La vie religieuse apostolique aujourd’hui


Dimanche, 11 h 30.
Jacques D’Huiteau, puis Françoise Greffe, donnent une intervention sur la "Vie Religieuse Apostolique aujourd’hui".
Cette intervention a pris la forme d’un duo.

En commençant ma partie je voudrais signaler ses limites, sa visée et la conviction qui la sous-tend.

1 - Limite provenant de ma propre expérience de la vie religieuse :

  • celle d’une forme particulière : je suis Frère c’est-à-dire que ma vie religieuse, je la vis en tant que religieux laïc et dans un Institut qui ne comporte que des Frères.
  • celle d’une vie religieuse masculine. Or la vie religieuse, à l’inverse de la vie sacerdotale, est très majoritairement féminine : dans le monde il y a un million de Sœurs pour trois cent mille Pères et Frères.
  • celle d’un champ d’action apostolique très spécifique : le monde des jeunes, et, pour moi plus particulièrement, le milieu scolaire où je remplis en même temps les fonctions de professeur et de responsable d’aumônerie.

2 - Limite provenant du temps imparti : une demi-heure. Le sujet est très vaste et le temps est court. La conséquence est que je procéderai plus par affirmation que par démonstration.
Mais notre tâche n’est sans doute pas tant de convaincre que de stimuler la réflexion.

3 - Une double visée :

  • Etablir une problématique.
    Je pense que le plus important est de voir que la question de la vie religieuse se pose aujourd’hui, du moins en France, dans des termes nouveaux, dans une situation inédite, dont il s’agit de prendre la mesure, et qui nous amène à vivre des intuitions traditionnelles, dans des formes de pensée et de vie qui sont à inventer.
    (C’était le diagnostic du Concile Vatican II qui parle d’une "rénovation adaptée de la Vie religieuse". C’est le thème même de la session où il est question de "chemins nouveaux". Je note que cette expression se retrouve dans l’intitulé du colloque national organisé par les Congrégations dans l’enseignement : "A temps nouveaux, chemins nouveaux").
  • Ouvrir des pistes de réflexion
    La journée d’hier y a déjà grandement contribué.

4 - Conviction.
Une approche théologique de la vie religieuse doit se fonder avant tout sur une praxéologie. En clair, cela signifie que la théologie fondamentale de la vie consacrée ne peut s’élaborer en termes "essentialistes", comme une réalité immuable, aux contours nettement délimités.
Seule, une approche "existentialiste" (à partir de l’histoire, de l’aventure humaine et spirituelle des fondateurs, du destin des ordres religieux), me paraît éclairante. Elle est aussi la seule cohérente avec ce qui constitue la dimension fondamentale de la vie religieuse, son caractère charismatique qui lui donne toujours une allure imprévisible et un aspect inclassable.

I- Le monde des religieux :

un monde en attente de clarification et appelé dans la situation actuelle à acquérir une conscience plus vive de son identité.

1 - Un symptôme

Je vois un symptôme de cette attente dans les réponses au questionnaire de la revue Vie consacrée en vue du prochain synode sur "La vie consacrée et sa mission dans le monde". Ces réponses ont été publiées dans le numéro paru en juillet 1993.
Dans le commentaire qui les présente je lis ceci :
"Il est demandé au synode, même si sa mission n’est ni formellement ni premièrement à ce niveau-là, d’être l’occasion d’une réflexion théologique renouvelée à propos de la spécificité ecclésiale de la vie consacrée, religieuse surtout, et plus spécialement encore, de la vie religieuse apostolique et de sa mission".
(Vie consacrée n°4 - 15-7-93)

2 - D’où vient cette attente ?

Les raisons sont de divers types.

- Des raisons sociologiques

  • Perte de pertinence sociale :
    "La vie religieuse n’est plus reconnue aujourd’hui comme ayant un sens dans le fonctionnement social". C’est Michel de Certeau qui disait ceci lors d’une homélie prononcée à l’occasion de la profession de deux jeunes jésuites :
    "Comme le prêtre, quoique pas tout à fait pour les mêmes raisons, le religieux intrigue plus qu’il ne provoque la crainte ou le respect. Il rejoint le sauvage ou le sorcier dans le folklore propre à la France de l’intérieur.
    Son personnage a valeur d’énigme plus que d’exemple. Il a la figure de l’étrangeté, mais une étrangeté ambiguë qui désigne tout à tour un secret important et un passé révolu. Il fascine, comme quelque chose de caché, en même temps qu’il a le statut d’un objet périmé, telle une relique de sociétés disparues"

    ("La faiblesse de croire", p.7)
  • Perte de prestige social :
    Nous sommes entrés dans un temps où les pesanteurs sociologiques ne jouent plus en faveur de la vie religieuse. D’après un sondage paru dans La Vie en octobre 87 et recueilli auprès de chrétiens non pratiquants, si 82 % souhaitent que leurs enfants soient baptisés et 65 % qu’ils se marient à l’église, seuls 9 % ont souhaité ou souhaitent qu’ils deviennent prêtres ou religieux, religieuses.
    Désormais, adopter la vie religieuse comme forme de vie, exige une décision extrêmement forte de la liberté personnelle par rapport à l’environnement social. Ce n’est pas sans conséquence sur notre pédagogie en pastorale des vocations.

