Les vocations dans "pastores dabo vobis"


Le Père Charles Bonnet, provincial des Sulpiciens, poursuit ici le commentaire de Pastores dabo vobis, dont la première partie se trouve dans le numéro 67 de Jeunes et Vocations.

Dans un premier temps, nous avons vu quelle idée Pastores dabo vobis se faisait de la vocation. On ne peut devenir prêtre sans être appelé. L’appel, il vient d’abord de l’Eglise par la voix de l’évêque mais cet appel rejoint un appel plus primordial au coeur de chacun. Or il y a crise en certains pays : personne ne se présente plus à l’appel de l’évêque. Si on nous affirme que Dieu ne cesse d’appeler, alors pourquoi si peu de réponses ? Les hommes sont-ils incapables d’entendre l’appel ? Sont-ils infidèles à la grâce reçue ? Que faire pour que la réponse soit plus prompte et plus massive ? Comment l’exhortation post-synodale répond-elle à ces questions ? Quelles causes reconnaît-elle à la crise des vocations ? Quelle pastorale propose-t-elle pour y remédier ?

Les causes de la crise des vocations

C’est dans le chapitre 1er de l’exhortation intitulé "la formation sacerdotale face aux défis du second millénaire" qu’on trouvera l’analyse la plus complète. On se situe toujours dans le seul contexte de la vocation de jeunes ".
"Quels problèmes et quels stimulants positifs le contexte socio-culturel et ecclésial suscite-t-il chez les enfants, les adolescents et les jeunes qui doivent mûrir pour toute leur existence un projet de vie sacerdotale ?"
Les numéros 6 et 7 donnent déjà une première analyse globale des espoirs et des obstacles que rencontre l’évangélisation aujourd’hui. Tous ces éléments concernent le contexte dans lequel les prêtres exercent leur ministère mais ont une influence encore plus forte sur les jeunes. Les n° 8 et 9 reprennent donc ces analyses pour situer les jeunes face à la vocation en répétant parfois presque mot pour mot les analyses des numéros précédents. Aussi c’est de ces deux numéros que nous partirons en éclairant parfois ce qu’ils disent par ce qu’ont dit les numéros précédents. Quels sont donc "les obstacles et les sollicitations auxquels s’affrontent continuellement l’émergence et le développement des vocations sacerdotales chez les enfants, les adolescents et les jeunes ?"

Le texte du n° 8 énumère :

- "la fascination de ce qu’on appelle la société de consommation". La recherche du confort, du plaisir, du bien-être à n’importe quel prix, de l’avoir, en un mot, l’emporte sur l’être et entraîne le refus du sacrifice et de l’effort.

- "la conception de la sexualité humaine". Elle devient elle-même un bien de consommation au lieu d’être au service de la communion et du don. Alors, l’expérience affective n’aboutit qu’à une régression psychologique et éthique.

- "une expérience déformée de la liberté" où chacun devient prisonnier de ses instincts ou de sa volonté de domination.

- "le refus explicite de Dieu ou du moins l’indifférence". La vie est vécue comme si Dieu n’existait pas "On n’a plus besoin de combattre Dieu, on se passe tout simplement de lui" (n°6)

-  "une forte tendance au subjectivisme de la foi chrétienne" : on adhère à ce qui plaît, à ce qui ne dérange pas, à ce qui correspond à son expérience.

- "une appartenance partielle et conditionnelle à la vie et à la mission de l’Eglise"

- la difficulté d’organiser une pastorale des jeunes adaptée : ils sont laissés à eux-mêmes, parfois à cause de l’insuffisance des forces sacerdotales.

Tout cela va contre la vocation car la vocation est témoignage du primat de l’être sur l’avoir, reconnaissance du sens de la vie comme don de soi et disponibilité pour le service de l’Evangile. "De ce fait la perspective de la vocation demeure éloignée des centres concrets d’intérêt des jeunes".

