Au nom du Christ. La Parole, le sacrement, le ministère de l’ordination


En conclusion de ce numéro, nous vous proposons la lecture de cette lettre pastorale de la Conférence épiscopale des Pays Bas. A l’heure européenne, ce textes témoigne de préoccupation qui nous sont très proches.

Avant propos

Par cette Lettre pastorale, les évêques des Pays-Bas voudraient promouvoir une réflexion sur le sens et la corrélation de la Parole, du sacrement, du ministère et de l’ordination et, en vertu de la responsabilité qui est la leur de les proclamer, attirer l’attention sur un certain nombre d’aspects importants de la tradition de notre foi.

Bien que, à l’origine de cette Lettre pastorale, il y ait les idées récemment exprimées par l’Association de Mariënburg (Mariënburgvereniging), le Mouvement du 8 mai (Acht van Mei Beveging) et la Fédération des associations des agents de la pastorale (Federatie van Verenigingen voor Pastoraal Werkendend), cette Lettre a une portée plus large et a pour but d’approfondir notre foi à tous.

En bien des endroits de notre Eglise une discussion est en cours actuellement sur la place des volontaires, (hommes et femmes), des agents de la pastorale, des prêtres et des diacres dans la communauté des fidèles.

Parfois cette discussion est soulevée par un aspect concret portant sur des problèmes pratiques, par exemple quand une paroisse est dépourvue de prêtres. Sera-t-il possible de célébrer régulièrement l’Eucharistie à l’avenir ? Il arrive que les questions soient posées à la suite d’une rencontre avec des Eglises qui ont une autre conception du sacrement et du ministère. Le ministère ordonné est-il cohérent avec l’égalité de tous les baptisés, qui tous participent au sacerdoce du Christ ? D’autres questions sur l’ordination et le ministère proviennent de la culture où nous vivons. Dans notre culture, avec sa sensibilité avant tout marquée par la démocratie, y a-t-il encore place pour des ministres auxquels est confié le service de la Parole et des sacrements, par une ordination, et donc "à partir d’en haut" ?

En tant qu’évêques de l’Eglise catholique romaine aux Pays-Bas, nous présentons ici un ensemble de réflexions dans le but de guider la communauté des fidèles dans ces discussions. Tout d’abord nous allons esquisser le problème tel qu’il se présente actuellement ; ensuite nous examinerons un certain nombre de développements à la lumière de la Révélation, telle qu’elle est transmise dans l’Ecriture et la Tradition ; et enfin nous consacrerons quelques lignes aux perspectives d’avenir.

Cette Lettre voudrait être un témoin pour notre foi. Son occasion et son objectif font que les aspects doctrinaux de la proclamation de la foi y occupent une place importante.
Notre souhait le plus ardent est que cette Lettre contribue à la croissance de la foi et de l’amour dans notre communauté catholique.
Adrianus, cardinal Simonis - Utrecht, mars 1992.

I - Questions nouvelles

Ces dernières années, nous avons remarqué qu’en bien des endroits - conseils pastoraux, doyennés, paroisses, associations d’agents de la pastorale, hommes et femmes de même que dans des groupements comme l’Association de Mariënburg et le Mouvement du 8 mai, des questions nouvelles se trouvent posées en lien avec la Parole, le sacrement, le ministère et l’ordination. Ces questions sont loin d’être partout les mêmes, mais n’en ont pas moins, bien souvent, des racines communes.

1.1. Respect des sacrements

Il n’est certainement pas vrai que les questions touchant la forme traditionnelle du ministère proviennent toujours d’une crise de la foi ou bien d’une sous-estimation de l’importance des sacrements. Lorsque, dans une paroisse sans prêtres, les gens se posent la question suivante : pour quelle raison un agent de la pastorale, homme ou femme, ne peut-il baptiser ou procéder à l’onction des malades, la question est posée précisément parce que le baptême et l’onction des malades sont considérés comme importants. Si, parfois, on donne la préférence à une célébration de la Parole et de la communion plutôt qu’à une célébration de la Parole et de la prière, nous pouvons nous poser des questions, mais cela montre en réalité que de nombreux fidèles attachent une grande importance à la réception de l’Eucharistie.

Lorsque les gens mettent en question les normes pour l’admission au sacerdoce ou au diaconat, ils ne le font pas en soi par manque de respect pour le ministère et le sacrement. Bien souvent, les questions se trouvent posées en raison de l’inquiétude pour l’avenir. On considère comme important que les paroissiens puissent recevoir les sacrements également à l’avenir. Lorsque nous, évêques, venons dans des paroisses pour administrer la confirmation, nous sommes souvent frappés par la manière attentive avec laquelle les jeunes dans les paroisses ont été préparés. Là aussi nous remarquons à quel point les fidèles sont attachés aux sacrements comme à des signes visibles et efficaces de Jésus-Christ vivant au milieu de nous. Et lorsque, dans une paroisse, quelqu’un est ordonné diacre ou prêtre, ou assure ses fonctions pour la première fois en tant que tel, l’intérêt intense avec lequel tant de personnes participent à cette célébration manifeste à quel point les catholiques, aujourd’hui encore, considèrent le ministère ordonné comme important.

Le revers de la médaille
Bien entendu, il existe aussi le revers de la médaille. Ces trente dernières années, la participation aux sacrements a fortement décliné sur toute la ligne. Nous savons tous que les catholiques choisissent moins souvent qu’auparavant le mariage à l’Eglise et que les parents catholiques font baptiser leurs enfants moins souvent qu’autrefois. La diminution de l’assistance à la messe le dimanche est, pour de nombreuses paroisses, une expérience dont la tristesse n’est quelque peu adoucie que par son caractère chronique. L’histoire du sacrement de la confession, dont le nom officiel est aujourd’hui le sacrement de la pénitence et de la réconciliation, est un problème à part. Le fait que ce sacrement ait disparu du champ de vision de nombreux catholiques signifie qu’une dimension du salut, celle du pardon et de la réconciliation, est seulement visible de manière fragile sur le plan sacramentel.

Mais tout cela n’empêche pas de nombreux catholiques, aujourd’hui encore, de rester attachés aux sacrements en tant que signes visibles de la présence de Dieu dans notre vie. La conscience du sens des sacrements est encore profondément enracinée dans notre communauté.

1.2. Problèmes pratiques

De nombreuses paroisses sont confrontées à des problèmes concernant le travail pastoral et l’administration des sacrements. Voici, par exemple, que le Pasteur d’une paroisse part à la retraite. Un prêtre du voisinage se voit confier la charge de plusieurs paroisses, soutenu par des volontaires laïcs, et souvent un agent de la pastorale, homme ou femme. Il est compréhensible que des questions se posent : l’agent de la pastorale peut-il, dans une telle situation, administrer le baptême ? Un catéchète, un agent de la pastorale qui ont aidé à préparer la célébration eucharistique dominicale ne sont-ils pas tout indiqués pour prononcer également l’homélie ? Pourquoi le Code de droit canonique dit-il que le prêtre, qui a tellement de tâches à remplir avec plusieurs paroisses, est le seul qui puisse oindre les malades ?

En ce qui concerne surtout les sacrements de baptême et de mariage, la question se pose de savoir si les autorités ecclésiastiques ne devraient pas accorder aux agents de la pastorale et aux volontaires laïcs, qui sont de plus en plus souvent engagés dans la préparation, l’autorisation de baptiser et d’officier lors de la célébration des mariages. Il nous arrive parfois d’entendre dire que les réglementations actuelles ne sont pas satisfaisantes, aussi bien pour les paroissiens que pour ceux qui s’investissent dans la pastorale. On remarque que les prêtres risquent d’être surchargés et que le travail pastoral et l’administration des sacrements risquent d’être dissociés. Ainsi dit-on, les autorités ecclésiastiques ne profitent pas de l’occasion de montrer que les volontaires laïcs et les agents de la pastorale sont véritablement pris au sérieux dans l’Eglise.

1.3. Le ministère "à partir d’en haut" est une "culture de participation".

Aussi importants et difficiles que soient les problèmes pratiques de toutes sortes auxquels sont confrontées les paroisses, les questions de certains catholiques sur la Parole, le ministère et l’ordination vont encore plus loin. Dans l’Eglise catholique, le ministère ordonné comporte de nombreuses références "vers le haut". Il est transmis par l’imposition des mains et l’invocation de l’Esprit Saint. De leur côté, les ordinands reçoivent une mission que le Concile Vatican II décrit ainsi dans la Constitution Lumen gentium : "Ils président au nom et en place de Dieu le troupeau dont ils sont les pasteurs, par le magistère doctrinal, le sacerdoce du culte sacré, le ministère du gouvernement" (L.G. 20).

La référence à "en haut" et "en bas", à "plus haut" et "plus bas", à "pasteur" et "troupeau", est souvent rappelée lorsqu’on parle du ministère à partir de la tradition catholique. De nombreux signes extérieurs qui soulignaient cet aspect ont disparu ou ont été simplifiés depuis le Concile Vatican II, mais il reste toujours clairement visible que l’Eglise catholique est "une société hiérarchiquement ordonnée" (L.G.20).
Cela est évident dans les vêtements liturgiques, les mouvements et les attitudes, dans les images utilisées, dans l’ordonnancement de la liturgie, dans les relations d’autorité au sein de l’Eglise, dans les textes importants de la Tradition, comme le chapitre III de Lumen gentium, où le ministère des évêques ainsi que celui de leurs collaborateurs est compris dans l’unique mouvement, l’unique envoi du Père au Christ, du Christ aux Apôtres et à leurs successeurs, et des Apôtres au Peuple de Dieu tout entier.

Quelque chose qui ne va plus de soi
Dans le passé, on pensait qu’il allait de soi d’exprimer la mission des ministres de l’Eglise en images de "haut" et de "bas". On était habitué à une société de supérieurs et de subordonnés où les rois et les empereurs détenaient le pouvoir. Et, dans une certaine mesure, les images d’une hiérarchie religieuse s’y adaptaient. Mais cette époque est révolue. Dans notre culture, l’autorité existe en vertu de la représentation et du contrôle démocratiques. Nous continuons de penser que l’autorité est indispensable et que certaines personnes, en vue du bien commun, doivent être mises dans la position d’exercer le pouvoir, mais ce pouvoir et cette autorité sont accordés et contrôlés par la société. Dans nos structures politiques et sociales, nous tendons vers une authentique participation du plus grand nombre de gens.

