Avant le Synode sur la Vie Consacrée


Voici l’écho très riche du travail réalisé par les Instituts, les C.D.V.R. et les C.D.R. en préparation au Synode sur la vie consacrée.

Ce texte est déjà paru dans le numéro de janvier, mais sous une forme incomplète.

Synode 1994 :
La Vie Consacrée et sa mission dans l’Eglise et dans le Monde.

La diffusion très large dans les Congrégations et communautés de religieuses des Lineamenta a suscité intérêt, réflexion, interrogations. De nombreux Instituts ont adressé leurs réponses au questionnaire proposé par l’Union Internationale des Supérieures Générales (U.I.S.G.) ; d’autres (plus de 80) ont répondu à celui présenté conjointement par la Conférence des Supérieures Majeures (C.S.M.) et la Conférence des Supérieurs Majeurs de France (C.S.M.F.). De nombreux Conseils Diocésains des Religieux (C.D.R.) et Conseils Diocésains Vie Religieuse (C.D.V.R.) ont tenu à préparer le Synode 1994, plus de dix parmi eux ont transmis le double de leur réflexion à la C.S.M. dont les Bureau et Conseil ont accueilli cet important dossier.
Essayer d’en rendre compte c’est noter principalement les convergences, très nombreuses, c’est souligner quelques aspects plus rarement évoqués, en lien certes avec les Lineamenta, mais qui sont aussi volonté d’expression sur la Vie Religieuse Apostolique et sa mission dans l’Eglise et le monde.

En impression globale, on relève des aspects positifs :

  • Le fait même de ce Synode attestant la foi de l’Eglise et son estime de la Vie consacrée.
  • L’attention de l’Eglise hiérarchique au charisme de la Vie religieuse et la reconnaissance de la variété des charismes.
  • Le lien vocation-consécration-mission qui souligne et appelle l’unité de vie.
  • L’insistance à demeurer en communion ecclésiale.

Des appels d’ordre général s’expriment aussi :

  • Il est nécessaire de situer la vie religieuse dans le mystère de l’Eglise avant d’en préciser la nature et l’identité (cf. L’exhortation Christi fideles laici). La vie religieuse ne peut se comprendre sans être située d’emblée dans l’Eglise-communion. D’où nécessité de souligner l’enracinement baptismal.
  • Il est souhaité que soit bien accueilli et exprimé l’apport réciproque :
    - du monde à la Vie religieuse de notre temps, pour qu’elle y vive l’Evangile selon son charisme propre ;
    - de la Vie religieuse au monde par la dimension prophétique de son témoignage de l’Absolu de Dieu dans une vision eschatologique.
  • La demande d’un autre langage est sans cesse répétée ; il manque un souffle qui rende compte de l’Espérance qui est en nous et qui motive des centaines de milliers de religieuses ayant consacré leur vie au Royaume de Dieu.

1 - Nature et identité de la vie religieuse

  • Le mouvement trinitaire, fondement de la Consécration-Mission devrait apparaître plus clairement comme l’axe dynamique qui tient ensemble contemplation-action en les renvoyant l’une à l’autre.

  • Les conseils évangéliques vécus comme grâce de conformité au Christ, expression d’une vie théologale, contestation des tendances négatives du monde et du péché, ces aspects sont importants, mais on souhaite :
    - Une réflexion anthropologique enracinant la théologie de la Vie religieuse
    - Une réflexion anthropologique qui mette en regard les questions contemporaines et l’expérience biblique, Ancien et Nouveau Testaments.
    - Une théologie des vœux renouvelée (un Institut suggère de reprendre un travail réalisé par l’U.I.S.G. en 1983 : "Réflexions théologiques sur les fondements et les caractères distinctifs de la Vie Religieuse Apostolique") théologie qui s’exprimerait dans un langage moins idéalisé, prenant en compte en même temps faiblesses, doutes, audaces, risques dans une folle confiance.
    - Une présentation des vœux comme chemin pour la Mission, moyen de cons- truire une civilisation éclairée par l’amour du Christ. Le lien consécration-mission doit s’exprimer davantage.

