Axes majeurs pour une pastorale des vocations


Le Père Yvon Bodin, ancien coordonnateur du SNV, aujourd’hui supérieur du séminaire des Carmes à Paris détaille l’évolution de la pastorale des vocations des années 80 à nos jours.

Introduction

Cette contribution voudrait apporter avant tout un témoignage d’espérance. L’Espérance chrétienne n’est pas naïveté. Les temps sont difficiles pour les vocations et la liste est longue de ces difficultés dont il faut chercher les causes dans l’histoire en même temps que dans les mutations présentes des cultures et les déficiences des chrétiens. Pour n’évoquer que les forces dissuasives courantes rencontrées au quotidien, il faut évoquer la sécularisation de nos sociétés occidentales avec son poids d’indifférence tranquille où tout ce qui exprime la foi risque d’être taxé d’étrangeté sinon de dérision. Il faut évoquer le matérialisme pratique des sociétés à haut niveau de vie, où l’ordre de la consommation de la vie l’emporte sur l’ordre du sens de la vie. Il faut évoquer la complexité d’un monde qui engendre la peur et nourrit la fragilité. Dans ce monde dur et incertain, à quoi sert la vie si on n’y trouve pas sa place ? Comment éveiller à l’appel ? Comment introduire au don de soi, dans la gratuité et durablement ? Bref, le mot de "vocation" a-t-il encore un sens ? La vocation ne serait-elle pas déraisonnable ?
Oui elle l’est en effet, comme l’Evangile lui-même. Pourtant nous avons espérance. Allons-nous passer notre temps à nous lamenter ? Est-ce bien là ce que le Seigneur nous demande ? Ces jérémiades stériles donnent le spectacle d’une Eglise frileuse, repliée sur elle-même. C’est peu crédible et cela n’a jamais converti personne. En tout cas ce n’est pas dans ce climat débilitant que se lèveront les vocations. Seule la foi au Christ, Seigneur de l’Eglise, peut motiver le courage de l’avenir, parce que seule elle peut fonder cette conviction :

  • Dieu, Lui, continue d’appeler  : l’appel ne dépend pas de nous, mais de l’Esprit. Dieu aime le monde et veut le sauver. Voilà qui est premier et qui commande le reste.
  • Il continue d’appeler des hommes de ce temps et de nos pays, des jeunes des nouvelles générations avec leur "ailleurs" et leur "autrement". Nous devons leur donner leurs chances, nous n’avons pas le droit d’enchaîner l’Esprit. Le Seigneur les appelle dans le mouvement même de leur vie, à travers leur recherche d’un sens à donner à leur existence, d’une unité à donner à leur vie éclatée, d’une intériorité à donner à un monde superficiel.
  • Il continue d’appeler dans et par l’Eglise telle qu’elle est, non pas malgré ses faiblesses, mais avec ses faiblesses. L’appel est un mystère d’enfantement, dans la faiblesse et la pauvreté, car c’est par des voies de fragilité que se font les montées du Royaume.
  • Il continue d’appeler pour servir les pauvres : Les pauvres ont besoin d’être aimés et il faut du temps pour les aimer bien, c’est à dire des vies consacrées, données, livrées. Nous sommes provoqués par l’agonie du Christ dans toutes les victimes des défis de la modernité, comme l’emploi, la paix, la liberté. Nous sommes provoqués à un acte de foi : attendre des vocations là où la société n’attend plus rien et ne propose plus rien.

Notre espérance s’appuie donc sur le Christ, mais aussi sur les signes qui nous sont donnés dans le renouveau actuel de la pastorale des vocations, en deçà d’un accroissement encore souvent attendu des effectifs.

  • C’est le fait qu’on relance l’appel partout, non par angoisse de la pénurie, mais parce qu’on a pris conscience que faire face à la récession, cela consistait à ne pas en prendre son parti.
  • Parce qu’une restitution est faite au peuple de Dieu de l’initiative des appels. Grâce à l’effort d’éducation soutenue depuis le Concile, le souci des vocations est la responsabilité qui incombe à tous dans une Eglise vivante, ce n’est pas le sursaut d’une tribu qui veut survivre.
  • Parce que le souci des vocations redevient une préoccupation des prêtres, sainement, progressivement, et particulièrement des plus jeunes. Il y eut le temps du rejet, il y eut ensuite celui du silence, nous assistons maintenant à la renaissance, ecclésialement bonne, de l’intérêt des pasteurs pour cette pastorale jugée incontournable.
  • Parce que, de plus en plus, des laïcs s’impliquent dans ce travail, dans la mesure où prenant conscience de leur identité chrétienne, ils mesurent en même temps l’urgente nécessité des vocations spécifiques pour que l’Eglise ait son vrai visage, et que réussisse ainsi leur propre baptême.
  • Parce que des jeunes eux-mêmes, en nombre, se posent la question d’un projet de vocation spécifique, qui, pour avoir été précoce au sein d’une éducation chrétienne, réapparaît à l’âge où l’on prend des engagements pour la vie. Au contact de communautés vivantes dans un climat de prière renouvelé, ces vocations sont plus nombreuses qu’on ne le croit. Le malheur est qu’elles se perdent dans les sables, faute de relais pour les accompagner.

