Ce regard d’amour posé sur moi
Agnès Thévenin, Soeur de Saint Joseph de Cluny, montre dans son témoignage combien certaines propositions d’un diocèse peuvent aider des jeunes à trouver leur vocation.
Parler de sa vocation est toujours beau car c’est faire mémoire des événements qui ont jalonné cette recherche, faire mémoire des paroles qui nous ont touchés, faire mémoire d’une histoire qui est dès le départ une histoire de la rencontre avec le Seigneur.
En ce qui me concerne, l’appel de Dieu n’a pas été entendu de manière brutale et impérieuse mais ce fut un long chemin de mûrissement et de découverte. Sur ma route, des événements et des éléments m’ont aidée dans l’épanouissement de cette vocation.
Je pense pouvoir dire qu’un des premiers éléments fut ma famille. Ce lieu où tout ce qui est vécu dès le plus jeune âge est si important. C’est le premier lieu où s’est exprimé mon engagement dans la vie chrétienne, par le choix du baptême que mes parents ont fait pour moi. Cette vie baptismale fut nourrie par une éducation chrétienne de respect, d’amour, de service, d’exigence... en même temps qu’une profonde liberté face à mes choix.
Il est sûr que lorsqu’on est enfant, l’initiative des engagements dans diverses associations ne nous revient pas souvent, et ce sont alors encore les parents qui nous engagent par leurs choix. Ainsi en fut-il pour moi, que voici inscrite chez les Guides de France. C’est le deuxième élément important.
A travers le mouvement du scoutisme j’ai commencé à prendre conscience de l’engagement, du service, du sens des responsabilités et de l’autre. J’ai appris à mieux me connaître, à développer tout mon être dans l’harmonie avec la création et les hommes.
Je grandissais et je commençais à me poser quelques questions sur le sens de ma vie, sur mon avenir. Mais cela n’était pas très clair, il y avait des élans très marqués de réflexion et de questionnement, puis de grands trous, une impression de flou. Je ne savais pas trop comment m’y prendre pour avancer. Je piétinais et ce n’était pas toujours drôle. Il me fallait pouvoir expérimenter ces attentes plus clairement,.
C’est alors qu’arriva un autre élément fondateur pour l’épanouissement de ma vocation : une proposition diocésaine pour des jeunes de 18-30 ans. Ce groupe proposait neuf week-ends de formation chrétienne avec "topos", une initiation à la prière, un partage de vie, un engagement à vivre l’aventure de l’accompagnement chaque mois. Les personnes chargées d’animer ce groupe (un prêtre et une sœur) m’en firent la proposition. "C’est d’accord, j’accepte" . C’était ce que j’attendais mais ne savais vraiment pas bien formuler.
Je partis donc pour un an de formation avec ce groupe "Bartimée" qui devint vite une petite communauté très fraternelle où s’épanouissaient nos connaissances chrétiennes, où se nourrissaitt notre vie spirituelle par la découverte de la prière et de l’Ecriture. Ce fut pour moi, également, un lieu privilégié de partage avec d’autres jeunes cherchant à donner sens à leur vie.
Cela m’aida beaucoup de pouvoir exprimer oralement ce qui m’habitait et d’avoir un échange avec des jeunes de mon âge.
Par ailleurs une chose essentielle pour moi fut la formation. Non pas tant pour augmenter un potentiel intellectuel mais parce que je crois que pour avancer dans la vie chrétienne il est bon de pouvoir, quand c’est possible, acquérir des éléments de connaissance et de compréhension sur les fondements de notre foi.
C’est aussi à travers la vie sacramentelle proposée à "Bartimée", comme enracinement dans ce mystère de la vie du Christ, que cet appel de Dieu grandissait en moi.
Ainsi dans ma vie prenaient place la prière, l’eucharistie, le sacrement de réconciliation, l’engagement, la relecture de vie... autant d’éléments qui ne me laissaient pas insensible.
