La pastorale des vocations en France de 1900 à 1970


Le Père Raymond Izard, fondateur du Centre National des Vocations, devenu Service National des Vocations, retrace pour nous la genèse d’une Pastorale d’éveil et d’appel à la suite du Concile Vatican II.

I
1900 - 1950 : Les débuts d’une pastorale
II
1951 - 1960 : du "recrutement" sacerdotal aux vocations sacerdotales et religieuses

III

 

 

13 octobre 1959 : Le Centre National des Vocations

  • la visée pastorale
  • la mission
IV
Une pastorale dans une crise sans précédent.

L’Eglise a toujours connu dans son histoire des périodes fastes ou des crises en matière de vocations.
Une des plus importantes crises se situe à la fin du Moyen-Age, liée pour une grande part à la disparition des "Ecoles de clercs" et au système de collation des bénéfices. Tout contrôle ayant pratiquement disparu, le sacerdoce n’apparaît plus qu’à l’instar d’une carrière humaine. Selon qu’il est rentable ou non il y a abondance invraisemblable de prêtres ou pénurie extraordinaire.
Pour ne donner que quelques exemples, en Espagne, sous Philippe II, les historiens estiment que le quart de la population masculine était dans l’un ou l’autre clergé. On dénombrait quelques 310 000 prêtres et 400 000 religieux.
En France on trouve une multitude de paroisses de 500 à 1 000 habitants avec, au moins, dix prêtres chacune.
A Constance, dans le Saint Empire, on ordonne environ 200 prêtres par an.
La situation est telle que, dès les débuts du Concile de Trente, les Pères du Concile envisagent une série de mesures pour empêcher, disent-ils, "la multitude effrénée des clercs".
A la même période, la Réforme protestante détruisant les structures ecclésiales du temps, l’Angleterre et une partie de l’Allemagne sont sans prêtres.
Les décrets du Concile de Trente ne furent appliqués en France qu’un siècle plus tard. Comme l’écrivait St Vincent de Paul on cherchait surtout dans les Ordres "une bonne retirade". Il crut la trouver lui-même grâce à un évêque qui l’ordonna à 19 ans. Ce n’est qu’au milieu du XVII° siècle que seront organisés des séminaires pour la formation des clercs.
Après la crise révolutionnaire le XIX° siècle connaîtra, à nouveau, une forte croissance du nombre de prêtres, religieux et religieuses. En 1830 ces trois groupes ne dépassaient pas en France 80 000 personnes. On en comptait 215 000 cinquante ans plus tard (1).

I - 1900 - 1950 : Les débuts d’une pastorale

A partir de 1880 se développe en France un anticléricalisme de plus en plus violent. Cela devait aboutir à la dissolution des Congrégations religieuses (1904), à la séparation de l’Eglise et de l’Etat (1905) et aux "Inventaires" (1906).
Ce qui frappe alors c’est à la fois l’ampleur et la généralité absolue de la chute des ordinations.
De 1900 à 1904, dix mille jeunes hommes de 25 à 29 ans fournissaient chaque année 52 prêtres, ils n’en fournissent plus que 30 de 1909 à 1913. Les situations d’un diocèse à l’autre sont différentes mais le phénomène de chute est général. Il faut bien constater dans cette évolution les symptômes d’un christianisme relativement superficiel.
Cette crise allait se poursuivre jusqu’en 1925. A partir de cette date nous assistons à une remontée caractéristique.
La guerre de 14-18 a transformé les mentalités, 25 000 prêtres, religieux et séminaristes ont été mobilisés, 5 000 d’entre eux y sont morts. La pacification religieuse progresse peu à peu : reprise des relations diplomatiques avec le Vatican, retour des Congrégations. L’Eglise surtout connaît une importante évolution : développement de l’Action catholique, naissance de la J.O.C., efflorescence du scoutisme, implantation des syndicats chrétiens, conversions retentissantes, etc.
Dans la dernière partie du XIX° siècle on voit naître en quelques diocèses des oeuvres dites "des douze apôtres" ou encore "des séminaires" parfois même "des vocations". Leur but était uniquement financier.
On note une évolution dans le climat de crise qui s’instaure alors. Ces oeuvres se présentent toujours comme des oeuvres de charité mais il s’y joint un élément spirituel. L’oeuvre des séminaires se transforme en confrérie ou archiconfrérie.
Le 15 mars 1901 paraît la première revue nationale traitant des vocations. Elle est l’oeuvre d’un Père jésuite, le Père Delbrel, avec l’approbation de nombreux évêques. La crise qui se manifestait imposait le devoir d’éclairer et d’inviter à un engagement. Le titre de cette revue disait bien ses objectifs : "Le Recrutement sacerdotal".
En 1912 le cardinal Amette, archevêque de Paris, nommait le premier directeur diocésain de l’oeuvre des vocations. Son exemple allait être suivi dans de nombreux diocèses et en 1924 un premier congrès national du recrutement sacerdotal était organisé à Paris. On débouchait alors sur une véritable pastorale diocésaine.
Trois mots peuvent la caractériser : aumône, propagande et prière.
Liée à cette action toute une littérature se développe sur la vocation sacerdotale, des retraites d’enfants de choeur sont organisées et des bulletins diocésains atteignent de nombreuses familles chrétiennes.
Dépassant le cadre diocésain, des mouvements de jeunes portent aussi le souci des vocations. J’ai déjà cité le scoutisme mais aussi la croisade eucharistique qui se développe dans toute la France avec pour slogan : "Prie, communie, sacrifie-toi, sois apôtre".