Il fallait faire ces quelques remarques préliminaires livrées comme un écho des observations faites sur le terrain, pour donner leur tonicité spirituelle et pastorale aux points de repère que nous allons maintenant préciser. Sans cet esprit , ces analyses risqueraient de n’être que langue de bois d’appareil.

L’expérience démontre, dans les faits, qu’une pastorale des vocations est vouée à la stérilité quand on en fait une activité marginale coupée d’une pastorale orientée vers la mission et préoccupée seulement de faire survivre une institution. Est vouée à la stérilité, si on en fait une activité générique, cantonnée dans le souci louable mais trop court de l’éveil et de la croissance de la foi. Est vouée à la stérilité, si on en fait une activité séparée coupée d’une pastorale d’ensemble et réservée à la propriété de quelques spécialistes patentés. A fortiori est vouée à la stérilité, la pastorale des vocations réduite à un bureau et qui ne rejoint plus les chemins des jeunes pour faire entendre l’appel.
Ces déviances se raréfient, Dieu merci, grâce aux orientations venues du Concile Vatican II et particulièrement du Congrès mondial des vocations de 1981. Grâce à un bon relais pris par les Conférences épiscopales et par les Centres nationaux des vocations, la pastorale des vocations a trouvé son profil de maturité :

- C’est une pastorale en prise sur la mission.

- C’est une pastorale qui doit s’intéresser vraiment aux vocations spécifiques et à toutes les vocations spécifiques.

- C’est une pastorale qui doit être l’affaire de tous.

- C’est une pastorale dont la mission est d’éveiller à ces vocations et de l’accompagner pour en assurer le discernement et la croissance.

I - Une pastorale en prise sur la mission

Le pape Jean Paul II a dit que la pastorale des vocations, en s’intéressant à cette question, s’intéressait au "problème fondamental de l’Eglise". Cette remarque du pape est tout à fait fondatrice pour notre propos. Elle permet de ne pas positionner cette pastorale dans une pastorale marginale ou périphérique. Elle est au centre de ce qu’est l’Eglise et de ce qu’elle doit faire. Ce qu’elle est, un peuple d’appelés et ce qu’elle doit faire, la Mission.

Tel est le premier principe directeur : "Une Eglise tout entière établie en état de vocation et de mission" (Congrès 1981, p.21). On ne peut apprécier la vocation chrétienne et les vocations spécifiques qu’à la lumière de la vocation de l’Eglise, sacrement du salut. Elle est en effet le premier sujet de la vocation, elle-même appelée et envoyée dans le monde pour y continuer la mission du Fils, dans la force de l’Esprit,selon le projet du Père. Chaque membre de l’Eglise pour sa part est donc lui-même établi en état de vocation et de mission.

- En état de vocation : tous dans l’Eglise ont reçu une vocation. Tous doivent avoir une claire conscience d’être une communauté d’appelés, avoir conscience que la foi se vit comme la réponse à un appel, médiatisé par l’Eglise, donné et vécu en Eglise. L’appel aux vocations spécifiques ne sera entendu que si chacun des baptisés a bien conscience de sa propre vocation dans l’Eglise.
Nos vocations sont diverses : nous ne sommes pas tous appelés à vivre et à servir de la même manière. Les dons de Dieu sont multiples et ses appels diversifiés. La diversité des vocations exprime la richesse de l’amour de Dieu.
Mais elles sont complémentaires : elles ne s’opposent pas, ne se définissent pas par opposition mais par complémentarité à la manière d’un bouquet de fleurs aux couleurs variées, à la manière d’un diamant aux mille feux, pour reprendre le langage des Pères de l’Eglise. La diversité est au service de la richesse de l’amour de Dieu.

