Choisir de devenir chrétien


Patrice a 35 ans. Il est un de ces 1 600 adultes qui en France, ont été baptisés au cours de la Vigile pascale de 1991. Deux ans après, au cours d’une dialogue détendu, le Père André Fayol-Fricourt, ancien responsable national du catéchuménat, fait le point sur le chemin que Patrice a parcouru, les choix qu’il a été amené à faire, les décisions qu’il a prises.

Patrice, te voilà baptisé depuis un peu plus de deux ans. Comment l’idée t’est-elle venue de faire cette démarche ?

Patrice : Depuis toujours, j’ai été fasciné par les églises. Aussitôt que j’avais un instant et que je n’étais pas loin d’une église, j’entrais dedans. Je m’y sentais bien. A côté de ça, sans en avoir jamais rencontré, j’étais très prévenu contre les prêtres, étant issu d’un milieu anticlérical. Je pensais qu’ils pouvaient tout se permettre en se cachant derrière leur religion. D’après moi, il était impossible qu’ils ne soient pas hypocrites. Et puis un jour, j’en ai rencontré un et mon regard sur eux a changé.

J’étais aussi prévenu contre la religion. Je n’y voyais que des interdits, des tabous. Et moi, je voulais vivre, profiter au maximum de mon existence et surtout être libre. J’ai donc, tant bien que mal, vécu mon existence païenne en me disant : après tout, je ne suis pas plus mauvais qu’un autre... Et puis, ayant toujours eu le souci d’être honnête, je me disais : si la foi doit venir, je ferai alors ce qu’il faut.

Il faut dire aussi que, vers 16-17 ans, j’ai fait des tentatives de suicide. Je me demandais pourquoi continuer à vivre pour moi tout seul. Je n’en voyais pas l’intérêt. Je me disais que, si j’étais sur terre, c’était pour donner de moi aux autres alors que je ne cherchais que moi-même... Tout cela était peut-être une préparation.
Donc j’ai été élevé en dehors du christianisme et de toute religion. Mais cela ne m’empêchait pas de penser à Dieu et même de le prier à ma façon, avec des phrases du style : "Mon Dieu si tu existes, fais telle chose pour telle personne". C’est ainsi qu’un soir j’ai demandé à Dieu d’abréger les souffrances d’une malade et cette malade est décédée dans la nuit. Ça m’a beaucoup marqué. Ce n’est pas pour autant que j’ai demandé le baptême tout de suite ! Mais j’étais ébranlé.

Et puis, il faut dire aussi que j’aime beaucoup chanter. Quand je suis arrivé à Bergerac, en venant de Marseille, j’ai cherché à rejoindre une chorale. C’était une chorale non confessionnelle dans laquelle se trouvaient des chrétiens. Une des choristes m’a, un jour, demandé de venir rejoindre sa chorale paroissiale pour la dépanner. Ça m’a permis de rencontrer des chrétiens (je pensais qu’ils étaient aussi hypocrites que les prêtres !).

Les rencontrant, j’ai voulu mieux les connaître, savoir ce qui les faisait vivre. J’aime savoir ce qui se passe ailleurs. Je me suis mis alors à lire l’Evangile : je m’y suis perdu et j’ai arrêté. J’ai alors décidé d’aller à la messe tous les dimanches. Mais je ne m’avançais pas. Je restais au fond, derrière un pilier. A cette époque, j’étais un peu marginal, je sentais que ma vie n’était pas exactement en conformité avec le peu de ce que je savais de l’Evangile. J’avais l’impression d’être une bête curieuse et, partant de là, j’avais peur d’être reconnu et rejeté. Alors je restais caché.

Mais alors, à quelle époque remonte ta demande de baptême ?

Patrice : Pas si vite ! J’ai eu des velléités de demande de baptême. J’ai rencontré un prêtre (pas celui dont je parlais tout à l’heure) qui m’a dit, sans autre explication, qu’il me faudrait plusieurs années de préparation. Ça m’a refroidi. J’ai laissé tomber. Mais je n’étais pas à l’aise avec moi-même. A force d’aller à la messe, je me définissais comme pratiquant non catholique et ça ne m’allait pas, ce n’était pas confortable.

De plus je continuais toujours d’aller à la chorale. Ce n’était plus du dépannage. J’étais en train de m’impliquer dans quelque chose sans en faire totalement partie. Ça ne m’allait pas non plus. Je sentais qu’il me fallait aller plus loin. Je n’osais pas. J’avançais, je reculais...

Quel fut le moment décisif ?

Patrice : Ce fut la mort de mon frère en 1988. Dans un premier temps, j’ai été révolté par sa mort : c’était pour moi la preuve que Dieu n’existait pas. Et puis, j’ai senti que mon frère mort était proche de moi. J’ai alors pensé que si je sentais mon frère proche, c’est qu’il était vivant quelque part. Et s’il était vivant quelque part, c’était pour moi la preuve que Dieu existait. C’est alors que j’ai effectivement demandé le baptême, après des années d’hésitation. Il m’avait fallu tout ce temps, tout ce cheminement plus ou moins douloureux pour arriver à faire ce choix initial.