Cette culture est l’air que nous respirons. Et c’est dans cette culture que l’élément hiérarchique de la tradition catholique ne va plus de soi. C’est le moins qu’on puisse dire. L’expérience montre que même des personnes profondément croyantes ont parfois du mal à respirer dans le climat ecclésiastique. A partir de leurs expériences sociales de responsabilité et de participation, elles s’engagent en faveur d’une Eglise qui met davantage l’accent sur le mouvement du "bas" vers le "haut", plutôt que sur le mouvement inverse. Et, souvent, les gens estiment que les images "de haut" et "de bas"sont dépassées et que nous pourrions fort bien vivre dans notre communauté sans ce genre d’images.

1.4. Le sacerdoce de tous les baptisés

Mais le malaise touchant "le caractère hiérarchique" de l’Eglise n’est pas seulement un problème d’adaptation culturelle. L’Ecriture et la Tradition, de leur côté, nous avertissent de ne pas isoler la structure hiérarchique de l’ensemble de la communauté des fidèles. Le mot "hiérarchie" signifie littéralement "source sacrée", "principe sacré". Lorsque nous parlons du caractère hiérarchique de l’Eglise, il ne s’agit pas d’abord des autorités dirigeantes de l’Eglise, mais de l’Eglise tout entière, qui a une "source sacrée". Est donc fondamentale l’idée selon laquelle, par le baptême, chaque baptisé est appelé à participer à la mission de Jésus-Christ : l’adoration de Dieu, la proclamation de l’Evangile et le service du monde. Vatican II, dans la tradition de l’Eglise catholique, a mis un accent qui lui est manifestement propre, lorsqu’il a souligné le sacerdoce commun de tous les membres du Peuple de Dieu.

Cet aspect est traité dans le deuxième chapitre de Lumen gentium, avant même qu’il soit question de la structure hiérarchique de l’Eglise. Par "sacerdoce de tous les fidèles", on veut dire que Dieu habite en chaque baptisé, que chaque baptisé est pour ainsi dire un temple de Dieu, que chaque baptisé, par son engagement de croyant ou de croyante dans la vie de chaque
jour, offre des " sacrifices spirituels " et proclame les merveilles de Dieu dans la vie (L.G. 10). Dans le quatrième chapitre de Lumen Gentium, cette participation de tous les croyants au sacerdoce commun du Christ, à la mission prophétique du Christ et à son service royal, fait l’objet d’un plus grand développement.

Vous êtes un sacerdoce royal

Il est important de se rappeler ce texte. Lorsque des catholiques croyants défendent avec insistance l’égalité fondamentale de tous les croyants, nous ne pouvons dire que cela provient seulement d’une adaptation superficielle à l’esprit démocratique de notre temps. Le sacerdoce commun de tous les fidèles est trop profondément enraciné dans la Sainte Ecriture, dans l’enseignement des Pères de l’Eglise et dans la Tradition ecclésiale postérieure. L’un des textes fondamentaux est la citation bien connue de la première Lettre de Pierre adressée à des nouveaux baptisés :
"Mais vous, vous êtes une race choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un Peuple acquis pour proclamer les louanges de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière, vous qui jadis n’étiez pas un Peuple et qui êtes maintenant le Peuple de Dieu, qui n’obteniez pas miséricorde et qui maintenant avez obtenu miséricorde" (1 P. 2,9-10).

1.5. Malentendus

Les réformateurs du XVIe siècle ont mis en question le ministère ordonné dans l’Eglise et, dans ce but, se sont appuyés, entre autres, sur ce texte de la première Lettre de Pierre. En contrecoup, la doctrine du sacerdoce commun n’a pas reçu dans l’Eglise catholique, après le Concile de Trente, toute l’attention requise. Mais, au cours de Vatican II, la dignité de tous les baptisés a de nouveau été mise expressément en lumière. Le texte de Pierre que nous venons de citer a été mentionné au moins onze fois dans les documents conciliaires, dont cinq fois dans la Constitution sur l’Eglise (Lumen gentium).

Dans certains milieux de la communauté catholique, on en tire la conclusion que les conceptions catholiques et protestantes sur le ministère coïncident plus ou moins. On entend parfois dire que le dialogue œcuménique sur ces thèmes est en train d’être dépassé progressivement et que le problème ne porte plus que sur des détails. Cà et là, on saute à pieds joints sur les principes selon lesquels seul un prêtre validement ordonné peut célébrer l’Eucharistie, comme le déclare expressément le canon 900 du Code de droit canonique, tandis que la prédication de la Parole de Dieu au cours de l’Eucharistie est réservée aux prêtres et aux diacres (canon 767), et que les ministres catholiques (excepté en cas d’urgence) sont les seuls à pouvoir administrer les sacrements aux croyants catholiques (canon 844).

Mais, du fait que l’Eglise catholique conserve le sacerdoce sacramentel et que les Eglises de la Réforme ont à cet égard de grosses difficultés, s’ensuit-il que nous ayons seulement affaire à des escarmouches dans l’arrière-garde des Eglises ? Nous en avons la conviction : des questions importantes sont ici en jeu, qui touchent à des aspects essentiels de notre croyance en Dieu, en sa Révélation, en sa présence parmi nous.

1.6. Confusion

Un certain nombre de pratiques pastorales alimentent également le débat sur la Parole, le sacrement, le ministère et l’ordination.

L’Eucharistie et le célébrant

Parce que la signification propre du ministère ordonné, au sein du sacerdoce général de tous les baptisés, est parfois dans le flou, le rôle du célébrant de l’Eucharistie est çà et là consciemment obscurci. Pourtant, le célébrant est responsable de la prédication et de ce que l’on appelle "les prières présidentielles", c’est-à-dire les prières que le prêtre prononce en tant que président de l’assemblée eucharistique, en premier lieu la prière eucharistique et aussi la prière d’ouverture, la prière sur les dons et la prière de conclusion.

Il semble parfois que certains voudraient souligner l’importance des célébrations non eucharistiques, en les faisant ressembler autant que possible, dans la forme et la présentation, à des célébrations eucharistiques. Cela ne s’explique pas toujours seulement par une formation liturgique insuffisante des fidèles, lorsque parfois, dans un service exceptionnel, sous la direction d’un collaborateur pastoral non ordonné, la différence entre une célébration de la Parole et de la communion et une célébration eucharistique n’apparaît plus guère.

En certaines occasions, à la place de l’Eucharistie, a lieu ce qu’on appelle "une célébration de l’Agape", dans le prolongement du repas d’amour chrétien des premières communautés, et qui, dans l’ancienne Eglise, allait souvent de pair avec l’Eucharistie. Les motifs pour une telle célébration de l’Agape sont des plus différents. On peut faire une telle célébration par respect pour la célébration eucharistique qui, pour certaines raisons, n’est pas toujours possible. En ce cas, à travers ce type de célébration, on souligne le fait que le lien de l’amour unit les croyants autour du Christ. Mais parfois la "célébration de l’Agape" a pour motif l’idée que la célébration de l’Eucharistie peut être possible également sans la présence du ministre ordonné. On dit alors que l’action de grâce "dans une célébration laïque" est tout autant une Eucharistie pour cette raison que, en définitive, le ministère est une dérivation du sacerdoce commun de tous les fidèles, de sorte que les fidèles peuvent célébrer l’Eucharistie même en l’absence de prêtre.

La rencontre de chrétiens protestants et catholiques dans les hôpitaux, les centres de soins, les maisons de repos et autres institutions, de même que dans certaines organisations œcuméniques locales, crée des occasions d’œcuménisme. Parfois les chrétiens concernés sont convaincus qu’ils favorisent l’œcuménisme lorsqu’ils font ensemble des célébrations que ne reconnaissent ni l’Eglise catholique ni les Eglises réformées, ou lorsque a lieu une inter communion allant à l’encontre des intentions de l’Eglise catholique.

Les autres sacrements

Nous savons que, depuis les années 60, le sacrement de pénitence a rapidement perdu de son importance pour de nombreux catholiques. Dans de nombreuses paroisses, des célébrations pénitentielles ont lieu pendant l’Avent et le Carême, où est proclamée la joyeuse nouvelle que Dieu nous a réconciliés avec lui. Dans le rite de la pénitence et de la réconciliation, une distinction expresse est faite entre la célébration pénitentielle et la confession et la célébration sacramentelles. Pourtant, la structure des célébrations pénitentielles suggère parfois qu’il s’agit d’une célébration sacramentelle ou que la différence entre une célébration sacramentelle et une célébration non sacramentelle n’est vraiment pas très importante.

Dans certains cas, des personnes qui, pour un certain nombre de raisons, ne peuvent contracter un mariage à l’Eglise s’adressent au pasteur pour qu’il attire sur elles la bénédiction de Dieu. Cette bénédiction n’est pas une bénédiction sacramentelle. En règle générale, les pasteurs l’indiquent aussi. Pourtant la structure de ces célébrations est parfois d’une telle nature que des gens de l’extérieur peuvent avoir l’impression qu’il s’agit de la célébration d’un mariage sacramentel.

De même, çà et là, il y a un manque de clarté sur le caractère de l’onction des malades. Parfois, on a l’impression que l’agent pastoral ou le diacre qui accompagne le malade peut également administrer le sacrement des malades.

Nous pensons que l’on peut parler ici du danger d’un estompement progressif de la distinction entre les célébrations sacramentelles et les autres. En même temps, il faut constater un certain obscurcissement du rôle propre du ministre ordonné dans la communauté des fidèles, là où il s’agit de la proclamation de la Parole de Dieu et de la célébration des sacrements. Mais pour quelle raison la Tradition de l’Eglise est-elle donc si fermement attachée au caractère propre de la proclamation ministérielle et des célébrations sacramentelles et, en lien avec cela, également au rôle propre de l’évêque, du prêtre et du diacre ?