- En état de mission : Il est symptomatique que le Congrès mondial des vocations de 1981 a tout de suite posé le problème des vocations en terme de mission : "Aujourd’hui la réponse à l’appel est d’autant plus urgente que l’Eglise, sacrement universel du salut, doit répondre au défi d’un monde nouveau" (introduction). C’est que l’Eglise est destinée à la mission : Dieu veut que tous les hommes parviennent à la connaissance de la vérité, mais comment pourraient-ils en entendre parler sans qu’on le leur annonce ? Et comment leur annoncer s’il n’y a pas d’envoyés ? Au Congrès national des vocations qui s’est tenu à Lourdes en 1987, Mgr Marcus résumait ainsi cette mission de l’Eglise : Dieu ne nous sauve pas de loin, mais en son Fils. Le Christ ne nous sauve pas de loin mais par l’Eglise, sacrement de sa proximité.

  • De ces principes, il faut en tirer une orientation : la pastorale des vocations doit s’inscrire au coeur d’une pastorale orientée vers la mission. Elle n’existe, dans un diocèse, qu’au sein d’une pastorale soucieuse d’évangélisation. Elle en est une dimension. Elle n’est pas un gadget, elle fait corps avec la Mission. Il existe un lien qui unit la foi, le salut du monde et la question des vocations. La fondation, la croissance et la mission de l’Eglise sont les ressorts de la pastorale des vocations.
    Ce qui se passe d’ailleurs actuellement illustre bien ce lien indissoluble : la relance actuelle des vocations s’inscrit dans une relance plus large, dans un renouveau de l’Eglise. Des chrétiens retrouvent l’inspiration de leur baptême et de leur responsabilité apostolique, et dans le même mouvement ils prennent conscience qu’il faut des vocations particulières pour que réussisse leur baptême. Inscrite de la sorte dans un renouveau d’Eglise, cette nouvelle sensibilité de l’opinion chrétienne au souci des vocations respire la bonne santé, car le problème n’est pas de faire réussir un clergé ou des congrégations, mais l’Eglise et, par elle, l’Evangile.

    En d’autres termes il n’y a de fiable en matière de pastorale des vocations qu’une pastorale résolument évangélique : non pas une pastorale de recrutement ou de survie d’appareils et de groupes sociaux, mais une pastorale d’édification du Corps du Christ au coeur du monde, donc toujours nouvelle comme sont nouveaux les besoins et les attentes des cultures nouvelles.

II - Une pastorale qui s’intéresse vraiment aux vocations spécifiques et à toutes les vocations spécifiques

A l’heure actuelle, il faut bien le reconnaître, le contexte de forte sécularisation n’aide pas beaucoup les services des vocations à tenir fidèlement cet objectif. La première responsabilité posée aux diocèses est celle d’avoir à rejoindre les jeunes dans leur maquis et d’avoir à les évangéliser : dans ce contexte d’urgence, le service des vocations risque de s’en tenir à jouer la même partition que les autres instances, et de mener une activité tout-à-fait générique visant à l’éveil de la foi dans la perspective de la condition commune des chrétiens. L’autre souci porté par les diocèses est de faire face à la récession des vocations sacerdotales, dont l’urgente nécessité est commandée par la place incontournable des prêtres dans l’Eglise. La tentation est grande alors d’investir toutes les énergies appelantes sur le recrutement sacerdotal et d’abandonner le souci du reste au Saint-Esprit...et aux Supérieurs majeurs : "allons au plus pressé, remplissons nos séminaires". C’est là une très mauvaise pastorale des vocations que celle qui n’aurait plus le courage d’appeler non seulement à l’existence chrétienne, mais aux manières particulières de la réaliser. Une mauvaise pastorale que celle d’un recrutement particulariste et corporatiste qui ne serait plus inscrit dans l’effort d’avoir à édifier une Eglise bien debout, dans toutes la diversité de ses charismes et de ses ministères. En d’autres termes, deux principes de base et qui relèvent d’une bonne ecclésiologie, sont à tenir conjointement dans ce domaine des vocations, l’appel concerne tous et chacun dans l’Eglise, mais s’articulant sur cette vocation commune, des vocations particulières sont nécessaires à la vie de l’Eglise.