- Des raisons culturelles

  • Dans notre culture, l’individu, son autonomie, sont extrêmement valorisés.
    Or, la vie communautaire placée sous les signes du partage et de l’obéissance, est un élément fondamental de la vie religieuse. Et, le plus souvent, il y a un gouffre entre la façon dont la vie communautaire est vécue et la perception qu’en ont les hommes et les femmes qui nous environnent, y compris ceux qui nous côtoient.
  • La perception du temps a changé. Face à un passé jugé totalement dépassé et à un avenir très incertain, voire bouché, seul compte le présent. Pensez au retentissement du film "Le cercle des poètes disparus" où revient comme un refrain le Carpe Diem cher à l’épicurisme.
    Dans une telle conception d’un temps fragmenté, réduit à une succession d’instants, il est difficile d’envisager un état de vie placé sous le signe de la fidélité à un appel entendu à un moment de sa vie, fidélité à un corps social (une congrégation) dont les contours ne sont pas clairement perçus, y compris parfois par ses propres membres.
  • Enfin, pour plagier le titre du livre d’Y. Lambert sur l’évolution religieuse d’un village breton, nous savons que "Dieu a changé en France" !
    Massivement, nos contemporains sont déistes ou plus encore agnostiques. Faute de temps je vous renvoie au livre du même Yves Lambert "Crépuscule des religions chez les jeunes ?"
    Comment dès lors penser qu’entre Dieu et un être humain peut se nouer une relation telle qu’elle soit le fondement d’un style de vie, qu’elle en affecte les aspects les plus essentiels : la liberté, la relation aux biens matériels, la vie affective et sexuelle ?

- Des raisons ecclésiales

Là aussi, je suis obligé de me contenter de noter les points qui me paraissent les plus prégnants par rapport à une attente de clarification.

  • La vie religieuse constitue un "point aveugle" de l’ecclésiologie sinon officielle, du moins quotidienne. Celle-ci reste marquée par une vision hiérarchique de l’Eglise où le religieux, surtout s’il est homme et laïc, est inclassable et le plus souvent ignoré.
  • Vatican II a consacré, et c’est heureux, la valorisation du laïcat séculier. Mais, ce faisant, il oblige les religieux à se situer autrement : la vie religieuse n’est plus la voie royale vers la sainteté ; il n’y a pas de vie de soi plus parfaite qu’une autre. La vie laïque est désormais envisagée comme :
      • une vocation
      • un chemin de sainteté
      • une forme de vie chrétienne compatible avec l’exercice de certains ministères.

    (cf. pourtant dans Prière du Temps présent l’intercession du jeudi matin IV)

  • La critique exégétique a mis à mal les schémas par lesquels les religieux comprenaient et exprimaient leur vocation. Ainsi la distinction encore utilisée couramment entre préceptes et conseils ne paraît plus avoir de fondement scripturaire.

II - Des réactions

Dans un passé récent, on peut percevoir plusieurs types de réaction face à la difficulté de clarifier le sens de la vie religieuse, et de préciser son originalité.

1- Le repli sur un statut clérical, d’autant plus facile à valoriser que la crise du clergé séculier accentue le besoin de prêtres.
Evidemment une telle réaction est interdite aux femmes et a engendré chez les Frères un malaise.

2 - L’élaboration d’une spiritualité du "dernier des mohicans" qui s’exprime dans ces termes :
"Nous avons fait notre temps ! c’est terminé, laissons-nous mourir, le plus paisiblement possible !...", "Des laïcs peuvent nous remplacer avantageusement".
Evidemment dans un tel contexte on renonce à toute pastorale des vocations... à moins que l’on ne pratique un recrutement, dans des pays comme ceux du Tiers-Monde, avec l’intention plus ou moins avouée de pallier ainsi l’absence de vocations en France ou en Europe.