De leur côté les religieux font aussi connaître leurs activités, ils créent des juvénats ou des écoles apostoliques. Certaines congrégations désigneront à leur tour des "recruteurs".
Dans ce nouveau climat les vocations sont revalorisées. On comptait 9 277 grands séminaristes en 1900, ils n’étaient plus que 5 200 en 1913. Ils se retrouvaient à 9715 en 1934 (2).

Tels sont les antécédents historiques qui ont précédé la mise en place d’un service national des vocations. On peut caractériser les débuts de la pastorale que je viens d’évoquer de trois façons :
1) Elle est essentiellement à sens unique : chacun prêche pour sa paroisse. Les diocésains pour les prêtres diocésains, les religieux pour les religieux. C’est l’ère du recrutement.
2) Elle s’adresse surtout aux enfants et jeunes adolescents directement ou indirectement (retraites d’enfants, mouvements de jeunes, familles)
3) Elle relève souvent d’une vision très individualiste de la vocation avec des sollicitations intempestives et une exaltation romantique du sacerdoce dans le style de l’ouvrage de Pierre Lermite "Comment j’ai tué mon enfant".

II - 1951 - 1960 : Du "recrutement sacerdotal" aux vocations sacerdotales et religieuses

Dans l’immédiat après guerre, l’Eglise de France réorganise ses services. Une commission épiscopale est chargée de suivre les problèmes du clergé et des séminaires.
En 1951 sous l’impulsion de Mgr Duperray, évêque de Montpellier, et membre de cette commission, on voit naître un mouvement dans la mouvance et l’esprit de l’Action catholique pour les jeunes séminaristes.
Nous assistons alors à un important changement d’attitude dans la pastorale qui nous occupe.

Le mouvement jeunes séminaristes

Le séminaire de jeunes apparaît alors comme un lieu d’accueil et de formation pour la recherche d’une vocation : vocation sacerdotale pour un certain nombre, vocation religieuse pour d’autres, vocation de militant chrétien pour tous. Le temps n’est plus où, face à ceux qui quittaient le séminaire, certains pouvaient parler de "déchets" ! Tous les jeunes séminaristes sont donc invités à prendre en charge leur milieu de vie, qu’il s’agisse du travail, des loisirs ou de la vie spirituelle. Tous sont appelés à s’ouvrir à des activités apostoliques et missionnaires. C’est en ce sens que, pendant les vacances, le mouvement organise des "camps de formation apostolique" dans des zones plus ou moins déchristianisées.
De 1951 à 1960 le mouvement jeunes séminaristes s’implante ainsi dans tous les séminaires diocésains et dans la plupart des écoles apostoliques.
Cette vision qu’il apporte d’une vocation en devenir et, d’autre part, des vocations pour toute l’Eglise et dans toute l’Eglise devait transformer profondément les notions et les actions de recrutement qui avaient prévalu jusqu’alors.

