant que c’est plus significatif pour la Pologne que pour les Pays-Bas, au vu des chiffres eux-mêmes.
Pour les huit autres pays, - ceux qui sont en baisse -, à remarquer qu’il y a trois pays latins (Italie, Espagne, France), trois pays anglo-saxons (Autriche, Royaume Uni, Irlande) et le tandem Suisse - Belgique.

- Pour interpréter convenablement ces statistiques, il faut se rappeler qu’elles concernent seulement les vingt dernières années. Or nous savons bien qu’antérieurement à 1970, la situation avait déjà beaucoup évolué spécialement dans des pays comme la France et les Pays-Bas (voir plus loin).

4ème tableau -

Comme précédemment (tableaux 1 et 2), passons du nombre des ordinations à celui des grands séminaristes diocésains, en gardant les mêmes repères : moyennes annuelles établies par périodes de cinq ans, la dernière période ne couvrant que deux ans.
Par rapport au tableau précédent, celui du nombre moyen d’ordinations annuelles, ce 4ème tableau représente en quelque sorte une anticipation de 5-7 ans, les ordinations arrivant normalement au terme d’un parcours de cette durée dans un séminaire.

-
de 1970 à 74
de 75 à 79
de 80 à 84
de 85 à 89
de 90 à 91
variations
ITALIE
4 701
2 942
2 934
3 457
3569
- 24 %
ESPAGNE
2 789
1 749
1 772
1 994
1 840
- 34%
FRANCE
1 974
1 167
1 140
1 130
1 075
- 46 %
PORTUGAL
528
377
371
453
557
+ 5 %
POLOGNE
3 041
3 607
4 938
5 632
5 393
+ 77 %
ALLEMAGNE
2 213
2 216
2 568
2 831
2 219
+ 0,2 %
AUTRICHE
434
372
409
388
335
- 23 %
ROYAUME-UNI
805
643
662
598
489
- 39%
IRLANDE
621
620
664
583
465
- 25 %
PAYS-BAS
235
282
249
193
127
- 46 %
BELGIQUE
484
309
309
275
202
- 58 %
SUISSE
268
194
206
189
165
- 38 %

Sont soulignés les niveaux les plus bas dans les diverses périodes considérées

Quelques constats

- Le plus net concerne l’observation des niveaux les plus bas du nombre de séminaristes selon les périodes considérées. Or il apparaît que pour huit pays sur douze (en incluant l’Allemagne dont le chiffre est très proche quoique légèrement supérieur au niveau de 1970-74) ce minimum se situe dans la toute dernière période. Même si la moyenne annuelle est établie sur deux ans - au lieu de cinq dans les autres périodes - on peut penser que pour ces huit pays la situation n’a que peu de chances de s’améliorer d’ici l’an 2000. Rien en tout cas ne le laisse penser.
Ces huit pays, quels sont-ils ? Belgique et Suisse, tous les pays anglo-saxons et la France.
Entre eux, cependant, des nuances sont à établir. L’écart avec la période précédente est très fort en Allemagne (- 22 %) au Royaume Uni (- 18 %) en Irlande (- 20 %) aux Pays-Bas (- 34 %) en Belgique (- 26%). Il est plus faible en France (- 5 %) en Suisse (- 13 %) et en Autriche (- 14 %).
Pour les quatre autres pays, le niveau le plus bas remonte à 10, 15 ou 20 ans. Italie et Portugal poursuivent un redressement amorcé depuis une dizaine d’années. Pologne et Espagne, même avec un fléchissement ces dernières années, restent au dessus du niveau le plus bas de ces vingt dernières années.

- Si l’on regarde maintenant les écarts en pourcentages qui figurent sur la dernière colonne (comparaison entre la situation de 1970-74 et celle des deux dernières années) ils sont assez proches de ceux figurant dans le 3ème tableau. Ils sont pourtant plus révélateurs de la situation des quelques années présentes et à venir (1992-99) puisqu’ils anticipent sur les ordinations de cette période.
La différence la plus sensible concerne les Pays-Bas et corrige un effet trompeur de chiffres trop réduits dans le 3ème tableau (celui des ordinations).
Peut-être faudrait-il, pour une bonne interprétation, tenir compte aussi du taux de persévérance des séminaristes jusqu’à l’ordination. Il semble par exemple plus élevé au Royaume-Uni qu’au Portugal ou aux Pays-Bas et peut varier d’une période à l’autre.