J’avais de plus en plus besoin de témoigner de ma foi, le désir de servir l’Eglise et les autres. Il y avait des événements, des paroles qui me bousculaient, des rencontres de personnes, des témoignages qui m’interpellaient. Quelque chose se passait en moi et une question se faisait plus claire : "Le Seigneur ne m’appellerait-il pas ?", son "Viens, suis-moi" tambourinait à la porte de mon coeur.
Ainsi petit à petit, le Seigneur faisait son œuvre, sans brusquer, toujours patient et discret.
De mon côté, la route était marquée par des étapes et des seuils fondamentaux dans le choix de ma vocation.
La vie est parfois une grande inconnue et nous n’en sommes pas les maîtres. Lorsqu’on est jeune, il y a des réalités qui nous échappent totalement ; ainsi en est-il de la mort. On peut se demander pourquoi j’en viens à cela. Non pour sembler sinistre mais parce qu’à travers la maladie et la mort de mes parents, j’ai, malgré moi, franchi des étapes importantes. Dieu ne veut en aucun cas le malheur pour l’Homme mais à travers des événements difficiles, Dieu peut passer.
La mort en soi est mauvaise mais ce que je retiens de ce que j’ai vécu, ce sont les visages de mes parents. Papa, marqué dans sa chair, mais luttant pour que ses enfants gardent l’image d’un homme digne, pour qui la vie a du prix et mérite d’être vécue. Quant à maman, malade durant trois ans, elle me marqua incroyablement par sa foi et son abandon durant les épreuves de sa vie. A travers son humilité, son souci incessant des autres, marqué par une simple parole, un sourire toujours égal au long des jours ; et surtout cette foi qui dépassait tout jusqu’aux derniers jours, jours du passage où, marquée par la souffrance, elle partit ayant, à sa façon, participé à la croix du Christ dans l’amour.
Malgré les moments de révolte obligatoires et nécessaires, ce qui fut pour moi fondamental, c’est le témoignage de mes parents, cet héritage qu’ils m’ont laissé du prix et du trésor qu’est cette vie qu’on reçoit de Dieu. Autre héritage est celui de l’amour, amour qu’ils recevaient de Dieu et qu’ils nous transmettaient. Dès lors malgré la souffrance de la séparation, j’ai petit à petit découvert à mon tour cette vie reçue et l’espérance de l’amour qui dépasse tout. Dans ce moment de blessure je ne me suis pas sentie seule, Dieu était là, présence qui me révélait sa tendresse et qui me disait d’avancer.
Avoir un regard sur sa vie n’est pas chose simple quand on est seule, car nous n’avons pas de recul suffisant. L’accompagnement peut être un bon moyen d’avancer. Depuis l’âge de dix-neuf ans, je suis accompagnée régulièrement et ce mot d’accompagnement spirituel fut pour moi un maître-mot dans les étapes de ma vocation.
Dans ces années de recherche, d’événements forts de ma vie de jeune, l’accompagnement m’a permis, au fur et à mesure, de prendre conscience des traces de Dieu dans ma vie, de mieux me connaître dans mes limites, mes attentes, mes exigences... Face à une tierce personne en qui l’on a confiance, il est possible de formuler ce qui nous habite, de mettre des mots sur nos soifs, nos désirs. Par ailleurs l’accompagnateur peut être celui qui nous renvoie à de vraies questions et il est parfois celui qui nous bouscule, mais c’est bon également. Je me souviens être allée moi-même chercher les "coups de pieds", parfois !!
Je crois pouvoir dire que sans cette aide précieuse et sérieuse - car je pense que c’est important d’être face à des personnes qui savent accompagner - cela m’aurait été plus difficile de discerner cet appel de Dieu.
Ce que j’ai beaucoup apprécié dans cette route faite avec l’accompagnateur c’est cette entière liberté qui demeure mienne. L’accompagnateur est ce grand frère qui aide à avancer mais ce n’est pas lui qui décide. Ce respect me semble important.