Le "Recrutement sacerdotal" change de titre

En 1954 la revue "Le Recrutement sacerdotal" prend un nouveau titre et devient "Vocations sacerdotales et religieuses".
Les sessions de directeurs d’oeuvres de vocations succèdent aux "Congrès du recrutement sacerdotal".
Une évolution se manifeste. La recherche de ressources pour les séminaires demeure mais il s’agit de plus en plus de faire connaître l’éventail de toutes les vocations, de présenter l’état et les besoins de l’Eglise diocésaine et de l’Eglise universelle, de mettre en oeuvre des actions auprès des jeunes pour leur permettre de mieux découvrir les possibilités d’un engagement, d’inviter tous les chrétiens à la prière personnelle et collective.
Dans la logique de cette pastorale apparaissait également, et peu à peu, le souci des vocations féminines.

III - 13 octobre l959 : Le Centre National des Vocations

Le Père Lieutier, responsable de la revue du Recrutement sacerdotal avait organisé à Paris un centre de documentation sacerdotale. Il s’agissait d’une oeuvre privée et parisienne. En 1955 l’assemblée des cardinaux et archevêques le reconnaissait comme organisme national.
En 1958 l’abbé Izard, secrétaire général du Mouvement jeunes séminaristes en était nommé directeur avec mission d’un aménagement de ce service. Un projet était présenté à l’épiscopat et un an plus tard, le 13 octobre 1959, le centre de documentation sacerdotale devenait "Centre National des Vocations".
Pour marquer l’importance de cette décision, le cardinal Liénart, président de l’assemblée des cardinaux et archevêques venait bénir les locaux du nouveau service.
Il était accompagné des évêques membres de la commission du clergé et des séminaires, de Mgr Brot, auxiliaire de Paris, assistant des instituts religieux féminins, du Père Barbier, secrétaire général du comité des supérieurs majeurs et de Mgr Villot, directeur du secrétariat de l’épiscopat..
Ces présences étaient un signe. Il ne s’agissait pas d’une simple transformation de nom. En organisant ce service de l’Eglise en France les évêques, les religieux et les religieuses confirmaient sa visée pastorale et orientaient sa mission.

Une visée pastorale

Une pastorale est mise en oeuvre à partir de données doctrinales, en fonction d’un environnement sociologique et culturel et de règles de pédagogie.
Au plan doctrinal les débuts du XX° siècle furent marqués par des querelles et des ambiguïtés qui n’avaient pas toutes disparu.
Pour certains les vocations étaient perçues comme un appel de Dieu qui prédestine. Cela conduisait la pastorale des vocations à se réduire au seul niveau d’un discernement, voire d’un recrutement.
D’autres estimaient impossible de pouvoir apprécier un projet de vie comme signe d’un appel, refusant d’identifier ce projet à une vocation et ne lui attribuant qu’une valeur subjective. La vocation pour eux résidait dans l’appel de l’Eglise.
Des difficultés existaient aussi pour situer la vocation particulière par rapport à la vocation baptismale et les vocations particulières entre elles. Plutôt que de les envisager comme complémentaires on se contentait de n’en percevoir que les différences. On n’était plus attentif qu’au service d’un seul type de vocation au détriment de toutes les autres. A l’inverse, quelques-uns allaient jusqu’à nier le caractère spécifique des vocations particulières et, en conséquence, rejetaient toute pédagogie ou pastorale spécifique.
La clarification de la notion de vocation a orienté toute l’action du service national qui était mis en place. Il n’est pas inutile d’en rappeler les éléments essentiels

1) Antérieurement à toute vocation particulière il y a un appel fondamental de tout un peuple à être signe de Jésus-Christ et instrument de salut.

2) Dans le cadre de cette vocation, certains sont appelés à donner entièrement leur vie au service de Dieu et de leurs frères. Toute vocation particulière de cet ordre est un appel de Dieu qui se manifeste de deux façons convergentes.
La première est intérieure avec adhésion et orientation vers un projet de vie.
La seconde est en quelque sorte extérieure, sociale, concrète. Elle s’exprime par la reconnaissance et l’appel de la hiérarchie pour des ministères, par la reconnaissance et l’accueil des communautés concernées pour la vie religieuse.