5ème tableau -

Une étude statistique portant sur les vingt dernières années n’est pas satisfaisante pour rendre compte d’une situation de crise des vocations bien antérieure aux années 70, comme on l’a vu au début de cet article pour la France en particulier.
Ce nouveau tableau tente de remonter de vingt ans encore et donne non pas des moyennes établies par périodes quinquennales, mais le nombre d’ordinations, pays par pays, dans l’année considérée : 1950, 1960, 1970, 1975, etc... Ainsi peut-on voir l’évolution sur quarante années, entre 1950 et 1990.
Malheureusement, autant les chiffres depuis 1970 sont fiables parce que tirés des statistiques annuelles de l’Eglise universelle, autant les chiffres précédents ont été difficiles à établir. Pour l’année 1950, il a fallu reprendre et trier, diocèse par diocèse, dans un ordre alphabétique établi pour l’Eglise universelle dans l’annuaire 1950 publié au Vatican. Pour l’année 1960, j’ai emprunté les chiffres à "Bilan du Monde" (Bordas).

-
1950
1960
1970
1975
1980
1985
1990
ITALIE
1 208
652
698
425
347
387
492
ESPAGNE
994(1)
865(2)
355
244
168
166
231
FRANCE
1 033
564
206
163
108
113
128
PORTUGAL
109
125
47
11
21
29
35
POLOGNE
161
444
260
453
472
703
741
ALLEMAGNE
342
641
290
190
194
219
294
AUTRICHE
83
137
54
38
36
36
38
ROYAUME-UNI
216
146
111
105
58
77
97
IRLANDE
272
299
69
49
77
84
68
PAYS-BAS
86
104
8
8
7
9
20
BELGIQUE
209
181
27
20
11
22
14
SUISSE
66
51
27
20
11
22
14


(1) chiffre de 1954 - (2) une autre source donne 1 024

Quelques constats

- Si l’on compare les chiffres de 1950 et ceux de 1970, on remarque des différences considérables selon les pays considérés.
Les plus touchés par la baisse d’effectifs dans cet intervalle de vingt ans (1950-1970) sont dans l’ordre les Pays-Bas (10 fois moins d’ordinations en 1970), la France (5 fois moins) l’Irlande (4 fois moins). Viennent ensuite Espagne, Suisse, Portugal et Belgique (de 3 à 2 fois moins d’ordinations). L’Italie et l’Autriche perdent plus du tiers. Quant à la Pologne, elle est encore le seul pays ayant connu un accroissement entre 1950 et 1970.

- Autre constatation : dans la période 1950-1970, alors que Espagne, France, Belgique et Suisse ont une courbe descendante, tous les pays anglo-saxons, ainsi que la Pologne et le Portugal présentent une crête en 1960.

Quelle explication apporter à ce dernier constat ?
Période du lendemain immédiat de la guerre pour les jeunes ordonnés en 1950. Ceux ordonnés en 1960 ont connu une période relativement moins agitée, sauf en France avec guerres d’Indochine et d’Algérie. Ceux ordonnés en 1970 ont connu les remous de mai 68, mais aussi l’événement majeur du Concile.
Dans son étude proposée par les Documents Episcopat (n°avril-mai 1992) H. Simon tente de repérer pour la France l’impact sur les vocations d’un certain nombre de faits sociaux comme ce qu’il appelle le "troisième seuil" de laïcisation, mais aussi par exemple la multiplication des collèges et lycées dans les zones rurales et la conséquence sur l’évolution des Petits Séminaires.
Chaque pays d’Europe a eu son histoire entre 1950 et 1990. Le fait est que pratiquement aucun des douze considérés, Pologne exceptée, n’a retrouvé les effectifs de 1950. Et pour un nombre important, il faut parler d’un effondrement.
Il semble bien que l’explication principale soit à chercher dans une crise de société qui déborde largement les frontières d’un pays, tout comme les ondes de la radio ou de la télévision. Plus qu’une crise, c’est une mutation qui donne, a déjà donné et donnera à la société et à l’Eglise un autre visage.

6ème tableau -

Il n’est pas sans intérêt de présenter encore un tableau faisant apparaître pour les douze pays considérés leur population catholique et leur population totale.
En mettant en comparaison ces deux chiffres avec le chiffre moyen annuel des ordinations pour les deux dernières années (1990-1991), d’autres constatations seront possibles.