II- La Parole et l’action de Dieu parmi les hommes

Il n’a jamais été vrai - et cela ne l’est pas davantage aujourd’hui - que, dans l’Eglise, nous ayons des réponses toutes faites à tous les problèmes pastoraux. Un appel est lancé à la fidélité et à la créativité de tous pour que soient trouvés de bons chemins où les gens puissent marcher. Mais, même lorsque nous recherchons des chemins nouveaux, il est essentiel que nous continuions de nous orienter selon les grandes balises qui apparaissent dans l’histoire de la Révélation telle qu’elle nous parvient dans l’histoire et la Tradition.

2.1. L’initiative de Dieu : "le Salut inauguré par la prédication du Seigneur"

Dans l’Eglise, de multiples paroles sont prononcées, paroles de poètes et de chanteurs, paroles de penseurs et de théologiens, paroles de catéchistes et d’enseignants, paroles de priants et de mystiques. Ce sont là des paroles d’hommes et non pas la Parole de Dieu. Pourtant, depuis sa naissance, l’Eglise a l’inébranlable conviction que, dans certaines situations, c’est dans et à travers des paroles prononcées par des hommes que résonne la Parole de Dieu. Là où résonne la Parole de Dieu, la parole prononcée par des hommes est parole révélatrice, révélation de la Parole de Dieu. Cette Parole n’a pas été inventée par l’homme, elle n’est pas purement et simplement le résultat de la religiosité créatrice de l’homme, mais c’est la Parole où Dieu se découvre librement dans l’amour.

Paul exprime magnifiquement cette idée dans sa première Lettre aux chrétiens de Thessalonique :"Voilà pourquoi nous ne cessons de rendre grâce à Dieu de ce que, une fois reçue la Parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l’avez accueillie, non comme une parole d’homme mais comme ce qu’elle est réellement, la Parole de Dieu" (1 Th 2,13). L’initiative revient donc à Dieu seul. L’auteur de la Lettre aux Hébreux sait que le message du salut est transmis par les hommes. Mais l’initiative revient au Seigneur lui-même : "Le Salut, inauguré par la prédication du Seigneur, nous a été garanti par ceux qui l’ont entendu" (He 2, 3).

Jésus-Christ, Parole de Dieu

Le cœur de la foi d’Israël et de l’Evangile de Jésus est que Dieu a inauguré le dialogue entre Dieu et l’homme, que lui-même s’est révélé le premier, qu’il nous a aimés le premier. Avec les croyants de l’humanité tout entière, les juifs et les chrétiens croient que Dieu est le fondement mystérieux et inscrutable de l’existence. Pourtant, Dieu n’est pas simplement pour eux mystérieux, silencieux et inscrutable. Ils croient que Dieu lui-même s’est révélé et communiqué dans la langue des hommes et dans leur histoire.

Les chrétiens croient que, "après avoir à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils" (He 1, 1). Tel est le cœur de la foi chrétienne : "La Parole s’est faite chair et elle a habité parmi nous" (Jn 1, 14). Dieu a exprimé définitivement sa Parole d’amour dans la vie, le message et la mort de Jésus de Nazareth. Jésus est par excellence l’Envoyé qui, jusqu’à la fin, a montré qu’il parle et qu’il vit, agit et souffre à partir de Celui qui l’a envoyé : "Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous saurez que "Je suis" et que je ne fais rien de moi-même, mais je dis ce que le Père m’a enseigné" (Jn 8,28).

L’Eglise au service de la Parole

Toutes les paroles prononcées dans l’Eglise contribuent à proclamer cette Parole de Dieu, à la célébrer et à la transmettre comme source de vie et d’inspiration. Il n’est pas vrai que l’Eglise, et encore moins les autorités de l’Eglise, soient les détentrices de la Parole de Dieu ou puissent en user à leur gré. L’autorité enseignante, selon Vatican II, dans la Constitution Dei verbum, n’est pas au-dessus de la Parole de Dieu, mais à son service. Ceux qui sont chargés d’un ministère dans l’Eglise ont pour fonction de proclamer et d’exposer la Parole de Dieu, mais avant tout ce sont des gens qui écoutent et apprennent, comme tous les autres.

2.2. Les sacrements : "Parce que c’est lui qui nous a aimés le premier"

Ce qui est vrai de la Parole de Dieu est également vrai des sacrements. Selon saint Augustin, les sacrements ne sont que la Parole de Dieu rendue visible. La créativité religieuse de l’humanité qui s’exprime dans la musique, la danse, l’architecture, les rites et les prières, est stupéfiante, aussi bien au-dedans qu’au dehors des Eglises chrétiennes, aussi bien au-dedans qu’au dehors de notre tradition catholique romaine. Face à toutes ces richesses, on pourrait s’étonner que la tradition de l’Eglise attache une telle importance à des signes extrêmement simples, aux choses les plus normales empruntées à la vie quotidienne : le fait de verser de l’eau sur la tête d’une personne, d’imposer les mains sur une tête, de rompre un morceau de pain et de partager une coupe, d’oindre une tête avec de l’huile d’olive.

Reçu du Seigneur

La simplicité de ces signes est déjà une première indication. Pour l’expérience de foi, il ne s’agit pas avant tout, dans les sacrements, d’exemples exceptionnels de créativité religieuse humaine. En tout cas, les premiers chrétiens, qui nous ont transmis les sacrements, ne les ont pas compris ainsi. Pour eux, le fait essentiel était qu’ils n’avaient pas fait eux-mêmes les sacrements. Ils les avaient reçus du Seigneur : "Pour moi, j’ai reçu du Seigneur ce qu’à mon tour je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, la nuit où il était livré, prit du pain et, après avoir rendu grâce, le rompit : ceci est mon corps, qui est pour vous ; faites ceci en mémoire de moi" (1 Co 11, 23 et s.). Celui qui prend réellement l’initiative dans chaque célébration eucharistique, c’est le Seigneur qui nous invite à rompre le pain en mémoire de lui. Celui qui prend réellement l’initiative dans chaque baptême, c’est le Christ ressuscité, qui a donné mission à ceux qui le suivaient de faire des disciples de toutes les nations et de les baptiser au nom du Père, du Fils et de l’Esprit Saint (Mt 28, 19).

L’Eglise formée par les sacrements

Dire que les sacrements ont été faits par l’Eglise n’est donc vrai qu’en un sens restreint. Bien au contraire, c’est l’inverse qui est vrai : c’est l’Eglise qui est faite par les sacrements. Les Pères de l’Eglise étaient fascinés par l’idée que, dans le baptême et l’Eucharistie, l’Eglise ne cesse de renaître. Dans les sacrements, les croyants croissent ensemble pour former l’unique Corps de Christ : "Aussi bien est-ce en un seul Esprit que, nous tous, avons été baptisés en un seul Corps, juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et tous nous avons été abreuvés d’un seul Esprit" (1 Co 12, 13). "Parce qu’il n’y a qu’un pain, à plusieurs, nous ne sommes qu’un Corps, car tous nous participons à ce pain unique" (1 Co 10, 17).

Les sacrements ne sont donc pas la propriété de l’Eglise. L’Eglise ne peut en disposer comme elle l’entend. Avant que les ministres n’administrent les sacrements, ils sont comme tous les autres les récepteurs des sacrements. Et si la célébration des sacrements est entourée de règles liturgiques et juridiques, c’est uniquement pour préserver et expliciter l’origine sacrée des sacrements. Nous ne sommes donc pas les artisans de notre salut, mais nous avons reçu ce salut de Dieu qui nous a aimés le premier dans le Christ. "Quant à nous, aimons, puisque lui nous a aimés le premier" (1 Jn 4, 19).

2.3. La charge apostolique : "Ni à partir des hommes, ni par l’homme".

Mais, de quelle manière, nous les croyants d’aujourd’hui, entrons-nous en contact avec la Parole, où Dieu lui-même s’est exprimé en Jésus-Christ ? De quelle manière entrons-nous en contact avec sa présence dans le monde, une présence qui guérit, encourage et libère ? Lorsque nous disons que l’Eglise est "apostolique", nous voulons exprimer par là que l’Eglise ne tire pas du néant ce qu’elle dit et fait. C’est à elle qu’ont été confiés la Parole et les signes que Jésus a transmis par l’intermédiaire de ses Apôtres. Elle est liée à cette Parole et à ces signes. L’Eglise apostolique poursuit la mission des Apôtres : "Enseigner toutes les nations et prêcher l’Evangile à toute créature, afin que tous les hommes, par la foi, le baptême et l’accomplissement des commandements, obtiennent le salut" (L.G. 24).

Les Apôtres, témoins uniques

Les Apôtres sont des témoins particulièrement autorisés. Ce qui fait d’un Apôtre un témoin unique de Jésus-Christ, c’est en premier lieu une expérience très personnelle et directe dans la relation avec Jésus, tel qu’il parcourait la Galilée, tel qu’il apparut à ses disciples après sa mort, et tel qu’il envoya ses disciples prêcher ce qu’eux-mêmes avaient entendu et vu, et ainsi "apporter l’Evangile à toutes les nations" (Lc 24, 47). En particulier "les Douze" accomplissent par excellence la tâche d’Apôtres : "Il en institua Douze pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher..." (Mc 3,14). Paul, qui n’a pas connu Jésus pendant sa vie terrestre, est un Apôtre parce que Jésus s’est révélé à lui comme le Seigneur ressuscité et l’a envoyé prêcher le Christ aux païens (Ga 1, 13-20).

Directement du Seigneur

C’est un fait que tous les Apôtres ont reçu leur mission directement de Jésus-Christ lui-même, devenant par là des témoins autorisés de la Parole de Dieu. Paul se donne le nom d’"Apôtre, non de la part des hommes, ni par l’intermédiaire d’un homme, mais par Jésus-Christ et Dieu le Père qui l’a ressuscité des morts" (Ga 1, 1).