3) Face aux vocations particulières une première urgence se manifeste : celle de la prière à la demande même du Christ.
La prière est également le lieu où Dieu se révèle, appelle et envoie. Bien des jeunes ont soif de cette rencontre et y trouvent le dynamisme de leur engagement.

4) Une pastorale des vocations particulières ne peut donc être qu’une pastorale "ouverte".
Elle doit avoir une vue universelle, non intéressée, non cloisonnée de diocèse à diocèse, de congrégation à congrégation, de congrégation à diocèse. C’est la loi de l’Eglise dont il faut tenir compte pour être dans le vrai de Dieu et de sa grâce.

5) Une pastorale des vocations particulières est une pastorale spécifique.
Les besoins sont à découvrir, les projets doivent être clarifiés, ceux qui cherchent doivent être soutenus et aidés, les communautés chrétiennes, les prêtres et les religieux et religieuses doivent mieux découvrir la diversité des appels et des dons, la complémentarité des fonctions et des charismes, les évolutions et les conditions de préparation au ministère, à la vie religieuse ou missionnaire.

La mission du Service National

Dans la visée que je viens d’évoquer, le nouveau Service National recevait une double mission :

- Mener directement une action nationale pour le service des vocations

- Aider directement ou indirectement les diocèses et les congrégations dans leur action particulière.
Cette mission allait se réaliser

1- par le "service" de la prière
2- par une sensibilisation de tout le peuple chrétien
3 - par une action spécifique auprès de prêtres, religieux, religieuses et missionnaires.
4 - par un travail d’éveil et d’accompagnement de jeunes
5 - par l’aide apportée aux services diocésains et plus largement aux éducateurs responsables.
Je ne signalerai ici que certains aspects de ce travail pendant les quinze premières années d’existence du Service National.

1) Le"service" de la prière

Le C.N.V. (3) a tout d’abord été attentif à fournir aux diocèses des éléments pour l’animation de journées de prière pour les vocations (Il devait intervenir également à Rome au moment du Concile pour que soit organisée une Journée Mondiale de prière)
Il a surtout été l’animateur de retraites spirituelles d’enfants de 9 à 12 ans. Ces retraites de trois jours se déroulaient autour du thème général de la vocation du chrétien et des vocations particulières. En 1964 elles étaient organisées dans près de 50 diocèses.

2) La sensibilisation du peuple chrétien

Les bulletins diocésains
Le C.N.V. permit à de nombreux diocèses d’éditer un bulletin diocésain des vocations en leur proposant un "fonds commun". Le tirage trimestriel de ce "fonds commun" atteint 240 000 exemplaires.

Les magazines
Tous les ans un magazine était édité présentant tel ou tel aspect des vocations. Il s’y joignaient des affiches, des tracts, des images et un calendrier.

Une cinémathèque
Une cinémathèque fut organisée pendant les premières années pour atteindre un large public dans la journée des vocations.

Les liens avec les mouvements et les services
Le Service des Vocations se mit en relation avec les principaux mouvements apostoliques de laïcs : mouvements d’enfants et de jeunes (Coeurs Vaillants, Croisade eucharistique , scoutisme), mouvements d’Action catholique spécialisée (J.O.C., A.C.O., A.C.I., etc...), services nationaux, en particulier avec l’enseignement religieux, l’aumônerie de l’enseignement public et l’enseignement catholique.

3) Action spécifique auprès de prêtres, religieux, religieuses et missionnaires

Ce travail a été d’abord mis en oeuvre grâce à la revue "Vocation" qui atteint un tirage de 4 000 exemplaires avec une diffusion internationale.
Tous les ans des productions diverses paraissaient pour aider prêtres, religieux, religieuses dans leur action pastorale au service des vocations : schémas d’homélie, éléments pour fêter des vocations, données pour la catéchèse, etc...
De nombreux évêques demandaient au C.N.V. d’organiser des sessions sacerdotales dans leur diocèse.
Diverses congrégations sollicitèrent son concours pour des sessions de responsables des vocations. Les sessions de ce type entraînaient souvent une longue préparation sur le terrain