N’as-tu jamais eu la tentation de revenir en arrière après avoir fait la demande ?

Patrice : Non, jamais. Je savais que je partais pour un long temps de cheminement. Mais, à l’usage, je me suis rendu compte combien c’était nécessaire. Je me croyais converti : je n’en étais qu’au début !

Mon groupe d’accompagnement m’a beaucoup aidé. J’ai été très entouré. Ils ont été formidables. Ils m’ont ouvert des horizons nouveaux. Je me suis senti accueilli, les réunions me passionnaient. Quand on décide d’être baptisé, on ne s’attend pas à tant d’attention de la part des chrétiens. A vrai dire, bien souvent, on ne pense même pas à eux. On a eu notre révélation et on pense qu’il est temps pour nous de devenir chrétien. On commet tous la même erreur de penser que le baptême se donne tout au plus quelques semaines après la demande... Alors qu’il faut qu’on se laisse apprivoiser par le Christ.

C’est là que le groupe m’a aidé. Chaque fois que j’avais un conseil à demander, je trouvais une oreille attentive. Je n’ai jamais eu l’impression qu’on voulait me récupérer. On ne m’a jamais rien imposé. On ne m’a jamais inculqué quoi que ce soit contre mon gré. Chaque fois que j’ai demandé de l’aide, je l’ai reçue. Tout ça a fait que je n’ai jamais remis en cause ma demande initiale. Tout ça a fait aussi que mon cheminement s’est bien passé.

Tu parlais d’une conversion qui ne faisait que commencer...

Patrice : Au départ, je l’ai déjà dit, je pensais que j’étais converti. En fait, ça ne faisait que commencer. Rapidement, je me suis rendu compte qu’il fallait du temps. Et non seulement ce temps a été nécessaire, mais il m’a fait du bien. On a quand même des choses à apprendre - j’étais heureux de découvrir tout ça - et il faut du temps pour les intérioriser. Et puis, voir l’Eglise et les chrétiens de l’intérieur et non plus de l’extérieur, ça change tout ! En plus, je crois qu’il était nécessaire que mon désir du baptême mûrisse.

Et puis, il ne s’agissait pas seulement d’apprendre. La conversion, ça ne se passe pas seulement dans la tête. J’avais bien conscience que ma demande du baptême m’entrainait nécessairement à changer de vie. Je sentais que je serais forcément obligé d’en arriver là.

A changer concrètement de vie, je pense ?

Patrice : Bien sûr ! Au départ, j’étais impulsif, je partais au quart de tour. Maintenant, je suis plus long à la colère. Avant, j’ouvrais ma grande g... et je n’écoutais pas. Maintenant, j’essaie d’être plus attentif.

J’ai fait aussi l’expérience du pardon. Je suis resté plus de quinze ans sans voir mon père. Je me demandais si je pourrais un jour lui pardonner. Tout ça a mûri et puis c’est arrivé... Un jour, peu avant mon baptême, je suis parti dans ma famille. C’était un peu un prétexte. Je suis parti parce que, en fait, j’avais décidé de rencontrer mon père et de lui signifier mon pardon. J’y suis arrivé. Je crois que mon cheminement m’a aidé à décider cette démarche et à la faire.

Et la prière ?

Patrice : Bien sûr, elle m’a aidé à faire mûrir tout cela. Je parle de la prière personnelle. Parce qu’au début, je faisais fausse route, je m’en rends compte maintenant. J’allais à la messe pour prier personnellement : je ne m’y retrouvais plus...

Mais le groupe d’accompagnement, les rencontres diocésaines, les étapes, cela ne t’a pas aidé à te ressaisir ?

Patrice : Oui, c’est sûr ! Les étapes m’ont fait prendre conscience que j’étais précieux aux yeux de Dieu. Ce n’est pas trop orgueilleux de dire ça

Non ! on trouve des expressions semblables dans la Bible !

Patrice : Petit à petit, je faisais partie du corps du Christ. Quand on entre dans l’Eglise, on ressent le besoin de faire partie de cette Eglise, d’être un membre qui serve à quelque chose, une branche qui porte du fruit. L’Eglise a besoin de tous ses membres pour avancer, aussi divers et aussi petits qu’ils soient, avec leurs qualités et leurs défauts. C’est ce que j’ai senti, dans ces étapes : qu’on avait besoin de moi (sans prétention !)... et des autres. Parce que je n’étais pas seul à avancer vers le baptême. Ces étapes ont eu lieu, pour la plupart, dans le cadre des rencontres diocésaines...

... que tu as appréciées ?

Patrice : Oui. Dès la première réunion diocésaine, j’ai vu que tous les gens qui étaient là avaient tous demandé le baptême pour des causes diverses. N’empêche qu’on se retrouvait sur beaucoup de points et, en particulier, sur la question que se pose chaque catéchumène : pourquoi moi ?

Et ton baptême ?