3 - Le retour vers le charisme du fondateur pour y découvrir des aspects ou des dimensions insoupçonnés ou peu valorisés, à la lumière des réalités actuelles.
Le Concile a encouragé une telle démarche. Celle-ci a déjà produit des fruits, mais elle n’est pas dépourvue de limites :

  • Limites dans la mesure où le charisme du fondateur n’est pas clairement identifiable, relève d’un type commun de spiritualité.
  • Limite dans la mesure où les fondateurs ne donnent pas des réponses complètes à nos questions d’aujourd’hui . Comme l’écrit Michel de Certeau dans un texte intitulé "Le mythe des origines" :
    "Nos pères sont des hommes ; ils ne sont que des hommes. Les origines ne sont pas d’une autre nature que nous. Elles s’évanouissent à notre approche si nous les identifions à un secret qui serait détenu par le passé et avec lequel il nous faudrait ruser pour nous trouver nous-mêmes en le récupérant. De telles ’sources’ ne cessent de nous fuir, car elles ne sont qu’un mirage." ("La faiblesse de croire", p.59)

4 - La restauration
Je désigne par ce terme la réaction qui consiste à vouloir retrouver dans une forme de vie religieuse déjà ancienne ou nouvelle :

  • Un style de vie plus "traditionnel" : vêtement, bâtiment, rythme, pratiques liturgiques.
  • La règle de vie primitive (cf. les difficultés chez les carmélites)
    Le résultat de ce type de réaction est de (re)donner une visibilité forte et d’offrir un cadre de vie très structuré. Il répond aux vœux de certains jeunes. Mais une restauration n’est pas sans doute ce qui permet d’envisager un avenir adapté à des "chemins nouveaux".

III - Quelques jalons pour clarifier le sens de la Vie Religieuse Apostolique aujourd’hui.

La vie religieuse, comme la vie chrétienne en général, se trouve à l’intersection de la vie du monde et de la vie ecclésiale. Cependant le religieux et la religieuse vivent de façon particulière ce double rapport au monde et à l’Eglise.

1 - Par rapport au monde :

L’Histoire nous montre que la vie religieuse apostolique tient une position paradoxale :

  • Son mode de vie tranche sur le mode de vie couramment adopté et, de ce fait, les religieux apparaissent comme un groupe "liminal", c’est-à-dire minoritaire et à certains égards marginal. Cette "liminalité" est constitutive de la vie religieuse. Le concept de liminalité est un concept anthropologique, utilisé actuellement pour décrire les traits des petits groupes et communautés dans leurs relations ou interactions avec la grande masse de la société.
  • Et en même temps, les religieux ont montré dans l’histoire qu’ils manifestent une sensibilité extrême aux besoins du monde et qu’ils savent élaborer des réponses adaptées, et de ce fait diversifiées, réponses qui souvent rejaillissent sur leur mode de vie.

Marginalité de vie jointe à une réelle efficacité et fécondité sociales : tel est le paradoxe qui est au cœur de la vie religieuse dans son rapport au monde. Et ce paradoxe n’est pas réservé aux Instituts qui assument une fonction directement sociale : éducation, soins hospitaliers. C’est aussi vrai d’ordres purement apostoliques : que l’on pense au rôle dans le Tiers-Monde des Instituts missionnaires, que l’on pense à l’influence qu’a pu exercer tel ou tel ordre - les jésuites par exemple - dans le domaine artistique ou scientifique.
Ce paradoxe manifeste que le religieux est appelé à vivre à la suite du Christ et à la manière du Christ, une démarche d’incarnation marquée par une sécularité réduite. Le religieux a pour mission d’incarner cette dimension du mystère du Christ présent dans le monde sans être du monde : "Ils ne sont pas du monde comme je ne suis pas du monde" (Jn 17, 14-16).
D’une manière spéciale, toutes les formes de vie consacrée ont à réactualiser :

a) ce qui marquait la distance de Jésus par rapport au monde, à son monde :

      • le célibat en vue du Royaume
      • son option pour les pauvres et un style de vie pauvre
      • sa dépendance vis-à-vis de la volonté de Dieu le Père
      • son souci communautaire

b)... et ce qui signifiait sa proximité aimante des hommes et des femmes : sa miséricorde envers les pécheurs, son attention vis-à-vis des derniers et des marginalisés, son activité d’enseignement des "mystères du Royaume", ses miracles en faveur des malades, des possédés.
Pour que la Vie religieuse retrouve dans son rapport au monde une claire vision d’elle-même il faut qu’elle réponde aux deux questions qui ont toujours été les siennes :

  • quelles sont aujourd’hui les formes de "marginalité", de "liminalité" qui marquent un écart significatif avec le mode de vie commun ?
  • quels sont les besoins essentiels de nos contemporains auxquels nous avons à répondre ?