-
pop. totale
en milliers
estimation
pop. totale
en milliers
moyenne
d’ordinations
par an (90-91)
taux d’ordination
pour
1 million catho.
ITALIE
57 345
56 014
519
9,2
ESPAGNE
38 832
36 860
245
6,6
FRANCE
55 630
46 440
129
2,7
PORTUGAL
10 250
9 560
39
4,1
POLOGNE
37 900
36 290
789
21,7
ALLEMAGNE
77 514
27 630
279
10,1
AUTRICHE
7 690
6 190
35
5,7
ROYAUME-UNI
56 930
5 280
91
17,2
IRLANDE
3 543
2 660
65
24,4
PAYS-BAS
14 665
5 390
20
3,7
BELGIQUE
9 870
8 530
28
3,2
SUISSE
6 310
2 930
17
5,2

Constats...

Sans vouloir tirer de ce tableau des considérations trop absolues, on peut cependant reconnaître que le rapport du nombre des ordinations à la population catholique dit quelque chose de ce qu’on pourrait appeler la "fécondité" des communautés.

- Remarquons d’abord que ce tableau fait apparaître un classement assez inattendu.
En effet les considérations précédentes semblaient montrer , dans les douze pays considérés, une situation quasi générale de crise profonde et de chute des effectifs, si bien qu’on risquait d’aboutir à cette conclusion : nous en sommes tous au même point.
Bien sûr, ce taux d’ordinations pour un million de catholiques a quelque chose d’un peu artificiel. Remarquons tout de même que d’une part ce chiffre est établi à partir de données récentes puisque la moyenne annuelle des ordinations est celle des deux années 1990-1991 et d’autre part que le pourcentage des catholiques par rapport à la population correspond au nombre de baptisés catholiques, tel qu’il est établi par l’annuaire de l’Eglise universelle de 1991. Il s’agit donc de données objectives et récentes.
Or que voyons-nous, d’après ce tableau ?
Un groupe de trois pays - Irlande, Pologne, Royaume-Uni, dans l’ordre - se classe nettement en tête avec un taux compris entre 25 et 15.
Deux autres pays - Allemagne et Italie - se situent aux environs de 10 ordinations annuelles pour un million de catholiques.
Trois pays - Espagne, Suisse, Autriche - dépassent légèrement le taux de 5.
Quatre pays enfin sont au-dessous de la barre des 5. Dans l’ordre : Portugal, Pays-Bas, Belgique et France.

Quelles remarques peut-on faire à partir d’un tel constat ?
Il était important pour des pays où les catholiques sont minoritaires comme le Royaume-Uni, les Pays- Bas, l’Allemagne ou la Suisse de calculer le taux en fonction du nombre de catholiques et non pas en fonction du nombre d’habitants. En effet les autres confessions chrétiennes ont leurs propres ministres, et les catholiques n’ont pas charge pastorale à l’égard des fidèles d’autres confessions.
Si Pologne et Irlande arrivent en tête dans ce classement, n’est-ce pas lié, en partie, au fait que dans ces pays l’identité catholique a été longtemps une revendication face à des puissances "protectrices" menaçant leur existence et leur indépendance ?
Autre remarque : dans les quatre pays au taux le plus faible dont la France, qui arrive en dernière position, il serait intéressant de pouvoir comparer ce classement avec celui du taux de pratique dominicale. Faute de disposer d’information sur ce point, il serait risqué de vouloir établir des correspondances de ce genre. Ce qui me paraît évident, en tout cas, c’est que la situation de la France évolue très rapidement , depuis 40 ans, vers une situation comparable à celle de l’Amérique latine où pendant longtemps on a pu s’étonner que des pays à très forte majorité catholique (par le baptême) ne disposaient que d’un tout petit nombre de prêtres autochtones.
Il y a cinquante ans, le livre de H. Godin et Y. Daniel posait cette question capitale "la France, pays de Mission ?". A-t-elle été entendue ? Dans la conclusion de cet ouvrage je lis :

"Nous ne disons : ni ’politique d’abord’
ni ’santé d’abord’
ni ’social d’abord’
Il faut en même temps tous ces efforts soutenant un grand élan
de christianisme jeune et fort.
On ne peut sauver le monde sans le Christ, sans la grâce du Christ."