  • La vocation commune ne sera jamais perdue de vue et il faut en avoir une claire conscience si on veut que l’appel à des vocations plus précises soit entendu.
    - Vocation divine de créature créée à l’image de Dieu, ouverte au dialogue avec Dieu, capable de réponse consciente et libre, capable de construire sa vie et de travailler à l’édification de celle des autres. C’est l’appel adressé à chacun dès sa naissance de s’ouvrir à l’existence comme à un don à recevoir du créateur et comme à une tâche qu’il lui confie.
    - Le mystère du Christ est le couronnement de cette vocation à être un homme debout. La vocation chrétienne est vocation trinitaire, elle nous renvoie au Père, au Fils et à l’Esprit. C’est la vocation à être fils du Père dans le Fils, membre vivant du Christ, temple de l’Esprit. C’est donc l’appel à une vie ressaisie par le Christ, enracinée dans l’Eglise comme mystère de communion et de mission, une vie partagée et livrée aux frères notamment les plus faibles et les plus démunis.
    Incontestable primauté de la vocation baptismale qui n’est pas une vocation parmi d’autres, la vocation minimale de ceux qui ne seraient rien d’autre. Elle ne prend pas rang parmi les autres, elle les transcende en ce sens que sans elle plus rien n’aurait sens. Tout ceci est pour dire qu’une pastorale des vocations qui n’articule pas son discours et son action sur cette donnée de départ est vouée à l’échec et provoque un phénomène souvent constaté de rejet.

  • Mais ceci dit, l’appel aux vocations plus spécifiques, les ministères ordonnés, la consécration religieuse et séculière, la vocation missionnaire, est la responsabilité propre d’un service des vocations. Il se doit d’y être attentif pour que l’Eglise soit l’Eglise du Christ, une, sainte, catholique et apostolique. Sans l’Eucharistie et ses ministres ordonnés, sans le témoignage vigoureux en même temps que joyeux de ruptures évangéliques et de choix de vie radicaux vécus en fraternités ou en plein monde, au nom de l’Evangile, c’est l’Eglise qui est défigurée, c’est la vie de son Peuple qui est menacée, c’est la mission qui est compromise, voire stérilisée. Le décret conciliaire sur la charge pastorale des évêques définit en effet ainsi le diocèse : "Lié à son évêque et par lui rassemblé, dans l’Esprit Saint, grâce à l’Evangile et à l’Eucharistie, le diocèse constitue une Eglise particulière dans laquelle est vraiment présente et agissante l’Eglise du Christ" (n.11). Ces vocations sont essentielles et vitales pour l’Eglise :
    - La vie consacrée, pour que soit posé le signe du Christ tout livré à la volonté du Père et en retour au Père. Si tout chrétien est appelé à mener sa vie en nouveauté d’existence, certains parmi les baptisés sont appelés à faire de leur vie un arrachement pour Dieu, une préférence radicale pour Lui et une folie pour le Christ. Parmi ces formes de consécration à cause de l’Evangile, la vie religieuse comme vie livrée au Christ doit rappeler le primat de Dieu et l’appel universel à la sainteté ; comme vie d’obéissance, de pauvreté et de chasteté, elle doit renvoyer aux Béatitudes et à une nouvelle manière de vivre le quotidien ; comme vie de fraternité et de communauté, elle doit témoigner de la victoire de la foi sur les limites de la convivialité humaine ; comme vie livrée aux plus démunis, elle redit que les pauvres ont la première place.
    - Les vocations missionnaires, pour que soit posé le signe du Christ envoyé aux nations. Elles sont, pour l’Eglise, la mémoire vivante de l’amour universel du Père, de l’universalité de la mission, de la catholicité de l’Eglise, de la dimension missionnaire de chaque diocèse.
    - Les ministères ordonnés, pour que soit posé le signe du Christ serviteur de son peuple et Pasteur de son troupeau. Vocation tout-à-fait singulière qui établit ceux que l’Eglise ordonne serviteurs de la sacramentalité de l’Eglise, sacrements dans l’Eglise sacrement du Salut : les uns, les diacres sont appelés à représenter le Christ serviteur et à inciter l’Eglise à concevoir le service comme la manière chrétienne d’exister ; et les autres, les prêtres en communion avec leur évêque dans l’unité du presbyterium, sont appelés à représenter le Christ en personne comme Tête de son Corps et Pasteur de son Eglise.
    On comprend le caractère incontournable de telles vocations pour le devenir de l’Eglise et, à partir de là, le tourment de la pastorale des vocations. Il n’y a pas d’Eglise sans prêtres, il n’y a pas de suppléances possibles. La seule façon d’en avoir c’est d’en ordonner.