A la première question, les vœux apportent certes une réponse. Mais pas en soi. Il s’agit de réfléchir à la manière dont ils sont vécus car, de soi, ils ne sont pas porteurs d’un sens évident. Par exemple, le vœu de chasteté dans le célibat n’a pas un sens immédiatement christique, car beaucoup de nos contemporains vivent le célibat par choix ou par suite des circonstances.
A la seconde question, les réponses au questionnaire apportent des "éléments de réflexion et montrent que les religieux d’aujourd’hui ne sont pas sourds à l’appel du Seigneur : "Va délivrer mon peuple". Mais peut-être, sur ce chapitre, les religieux sont-ils trop discrets, eux qui pratiquent "l’aide humanitaire" depuis des siècles, sans pour autant, bien sûr, en avoir l’exclusivité.
J’ajouterai qu’il est un besoin pour lequel ils sont particulièrement armés et que la vogue des spiritualités orientales ou orientalisantes ainsi que le succès des sectes met en relief : l’initiation à la vie spirituelle, une vie spirituelle enracinée dans l’expérience et l’action humaines. Il manque des médiateurs entre la très riche tradition mystique chrétienne, et l’Homme de cette fin du XXème siècle en quête de guide pour le conduire vers cette transcendance qu’il pressent en lui, sans pouvoir la nommer ni l’identifier.

2 - Par rapport à l’Eglise :

L’histoire montre que la vie religieuse joue également un double rôle : liminal et symbolique

- Liminal. Dans ce mot il y a la racine latine "lime" qui renvoie à l’idée de frontière. Or le religieux est l’homme, ou la femme des frontières. Dans la vie ecclésiale cela signifie que le lieu de la vie religieuse apostolique est là où foi et incroyance se rencontrent, entrent en dialogue, voire en conflit.
Le religieux n’a pas à être l’homme ou la femme de l’Institutionnel. Sa présence dans une Institution n’est justifiée que si cette Institution est un lieu où se rencontrent croyants et incroyants. Je pense évidemment, entre autres, à la situation actuelle de l’école catholique.
Je partage tout à fait le point de vue suivant du Père Rondet :
"Notre vocation se situe là : rappeler à l’Eglise qu’elle n’est l’Eglise du Christ que lorsqu’elle se laisse disperser par l’Esprit à la rencontre des cultures et au service des hommes. Elle est pour le Royaume ; et le Royaume c’est l’humanité sauvée, transfigurée. Notre vocation, dans son double aspect religieux et apostolique, nous situe à la fois au cœur de l’Eglise, de sa vie, de sa sainteté, nous liant à elle par des liens Institutionnels et spirituels très forts... Et en même temps, elle nous envoie aux frontières, dans le monde de l’absence de Dieu, de l’incroyance, de la pauvreté humaine et spirituelle, de l’oppression subie..." (in "La Vie Religieuse Apostolique, témoignage pour l’Eglise d’une expérience de Dieu").
Ce caractère liminal exige des religieux disponibilité et mobilité, une disponibilité et une mobilité régulées par la solidarité et le discernement communautaires.

- Symbolique. Les religieux ont à être dans l’Eglise "mémoire évangélique", symbole-mémoire du Seigneur, davantage par leur style de vie, dont j’ai donné quelques éléments, que par leurs activités ou entreprises qu’ils partagent souvent maintenant avec des laïcs.
Une des façons d’exercer ce rôle est la réponse apportée aujourd’hui à une double requête de ces mêmes laïcs :"
"Aidez-nous à vivre notre métier ou notre activité pastorale comme un moyen d’être en relation avec Dieu, comme un chemin de vie spirituelle"."
"Partagez-nous votre souci éducatif et pastoral en nous reconnaissant comme des co-responsables à part entière".

Et je peux dire que la réponse à cette double requête permet à des religieux de retrouver le sens de leur vocation, car elle les oblige à revenir à l’essentiel.
En même temps les religieux assument leur rôle prophétique dans l’Eglise, car la revendication des droits des laïcs, et, en même temps, la pleine libération de leurs charismes au sein de l’Eglise, restent une tâche à promouvoir.
Voici, esquissés, quelques éléments de réflexion qui peuvent nous aider à mieux situer le sens de notre vie religieuse apostolique aujourd’hui.

Jacques d’Huiteau
f.e.c.