Autres étapes très fortes, autres "pierres d’angles" dans ce choix qui fut le mien, ont été ma promesse de cheftaine Guide et ma confirmation faites à vingt ans.
Ces démarches de foi avaient sens et valeur d’engagement dans ma vie. Je mesure combien ma chance fut grande de pouvoir faire ma confirmation à cet âge. Cela était pour moi une véritable profession de foi et déjà ce oui libéré, cette réponse au "Viens et suis-moi" du Seigneur. Je n’ai pas attendu d’avoir vingt ans en espérant être mieux qu’à quinze ans, mais cette volonté diocésaine de donner la possibilité à de grands jeunes de faire une démarche de foi adulte et engageante, me semble une belle invitation pour celui qui veut redire sa foi en son baptême.
Préparée avec d’autres jeunes, la confirmation a pris une dimension ecclésiale, une dimension de membre du peuple de Dieu.
Tous ces éléments ne sont pas à dissocier les uns des autres, car ils se tissent les uns avec les autres, ils se provoquent les uns les autres. Il y a, je crois, un élément essentiel qui jaillit de cette recherche de vocation, c’est la découverte profonde et intime de l’Amour de Dieu pour moi, comme je suis, avec mes limites, mes qualités, mes souffrances, mes espérances. Je crois que ce fut le déclencheur de ce chemin qui est le mien, c’est le jour où toute ma personne, mon intelligence et mon cœur ont senti ce regard d’amour posé sur moi, regard de Dieu qui n’a pas hésité à nous donner son Fils pour nous sauver et annoncer à tout homme qu’il est aimé de manière unique et infinie.
Amour m’invitant à devenir à mon tour reflet, à le manifester autour de moi. Amour qui nous fait accéder à notre dignité d’Homme. C’est ce coeur à coeur dans la prière qui m’a beaucoup aidée à me laisser aimer, toucher par la Parole de Dieu.
Je ne sais pas bien dire si quelque chose m’a manqué dans ce temps de recherche. Je crois plutôt que j’ai eu la chance d’avoir été aimée dans ma famille et d’avoir pu bénéficier, dans mon diocèse, de propositions solides et intéressantes pour les jeunes. Chance d’avoir pu rencontrer des gens compétents et dynamiques pour qui les jeunes ont quelque chose à dire, à vivre et à construire. Je crois vraiment que la jeunesse est généreuse et a beaucoup à donner, mais il me semble y avoir une certitude, c’est que, seuls, les jeunes ne peuvent avancer facilement. Je crois qu’il y a à inventer...
Dans quelques jours il y aura un an que j’ai prononcé mes voeux chez les Sœurs de Saint Joseph de Cluny. J’ai vraiment envie de dire que je suis heureuse d’avoir répondu à cet appel du Seigneur. Je suis heureuse d’être en communauté avec des sœurs avec qui je continue de découvrir l’œuvre de Dieu, heureuse d’être au milieu de ces jeunes lycéens près desquels annoncer l’Amour n’est pas toujours facile. Mais près desquels participer à faire grandir leur dignité, à découvrir que tous peuvent donner sens à leur vie ou simplement écouter, consoler, accompagner, est ce signe parfois discret, qu’aujourd’hui encore, Jésus aime, console, accompagne, pardonne, relève, appelle et envoie.
J’ai envie de dire encore que je suis sûre que chacun de nous a sa place dans la construction de l’Eglise et du Royaume.
Il n’y a pas une vocation qui soit meilleure qu’une autre mais il y en a une meilleure pour soi. Ce qui me fait souhaiter que chacun puisse rencontrer des gens sur leur chemin qui les aident à grandir, à chercher, afin de choisir et d’oser risquer sa vie pour un monde plus juste.
Quand on découvre l’étincelle de l’amour qui fait vivre, il est impossible de la garder pour soi, il faut la communiquer.
Agnès Thévenin