La Parole que Dieu a prononcée en Jésus se transmet dans la parole des Apôtres. L’un des critères importants pour déterminer la liste des écrits du Nouveau Testament a été la question de savoir si telle lettre ou tel autre écrit était fondé sur un témoin apostolique. Une Eglise apostolique est une Eglise bâtie sur la fondation des Apôtres et ainsi unie à la vie et à l’enseignement de Jésus-Christ.

Il n’est donc pas vrai que l’Eglise d’aujourd’hui puisse contempler, améliorer, ou dépasser de quelque manière que ce soit le témoignage apostolique. C’est le contraire qui est vrai. C’est progressivement que nous découvrons la pleine dimension et la pleine richesse de la Parole transmise par les Apôtres. Cette Parole est si riche et englobante qu’elle surpasse toute époque, est sans cesse actuelle et dure jusqu’à la fin des temps (cf.Mt 28, 20).

2.4. La succession apostolique

La succession apostolique est le signe visible de la confiance avec laquelle Dieu maintient la parole qu’il a donnée jadis dans l’histoire et maintient en marche la mission apostolique. Les évêques ne sont pas des Apôtres, mais les successeurs des Apôtres. Ils ne sont pas des Apôtres, puisqu’ils n’appartiennent pas au groupe unique des témoins privilégiés qui ont accompagné Jésus. Ils sont des successeurs des Apôtres car ils continuent la mission des Apôtres. Ils sont nommés par les Apôtres ou les successeurs des Apôtres, mais en réalité, c’est l’Esprit du Christ qui les envoie. Lorsque Paul prend congé des anciens (presbytres) de Milet, il leur rappelle que c’est l’Esprit Saint qui les "a établis gardiens pour paître l’Eglise de Dieu qu’il s’est acquise par le sang de son propre Fils" (Ac 20, 28).

Non pas comme une affaire transmise de père à fils

Il va de soi que le concept de succession apostolique peut susciter de fausses interprétations. La succession apostolique ne donne pas aux hommes un pouvoir quelconque de discrétion pour disposer de la Parole de Dieu, comme si celle-ci était l’héritage "de la foi" transmise d’évêque à évêque, plus ou moins comme une affaire était autrefois transmise de père à fils. La succession apostolique, au contraire, a précisément pour but d’empêcher que les hommes ne se rendent maîtres de la Parole de Dieu et ne la déforment à leur propre avantage. Timothée est encouragé à prêcher la Parole de Dieu à temps et à contretemps, en n’oubliant pas que des temps viendront "où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine, mais au contraire se donneront des maîtres en quantité et détourneront l’oreille de la vérité pour se tourner vers les fables" (2 Tm 4, 3)
Le ministre, qui est un maillon dans la succession apostolique, est lié au témoignage des Apôtres, que cela lui convienne ou non.

Lié

La succession apostolique est un élément important dans la structure de l’Eglise, mais elle n’est pourtant que l’un des nombreux éléments dont chacun maintient les autres en équilibre.
Tout d’abord, la succession apostolique s’inscrit dans le cadre et de l’Ecriture et de la Tradition. La pierre de touche qui détermine la parole et l’action des dirigeants de l’Eglise demeure toujours le contenu du témoignage qui est transmis. En tout premier lieu, les évêques doivent être les croyants qui écoutent, confrontent sans cesse leur propre opinion à l’Ecriture et à la Tradition.

En conséquence, la succession apostolique d’un évêque pris individuellement ne peut être considérée séparément de l’ensemble du collège des évêques en tant que tel. Certes, Jésus appelle les Apôtres personnellement et individuellement, mais de telle manière qu’ils forment un collège. Marc dit que Jésus appela chacun de son propre nom et qu’il les institua comme les "Douze" (Mc 3, 13-19). Dans ce collège, sous la direction de Pierre, les Apôtres sont collectivement responsables de la proclamation de l’Evangile. De même, les évêques pris individuellement comme successeurs des Apôtres ne peuvent exercer leur charge sans une ferme unité les uns avec les autres, sous la direction de l’évêque de Rome, successeur de Pierre.

Et enfin, il ne serait pas question d’une succession apostolique si Jésus n’avait pas donné à l’Eglise, en tant que telle, la promesse durable de son Esprit. Dans l’exercice de leurs tâches de prédication, d’enseignement et d’administration, les évêques peuvent compter sur l’assistance de l’Esprit de Dieu. Cela n’exclut pas, mais suppose au contraire, qu’ils écoutent attentivement la communauté des fidèles prise dans son ensemble, à laquelle Jésus a promis son Esprit.

Le ministère en tant que service

Pour éliminer dès le départ toute mauvaise interprétation qui pourrait découler du concept de succession apostolique, le Concile Vatican II, suivant en cela les Ecritures, souligne que le ministère dans l’Eglise est avant tout un service, un service de la Parole de Dieu, un service de la communauté d’une Eglise particulière, un service de l’Eglise universelle, un service des frères dans le ministère, un service de la société.

2.5. L’ordination : "Par l’imposition de mes mains".

A bien des égards, nous les hommes, prenons les affaires dans nos propres mains lorsqu’il s’agit de questions importantes qui touchent à la vie. Et c’est là une bonne chose, puisque Dieu a voulu que les hommes soient des êtres libres et responsables. Mais les choses les plus importantes de notre vie, la vie elle-même, la foi, l’amour, le pardon, la confiance dont nous faisons l’expérience, tout cela ne se trouve pas à proprement parler dans nos mains, et nous ne pouvons l’inventer nous-mêmes. L’amour, nous ne pouvons ni le planifier ni l’organiser. Et en ce qui concerne la foi, ce n’est pas nous-mêmes qui créons la présence de Dieu dans notre vie. La présence de Dieu est un pur don. Nous ne devons donc pas nous étonner que cela apparaisse aussi dans la manière dont les signes de la présence de Dieu, à savoir la Parole et les sacrements, arrivent jusqu’à nous. "La Parole vient de l’écoute", dit Paul aux chrétiens de Rome (Rm 10, 17). Les ministres sont avant tout des gens qui sont eux-mêmes à l’écoute de la Parole. Eux aussi, comme tous les autres croyants, sont orientés vers la réception des sacrements. Aucun ministre ne peut s’administrer à lui-même l’onction des malades. Le pape reçoit l’absolution de quelqu’un d’autre, comme tout chrétien qui se confesse. Les sacrements nous sont offerts par l’autre, qui prend la place de l’Autre.

Une brèche dans ce qui va de soi

Ainsi, la parole et les sacrements ouvrent sans cesse une brèche dans la manière, qui nous semble aller de soi, dont nous organisons notre vie tout entière. Le Dieu qui est présent dans nos vies, le Dieu qui réconcilie, guérit et inspire, est "plus grand que nos cœurs" (1 Jn 3, 20). Il est davantage que l’ensemble de toute sagesse et de tout amour humains.

La Parole de l’Ecriture et les sacrements nous réfèrent à cette présence de Dieu et nous mettent en contact fécond avec elle. Ce n’est pas comme si Dieu était présent dans nos vies uniquement par la Sainte Ecriture et uniquement par les sacrements. La grâce et le salut de Dieu entrent dans notre existence par bien des chemins : par l’intermédiaire des dons de la création ; par nos frères les hommes qui nous pardonnent ou sont pour nous, d’une autre manière, une bénédiction ; par le dur combat pour la fidélité et la justice dans la vie de tous les jours, mais aussi par les dons de la culture, une belle pièce musicale qui nous touche en profondeur. Mais la Parole de la Sainte Ecriture et les sacrements font remonter à la surface quelque chose qui reste ici indicible : le fait que, à l’origine et au terme de notre vie, il y a un Dieu d’amour qui, dans le Christ, donne une vie éternelle et vraie. La Parole et les sacrements non seulement expriment cette réalité, mais ils sont avant tout des signes efficaces, ils nous donnent part, d’une manière unique, au courant de vie qui découle du Christ.

Ministres ordonnés : une référence à l’initiative de Dieu.

L’origine surhumaine et sacrée du salut "de la part de Dieu", devient visible lorsqu’une personne est ordonnée évêque, prêtre ou diacre. "C’est pourquoi je t’invite", dit la 2e épître à Timothée, à raviver le don spirituel que Dieu a déposé en toi par l’imposition de mes mains" (2 Tm 1, 6).

Au cours de l’ordination de l’évêque, du prêtre ou du diacre, les mains sont posées sur l’ordinand, et l’Esprit Saint est invoqué sur eux : "Veille sans cesse en eux avec Ta force sanctifiante". Ainsi se trouve exprimé le fait que l’ordination n’est pas purement et simplement une délégation de la communauté.

Heureusement, dans notre Eglise, nous comprenons peut-être mieux qu’avant Vatican II que le ministre représente aussi la communauté des croyants et qu’il est ordonné pour le service de cette communauté. Ce n’est donc pas un hasard si l’ordination, conformément à la tradition, prend place au milieu de la communauté qui prie et célèbre l’Eucharistie. Mais cela ne veut pas dire que l’ordinand reçoive son autorité de la communauté. Le ministre représente avant tout le Christ.

La "Déclaration de Lima"

Le ministre ordonné parle à Dieu au nom de la communauté mais il parle aussi au nom de Dieu à la communauté. Une telle conception existe dans de nombreuses Eglises. L’Eglise catholique romaine insiste sur la signification du ministère ordonné parce que le ministère rend visible quelque chose de l’Eglise : à savoir que l’Eglise n’a pas en elle-même sa propre raison d’exister. Elle est là seulement à cause du Christ qui a donné sa vie pour le salut du monde. Le ministère ordonné rend visible cette référence au Christ. Bien que cela soit exposé différemment, cet aspect est également reconnu par d’autres Eglises. La présence de ministres, dit la "Déclaration de Lima", "rappelle à la communauté l’initiative de Dieu et sa dépendance de Jésus-Christ, qui est la source de sa mission et le fondement de son unité" (n.12). Cela apparaît de manière très explicite dans l’Eucharistie : "Dans la célébration de l’Eucharistie, le Christ rassemble, enseigne et nourrit l’Eglise. C’est le Christ qui invite au repas et le préside. Pour signifier cela et représenter le Christ, dans la plupart des Eglises, il existe un ministre ordonné" (Lima, 14).