  • Ces considérations peuvent inspirer quelques orientations :
    D’abord le Service des Vocations n’a pas à se construire à lui-même sa propre Eglise, à se constituer des communautés, à se récupérer les jeunes pour les conduire sur toute la trajectoire des fonds baptismaux à l’autel. Laissons à d’autres ce qui leur revient, la pastorale du baptême au catéchuménat, l’éveil de la foi et sa croissance à la pastorale courante des paroisses et des mouvements. Sachons respecter les étapes et à chacune d’elles, le travail des autres. Par contre il est des choses qui relèvent de la mission propre de la pastorale des vocations, pour lesquelles elle a compétence. A ce titre-là et pour cette raison, le service des vocations doit être à même de donner son concours aux forces vives du diocèse pour des actions vocationnelles spécifiques, voire de le proposer et d’en prendre l’initiative.
    Il semble également nécessaire de constituer en responsabilité pour cette pastorale, au niveau de chaque diocèse, des équipes diversifiées, sinon des équipes diocésaines unifiées, quand le contexte ne le permet pas, au moins une concertation de gens représentatifs de toutes ces vocations, pour donner à voir et à vivre une pastorale de l’appel qui ne soit pas unilatérale mais diversifiée.

III - Une pastorale qui soit l’affaire de tous

Elle n’est pas une activité séparée, elle s’inscrit dans une pastorale d’ensemble.

  • Dire que l’Eglise doit être tout entière appelante ne doit pas être un slogan, mais considéré comme une vérité théologique. Si l’Eglise est constituée comme une communauté d’appelés au coeur du monde, elle est par le fait instrument de l’appel. A travers l’annonce de la parole, la célébration de l’Eucharistie et des sacrements, la prière et le service de la charité elle doit donner à voir et à vivre le Père qui appelle, le Fils qui envoie, l’Esprit qui consacre, comme disait le Congrès Mondial des Vocations de 1981 (n.13).

  • Une vérité théologique qui doit passer dans la vie de l’Eglise vivante, devenir une vérité existentielle : "Le devoir de faire grandir les vocations concerne toute la communauté chrétienne, qui est tenue de remplir ce devoir avant tout par une vie parfaitement chrétienne" (Optatam Totius 2). Ce que rejoint Jean Paul II quand il rappelait au Congrès : "La vie engendre la vie" (Homélie 10 mai 1981). Si des communautés vivent joyeusement leur foi, témoignent d’une joyeuse espérance, d’une joie de vivre et de croire, iil y a là un appel pour chacun, tant il est vrai que les vocations ont besoin d’un humus où germer, d’un climat dans lequel s’épanouir. Une vitalité chrétienne donc !

  • Mais une vitalité traversée en tous ses lieux, en toutes ses instances et en continu par une dynamique vocationnelle, grâce à une pastorale des vocations articulée sur tout et articulante de tout. Une telle pastorale d’ensemble crée un climat favorable pour la prise de conscience que les vocations sont grâce pour les communautés et support relationnel pour l’éveil et l’accompagnement de ces vocations. L’essentiel, en définitive, est que, de façon directe ou indirecte, ce thème des vocations soit permanent, et que s’opère ainsi une sensibilisation de l’ensemble du peuple de Dieu, et que soit restituée au peuple de Dieu l’initiative des appels.

  • Pour porter et entretenir une telle pastorale d’ensemble, il y a lieu d’être attentif non seulement à la réalisation d’opérations explicites et fortes sur le sujet, ces opérations "coups de poing" que sont les "années de la vocation", les journées de vocations, les Congrès,, etc... mais plus encore peut-être à ces rendez-vous de la pastorale courante :

    - La famille  : elle est un lieu vocationnel premier. C’est une réalité humaine complexe qui comporte plusieurs pôles, l’entourage familial (parents et grands parents), l’école (tout le parcours jusqu’à l’université), les institutions d’Eglise (mouvements et aumôneries), les autres réseaux (la rue, la télé). La famille est lieu d’intégration, de digestion de tous ces facteurs. Il y aura lieu de renvoyer sans cesse les éducateurs à cette question : votre famille est-elle pour vos jeunes une expérience d’amitié, de fidélité et de réconciliation, ou au contraire, de déchirement et de rupture ?