Quelques pistes de réflexion
sur la vie religieuse apostolique aujourd’hui

C’est bien sur le fond de tableau de la présentation de l’enquête et sur ce que vient de dire Jacques d’Huiteau, que je vais essayer de prolonger notre réflexion, non pas en cherchant à donner des réponses : aujourd’hui, elles sont habituellement inadéquates aux questions posées... mais en essayant d’ouvrir quelques pistes de réflexion.
Pour commencer, je partirai d’une expérience récente, vécue au cours d’une célébration eucharistique dominicale dans l’église du Corbusier, au couvent des Dominicains de l’Arbresle.
En y entrant, j’ai cru me retrouver dans le hall des turbines d’une des grandes centrales électriques du bord du Rhône. Les murs de béton brut s’élèvent tout droit, et forment avec le toit plat et le sol légèrement incliné, comme une grande boîte rectangulaire qui ne laisse échapper aucun regard vers le monde extérieur. Habitée par cette première impression, assise dans les stalles avec les autres membres de l’assemblée, j’ai essayé d’accueillir ce que me disait ce lieu, au cœur même de la célébration eucharistique. Il me renvoyait l’image d’un monde dur, gris, froid et cacophonique, car l’acoustique y mêle tous les sons. Dans un tel lieu, l’assemblée n’est pas immédiatement conviviale, il faut la créer. Mais progressivement, j’ai été saisie par la lumière qui, même par ce temps couvert, éclairait suffisamment l’ensemble : grâce au génie de l’architecte, elle entrait sur les côtés par des baies horizontales peintes en rouge, blanc, jaune et vert ; dans le chœur, par une baie verticale et deux espèces de cheminées rondes, et dans la nef, par un lanterneau dans le plafond. Quand le soleil daignait sortir, la lumière auréolait la tête des participants. Aucun besoin de lumière électrique.
Dans cette église, construite pour un couvent, marquant toujours une certaine séparation du monde, j’ai tout à coup mieux compris un nouveau rapport entre le monde contemporain et le mystère de la foi : comme la lumière qui entrait là, c’est au cœur de ce monde que le Christ mort et ressuscité vient apporter le salut. Il n’y avait pas à apporter le monde à la prière, mais à prier de l’intérieur de ce monde, à le regarder dans la foi, et travailler à le laisser se transfigurer de l’intérieur.
Cela m’a donné à penser à la place de notre vie religieuse apostolique dans le monde. Elle en épouse souvent les crises, les espoirs, les recherches, les réussites et les échecs. Par exemple, nous pouvons penser aux répercussions qu’a eues sur elle la crise de mai 68, venant amplifier les remous provoqués par Vatican II. Le monde est en mutation, la vie religieuse apostolique aussi, quoi de plus naturel ? Alors, ne pourrions-nous pas faire l’hypothèse suivante : considérer la situation actuelle de la vie religieuse apostolique comme symptomatique d’un monde en mutation, et ayant à l’évangéliser de l’intérieur de sa propre mutation ?
Deux points pour baliser un peu cette hypothèse.

I - Consentir à être en mutation

La plupart des économistes le disent : nous ne sommes pas dans une période de crise, mais dans une période de mutation qui appelle des remaniements profonds sur le plan de toute la vie sociale : rapport au travail, à la famille, au loisir, à la cité, mais aussi à l’environnement naturel, au corps, au temps, à l’espace... Nous ne sommes pas dans une crise de la vie religieuse apostolique, mais dans une mutation. Pour y consentir, trois perspectives peuvent peut-être nous aider :

1) Entrer dans un travail de deuil

Y avons-nous jamais pensé ? Nous sommes bien de ce monde qui évacue la mort et les rites symboliques qui l’entouraient. Nous continuons, plus ou moins consciemment, à vivre comme si quelque chose d’avant devait revenir (par exemple des vocations très nombreuses...), ou était encore là. Non la vie est toujours devant, et elle est toujours autre.
Quelques exemples : Nous parlons le moins possible de fermetures de communautés ou d’implantations, nous parlons de restructuration ; souvent nous nous surprenons à dire de nos supérieurs majeurs : "Il ou elle n’a qu’à nous envoyer quelqu’un de plus...", comme si, par un coup de baguette magique, il ou elle pouvait fabriquer un frère ou une sœur de plus ! Nous nous conduisons comme une femme qui, après une sérieuse cure d’amaigrissement continue de se diriger, pour s’habiller... vers les tailles 46 ou 48, ou vers le rayon "femmes fortes" !

Prenons le temps de repérer ce dont nous n’avons pas encore fait le deuil et qui nous empêche de vivre. Comme tout travail de deuil, nous aurons des étapes à franchir, des points d’attention à voir :

  • Traverser la souffrance des pertes de reconnaissance décrites par J. d’Huiteau : reconnaissances sociales, ecclésiales, pertes d’équipes ou de terrains apostoliques importants, en les regardant bien en face, dans nos situations concrètes, pour pouvoir dire "cela n’est plus". Cela prend du temps, passe par la tristesse ou même une certaine dépression ou désolation. C’est normal ; pourquoi y échapperions-nous ? Mais il convient de travailler à en sortir.
  • Le travail psychologique et spirituel à fournir pour sortir de cette situation demande un certain investissement affectif et spirituel qui absorbe des énergies pour un temps... Trois mois après la fermeture de sa communauté, une sœur me disait qu’elle commençait tout juste à se retrouver.
  • Enfin, il y a souvent à faire un travail sur une culpabilité éventuelle : "Depuis bien longtemps, nous aurions dû faire autrement..." ; auto-accusation ou retournement de la culpabilité sur les autres, culpabilités latentes qui empêchent de vivre. Les nommer pour s’en libérer le plus possible.
    N’est-ce pas le lieu où, dans ces traversées humaines, sans spiritualisation hâtive, nous avons à vivre nous-mêmes le mystère pascal, et, en le vivant, l’annoncer ? Une libération profonde de nos énergies humaines et spirituelles pour l’évangélisation n’est-elle pas à ce prix ? Le chemin nous est ouvert parce que le Christ y est passé. Nous savons son issue dans la résurrection.