2.6. "Au nom du Christ"

Dans la célébration du sacrement, il s’agit d’une rencontre personnelle avec le Christ. Celui-ci est personnellement présent dans les sacrements. Il ne donne pas quelque chose, mais se donne lui-même. Dans la Constitution du Concile Vatican II sur la liturgie, Sacrosanctum Concilium, cela est exprimé dans des mots qui, au plan œcuménique, sont d’une grande importance :
"Il est là présent par sa vertu dans les sacrements au point que, lorsque quelqu’un baptise, c’est le Christ lui-même qui baptise. Il est là présent dans sa Parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Eglise les Saintes Ecritures. Enfin il est là présent lorsque l’Eglise prie et chante les psaumes, lui qui a promis : "Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux" (M18, 20), (Sacrosanctum Concilium, n. 7).

Le ministère dans l’Eglise se réfère à la personne du Christ en tant que "source sacrée" de la proclamation et des sacrements. Lorsque le Concile Vatican II, dans la Constitution sur l’Eglise et dans le Décret sur le ministère et la vie des prêtres, Presbyterorum ordinis, parle des tâches des évêques et des prêtres, c’est la prédication de la Parole au nom du Christ qui occupe la première place (L.G. 25 ; P.O. 4). Accéder à la foi n’est pas avant tout, manifestement, le résultat de la créativité humaine, mais du don de soi à la Parole de Dieu qui nous est offerte, au nom du Christ, par des témoins autorisés.

Le fait que les sacrements soient célébrés sous la direction du ministre ordonné (L.G. 26 ; P.O. 5) fait apparaître clairement un aspect essentiel de ce que veulent être les sacrements, mais c’est le Christ qui est toujours le ministre. Il proclame la Bonne Nouvelle à la communauté rassemblée. C’est lui qui incorpore les baptisés à son Corps, l’Eglise. C’est lui qui remplit le confirmand de son Esprit. C’est lui qui accomplit l’offrande eucharistique et c’est lui qui est l’hôte à la table eucharistique. Il envoie ses Apôtres comme messagers de la réconciliation (2 Co 5, 19). En son nom, les malades reçoivent l’onction d’huile. En ce qui concerne le mariage, les traditions d’Orient et d’Occident diffèrent, mais c’est le Christ qui, aussi bien dans les Eglises d’Orient et d’Occident, confirme le mariage de l’homme et de la femme. Et, dans le sacrement de l’ordination, il transmet sa mission aux évêques, aux prêtres, et aux diacres.
Quand les évêques et leurs collaborateurs, les prêtres et les diacres prêchent l’Evangile et président la célébration des sacrements, ils agissent "au nom du Christ". Dans la Bible, le nom d’une personne exprime l’essence, le cœur de cette personne. Cette riche signification biblique de l’expression : "au nom du Christ", apparaît au premier plan dans la Tradition lorsqu’il est dit que les évêques et leurs collaborateurs dans le ministère agissent "en la personne du Christ".

Les ministres ne sont pas automatiquement d’une qualité supérieure

Le fait que ce soit le Christ qui proclame la Parole et procure les dons sacramentels, apparaît dans le ministère de ceux qui sont appelés à représenter le Christ : les évêques avec leurs collaborateurs, les prêtres et les diacres. Ici, se reproduisent naturellement de fausses interprétations. On pense parfois que les ministres ordonnés, en raison de leur ministère, doivent se voir attribuer automatiquement une plus grande autorité morale, une meilleure compréhension des problèmes et une plus grande sainteté. Bien entendu, tous les efforts devront être faits dans les Eglises, pour appeler au ministère des personnes intelligentes, pieuses et bonnes. Au cœur du récit de l’appel des Apôtres, il y a le fait que le ministère et la marche à la suite du Christ sont inséparables. Mais le ministère n’est pas une récompense et, en définitive, n’est pas fondé sur les qualités personnelles de l’appelé. Quand, dans l’Eglise, nous, évêques, nommons ministres des prêtres et des diacres, nous faisons une différence entre leur personne et leur charge ministérielle. Ainsi, nous manifestons que la Parole qu’ils proclament et les sacrements qu’ils administrent ne sont pas le résultat de la créativité humaine ou d’un talent humain pour la communication, et même pas de la piété ou des qualités morales des hommes, mais un libre don du Seigneur.

2.7. Les prêtres, ministres de la Parole et des mystères sacrés

Les plus proches collaborateurs des évêques sont les prêtres. Le Concile Vatican II traite, dans le Décret sur le ministère et la vie des prêtres, des tâches les plus importantes des prêtres en tant que ministres de la Parole divine, en tant que ministres des sacrements, en particulier de l’Eucharistie, et en tant que dirigeants du Peuple de Dieu. Le Concile met la proclamation de la Parole de Dieu en tête des tâches du prêtre : "Le Peuple de Dieu est rassemblé d’abord par la Parole du Dieu vivant, qu’il convient d’attendre tout spécialement de la bouche des prêtres. En effet, nul ne peut être sauvé sans avoir d’abord cru ; les prêtres, comme coopérateurs des évêques, ont donc pour première fonction d’annoncer l’Evangile de Dieu à tous les hommes" (P.O. 4).

Des prêtres en tant qu’administrateurs des sacrements, il est dit : "Dieu, le seul saint, le seul sanctificateur, a voulu s’associer des hommes comme collaborateurs de cette œuvre de sanctification. Ainsi, par le ministère de l’évêque, Dieu consacre des prêtres qui participent de manière spéciale au sacerdoce du Christ, et agissent dans les célébrations sacrées comme ministres de Celui qui, par son Esprit, exerce sans cesse pour nous, dans la liturgie, sa fonction sacerdotale. Par leur baptême, ils font entrer les hommes dans le Peuple de Dieu. Par le sacrement de pénitence, ils réconcilient les pécheurs avec Dieu et avec l’Eglise ; par l’onction des malades, ils soulagent ceux qui souffrent ; et surtout par la célébration de la messe, ils offrent sacramentellement le sacrifice du Christ" (P.O. 5).

L’examen de chaque sacrement

Nous voyons que les prêtres, dans notre communauté, exercent leur mission de manières très diverses. Mais il n’en demeure pas moins que, pour chaque prêtre, la mission débute ou s’achève en référence au Christ qu’il représente lorsqu’il proclame l’Evangile et administre les sacrements.

Chaque sacrement a sa propre signification et sa propre structure, si bien que le rôle du prêtre n’est pas le même pour tous les sacrements. Le baptême, en tant que sacrement de l’initiation, est si fondamental que, en cas d’urgence, il peut être administré par quiconque, même par une personne non baptisée dont l’intention est droite. En ce qui concerne le mariage, dans les Eglises d’Orient, la bénédiction du prêtre est en général le signe du mariage sacramentel, mais, selon la tradition occidentale, ce sont les futurs mariés qui administrent le sacrement l’un à l’autre. Le prêtre ou le diacre assistent à cette cérémonie du mariage. Ils demandent et reçoivent le consentement mutuel au mariage et confirment le mariage au nom du Christ et de l’Eglise. Dans certaines circonstances, les personnes peuvent s’administrer mutuellement le sacrement du mariage sans que soit nécessaire la présence d’un prêtre ou d’un diacre. Une autre personne peut être déléguée pour assister à la cérémonie du mariage à leur place. Mais cela ne signifie pas que nous devions considérer l’administration des sacrements dans leur ensemble à partir de situations exceptionnelles qui peuvent se produire pour le baptême et le mariage.

2.8. Le sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel

L’une des idées centrales du Concile Vatican II est que tous les baptisés, en raison de leur baptême et non pas à cause d’une mission reçue des évêques et des prêtres, sont appelés à proclamer l’Evangile, à adorer Dieu, et à participer au combat du Christ pour la justice et la paix. Ce faisant, le Concile a voulu mettre un terme définitif à toute fausse interprétation qui ferait découler le sacerdoce commun de tous les baptisés, d’une manière ou d’une autre, du sacerdoce ministériel.

Tous les baptisés ont le droit de prendre des initiatives

Dans cette ligne, existe le droit inaliénable de tous les croyants de prendre même des initiatives, non seulement au niveau de l’organisation, mais aussi en ce qui concerne "le cœur de l’Evangile", à savoir des initiatives dans le domaine de la prière, de la spiritualité et du service (diaconie). Plusieurs des grands mouvements de renouveau dans l’Eglise n’ont pas été l’initiative de ministres ordonnés mais de croyants qui, à partir de leur baptême, ont compris qu’ils étaient responsables de la mission de l’Eglise et de sa mission dans la société. Ce droit est inaliénable, et le Concile Vatican II encourage les évêques à stimuler les fidèles "à agir de leur propre mouvement" (L.G. 37). Bien entendu, ce droit à l’initiative ne signifie pas que quiconque, allant à l’encontre de la communauté et de ses dirigeants, puisse agir à son gré. Toutefois, cela n’enlèvera pas le droit à l’initiative en tant que tel.

Le Décret sur l’apostolat des laïcs, Apostolicam actuositatem, déclare : "Les laïcs tiennent de leur union même avec le Christ-Chef le devoir et le droit d’être apôtres, insérés qu’ils sont par le baptême dans le corps mystique du Christ, fortifiés par la grâce de la confirmation, par la puissance du Saint-Esprit ; c’est le Seigneur lui-même qui les députe à l’apostolat" (A.A. 3).Le sacerdoce commun ne découle pas du sacerdoce ministériel. C’est là une des faces de la médaille.