On peut discuter à perte de vue sur "nouvelle évangélisation" ou "évangélisation nouvelle" ou "nouveaux chemins d’évangélisation" ou "communion missionnaire" ou "évangélisation en Europe et en Occident", comme si tout était dans les méthodes, comme si tout était une question de stratégie. Il est vrai que l’inculturation, le développement font partie intégrante de l’évangélisation. C’est dans doute en partie pour cette raison qu’il y a quatre Evangiles. Mais l’important n’est-il pas d’abord de porter en soi comme un feu qui ne peut être contenu et bienfaisant qu’en éclatant à l’extérieur et en se communiquant ?

"FRANCE, PAYS DE MISSION" : il n’y a plus de point d’interrogation dans ce titre aujourd’hui.

7ème tableau -

Volontairement cet article s’est limité à une étude statistique concernant les vocations sacerdotales dans un certain nombre de pays d’Europe. Il ne serait pas ininterressant de voir ce qui se passe du côté des vocations religieuses, spécialement féminines. D’autres auteurs peuvent s’y essayer.

-
nombre total
de prêtres
diocésains
nombre total
de prêtres
religieux
pourcentage
de religieux sur
l’ensemble
nbre total de
séminaristes
diocésains
Nbre total de
séminaristes
religieux
pourcentage
des "religieux"
sur l’ensemble
ITALIE
38 409
19 691
34 %
3 588
2 559
49 %
ESPAGNE
20 552
10 031
33 %
1 853
1 426
43 %
FRANCE
25 203
1 081
24 %
556
198
26 %
PORTUGAL
3 472
1 081
24 %
556
198
26 %
POLOGNE
18 246
4 853
21 %
5 436
2 686
33 %
ALLEMAGNE
16 962
5 406
24 %
2 322
505
18 %
AUTRICHE
6 430
2 079
24 %
332
206
38 %
ROYAUME-UNI
4 681
2 388
34 %
522
219
30 %
IRLANDE
3 673
2 680
42 %
443
278
39 %
PAYS-BAS
2 031
3 219
61 %
124
46
27 %
BELGIQUE
6 430
3 920
38 %
212
139
40 %
SUISSE
2 182
1 569
42 %
170
46
21 %
Total
148 271
64 251
30 %
16 639
8 748
234 %

Avant de clore cet article, et sans aller aussi loin dans le détail, regardons au moins la situation actuelle (année 1990) en ce qui concerne la proportion respective entre prêtres diocésains et religieux, séminaristes diocésains et religieux, dans les douze pays considérés.

Deux remarques qui ont leur importance :

  • sous le terme de "séminaristes", il s’agit bien de candidats au sacerdoce, en cours d’études de philosophie et de théologie en vue de l’ordination
  • n’oublions pas que parmi les "prêtres religieux" sont comptés aussi les moines qui, par vocation, ne sont pas impliqués dans le ministère "pastoral" au service du peuple de Dieu. A titre indicatif, ils représentent en France, en moyenne un quart à peine des ordinations de religieux.

Constats

1 - Dans un seul pays sur les douze, le nombre des prêtres religieux présents est plus important que le nombre des prêtres diocésains. Il s’agit des Pays-Bas, où ils représentent 61 % du total (sur trois prêtres, environ deux sont religieux)

- En Suisse, Irlande et Belgique, parmi les prêtres, sur cinq il y en a environ deux qui sont religieux

- En Italie, Espagne et Royaume-Uni, pour trois prêtres, un est religieux

- Dans les cinq autres pays, dont la France, pour cinq prêtres , un est religieux.

2 - Si maintenant on regarde la proportion de "séminaristes" religieux parmi l’ensemble des candidats au sacerdoce, on constate de notables différences.
Nulle part leur nombre ne dépasse celui des séminaristes diocésains. L’exception des Pays-Bas a disparu.
Dans des pays comme l’Irlande, la Belgique, le Portugal et même le Royaume-Uni la proportion "diocésains-religieux" est à peu près la même qu’il s’agisse des prêtres ou des candidats au sacerdoce.
Par contre, pour les huit autres pays, la proportion "religieux/diocésains" est sensiblement différente selon qu’il s’agit des prêtres ou des candidats au sacerdoce.
Ainsi en France, en Italie, en Espagne, en Autriche, en Pologne, parmi les candidats au sacerdoce, des jeunes, en proportion plus grande qu’autrefois s’orientent vers la vie religieuse. Inversement en Allemagne et surtout en Suisse et aux Pays-Bas, les candidats au sacerdoce s’orientent moins qu’autrefois vers la vie religieuse.