    -  La catéchèse où il est important de parler plus en termes de besoins de l’Eglise et de sa mission (paix, réconciliation, alliance et sacrements de la foi) qu’en termes d’organisation et marketing. C’est là que doit se faire une éducation à la prière, au silence, à la lecture des Ecritures. C’est là que se fera une préparation aux sacrements et par conséquent une prise de conscience de la place propre du prêtre. C’est là que doit s’opérer un vivre en Eglise en privilégiant "l’entre-deux" des jeunes catéchisés. C’est là que les animateurs seront amenés à donner non seulement un savoir mais leur propre témoignage de baptisés.

    - La confirmation est une étape décisive dans l’itinéraire chrétien des jeunes. Elle coïncide avec une période décisive de l’adolescence et pour les jeunes confirmands c’est la première démarche où ils s’affirment chrétiens parmi leurs camarades.

    -  Les pèlerinages et les grands rassemblements entrent de plus en plus dans l’horizon de la pastorale des jeunes, et c’est heureux, car c’est un trait de leur génération : ils aiment se retrouver dans un climat festif. C’est un lieu vocationnel privilégié quand la foi joyeusement annoncée et célébrée donne une image de l’Eglise qui est nouvelle pour eux. L’anonymat et le phénomène de distance favorisent l’interrogation et l’éveil sur une orientation de vie. La fréquentation que l’on peut y faire de l’Eucharistie dans toute son ampleur, celle du sacrement de la réconciliation constituent une expérience forte à laquelle les accompagnateurs assurent un suivi, au retour dans le diocèse.
    On retiendra que l’important n’est pas de juxtaposer seulement ces moments forts, et bien d’autres, c’est d’avoir à coeur de nouer tout ce qui se fait et de créer un climat. Aussi peut-on légitimement considérer très opportune l’existence de ces petites équipes sur le terrain qui soient comme des "antennes-relais" qui ressaisissent localement l’impulsion donnée par l’évêque et son Service Diocésain des Vocations. Bien en lien avec les responsables et travaillant sous leur responsabilité, ces antennes situées en paroisses, dans les secteurs ou les mouvements font partie du signe que l’appel est l’affaire de tous et que les acteurs de cette pastorale doivent constituer, en définitive, une chaîne d’appelants.
  • IV - Une pastorale de l’éveil et de l’accompagnement en vue d’un discernement

    Le Service des Vocations est la mémoire vivante et efficiente de la conscience vocationnelle de l’Eglise. Sa préoccupation sera donc de s’appliquer d’abord au temps des semailles et ensuite à la croissance de la moisson. Son office est de développer une pédagogie de l’éveil aux diverses vocations spécifiques et une pédagogie de l’accompagnement, dont le fruit attendu est celui d’un discernement.

    A - Rejoindre et promouvoir une pastorale de l’Eveil.

    Eveiller pourquoi ? Parce que même si c’est Dieu qui appelle, l’homme peut s’établir dans des conduites de fuite, de rêve, d’inattention. On peut ne pas entendre, il s’agit donc d’insister, de rendre attentif et faire passer du sommeil à l’éveil. Eveiller parce que si c’est Dieu qui appelle, cet appel passe par la médiation de l’Eglise, c’est aussi l’Eglise qui appelle.
    Eveiller c’est quoi ? C’est aider quelqu’un, en Eglise et pour son édification, à faire la vérité sur sa propre vocation, donc en lien avec les autres vocations et à leur lumière. C’est donc tout à la fois

    - accueillir et prendre au sérieux ce que vivent les jeunes ;

    - rappeler les besoins de l’Eglise, éveiller la conscience missionnaire, ouvrir à l’engagement ;

    - faire découvrir la diversité des dons et des vocations, la complémentarité des ministères et des charismes ;

    - enfin oser appeler en passant d’une pastorale d’attente à une pastorale de proposition explicite et personnalisée à l’endroit d’une orientation de vie à préciser, étant sauve la liberté en toute circonstance.
    Tel est le profil essentiel de cette activité pastorale. Toutefois, sans en dénaturer les fondements et les constances intouchables, il est aussi nécessaire de réinventer, à nouveaux frais, cette pédagogie. Réinventer l’éveil par une grande attention aux manières nouvelles dont s’éveillent aujourd’hui les vocations. Chaque période de l’histoire a été marquée par un inattendu dans l’éveil des vocations pour cette raison simple que l’Esprit agit toujours en nouveauté, dans l’épaisseur de l’histoire et des cultures. Quels pourraient être les points de repère à cette réinvention ?