Le ministère ordonné ne découle pas du sacerdoce commun

Mais la médaille a aussi une autre face. Tout comme le sacerdoce commun ne découle pas du sacerdoce ministériel, ce dernier n’est pas une extension du sacerdoce commun. Lorsque le Concile Vatican II, dans le Décret sur l’apostolat des laïcs, parle de la relation entre les ministres ordonnés et les autres croyants, il ne parle pas en termes de "plus" ou de "moins" mais de "diversité de ministères" : "Il y a dans l’Eglise diversité de ministères mais unité de mission. Le Christ a confié aux Apôtres et à leurs successeurs la charge d’enseigner, de sanctifier, et de gouverner en son nom et par son pouvoir. Mais les laïcs, rendus participants de la fonction sacerdotale prophétique et royale du Christ, assument dans l’Eglise et dans le monde leur part dans ce qui est la mission du peuple de Dieu tout entier" (A.A. 2). Selon le Concile, dans sa Constitution sur l’Eglise, les laïcs et les ministres ordonnés, "en suivant leur propre route", participent au sacerdoce du Christ (L.G. 10). Dans le même paragraphe de Lumen Gentium, le Concile souligne que le sacerdoce commun de tous les fidèles et le sacerdoce ministériel "diffèrent essentiellement" (L.G. 10). Le Concile souhaite ainsi déclarer que les ministres ordonnés ne reçoivent pas leur mission purement et simplement de la base, tout comme la tâche des fidèles n’est pas une extension de la tâche des ministres ordonnés.

Structure de l’Eglise

Les ministres sont donc ordonnés pour le service d’une communauté de fidèles, mais non pas comme s’ils tiraient leurs compétences uniquement de leur mission à partir de la communauté. Cela s’exprime dans la structure même de l’Eglise catholique. Il est certainement possible que des candidats à la charge de diacres, de prêtres ou d’évêques soient présentés par la communauté. Aussi bien les procédures pour cette nomination à une charge sont-elles ouvertes à l’amélioration. De même, il est important qu’un ministre, une fois ordonné et installé, soit accepté par la communauté des fidèles et se sache confirmé par elle. Mais la nomination et l’ordination elle-même ne sont pas faites par la communauté : elles le sont, au milieu de la communauté, par l’évêque en tant que représentant du Christ. Ainsi, il est sacramentellement clair que c’est le Christ qui est le Seigneur de l’Eglise et que c’est lui qui reste proche d’elle avec ses dons de salut.

Diversité et complémentarité

En 1988, parut l’Exhortation apostolique post-synodale du pape Jean Paul II : "La vocation et la mission des laïcs dans l’Eglise et dans le monde", Christi fideles laici fruit du Synode des évêques de 1987. Le pape y parle du lien entre les divers dons de l’Esprit, ministères, charges, responsabilités et vocations dans l’unique Eglise. Les mots clefs dont se sert le pape sont ceux de "diversité" et de "complémentarité". La diversité se réfère au respect de l’apport propre de chaque croyant. La complémentarité dit que chaque apport propre est au service du bien du corps tout entier.

Le Concile avait déjà souligné que le sacerdoce commun et le sacerdoce ordonné avaient besoin l’un de l’autre. Ils sont "ordonnés l’un à l’autre" : l’un et l’autre en effet, selon son mode propre, participent de l’unique sacerdoce du Christ" (L.G. 10). Le pape Jean Paul II écrit dans le document post-synodal dont nous venons de parler : "Pour cette raison, de manière à assurer et à accroître la communion dans l’Eglise, en particulier là où il y a une diversité et une complémentarité de ministères, les pasteurs doivent toujours reconnaître que leur ministère est fondamentalement ordonné au service du peuple de Dieu tout entier (cf. He 5, 1). A leur tour, les fidèles laïcs doivent reconnaître que le sacerdoce ministériel est totalement nécessaire pour leur participation à la mission de l’Eglise" (Christi fideles laici, 22).

Tension féconde

Du fait que la diversité des ministères se trouve à la base de la structure de l’Eglise, nous ne devons pas être surpris qu’il y ait une certaine tension entre la mission de tous les baptisés et la mission du ministère ordonné.

Une authentique diversité provoque toujours une tension. Celle-ci est normale et même nécessaire pour une Eglise vivante, dans la mesure où les ministères sont ordonnés les uns aux autres et, en ce sens, restent complémentaires. Concrètement, cela veut dire que les évêques, les prêtres et les diacres ne sont rien sans les initiatives créatrices des fidèles dans les divers secteurs de la vie de l’Eglise et de la société. Cela signifie par ailleurs que l’Eglise risque de perdre son unité et sa substance lorsque les évêques, ainsi que leurs collaborateurs, les prêtres et les diacres, ne rendent pas sans cesse présent le Christ dans la Parole et le sacrement, le Christ qui est pour la communauté des fidèles son unique raison d’exister.

III - Perspectives d’avenir

Quelles sont les perspectives pour la communauté catholique aux Pays-Bas, lorsque nous regardons les problèmes pastoraux que nous venons d’esquisser à la lumière de cette vision de la Parole, du Sacrement, du ministère et de l’ordination ?

3.1. Prédication et administration des sacrements par des personnes non-ordonnées

La prédication de la Parole et l’administration des sacrements sont liés au ministère ordonné. Cela soulève des problèmes dans la pratique pastorale de chaque jour, à une époque où il y a relativement peu de candidats pour le ministère ordonné. Nous pensons en particulier au danger de voir les fidèles privés des sacrements et les prêtres surchargés de travail. Nous savons aussi que, dans certaines situations, l’administration du baptême et la présidence des cérémonies du mariage à l’église ont été confiées à des laïcs. Nous n’excluons pas en principe ces possibilités pour les Pays-Bas. Mais, en règle générale, nous n’estimons pas nécessaire de modifier la politique actuelle. Toutefois, il est important que les prêtres disponibles soient employés de manière réfléchie et que la pastorale sacramentelle s’adapte à une situation qui change.

A ce propos, il serait erroné de penser que la direction de l’Eglise pourrait purement et simplement disposer à son gré de la possibilité d’administrer les sacrements et de proclamer la Parole de Dieu. Le fait que la Parole, les sacrements et les ministères ordonnés appartiennent par principe l’un à l’autre fait partie, selon la tradition catholique, de la structure fondamentale reçue de l’Eglise. Et là où l’octroi de certaines compétences peut en principe faire l’objet d’un examen (baptême et mariage), nous sommes d’avis que les vrais problèmes pastoraux ne seront pas résolus par l’octroi de ces compétences et que, parfois, ils peuvent s’en trouver obscurcis. Les véritables défis pour notre communauté ne se trouvent pas en effet, avant tout, dans les domaines de l’administration des sacrements, mais dans ceux de l’évangélisation, de la catéchèse, de la spiritualité, de la diaconie.

3.2. Elargir les critères pour l’admission au ministère ordonné

Mais, disent bien des gens, s’il y a en principe des objections à accorder des compétences sacramentelles aux personnes non ordonnées, une autre voie n’est-elle pas possible, à savoir l’élargissement des critères d’admission au ministère ordonné ? Pour quelles raisons des personnes mariées ne peuvent-elles devenir prêtres ? Pour quelles raisons une femme ne peut-elle devenir ni prêtre ni diacre ?

La valeur du sacerdoce célibataire

De plusieurs côtés, on plaide pour l’admission de personnes mariées au sacerdoce. Dans la Sainte Ecriture, la vocation au ministère va de pair avec la vocation à une marche personnelle et existentielle, radicale, à la suite du Christ. L’appel au ministère est un événement très personnel et provient de Jésus lui-même. Jésus "appela à lui ceux qu’Il voulut" (Mc 3, 13). Jésus appelle les Apôtres non pas à une charge ou à une fonction qui serait plus ou moins en dehors de leur vie personnelle. Au contraire, il les institue avant tout "pour qu’ils l’accompagnent" (Mc 3, 14). La marche à la suite du Christ signifie se mettre en route à sa suite avec toutes les joies et les peines que cela comporte. Cela signifie partager sa vie de disponibilité désintéressée pour le Royaume de Dieu.

La norme du célibat sacerdotal, qui peut en principe être modifiée par la direction de l’Eglise, appartient encore moins à la structure fondamentale de l’Eglise, comme cela apparaît dans l’Ecriture et la tradition des Eglises d’Orient. Mais, en raison de l’étroite relation entre l’appel à la charge apostolique et l’appel à la marche personnelle à la suite de Jésus, il ne faut pas s’étonner que le sacerdoce célibataire dans l’Eglise, à savoir en Occident, connaisse une longue tradition. Au Synode des évêques qui s’est tenu en octobre 1990 sur la formation des prêtres, le célibat sacerdotal n’a pratiquement pas fait l’objet de discussions pendant les séances plénières. Les évêques présents étaient d’avis, semble-t-il, que les valeurs bibliques qui vont de pair avec le sacerdoce célibataire, compensent largement les problèmes évidents associés au célibat sacerdotal, et qui exigent un examen attentif en ce qui concerne la formation et l’accompagnement des prêtres.

Pour le Royaume

Où se trouve la source même de cette valeur du célibat sacerdotal ? Le fait de ne pas se marier pour le Royaume de Dieu, ce à quoi Jésus appelle certains de ses disciples, implique un signe, une indication, de la réalité transcendante du Royaume de Dieu. Cela ne signifie aucunement une sous-estimation du mariage ou de la sexualité. Au contraire, c’est seulement parce que des gens renoncent à quelque chose à cause de Dieu et de son Royaume que le célibat peut devenir un signe indiscutable d’amour. Par le célibat sacerdotal, ce signe reste visiblement présent dans la structure du ministère de l’Eglise et témoigne ainsi de la foi dans le Royaume transcendant de Dieu, communion universelle de frères et de sœurs. L’Eglise en témoigne non seulement dans les communautés religieuses qui, à leur manière propre, répondent à l’appel de Jésus pour marcher à sa suite, mais aussi par ses dispositions ministérielles et sacramentelles. Là se trouve la raison la plus profonde pour laquelle l’Eglise latine appelle au sacerdoce seulement ceux qui acceptent l’invitation au célibat à cause du Royaume de Dieu et à cause du Christ et de son Eglise.

Admission des femmes aux ministères ordonnés ?

En ce qui concerne la question de l’admission aux ministères ordonnés, il importe de faire une différence entre l’admission au diaconat et l’admission au sacerdoce.