2) Consentir à ne pas savoir à l’avance

"Voir ce que l’on espère, ce n’est plus espérer" écrit Saint Paul. Dans une période de recherche d’identité des personnes, des institutions, des sociétés, les interrogations des grands croyants de la Bible n’ont-elles pas quelque chose à nous apprendre ? Ils s’interrogent sur eux et sur Dieu.
Moïse au buisson ardent : "Qui suis-je pour aller trouver pharaon ?... Et s’ils me demandent quel est son nom, que leur répondrai-je ?" (Ex. 3,11,13)
David, après la prophétie de Natân : "Qui suis-je, Seigneur, et quelle est ma maison, pour que tu m’aies mené jusque là ?" (2 S.7,18). Ce sont des hommes qui se cherchent et cherchent Dieu, qui se construisent dans la rencontre d’un Autre. Ils ne se présentent pas d’abord comme ceux qui savent qui est Dieu.
Par contre, dans l’évangile de St Jean, nous voyons Nicodème éprouver de la peine à dépasser son savoir  : "Rabbi, nous savons que tu es un maître qui vient de la part de Dieu, car personne ne peut opérer les signes que tu fais si Dieu n’est pas avec lui" (Jn 3,2). Mais pour comprendre comment "naître d’en haut", il cale !... C’est trop nouveau, inattendu. Or Dieu est celui qui "fait toute chose nouvelle" (nous le chantons) et se manifeste souvent là pour nous révéler aussi qui nous sommes.
Accueillir l’inattendu, la nouveauté de Dieu dans le quotidien.
Discerner d’où viennent ces nouveautés et ce qu’elles construisent.
Vivre dans l’ouverture confiante, au cœur même des difficultés, car avoir fait le deuil permet d’être libre pour accueillir la perle pour laquelle nous avons tout quitté.
Nous inscrire dans cette recherche d’identité du monde contemporain, être d’infatigables chercheurs de Dieu à travers de nouveaux repères, nous situe en pleine pâte humaine, avec tous ceux qui cherchent aussi, et ils sont nombreux. Avancer d’expériences en expériences, de connaissances en reconnaissances, nous fait naître sans cesse nous-même à la réalité nouvelle que nous cherchons à annoncer. Tatiana Goricheva écrit : "Elle nous disait bonjour avec tant de joie qu’on l’aurait dit née de Dieu le matin même !". Voilà ce qui peut nous arriver de plus heureux !

3) Lâcher prise par rapport à un type de visibilité,
pour entrer de plus en plus dans une visibilité évangélique

La disparition de certaines formes de visibilité de notre vie religieuse, à proportion variable selon les Instituts - visibilité d’un habitat conventuel, d’œuvres communes, d’un corps apostolique nombreux et repérable par un habit, de formes de prières communautaires - nous pose parfois question ainsi qu’à un certain nombre de gens autour de nous. Mais l’essentiel du message de la visibilité évangélique est-il perdu pour autant ? Ne sommes-nous pas appelés, dans tous les cas, à la visibilité de l’incarnation du Christ ? Qu’est-ce que le Christ donne à voir de Dieu son Père ? Si nous relisons l’évangile, nous voyons que cette visibilité est toujours de l’ordre du signe à recevoir et comprendre, jamais la saisie directe d’une réalité toute donnée, encore moins d’un objet sacré à saisir. En Jésus, la Parole s’est donnée à voir, dans des gestes et des paroles qui traduisaient un amour passionné pour les hommes et pour son Père. Comme pour les premiers chrétiens, la visibilité essentielle est celle du "Voyez comme ils s’aiment", c’est celle des relations entre les personnes, des gestes que nous posons. Pour reprendre l’image évoquée au début, celle d’un monde où la convivialité n’est pas immédiate, ne sommes-nous pas là devant un défi ?
D’abord, le défi de créer par nos communautés des noyaux de convivialité qui nous invitent à traverser sans cesse nos individualismes, nos égoïsmes, pour accueillir l’autre, dans sa différence, à travers la parole échangée. La vie communautaire, dans notre vie religieuse apostolique, est essentielle à sa vocation ; elle est lieu de partage, de relecture, et de prière apostolique, d’envoi et aussi de fête ! "Mon Dieu, mon Dieu, disait un commentaire libre de l’évangile d’Emmaüs, c’est quand nous commençons d’oser nous parler, lorsque nous prenons le risque de l’échange, c’est donc lorsque nous tentons de communiquer que tu es là, au milieu de nous."
Ensuite le défi de créer des réseaux de communication à partir de ces communautés, entre les religieux d’un même Institut, bien sûr, mais aussi entre toutes les formes de vie consacrée et avec des laïcs. Dans ce monde un peu "cacophonique", la communication ne peut se faire qu’avec les plus proches ; mais de proche en proche, comme dans l’évangile, elle peut aller bien au-delà de nos frontières géographiques, culturelles, raciales, jusqu’au bout du monde, jusqu’au cœur de l’athéisme ou de l’indifférence.
Etre aux avant-postes de l’Eglise, comme religieux de vie apostolique, c’est peut-être cela : développer des réseaux de communication, mettre en relation des gens qui peuvent s’aider mutuellement. C’est dans la découverte de cette dépossession continuelle, à l’image des relations trinitaires, où chacun reçoit et se donne totalement à l’autre, que, par grâce, le visage du Dieu vivant pourra apparaître.
La recherche de visibilité comme telle, peut pervertir nos meilleurs engagements. Le témoin n’a pas à être vu pour lui-même, mais à montrer Celui qu’il veut faire découvrir puis à disparaître. C’est bien ce que nous apprend Jean-Baptiste par rapport au Christ, et le Christ par rapport à son Père. Il y a seulement, et c’est déjà beaucoup, à être témoin de Celui que l’on a un peu découvert.
Après cela, nous sentons peut-être que consentir à être en mutation n’est pas très facile... Abordons cependant un second point de réflexion.