    1 - Se faire plus attentif à l’aujourd’hui des jeunes
    Il est capital d’être ouvert à la manière qu’ils ont de vivre et de s’affirmer, il est important de regarder cet "autrement" avec amour. Ce qui veut dire, selon les propos du Père H. Madelin (session d’Issy, 1984), une meilleure attention :

    - à leur histoire qui n’est pas la nôtre : ils n’ont pas nos souvenirs et nos références. Ce qui explique qu’ils peuvent avoir des réactions de générations post-chrétiennes, mais aussi des réactions de générations post-athées, s’ils viennent d’une tradition d’incroyance.

    - A leur handicap psychologique et religieux  : la fragilité, une réelle ignorance de l’intelligence de la foi et une carence très grande d’enracinement ecclésial.

    - A leurs potentialités qui sont comme autant de préparations évangéliques possibles, si c’est évangélisé : le retour du spirituel, le besoin de regroupement, le sens de l’oblativité, le sens de l’universel.

    - A leurs attentes : leur refus d’une rationalité technique déshumanisante est souvent une attente, non dite, d’un sens à donner à l’existence ; une quête d’un nouveau type d’homme qui donnerait une importance plus grande à l’imagination, à la créativité, au symbole, à la gratuité.
    On pressent derrière cela, un besoin d’unification intérieure par où se ressaisiraient les morceaux de la personne émiettée, la reconstruction de la personne et l’unité de la vie dans un monde éclaté.
    Dans un certain nombre de cas, cette attente s’explicite en besoin d’intériorité, en demande de spirituel qui donne Jésus-Christ à vivre.
    Et quand cela va jusqu’à envisager une vie religieuse, ce qu’on demande d’abord aux Instituts, c’est une aventure spirituelle partagée et un chemin de prière.
    Au-delà de ce profil global et reçu il est aujourd’hui nécessaire d’opérer une réinvention de la pédagogie de l’éveil, parce que l’Esprit agit toujours en nouveauté dans l’épaisseur de l’histoire et des cultures.

    2 - Favoriser une expérience spirituelle fondatrice
    Fondatrice de l’écoute d’un appel intérieur. Ce qui veut dire :
    Témoigner soi-même du primat de Dieu et de Jésus-Christ
    Etre soi-même habité par une Présence et témoigner du mystère qui nous fait vivre. Témoigner plus de ce que nous sommes et moins de ce que nous faisons. Etre moins des gens qui fonctionnent et plus des gens qui existent et qui "consistent".
    Notamment être témoins d’une passion et donc d’une rupture : "Dieu me suffit, Jésus-Christ remplit ma vie". Et à partir de là, témoigner d’une vie heureuse et d’un baptême réussi.
    Annoncer Jésus-Christ
    Jésus-Christ continue d’appeler, l’Evangile ne vieillit pas. Eveiller consiste à faire retentir le "viens et suis-moi", à faciliter l’écoute de l’appel.

    - C’est un travail d’ouverture à l’Evangile : une annonce en clair, explicite, du Christ, donc une parole de révélation, une parole prophétique ;

    - Et en même temps une annonce par le témoignage d’une vie conforme à ce message.
    Inviter à la prière
    Il y a à susciter et à permettre la rencontre du Christ et sa fréquentation.
    Il y a à proposer les sources et les lieux de vie :

    - la prière : "osons appeler les jeunes à prier".
    Si la vocation est le fruit d’une expérience spirituelle, il faut aller chercher Dieu au désert, dans le silence, l’intériorité, le désencombrement...

    - les sacrements : favoriser le retour aux sources.
    Il se passe toujours quelque chose pour l’éveil, quand des jeunes reviennent aux sacrements de la réconciliation et de l’Eucharistie.
    Oser appeler
    Passer au courage d’une question explicite : "Pourquoi pas toi ?".
    Nous avons connu le temps du recrutement sonore, puis du silence ; passer au courage de l’appel explicite.

    3 - Susciter une expérience d’Eglise

    - C’est prendre le temps d’accueillir : l’autre qui passe est d’abord un Mystère à découvrir, quelqu’un qui vient avec son histoire, ses richesses, ses questions. L’autre est d’abord quelqu’un qui nous est donné et à l’endroit duquel la question n’est pas de se demander ce qu’on va lui dire, mais d’abord ce qu’il a à nous apporter.

    - Procurer des lieux d’accueil (nos communautés, nos équipes, nos groupes...) qui soient pour eux des lieux de vie :

    * des lieux où se vit une reconnaissance des personnes ;
    * où se dit une parole de foi ;
    * où l’on rencontre des témoins.