Femmes et diaconat
Touchant l’admission des femmes au diaconat, plusieurs évêques, lors du Synode de 1987 sur la vocation et la mission des laïcs, ont instamment demandé un examen plus poussé de cette question, étant donné que, entre autres raisons, la Tradition de l’Eglise en ce domaine apparaît moins dépourvue d’ambiguïté que dans la question de l’admission des femmes au sacerdoce. Dans son Exhortation Christi fideles laici, Jean Paul II a annoncé la création d’une commission pour étudier les critères auxquels il faut se référer pour le choix des candidats aux divers ministères de laïcs (Christi fideles laici, 23). Lorsque la commission publiera le rapport de ses délibérations, nous verrons dans quelle mesure elle s’est occupée de la question de l’admission des femmes au diaconat.

Les évêques hollandais qui ont pris part à la "Consultation pastorale nationale", ont informé les membres de cette Consultation que les questions touchant le ministère des diacres, dont ce sujet fait partie, doivent recevoir des réponses en relation avec l’ensemble de la théologie et de la discipline du ministère dans l’Eglise et ne doivent pas seulement être discutées à un niveau purement national (Kerkelijke Documentatie, 1989, p. 577).

Admission des femmes au sacerdoce
Nous notons que le problème de l’accession des femmes au sacerdoce exige de l’attention dans les Pays-Bas et dans bien d’autres pays. Dans l’instruction de la Congrégation pour la Doctrine de la foi (Inter insigniores, 1976), le pape Paul VI a exprimé sa pensée sur ce sujet en déclarant que l’admission des femmes au sacerdoce est contraire à la tradition unanime des Eglises d’Orient et d’Occident. Paul VI a été expressément suivi sur ce point par Jean Paul II dans sa Lettre apostolique sur la dignité de la femme, Mulieris dignitatem. Les évêques hollandais ont conscience que les arguments avancés par ces deux documents ne sont pas acceptés par tous. Ils espèrent qu’une réflexion plus approfondie contribuera en définitive à une meilleure conception du ministère et de la vocation de l’homme et de la femme. Ils estiment qu’il faut éviter que la question de l’admission de la femme au sacerdoce soit utilisée comme instrument dans un combat pour l’émancipation. Ils espèrent que ce problème ne détournera pas l’attention des domaines sociaux et ecclésiastiques où fait défaut la reconnaissance de la place pleine et entière de la femme, et ils soulignent à l’intention de leurs communautés la nécessité d’être solidaires avec une tradition d’Eglise qui s’étend sur tant de siècles et en tant de lieux.

3.3. Vers une Eglise missionnaire

Quand on y regarde de plus près, les problèmes urgents dans notre Eglise aux Pays-Bas ne se situent pas seulement, ni même en premier lieu, au niveau de l’administration des sacrements, mais avant tout sur le plan de la catéchèse, de la spiritualité et de la diaconie. La question de savoir si, à l’avenir nous aurons des communautés vivantes de chrétiens engagés et pleins de foi, est la plus importante de toutes. Elle dépasse l’administration des sacrements, quelque urgente que soit celle-ci. Les problèmes les plus urgents ne sont pas toujours les plus importants. Et parfois nous sommes si préoccupés de ce qui est urgent que nous risquons de perdre de vue ce qui est le plus important à long terme. L’avenir de notre communauté de croyants dépendra du succès ou de l’échec d’initiatives prises dans les domaines de la proclamation de l’Evangile, de la catéchèse, de la spiritualité et de la diaconie. C’est là que réside pour tous les chrétiens, ordonnés ou non, hommes ou femmes, la tâche fondamentale de rendre le Christ présent dans le monde, selon les possibilités de chacun. Pourquoi toute l’attention devrait-elle être concentrée sur l’administration des sacrements ? Pourquoi ne pas concentrer toute son énergie sur les nombreuses tâches vitales pour lesquelles aucune ordination n’est exigée ?

3.4. Dans une Eglise où il y a moins de prêtres

Bien entendu, il s’agit là d’une réflexion générale qui ne résout pas les problèmes concrets posés en nombre de paroisses et de doyennés. Le fait est que nous nous rapprochons d’un avenir où l’Eglise aura moins de prêtres, du moins en ce qui concerne l’avenir prévisible. On ne trouvera pas ici de réponses toutes faites. Nous donnons seulement quelques lignes d’orientation.

La qualité de la pastorale sacramentelle

Il est clair que, dans la période qui nous attend, moins de prêtres seront disponibles qu’auparavant. La possibilité de participer à la célébration de l’Eucharistie et des autres sacrements sera plus limitée. De plus en plus souvent, dans telle ou telle paroisse, il n’y aura plus qu’une messe dominicale. Il ne sera plus toujours possible de célébrer l’Eucharistie pour les défunts le jour même des funérailles. Mais cela signifie-t-il que les sacrements eux-mêmes perdront de leur importance ? L’expérience nous apprend que la crise de la vie sacramentelle n’est pas due avant tout au nombre de célébrations disponibles. La participation des fidèles aux célébrations des sacrements, et l’importance de ces célébrations pour eux, dépendent avant tout d’autres éléments : la préparation et le suivi des sacrements, avec tout ce que cela comporte pour la catéchèse, la pratique de la prière, l’étude de la Bible, la formation spirituelle, la diaconie. La concentration sur ces domaines n’est-elle pas déterminante, ne serait-ce que pour expliciter la signification des sacrements et favoriser leur répercussion dans la vie de chaque jour ?

Les sacrements ne doivent pas être trop étroitement liés à une personne

Dans les entretiens avec les conseils paroissiaux et dans les contacts avec les agents de la pastorale, nous entendons souvent dire : "Pour quelles raisons les agents de la pastorale, qui sont engagés dans la pastorale sacramentelle et préparent les fidèles à la réception des sacrements ne pourraient-ils pas administrer au moins certains sacrements ? Et pourquoi insérer des prêtres "du dehors", qui sont parfois moins engagés dans la préparation des sacrements lorsqu’on en vient à l’administration de ces derniers ?". Nous estimons que de telles réflexions méritent attention . Il faut éviter que l’administration des sacrements et de la pastorale sacramentelle se développent de manières séparées. Ce ne serait bénéfique ni pour la pastorale ni pour les prêtres.

Pourtant la pratique montre qu’un certain "découplage" de la pastorale et de la personne qui administre les sacrements ne diminue pas nécessairement la qualité de la pastorale sacramentelle. Nous connaissons des célébrations de communion, fort bien préparées par des volontaires et des agents de la pastorale, où le prêtre n’a qu’un rôle de guide à l’arrière-plan. Nous pensons à des célébrations de confirmation préparées sur place par des personnes dévouées, où les membres du groupe de préparation prennent parfois l’initiative de maintenir des contacts avec les confirmands. Il en va différemment pour les sacrements du baptême, du mariage, de la pénitence et de la réconciliation, ainsi que de l’onction des malades, parce que l’élément personnel est ici d’un plus grand poids. Néammoins, ici aussi, une certaine distance entre la préparation des sacrements et la personne du célébrant est certainement possible, de manière que, par exemple, l’agent de la pastorale prépare à l’onction la personne malade et que, par la suite, le prêtre soit invité à l’administrer. Cette façon de faire devra être prévue dès le départ dans la pastorale auprès du malade, afin d’éviter de créer des situations confuses.

Des paroles et des signes plus forts que le ministre

Un certain retrait de la personne du ministre concerne aussi l’essence du sacrementlui-même. Certes, les fidèles attendent de l’évêque, du prêtre et du diacre qu’ils soient personnellement engagés dans les actions ministérielles qu’ils accomplissent. Ce n’est pas sans raison que, au cours de la cérémonie d’ordination, l’évêque dit la prière sur l’ordinand : "Donne-leur la charge de coopérateur dans notre ministère, et que leur vie soit un exemple pour ton Peuple".

Pourtant, l’efficacité des paroles que le prêtre prononce et des signes qu’il pose ne dépend pas de sa sainteté personnelle. Dans les actions du ministère, le prêtre agit comme un ministre au nom du Christ, en la personne du Christ. En même temps, il représente la communauté priante. En administrant les sacrements, il prononce des mots et accomplit des actions qui sont plus grands que lui-même. La tradition catholique a toujours fortement souligné que l’action du sacrement ne doit pas être trop étroitement liée à la personne du célébrant. Derrière cela, il y a une idée très importante. De cette manière, le Christ montre clairement qu’il est la source du salut, lui et non pas le pasteur. Mais il attend de ce dernier qu’il marche à sa suite et s’identifie à lui.

Les sacrements, célébration de la communauté

De même qu’il ne faut pas lier trop étroitement les sacrements à la personne du célébrant, nous devons également éviter de rendre l’administration des sacrements trop dépendante des désirs et des préférences de personnes et de groupes déterminés. Ici, le danger est que les sacrements soient coupés de la communauté et deviennent une sorte de service individuel. Les célébrations du baptême des enfants mettent en jeu, bien entendu, les liens familiaux, mais, en définitive, la célébration baptismale est une célébration de l’Eglise et non pas seulement une fête de famille. La signification tout entière du baptême réside précisément dans le fait que, dans et par l’appartenance humaine de la famille, l’enfant est introduit dans une communauté qui dépasse radicalement les frontières naturelles de la parenté et de la famille.Chaque sacrement a ainsi sa signification ecclésiale expresse, chacun à sa manière.

Cela entraîne des conséquences dans la manière dont sont administrés les sacrements. Traditionnellement, de nombreux catholiques pensent que la paroisse, en fait le pasteur, doit s’adapter aux individus et à des groupes particuliers. Ces derniers ont leurs propres désirs et préférences touchant l’horaire et le type de célébration eucharistique le dimanche, à l’occasion de jubilés et d’événements comme les anniversaires et les funérailles, et aussi en ce qui concerne l’administration des autres sacrements.