4) Action spécifique d’éveil et d’accompagnement de jeunes

Nous avons déjà signalé l’organisation de retraites d’enfants.
Le C.N.V. établit, d’autre part, d’étroites relations avec des mouvements de jeunes afin qu’ils soient eux-mêmes porteurs d’éveil.
Les relations avec les mouvements de J.E.C. et J.O.C. devaient aboutir en 1966 à la proposition d’un nouveau cheminement vers le sacerdoce par l’organisation de "Groupes de Formation en Monde Universitaire" (G.F.U.) et en Monde Ouvrier (G.F.O.)
Le C.N.V. assurait également le service et l’animation du Mouvement Jeunes Séminaristes avec l’édition de la revue "Servir" pour les aînés, la revue "Ensemble" pour les plus jeunes, l’organisation des congrès nationaux et des stages de formation apostolique pendant la période de vacances.

Toutes ces activités allaient l’amener à lancer une revue pastorale destinée surtout aux éducateurs de jeunes sous le titre "Jeunes et Vocations".
Il intégrait aussi le service des "séminaires d’aînés". Il y en avait alors 6 en France.
Un service de documentation et d’accueil était également mis en place à Paris pour informer jeunes et adultes sur les diverses spiritualités et sur la mission des instituts religieux ou missionnaires.
Dans le même but un Centre d’accueil annexe était organisé à Lourdes pendant la période d’été.

Service des Centres diocésains
Toute l’activité nationale entendait être directement ou indirectement au service des anciennes "oeuvres de vocation" devenues "Centres Diocésains des Vocations".
Au fur et à mesure du développement de ses activités les évêques, les religieux et les religieuses ont accepté d’étoffer le Centre National (4) mais le vrai conseil d’animation fut constitué par l’équipe des délégués régionaux des Services Diocésains.
C’est cette équipe, en lien avec l’équipe nationale, qui orientait les activités et les services du Centre National.

Action internationale
La France ayant été la première nation à mettre en place un Service National, celui-ci fut rapidement connu à l’étranger grâce à la revue "Vocation".
En 1962 la Congrégation des séminaires et universités organisait un premier congrès international, suivi, en 1964, par la Congrégation des instituts religieux. Le responsable du Centre National français fut invité à présenter la mission de ce Centre.

Tout cela devait entraîner la création d’autres Centres nationaux, d’abord en Europe, puis en Amérique du Sud. Des stagiaires venant de divers pays furent alors reçus pendant plusieurs mois par le C.N.V., à charge pour celui-ci de se rendre ensuite sur place pour aider la mise en place de Centres nationaux (5).

IV - Une pastorale dans une crise sans précédent

C’est au moment où s’organisait une pastorale des vocations dans toute la France sous l’impulsion du nouveau Centre National que se manifestèrent les débuts de la plus grave crise des vocations que notre pays ait connu depuis la Révolution française. Il s’agit d’une crise sans précédent qui ne dépend en rien des structures politiques du pays ou de persécutions plus ou moins larvées.
Le Centre National des Vocations était organisé en octobre 1959. C’est en octobre 1961 que les premiers symptômes de la crise apparaissent. A cette date commence en effet une chute des entrées en classe de sixième dans les séminaires de jeunes. Ce n’est pas le lieu d’en analyser ici toutes les origines. Il s’agit en réalité de l’émergence dans l’enseignement secondaire de la première génération d’après guerre et les 11-12 ans de 1961 allaient devenir les étudiants de 1968.
Or, nous l’avons vu, la courbe des ordinations sacerdotales treize ans plus tard pouvait se lire alors dans la courbe des entrées au petit séminaire. Si pour l’ensemble de la France 70 % des jeunes prêtres venaient des séminaires de jeunes, ce pourcentage atteignait 90 % à 95 % en certains diocèses ruraux. On mesure dès lors le premier choc en retour de cette crise.
Apparemment cette situation est demeurée quasi imperceptible pour l’ensemble des chrétiens, des prêtres ou des religieux.
C’est en 1968 qu’on commence à la découvrir dans l’entrée aux grands séminaires. Il va s’y joindre les contre-coups de la crise de la société et des remous très sérieux qui ont marqué l’après Concile.
Les mouvements d’Action catholique sont atteints. L’A.C.O., par exemple, passe de 30 000 membres en 1961 à 18 000 en 1977. La politisation d’un mouvement de jeunes comme la J.E.C. est manifeste dès 1960 et sera suivie par le M.R.J.C.
Le départ de nombreux prêtres et religieux y compris d’éducateurs de séminaires sont le signe d’un défi face au ministère sacerdotal ou à la vie religieuse. Toute une génération critique surgit dans l’Eglise.
En vingt ans le nombre d’ordinations des prêtres séculiers passe de 825 en 1956 à 99 en 1977 (6). La chute est du même ordre dans les instituts religieux. Seuls les ordres contemplatifs se maintiennent dans leur ensemble.
Comme le signale le Père Simon dans son étude sur les vocations, si "beaucoup de chrétiens nés avant 1960 ont pu avoir le sentiment (diffus) d’être ’nés dans l’Eglise’ ceux qui sont nés après cette date ont plutôt le sentiment d’être nés dans une société globalement non chrétienne" (7). C’est dans ce contexte nouveau que la pastorale des vocations a dû évoluer pendant vingt ans.