II - Etre disciples et apôtres du Christ dans les combats des hommes et des femmes de notre temps, par le chemin des vœux

C’est le lieu où nous avons le plus à vivre le paradoxe d’une vie religieuse apostolique signalée par J. d’Huiteau : un mode de vie qui tranche sur le mode de vie couramment adopté, et une grande sensibilité aux besoins du monde pour élaborer des réponses adaptées.
En effet, par le chemin des trois vœux vécus en communauté, nous sommes invités à vivre les dimensions fondamentales de l’existence humaine, en les assumant autrement, c’est-à-dire dans une rupture constante avec la relation que la plupart des hommes et des femmes entretiennent avec le pouvoir, l’avoir et la sexualité. L’aspect de rupture et de distance vécu avec le Christ dans l’exercice même de ces réalités, est constitutif de ce chemin ; c’est une de ses dimensions prophétiques.
Nous sommes un peu dans la situation du navigateur à voile : il utilise les vents qui soufflent, même les vents contraires, pour reprendre sans cesse le cap de son parcours. C’est l’écart entre la position de sa voile et celle de son gouvernail qui lui permet d’avancer. Comme religieux de vie apostolique, nous avons sans cesse à reprendre le cap évangélique, et à l’indiquer aux autres, quel que soit l’écart que nous constations par rapport à lui. En ce sens, Jean-Claude Guy, s.j., qualifiait la vie religieuse de "mémoire évangélique de l’Eglise".

Notre monde connaît à la fois une crise de l’autorité et la course au pouvoir, aux honneurs et à l’indépendance. Le vœu d’obéissance est un appel à viser une autre manière d’obéir et d’exercer le pouvoir. Mais la mise en œuvre de ce vœu connaît aussi des mutations fortes. Une obéissance infantilisante, si elle n’a jamais été de mise, conviendrait encore moins aux appels de notre temps. Notre obéissance, aujourd’hui, pour devenir plus adulte et responsable, passe par les risques du dialogue d’obéissance. Il s’agit en effet, de risquer une parole avec ses supérieur(e)s pour pouvoir mûrir avec eux(elles) les appels de la mission et nos appels intérieurs, tout en leur abandonnant la décision finale. L’aide de l’Esprit Saint dans ces discernements est bien nécessaire, pour purifier nos intentions, de part et d’autre.
La compétence dans l’exercice du pouvoir est nécessaire pour être crédible, que ce soit dans notre vie professionnelle ou au service de nos Instituts. Mais nous avons toujours à lutter, en nous travaillant nous-mêmes, contre la jalousie du pouvoir, car la main qui se referme sur le pouvoir n’est plus disponible pour le service de tous ceux qui lui sont confiés. Or il s’agit d’être disponibles à tous ceux qui nous sont confiés, d’exercer l’autorité de façon à "autoriser", c’est-à-dire à rendre auteur, à faire grandir l’autre, le rendant responsable et créatif.
C’est déjà ce que nous expérimentons souvent nous-même : l’obéissance nous conduit au dépassement de nous-même, de nos capacités, à oser faire ce que nous, nous n’aurions jamais osé faire, mais que nous faisons par l’envoi d’un(e) supérieur(e). Dans ces cas, il est bon d’exercer le pouvoir, il est bon d’obéir ; c’est annoncer un chemin de croissance à notre entourage.
Cependant, dans l’écart entre cet appel et la manière dont nous le vivons à d’autres moments, le Christ vient nous sauver, car le salut est aussi pour nous ! L’humble accueil du salut dans nos vies, souvent sous le regard de nos collaborateurs, peut avoir ainsi une dimension apostolique. Nous reprenons alors le cap et l’indiquons aux autres, dans nos limites mêmes. "Parle, toi qui n’a rien à perdre !", nous disent certains laïcs avec lesquels nous travaillons.