  • La vie religieuse apostolique :
    Qu’elle soit définie en tant que telle dans sa spécificité de vie religieuse apostolique centrée sur la Mission :
    - En référence à son histoire, à sa tradition authentique.
    - Dans son actuel dynamisme de vie et l’expression de ses choix prioritaires : présence aux pays du Tiers-Monde, aux milieux professionnels, aux défavorisés, aux nouveaux pôles de pauvreté (SIDA, chômage, etc.).
    - aux écoutes de ce qui germe en ce monde.

    C’est pourquoi, il semble important, entre autres :
    - Que l’engagement professionnel soit considéré comme lieu du service d’Evangélisation.
    - Que la participation aux lieux de décision devienne ordinaire.
    - Que soient reconnues des formes de prière "apostolique".
    - Que les compositions des communautés et les styles de vie communautaire soient plus souples tout en restant exigeants sur les points essentiels. Cette souplesse est à chercher en vue de la disponibilité à la Mission, en fidélité aux charismes différents.
    - Que la promotion de la femme dans la société, l’Eglise, la Vie consacrée, soit considérée comme un aspect important de la mission : intuition, audace, sens concret des situations, capacité d’écoute et de dialogue, sens de l’accueil et de la convivialité ouvrent aux femmes des champs de rencontres multiples, en lien avec d’autres femmes. Il est important qu’elles aient accès aux lieux de réflexion, de consultation, de décision tant au plan ecclésial qu’au plan social.
    Ces souhaits des religieuses sont un signe de santé morale, signe aussi d’une volonté d’aller jusqu’au bout de la mission reçue. C’est pourquoi elles souhaitent avoir la possibilité d’accéder aux lieux de formation humaine, théologique, biblique, dès les premières années de leur vie religieuse.

2 - La vie consacrée dans l’Eglise et dans le Monde d’aujourd’hui

  • La réflexion des Instituts concorde avec les fruits du renouveau exprimés dans le texte, soulignant comme de type plus prophétique :
  • Une plus grande ecclésialité de la vie consacrée, développement des nouveaux rapports de collaboration de communion avec les prêtres et les laïcs
  • Une communication croissante entre les Instituts
  • Une nouvelle sensibilité envers les opprimés , les marginaux comme expression de vie évangélique.

Quand aux deux aspects spécifiques Vie Consacrée-Eglise d’aujourd’hui, Vie Consacrée-Monde d’aujourd’hui, ils appellent des compléments, voire des remarques.

Vie religieuse apostolique et Eglise d’aujourd’hui :

  • Nous souhaitons mettre en évidence l’importance de l’Eglise diocésaine dans laquelle se déploie la mission des religieuses de vie apostolique. Avec le développement des "Mutuae relationes" nous avons acquis une reconnaissance mutuelle à l’intérieur même de nos tâches apostoliques. Les pasteurs et les chrétiens avec lesquels nous sommes appelées à collaborer comprennent mieux l’impact de notre vie. Actuellement, c’est souvent de la vie religieuse que l’on attend un signe d’Eglise.
    Il importe que la vie religieuse apostolique prenne une dimension véritablement ecclésiale au sein du Peuple de Dieu où elle est placée pour y déployer son charisme de fondation et manifester devant tous ce don de Dieu fait à l’Eglise. Il est vital de bien montrer que la vie religieuse apostolique est comme une communion en acte dans l’Eglise diocésaine et entre l’Eglise diocésaine et l’Eglise universelle.
  • La présence à l’Eglise universelle de la Vie Religieuse Apostolique n’est pas à démontrer. Elle demande compréhension, accueil sur le terrain diocésain et nécessite partage et dialogue.