A côté de l’objection principale, à savoir que l’administration des sacrements n’est pas un service religieux "à la carte", il y a l’objection pratique : le temps disponible du prêtre ou du pasteur s’en trouve réduit. Une politique orientée vers le renforcement des sacrements en tant qu’événements de la communauté signifie souvent un allègement de la charge de travail du pasteur. Les fidèles doivent considérer comme normal de s’adapter à la paroisse et non pas l’inverse. Ce faisant, le nombre des célébrations eucharistiques peut être réduit. Des événements particuliers, comme les jubilés, peuvent être commémorés au cours des célébrations de la communauté. Il apparaît également possible au cours d’une seule célébration d’administrer les sacrements de baptême et d’onction des malades à plusieurs personnes.

Il n’y a pas seulement la célébration eucharistique, il y a aussi d’autres célébrations

Les fidèles sont attachés à la célébration eucharistique parce qu’elle nourrit leur vie et parce que la célébration eucharistique, dans la Tradition de l’Eglise, est regardée comme le sommet de la liturgie. Mais cela ne signifie pas que les célébrations sans Eucharistie et/ou sans communion, soient dépourvues de signification. Sans discuter de la célébration des autres sacrements, nous pouvons indiquer que l’Eglise pratique la liturgie des heures comme une véritable liturgie et que le Concile Vatican II a recommandé cette prière également aux laïcs. Le Concile recommande aussi des réunions de prière autour de la Bible, y compris dans un contexte œcuménique, ainsi que ce que l’on appelle les "exercices de piété". Lorsque le Concile, dans la Constitution sur la liturgie, déclare avec force que le Christ est personnellement présent dans sa Parole, parce qu’il la prononce lui-même lorsque les Saintes Ecritures sont lues dans l’Eglise, cela signifie qu’une cérémonie de prière autour de la Parole de Dieu ne doit pas être simplement regardée comme une "mesure d’urgence lorsqu’il n’y a pas de prêtre". Nous voyons combien de telles célébrations, dans les jeunes Eglises, dirigées en règle générale par des laïcs, sont d’une importance décisive pour approfondir la foi, préserver et fortifier la communauté.

Pastorale des vocations

Ces dernières années, nous avons découvert que la diversité des vocations et des dons de la grâce est un enrichissement pour l’Eglise. Un gros travail a été accompli par les fidèles qui aident à construire l’Eglise en tant que ministres ordonnés ou laïcs, en tant qu’agents de la pastorale, professionnels ou volontaires. Dans cet ensemble de ministères d’Eglise, le ministère ordonné a sa fonction irremplaçable. Nous croyons que les problèmes suscités par le manque de prêtres n’ont pas seulement des aspects négatifs mais présentent aussi un côté positif, en ce sens qu’ils nous font prendre conscience de la diversité des ministères et des dons dans notre communauté ecclésiale.

Cela dit, nous ne croyons pas que la diminution du nombre de prêtres en tant que telle soit l’œuvre de l’Esprit Saint. Dans une Eglise qui vit de l’appel évangélique à suivre le Christ, il ne manquera pas de personnes préparées et capables de répondre à la vocation de prêtre ou de diacre. Mais cela ne se fait pas tout seul. Une information soignée et dirigée, la prière et la réflexion, l’encouragement d’une culture spirituelle de foi et de prière dans les familles, les expériences que les candidats acquièrent dans des paroisses vivantes et dans d’autres communautés, le rayonnement de prêtres et de laïcs avec lesquels les futurs pasteurs peuvent s’identifier, tout cela crée un climat où les candidats pourront se préparer à répondre à l’appel au ministère ordonné.

Conclusion

Des conclusions peuvent être clairement tirées. Les évêques hollandais veulent concentrer leur attention sur la création d’une communauté missionnaire et fervente, où tous les dons de grâce de tous les baptisés pourront être utilisés, tout en préservant la mission propre du ministère ordonné au service de l’ensemble de la communauté.

La proclamation de la Parole de Dieu et l’administration des sacrements sont entourées, dans notre communauté, d’un certain nombre de règles liturgiques et canoniques, de manière à protéger et à clarifier le contenu de la proclamation et la signification des sacrements. C’est pour cette raison qu’il est dit, dans l’introduction au Missel romain, que l’Evangile doit être lu par un diacre ou, à défaut de diacre ou d’un autre prêtre, par le célébrant. C’est pour cette raison aussi qu’il est dit que la tâche du célébrant est de proclamer la Parole de Dieu au cours de la célébration eucharistique (Missel romain, 11), cependant que cette charge revient également aux diacres (Missel romain, 61). Pour cette raison enfin, c’est le prêtre qui unit le Peuple avec lui-même dans les "prières présidentielles" : tout d’abord la prière eucharistique, mais aussi la prière d’ouverture, la prière sur les dons et la prière après la communion.

"Ces prières sont orientées vers Dieu par le prêtre qui préside à la place du Christ, au nom du Peuple saint tout entier et de toutes les personnes présentes" (Missel romain, 10).

Il est également important de noter ce que dit le Missel romain sur la diversité des fonctions dans la liturgie, diversité qui trouve son expression dans la variété des vêtements liturgiques (Missel romain, 297). A ce propos, nous faisons remarquer que le port de l’étole est réservé aux prêtres et aux diacres.

Au début de ce texte, nous avons énuméré plusieurs éléments importants des dispositions de notre Eglise, parmi lesquelles seul un prêtre validement ordonné peut célébrer l’Eucharistie (canon 900). Le Concile Vatican II dit de même : "Toute célébration légitime de l’Eucharistie est dirigée par l’évêque" (L.G. 26). Le fait de rappeler ce principe n’implique pas un manque de respect à l’égard des Eglises de la Réforme qui, elles-mêmes, ont fait savoir qu’elles ne peuvent accepter la conception des Eglises orientales et de l’Eglise catholique romaine touchant le ministère et l’ordination. Le rappel du principe selon lequel la célébration de l’Eucharistie ne peut avoir lieu que sous la direction de l’évêque n’a d’autre but que de préserver et d’expliciter la structure fondamentale de l’Eglise. L’Eglise ne se rassemble pas elle-même, mais elle est rassemblée par le Christ, en vertu de qui, au nom de qui, agissent l’évêque et ses collaborateurs.

Mais le don le plus élevé de la grâce est l’amour

Cette Lettre avait pour but de rappeler le caractère propre du ministère. Mais cela ne signifie pas que le ministère et l’ordination soient les éléments les plus importants dans notre Eglise. Le plus important dans l’Eglise n’est pas l’ordre du ministère, mais l’ordre de l’amour. Le charisme le plus élevé qu’on puisse et qu’on doive s’efforcer d’atteindre, est l’amour, comme le dit Paul dans son cantique sur la charité (1 Co 13).

Tout baptisé est appelé à recevoir de Dieu cet amour, à lui donner forme dans sa vie et à le répandre dans notre Eglise et dans notre société. A travers les actions ministérielles accomplies en vertu de son ordination, le ministre ordonné dit la Parole et administre les signes au nom de ce Dieu qui prend l’initiative envers cette communauté d’amour, au nom du Christ qui préside là où des hommes se rassemblent, au nom de l’Eglise qui se tourne vers Dieu dans la prière. Le ministère dans l’Eglise est au service de l’amour et présuppose l’amour.

Sainte Thérèse de Lisieux a magnifiquement exprimé cet aspect dans son autobiographie :

"J’ai compris que seul l’amour conduit les membres de l’Eglise à agir et que, si le feu de l’amour s’éteignait, les Apôtres cesseraient de proclamer l’Evangile, les martyrs refuseraient de verser leur sang. J’ai compris que l’amour embrassait toutes les vocations, que l’amour était tout, qu’il embrassait tous les temps et tous les lieux, en un mot qu’il est éternel !".

Les plus grands ne sont pas les ministres mais les saints

Dans le Royaume des cieux, les plus grands ne sont pas les ministres mais les saints. C’est l’amour qui est le plus élevé, dit saint Paul, l’amour plus important que les autres dons. Le don de l’amour est plus élevé que le don du ministère ordonné. Et si nous espérons que l’un n’exclut pas l’autre, l’expérience montre que l’un n’est pas cœxtensible à l’autre. Les bons pasteurs ont toujours su que le ministère est plus souvent l’occasion de reconnaître leurs limites que de se vanter. La magnifique image du Bon Pasteur appelle automatiquement l’image contraire du mercenaire (Jn 10). Peut-être plus encore que les autres croyants, le ministre dépend-il de la grâce et du pardon de Dieu, que lui-même, comme les autres, reçoit à travers les sacrements. Augustin, dans l’un de ses sermons, dit à ce sujet quelques mots que le Concile a cités dans sa Constitution sur l’Eglise :

"Si ce que je suis pour vous m’épouvante, ce que suis avec vous me rassure. Pour vous, en effet, je suis l’évêque, avec vous je suis un chrétien. Evêque, c’est le titre d’une charge qu’on assume ; chrétien c’est le nom de la grâce (qu’on reçoit). Titre périlleux, nom salutaire" (L.G. 32).

A la fin de cette Lettre, nous vous invitons tous à prier pour tous ceux qui travaillent aux nombreux ministères de l’Eglise, pour les nombreux volontaires dans les paroisses des Pays-Bas, pour les nombreux religieux, les agents de la pastorale, et particulièrement aussi pour vos évêques, vos prêtres et vos diacres. Que Marie de Nazareth qui, en tant qu’image de l’Eglise, nous dépasse tous dans la foi et l’amour (L.G. 53), intercède pour nous ! n

Utrecht, 25 mars 1992, en la fête de l’Annonciation.

Cardinal A.J. Simonis, archevêque d’Utrecht
Mgr Ernst, évêque de Breda
Mgr Möller, évêque de Groningen
Mgr Bomers, évêque de Haarlem
Mgr ter Schure, évêque de s’Hertogenbosch
Mgr Gijsen, évêque de Rœrmond
Mgr Bär, évêque de Rotterdam
Mgr Niënhaus, évêque d’Utrecht
Mgr de Kok, évêque auxiliaire d’Utrecht
Mgr Lescrauwaet, évêque auxiliaire de Haarlem
Mgr Castermans, évêque auxiliaire de Rœrmond.