Dans un monde de pauvreté, où les ressources économiques sont mal réparties, monde habité en même temps par la course aux richesses, le vœu de pauvreté est un appel à entrer dans une autre manière d’avoir - ou de ne pas avoir, avec le Christ pauvre. Là aussi notre vie religieuse est appelée à vivre des déplacements importants. Elle a à passer d’une pauvreté de dépendance, à une pauvreté qui passe par des décisions personnelles et communautaires ; par exemple la gestion de budgets personnels et communautaires, des réflexions sur la gestion du patrimoine de l’Institut, etc... De plus, elle a aussi à assumer certaines répercussions de la crise économique sur ses choix, par exemple dans la difficulté à trouver un travail salarié dans le monde civil ou au service de l’Eglise.
Il n’est pas question de tomber dans une sorte de misérabilisme, surtout face à la misère actuelle qui est un mal. Mais, comme le Christ venu nous enrichir par sa pauvreté (cf. St Paul), il y a une invitation à tenir la main et le cœur ouverts pour livrer aux autres tous les dons de Dieu reçus et reconnus comme tels, dons matériels, culturels et spirituels, au lieu de les garder pour soi.
La vie communautaire nous invite à entrer dans la solidarité du partage économique quotidien avec nos frères et sœurs immédiats ; mais elle ne peut se limiter à cela ; quelle est notre solidarité avec les démunis du monde actuel ? Au service de qui, de quoi mettons-nous nos ressources, en fonction de la mission propre de l’Institut ?
Accueillir la diminution de nos forces apostoliques pour entrer dans la foi que les appels de Dieu sont distribués autrement, renoncer à la toute puissance d’un certain avoir et savoir, peut nous conduire vers la prière de demande qui est toujours expression de pauvreté : "La moisson est abondante mais les ouvriers peu nombreux, priez donc le maître de la moisson..." (Lc 10) Nombreux ou pas nombreux, la moisson nous déborde de toutes parts, c’est une pauvreté fondamentale...

Enfin, devant les avatars de l’exercice de la sexualité que connaît le monde contemporain, comme devant ses réussites, le vœu de chasteté est un appel à courir le risque d’aimer d’une autre manière, avec le Christ.
Ce choix, à la suite du Christ inscrit le manque jusque dans nos corps : il est interruption de la transmission biologique de la vie. Mais, dans les perspectives mêmes du Christ, il est appel à l’ouverture, à aimer l’autre pour lui-même, sans chercher à le retenir pour soi ; c’est lui permettre de vivre de plus en plus par lui-même. La chasteté favorise la vie, l’autorise ; elle connaît ses propres joies et fécondité.
Mais cet appel nous vient au cœur même des fragilités psychologiques et affectives que nous partageons avec nos contemporains. C’est vraiment dans des vases d’argile que nous sommes invités à accueillir l’amour du Christ, plein de tendresse et de miséricorde, et à l’annoncer. Ce n’est pas toujours facile, mais c’est peut-être aussi une invitation à travailler davantage ces fragilités psychologiques et affectives, car nous avons peut-être davantage de moyens pour le faire. Cela nous permettra de mieux connaître les détours et les complexités du cœur et du corps humains. Ce faisant, nous serons certainement plus proches des autres, plus compréhensifs de leur situation, et plus aidants pour leur permettre de trouver leur propre chemin avec leur affectivité telle qu’elle est.

Ce chemin des vœux ne nous donne aucun monopole ; l’échange avec les communautés nouvelles nous l’a bien rappelé. mais la vie religieuse apostolique en est le veilleur attentif.

Conclusion

Quelques brèves notations en guise de conclusion.
Ce développement ne présente que quelques éléments de réflexion pour commencer à creuser une direction : au cœur des mutations actuelles du monde qui sont souvent les siennes, la vie religieuse apostolique a à vivre en état d’appel, en état d’accueil de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. C’est là même qu’elle est réengendrée à l’annonce du Royaume.
Il n’a pas été question explicitement de l’unité de "l’être" et du "faire" dans cette forme de vie religieuse ; pourtant cela n’a-t-il pas été sous-jacent tout au long de l’exposé ?
Enfin, dans ces mutations, la vie religieuse apostolique semble être amenée à passer d’une présence au monde de type "allopathique", à une présence de type "homéopathique", non moins active... N’y a-t-il pas là une parenté avec certaines images évangéliques du Royaume : le levain dans la pâte, le grain de sénevé... ?

Françoise Greffe, r.s.c.j.