Vie religieuse Apostolique et Monde d’aujourd’hui :
Il serait trop long de traduire les nombreuses et vives réactions provoquées par l’expression dans les Lineamenta de certaines ambiguïtés de ce monde, qui induisent davantage une attitude de défiance et de peur que d’accueil et de compréhension. Or, il est à souligner que :

  • L’Esprit de Dieu travaille au cœur de ce monde. le monde est le lieu de la rencontre avec Dieu. Il est porteur de valeurs à recevoir. Pour diffuser l’Evangile, être "lumière du monde", il faut être en sympathie avec ce monde. Pour dialoguer avec les hommes et les femmes de notre temps, il faut cultiver l’intelligence de tout ce qui les fait vivre.
  • Dans la Foi, nous savons le regard bienveillant de notre Dieu sur tous les hommes et cela nous fait aimer notre monde. Cet amour nous pousse à la mission.
  • Cet amour du monde, là où nous vivons, modèle l’approche exigée par l’inculturation. Beaucoup d’Instituts sont internationaux. La vie même exige alors que les démarches d’inculturation aillent de pair avec une constante démarche de conversion. C’est une immense richesse à mettre au service de la Mission de l’Eglise.

3 - Mission de la Vie consacrée

Si les Instituts regrettent que cette partie soit la troisième du texte, ils en soulignent cependant bon nombre d’aspects positifs, en particulier :

  • Le rappel de la place de la vie consacrée dans l’Eglise-communion ; comme actrices de communion, des religieuses ont une place dans les lieux marqués par la rupture ; elles participent à la réconciliation.
  • Les expressions de nouveauté qui sont reconnaissance et appel à une vitalité réelle. Exemples : l’exigence d’un profond renouveau dans l’annonce de la Parole et dans les diverses insertions... de sorte que la Nouvelle Evangélisation soit nouvelle dans ses expressions... nouvelle aussi dans ses méthodes.
  • Les défis reconnus, parfois à développer :
    - vivre d’un charisme commun et éprouver des sensibilités particulières,
    - appartenir à un peuple et être membre d’une famille universelle,
    - être de quelque part, "hic et nunc", et ne pas s’y réduire,
    - vivre "la solidarité apostolique et fraternelle", et garder son autonomie non automatiquement liée à un territoire,
    - vouloir être perméables aux situations de fragilité et ancrées dans un choix de vie.

La dimension prophétique de la Vie Religieuse Apostolique doit répondre aussi à d’autres défis :

  • La vie religieuse apostolique est au cœur de l’Eglise, certes, mais elle est aussi appelée à être aux frontières, aux marges de l’Eglise, voire du Monde. Etre témoin de communion prophétique, c’est établir des passerelles, des ponts entre Monde et Eglise, avec des gens à la base et aussi avec les décideurs.
  • La charisme de la vie religieuse apostolique induit, ou comporte, une réelle liberté qui est à promouvoir au-delà des repères, des balises émises par l’autorité.
  • Face à l’accélération qui marque la vie de nos contemporains, les religieuses essaient de trouver des moyens modernes d’aider les personnes à prendre du recul, sans renier les problèmes de la société.
  • Face à l’exclusion, les Congrégations font des choix prioritaires d’insertions qui signifient la reconnaissance de l’autre, différent.
  • Dans un monde qui valorise la jeunesse, les sœurs plus âgées acceptent simplement de vivre leur âge.

Collaboration avec les laïcs :
Elle existe depuis longtemps. Ce qui change, c’est la façon de la vivre en esprit de réciprocité.

  • Partenariat actif : autour d’un projet commun laïcs et religieuses se situent à égalité dans le respect des vocations spécifiques.
  • Ouverture de communautés à des laïcs pour la réflexion et la prière.
  • Des laïcs s’associent à des Instituts pour partager leur spiritualité et leur apostolat, démarche croissante, actuellement étudiée au plan national, significative pour la Mission, base d’une ecclésiologie rénovée.