    B) Rejoindre et promouvoir une pastorale de l’accompagnement

    Il ne faudrait certes pas réduire l’accompagnement à un accompagnement individuel, et plus particulièrement à la "direction spirituelle". Entrent en jeu bien des relations et des influences par le relais des appartenances sectorielles en Eglise, par les temps forts aménagés en groupes. Mais il importe, cela étant admis, que s’impose particulièrement le passage obligé par un accompagnement individuel très suivi et spirituellement exigeant. Il faut en préciser les contours.

    1 - L’accompagnement est :

    - une relation d’aide : aider ne veut pas dire prendre des décisions à la place de quelqu’un, mais lui permettre de dire sa question et de durer avec.

    - une relation enracinée dans la foi. Dans la foi au Dieu qui appelle et donc qui nous précède. Il s’agit toujours d’aider quelqu’un à reconnaître les passages de Dieu dans sa vie.

    - une aide en vue d’un discernement ; il s’agit concrètement d’aider quelqu’un à relire sa vie sous le regard de Dieu. Pour l’accompagnateur, "discerner selon l’Esprit", c’est, en écoutant les appels de quelqu’un, percevoir là, ceux que le Christ adresse à un jeune.

    2 - L’accompagnateur est donc...
    ... disait le Père Madelin au congrès des vocations qui s’est tenu à Vichy en 1989, "un compagnon selon l’Evangile, c’est à dire un homme de conviction, habité par le mystère trinitaire, sachant se mettre au service des autres, hanté par l’élargissement des frontières de l’Eglise, ouvert à l’amplitude du Royaume qui vient, croyant au travail de l’Esprit dans le monde et dans l’Eglise."
    On lui demandera trois qualités :

    - le respect de la liberté de son accompagné.

    - l’attention à l’action de l’Esprit : un amour plein de patience, d’espérance, de miséricorde et de force inspirées par la foi dans l’Esprit qui est à l’oeuvre.

    - la compétence, car il doit être lui-même disponible à l’Esprit, habité par un sens de l’ Eglise, éclairé sur les questions spirituelles, lucide sur son temps et lui-même accompagné par une aide fraternelle.

    3 - Quant au discernement lui-même, l’accompagnateur sera guidé par quelques critères très clairs :
    La maturité affective

    - Etre capable d’accueillir son histoire personnelle et familiale

    - Etre capable de relation par l’acceptation des autres différents sans que cela empêche de s’affirmer soi-même

    - Pouvoir assumer la solitude, tout en reconnaissant son besoin d’aimer et d’être aimé

    - Se situer dans sa vie professionnelle et ses divers engagements sans s’y laisser engloutir.
    En un mot il faut pouvoir constater une unification progressive de tous les aspects de la vie.
    Le critère mystique

    - C’est quelqu’un qui a rencontré Jésus-Christ et qui, au nom de cette expérience, a commencé une certaine rupture

    - C’est quelqu’un qui a à coeur de durer dans cette relation personnelle avec Jésus-Christ, par la prière et des temps longs de prière

    - C’est quelqu’un pour qui l’Eucharistie devient progressivement quelque chose d’important, puis d’essentiel

    - C’est quelqu’un qui retrouve progressivement goût pour le sacrement de réconciliation ; il passe du sentiment de culpabilité à la certitude d’être pécheur pardonné.
    Le critère apostolique

    - Il se traduit par une plus claire conscience d’avoir à dire la Bonne Nouvelle avec d’autres

    - Il s’incarne dans des choix de responsabilité ecclésiale précise, limitée, réaliste et vérifiée.
    L’important pour l’accompagnateur est de voir si le jeune est capable d’évoluer dans une croissance de la charité, dans une vie de plus en plus dessaisie d’elle-même et offerte aux autres.

    Par manière de conclusion, revenons au pont de départ : tout est possible si nous donnons nous-mêmes le témoignage de notre propre espérance. Nous sommes des témoins déterminants sur le chemin des jeunes. Ils nous voient fonctionner, ils voudraient nous voir vivre, rayonner le mystère qui nous habite, pas seulement dire mais exister.
    La relance sera crédible si elle s’appuie sur le spectacle de chrétiens bien dans leur peau et bien à leur place, capables de témoigner de la nouveauté quotidienne de leur baptême, de leur ordination, de leur engagement.
    La pastorale des vocations demande que nous consentions à aller nous-mêmes au bout de notre propre vocation, évangéliquement, par passion du Christ et passion des hommes.

    Yvon Bodin (1)

    (1) Article extrait de la revue Seminarium [ Retour au Texte ]