Nous assistons aujourd’hui à de nouvelles interrogations. Le développement des sectes en est un signe. Dans l’Eglise depuis quelques années de puissants mouvements communautaires se manifestent très étrangers à ce qui pouvait exister dans le passé : Renouveau charismatique, mouvement et groupes bibliques, groupes de prière, etc... De grands rassemblements mobilisent à nouveau des jeunes qu’il s’agisse de la J.O.C., de Taizé, de pélerinages. Le spirituel, la célébration prennent des places grandissantes (8). Des mouvements qui ont connu de sérieuses crises il y a vingt ans sont en plein renouveau (J.O.C., scoutisme).

Plus largement l’évolution des générations actuelles interroge l’Eglise tout entière et ces interrogations sont bien différentes des contestations de 68. L’engagement des jeunes, on le voit aujourd’hui, est à la fois lié à la visibilité et à l’annonce directe d’un message et à un accompagnement communautaire.
Il y a, à n’en pas douter, des appels nouveaux pour une pastorale des vocations qui n’a jamais cessé de poursuivre ses activités et qui est appelée à démultiplier son action aux temps des crises bien plus qu’au temps de la sérénité.

Les appels de Dieu ne seront pas entendus ou suivis sans l’engagement conscient et organisé de tout le peuple de Dieu.

Raymond Izard

Notes

1) On peut se référer pour l’étude de ces situations à "Histoire religieuse de la France contemporaine" de Gérard Cholvy et Yves-Marie Hilaire, Ed. Privat, 1990 et à l’ouvrage de Fernand Boulard : "Essor ou déclin du clergé français", Ed. Le Cerf, 1950 [ Retour au Texte ]

2) Chiffres fournis par les archives nationales, les études de F. Boulard,(o.c.) et du Centre de documentation sacerdotale. [ Retour au Texte ]

3) C’était alors le sigle du Centre National des Vocations avant qu’il ne prenne le nom de Service National des Vocations. [ Retour au Texte ]

4) En 1968 trois prêtres étaient détachés à plein temps et deux à temps partiel, un religieux et deux religieuses étaient également présents à plein temps. C’est grâce à eux que purent être mis en place les divers services que nous avons évoqués et que purent se développer les cinq revues trimestrielles déjà signalées. [ Retour au Texte ]

5) Les évêques français demandèrent également au C.N.V. d’assurer le secrétariat du Conseil National des Grands Séminaires (C.N.G.S.) et de l’équipe de recherche pour le Diaconat permanent. [ Retour au Texte ]

6) C’est surtout dans la décennie 1970-1980 que la crise se manifeste avec éclat. Le nombre des grands séminaristes passe de 3 350 en 1970 à 1 151 en 1977. [ Retour au Texte ]

7) "Les Vocations" - Documents Episcopat, n° 8 et 9 - avril 1992 - au S.N.V. [ Retour au Texte ]

8) Le Mouvement Eucharistique des jeunes compte 50 000 membres , les Jeunesses Mariales 6 000. [ Retour au Texte ]