4- Vie religieuse apostolique et vocations aujourd’hui

Enumérer les causes externes et internes au problème des vocations particulières dans l’Eglise aujourd’hui serait une gageure ; quelques-unes seulement : perte du sens, diminution de la Foi, peur de l’engagement, baisse démographique, désagrégation des familles, lourdeur de certaines traditions, écarts d’âge, de sensibilité, de motivations, de culture, etc... Essayer de toucher les causes - qui peuvent être modifiées - entre dans les objectifs d’une Pastorale des vocations, ceci à travers quelques points d’attention à noter :

  • C’est en Eglise que se vit la Pastorale des vocations : "Baptisés, serviteurs de l’Appel" était le titre du dernier congrès du Service National des Vocations à Lourdes qui provoqua de réelles interpellations. Si les baptisés souhaitent le maintien, le renouvellement, la croissance des vocations particulières : prêtres, religieux, religieuses, moines et moniales, missionnaires, c’est à eux, en Eglise, de prendre mieux conscience de leur responsabilité, de reconstruire le climat dans lequel les Appels peuvent être perçus, soutenus. Vivre la Pastorale des Vocations en Eglise, c’est, avec la force de l’Esprit, oser créer, innover, appeler.
  • Des points d’attention sont plus spécifiques aux Instituts : la qualité de la vie communautaire. Dans un monde angoissé, la vie communautaire doit respirer la joie d’être ensemble au service de Dieu et des frères. A une époque de l’instantané, du ponctuel, elle témoigne de la présence, de la durée ensemble de personnes qui ne se sont pas choisies. Au poids de la solitude de tant de personnes défavorisées, elle répond par l’écoute, la disponibilité. A ceux qui le souhaitent, elle offre le partage dans la prière, la réflexion. C’est en communauté que la Mission est relue, priée, vérifiée. Subsistent, c’est évident, l’aspect humain des communautés, la présence de l’épreuve et de la Croix.
    Les moyens que se donne l’Institut au service de l’Appel : si la qualité de Vie religieuse est de toute évidence, le "sine qua non" des vocations, les Instituts ont à manifester leur préoccupation des vocations, qu’il s’agisse d’ailleurs de leur propre Institut ou d’un autre.

Quelques suggestions :

  • diversifier les lieux et les moments d’appel : pèlerinages, routes, rassemblements, récollections, fêtes et anniversaires, professions perpétuelles... etc. Ces moments-là peuvent entraîner des temps de réflexion sur la Foi, la vocation baptismale, l’engagement, la mission. Il est important de susciter, de soutenir des espaces de parole.
  • Travailler avec d’autres pour de grandes causes : paix, droit à la vie, justice, environnement, œcuménisme. Les jeunes sensibilisés par ces causes mondiales y découvrent parfois les exigences et la richesse de l’engagement.
  • Etre présente aux besoins du temps, ici et ailleurs, tenant compte de la culture de ce lieu, de ce temps, remarquant par exemple la nouvelle relation au travail, la nouvelle relation au temps libre.
  • Saisir les opportunités pour partager ce qui fait notre vie, ce qui nous fait vivre, savoir passer de l’écoute à la parole, avec un langage pour aujourd’hui.

Cette énumération ne cherche pas tant à exprimer une optique de stratégie, qu’à souligner certains points déjà bien vécus dans les Instituts et qui peuvent, en précisant nuances et objectifs, devenir "appelants".

Ces points d’attention peuvent-ils être pris en compte par le Synode 1994 ? Nous le souhaitons. Nous ne souhaitons pas que le Synode nous donne un modèle de vie religieuse, mais plutôt des orientations, des invitations, des encouragements. Que le Synode nous donne un texte qui montre la confiance que l’Eglise porte à la vie consacrée, qu’il montre de l’optimisme, dans une forme simple, compréhensible et accessible à beaucoup, et qu’il soit ainsi porteur d’espérance.

Sœur Marie-Thérèse Bressollette,
Secrétaire générale de la C.S.M.