Peut-on en tirer quelques réflexions et questions ?
Actuellement la vie religieuse attirerait-elle plus qu’autrefois dans les pays à majorité catholique ? Et pourquoi ?
Pourquoi, à l’inverse, dans des pays multi-confessionnels comme la Suisse, les Pays-Bas, l’Allemagne, la vie religieuse serait-elle moins souvent associée au sacerdoce ?
Cette différence d’évolution serait-elle liée à des statuts sociaux différents (traitement, habitation...) des prêtres diocésains selon les pays ?
Plus profondément peut-être, dans des sociétés plus tardivement touchées par la sécularisation, l’attirance de la vie religieuse correspond-elle à une affirmation plus forte de l’identité et de la différence dans les plus jeunes générations où les "convertis" sont nombreux ? Qui peut répondre à cette question ?

3 - Il est intéressant de noter, au passage, que le nombre total des prêtres diocésains et religieux de ces douze pays d’Europe en 1990, à savoir 212 522, représente plus de la moitié de l’ensemble des prêtres de l’Eglise universelle la même année, à savoir 403173. Autant dire que, même si un certain nombre de chiffres sont en baisse, nous sommes encore en situation de surabondance, et il est plus vrai encore de dire que nous venons d’une situation de surabondance.
Si maintenant nous comparons non plus les effectifs des prêtres, mais ceux des candidats au sacerdoce dans ces douze pays d’Europe et dans l’Eglise universelle, le constat est tout différent : 25 387 en Europe (12 pays), 96 155 dans l’Eglise universelle.
Alors que le nombre total des prêtres présents dans douze pays d’Europe représente plus de la moitié de l’ensemble des prêtres de l’Eglise universelle, le nombre des séminaristes dans ces mêmes pays et la même année ne représente à peine plus que le quart de l’ensemble des candidats au sacerdoce de l’Eglise universelle.
Si, d’autre part, on sait qu’aujourd’hui encore (statistiques 1991) l’Europe dispose d’un prêtre pour 1 282 catholiques, tandis que l’Afrique n’en a qu’un pour 4 400 et l’Amérique du Sud un pour 7 400...
Si l’on sait encore que l’Europe dispose d’un prêtre pour 3 179 habitants tandis que l’Afrique n’en a qu’un pour 32 000 habitants et l’Asie un pour 57 000...

Alors se posent quelques questions majeures :

  • comment se fait-il qu’au plan de la foi l’Europe soit comme au plan des biens matériels une société de consommation, riche de trésors mal partagés ?
  • n’y a-t-il pas un lien entre ces richesses gaspillées et si peu appréciées et une certaine forme de stérilité ou d’absence de fécondité en matière de vocations ?

conclusion

"Que d’attitudes, que de conceptions restent à la mesure d’un passé disparu :

... Comment aiderions-nous un enfant, un jeune homme, une jeune fille à percevoir l’appel de Dieu, en prétendant arrêter leur regard strictement à l’horizon tout proche d’un diocèse ou même d’un pays ?

... Il n’y a plus, il n’y aura plus de vocations qui ne soient universelles.

... Que dire de ces divisions, de ces ignorances mutuelles, voire de ces concurrences dont le passé fut longtemps marqué et dont le présent se délivre à grand peine ? Dans le monde solidaire où nous avons commencé de vivre, quel anachronisme que de telles oppositions, de telles restrictions.

... Au regard de ceux qui sont appelés, le spectacle de ce monde compartimenté, de ces unités étroites et étanches, qu’elles s’appellent diocèses ou congrégations, de ces vocations qui semblent répondre à des fins indépendantes, ce spectacle créera désormais moins de scandale que de stupeur.

... Là encore il n’y a plus, il n’y aura plus de vocations qui ne soient et ne veuillent être étroitement solidaires de toutes les autres vocations."

Vous avez bien lu. De qui est donc ette déclaration ? A quelle date ?
C’était en 1961, au Congrès de l’Union des Oeuvres de Toulouse, dans la bouche de Monseigneur Garrone.

Je suis persuadé que seul le souffle missionnaire pour l’annonce de l’Evangile ici et ailleurs sera capable de susciter les vocations, toutes les vocations dont l’Eglise et le Monde ont besoin aujourd’hui.

Claude Digonnet
S.N.V.

(1) "Population" mars-avril 1983 [ Retour au Texte ]

(2) Chiffres fournis par la Conférence des Supérieurs Majeurs de France (CSMF), 3 rue Duguay Trouin - Paris 6e [ Retour au Texte ]