Patrice : J’ai eu l’impression de commencer une nouvelle vie. Et puis cette joie de vivre intensément autre chose... Ce n’est plus comme avant : il faut faire attention, se sentir plus responsable par rapport à l’Eglise - pas seulement l’Eglise des prêtres, mais vraiment l’Eglise. Avant, j’ai failli pleurer de ne pas pouvoir communier. Et maintenant, je pleurerais de joie en communiant. Ça me le fait de plus en plus. Que veux-tu, je suis passionné par la messe.

Mais plus comme une dévotion personnelle ?

Patrice : Non, parce que, maintenant, je commence à les animer dans mon village... quand il y en a une. Maintenant, je ne vais plus guère à Bergerac. Mais c’est un choix que j’ai fait. Ça n’a pas été facile ! Après mon baptême, j’ai commencé par connaître un passage à vide...

Ce que certains appellent la déprime post-baptismale !

Patrice : Peu importe, mais j’ai connu ça ! Oui, après mon baptême, donc, j’ai eu un passage à vide. J’ai déménagé. Une de mes nièces est morte. La fatigue du travail en usine... Pendant un temps, j’ai été perdu. J’ai eu peur de l’inconnu dans ma nouvelle paroisse. Alors je me suis raccroché à un prêtre que je connaissais dans une paroisse voisine. Mais je me suis rendu compte que je faisais fausse route. Alors j’ai fait le choix de vivre à Monsac et d’y vivre chrétiennement.

Ça a été évident ?

Patrice : Non ! Au départ, je me suis fait tout petit, je n’osais pas me montrer. J’avais peur des réactions. Est-ce que j’allais être accepté ? Je me sentais vraiment déstabilisé. J’ai dû repartir à zéro. C’est la chorale de Beaumont - le chef lieu de canton où réside le curé du secteur - qui m’a permis de m’intégrer. J’aime chanter, je l’ai déjà dit. Mais ce ne sont pas les gens qui sont venus vers moi, c’est moi qui ai proposé mes services. Pourtant, on m’entendait chanter à la messe !

Quant au village, ça fait longtemps qu’il n’y avait plus d’activité d’Eglise. Alors, je me suis engagé dans la catéchèse et l’A.C.E. Au début, ça a interrogé les gens qui s’étaient habitués à ce qu’il n’y ait aucune activité. Et ça continue de les interroger. Mais ils ont vu que j’étais motivé, que je voulais faire quelque chose. Alors, on m’a demandé d’entrer au conseil pastoral.

Dans ton travail, tpourquoi avoir choisi de te syndiquer à la C.G.T. et de te présenter comme délégué du personnel ?

Patrice : Pour moi être chrétien, c’est être au service, c’est défendre les défavorisés. Les favorisés n’ont pas besoin de moi. Etre syndiqué juste pour soutenir le syndicat en payant la cotisation, ça ne m’intéresse pas. Si je me suis syndiqué, c’est pour être actif, pour aller plus loin, pour que tout le monde s’y retrouve. Dans la vie, il faut être actif et non pas spectateur : c’est plus intéressant ! On vit ce qu’on fait. Ça m’apporte une certaine satisfaction. Maintenant, je suis délégué du comité d’entreprise. Ça m’intéresse davantage parce que ça touche plus au social.

Comment réagissent tes collègues ?

Patrice : Ils me taquinent et moi, j’essaie de leur répondre. L’autre jour, au syndicat, les copains râlaient parce qu’on fait toujours la relation entre la C.G.T. et le parti communiste. Je leur ai répondu qu’ils avaient bien de la chance de m’avoir parmi eux, parce que, comme cela, ils pourraient dire qu’il n’y avait pas que des communistes à la C.G.T. ! Mais ce qui est sûr, c’est qu’en me taquinant, ils me renvoient à mes choix et moi, en leur répondant, je les renvoie aux leurs.

Au niveau chrétien, on m’a proposé le C.M.R. et j’ai choisi l’A.C.O. Je choisis à partir de ce que je vis et de ce que je sais. Pour le C.M.R., je ne me sentais pas dans mon milieu. Je suis bien en milieu rural, mais je sens davantage mes racines ouvrières et citadines. Je pense que l’A.C.O. pourrait m’aider dans ma réflexion et mes engagements professionnels. A suivre...

Si on fait le compte de tes engagements ;, ça en fait un certain nombre...

Patrice : Oui. J’ai eu un moment où j’ai été débordé : le catéchuménat, les chorales, l’A.C.E. diocésaine, l’A.C.O., l’amicale laïque, le syndicat. J’avais des engagements à tous les niveaux : au niveau de la paroisse, au niveau de la commune, au niveau de mon travail. J’ai dû choisir. Et j’ai choisi ce qui me ramenait sur les lieux de vie.

Et le reste, ce sont les gourmandises ?

Patrice : C’est un peu ça. J’y vais quand je peux. C’est le cas, par exemple, pour les rencontres trimestrielles du catéchuménat.

J et V : Pour conclure : ouvert à d’autres choix ?

Patrice : Pourquoi pas ? Sait-on jamais...

Propos recueillis par André Fayol-Fricout.