Le n° 37 dans le chapitre 4 sur la vocation complétera ce sombre tableau en rappelant à propos du jeune homme riche les grands obstacles qui peuvent bloquer et empêcher la réponse libre de l’homme.
On retrouvera les biens matériels qui peuvent fermer le coeur humain aux valeurs de l’Esprit mais aussi certaines conditions sociales et culturelles de notre temps qui peuvent imposer des visions déformées et fausses de la vraie nature de la vocation en en rendant difficiles sinon impossibles l’accueil et la compréhension elle-même.

- idée de Dieu conçu comme imposant un destin immuable et faisant de la vocation un fardeau

- vision de l’homme comme complètement déterminé et conditionné ou au contraire comme autonomie absolue, ce qui dans un cas comme dans l’autre empêche de comprendre la vocation comme réponse libre à un appel.

- perte du sens ecclésial de la vocation mise au service du salut personnel et non du service de l’Eglise.

La crise des vocations repose donc sur une crise de société, d’une culture qui n’est pas un terreau favorable pour les vocations. Il y a donc tout un contexte culturel générateur d’une crise profonde de la foi. "La crise des vocations presbytérales a de profondes racines dans le milieu culturel, dans la mentalité et la pratique des chrétiens" dit le n° 37 reprenant la proposition 13 des Pères synodaux.
Tout vient de la société qui est mauvaise. On ne fait pas porter le poids aux individus mais à la société. Il y a une vision assez pessimiste de la société.
Tout n’est pas négatif cependant. D’abord "il ne faut pas rejeter en bloc les facteurs négatifs et sans distinction parce que en chacun d’eux peut se cacher une valeur qui attend d’être libérée et rendue à sa vérité totale" (n°10). Mais le texte ne dit pas quelles sont ces valeurs cachées derrière ce qui nous a été présenté de façon très négative.

Le n°9 rappellera qu’il y a des situations stimulantes et positives :

- certaines contestations radicales récentes se sont atténuées

- les jeunes sont porteurs de valeurs : soif d’authenticité, de transparence, de réciprocité, de justice

- le volontariat pour les personnes défavorisées se développe. Cela peut favoriser l’ouverture à l’idée d’un service total envers les autres dans la consécration à Dieu

- grandit aussi le désir du désert, de l’expérience de Dieu, de la lecture de la parole de Dieu

- la participation des jeunes à la vie de l’Eglise, aux groupes qu’elle propose et à la nouvelle évangélisation qu’elle met en place, devient plus importante.
"Tout cela ouvre le coeur et la vie des jeunes à des idéaux fascinants et engageants qui peuvent trouver leur réalisation concrète dans la suite du Christ et dans le sacerdoce."

Mais alors pourquoi, si ces facteurs positifs existent, donnent-ils si peu de résultats ? N’y a-t-il pas une fausse symétrie entre les deux ? les deux ne se développant pas au même rythme et avec la même ampleur. S’il y a si peu de vocations c’est quand même que les facteurs négatifs l’emportent sur les éléments positifs.

La pastorale des vocations
Comment répondre à ce défi ?

Puisque la cause est d’ordre social, il faudra y répondre de façon sociale. En changeant la société et les mentalités dominantes.
"Il est urgent que la pastorale des vocations de l’Eglise s’applique résolument et en priorité à reconstituer la ’mentalité chrétienne’ engendrée et soutenue par la foi." (n°37).
Il s’agit donc d’entreprendre une véritable évangélisation pour présenter le vrai visage du Père et de l’homme pour que toute vocation soit vécue dans sa vérité.

Par quels moyens ?

L’originalité principale est peut-être d’avoir regroupé ces tâches sous les trois fonctions de prêtre, prophète et roi "L’Eglise comme peuple sacerdotal, prophétique et royal est chargée de servir la naissance et la maturation des vocations sacerdotales."

Comme peuple sacerdotal...par la prière et la vie sacramentelle (n° 38).
Il faut donc éduquer les jeunes à la prière et la méditation de la parole de Dieu pour qu’ils puissent découvrir leur vocation. Il faut que l’Eglise prie pour les vocations en privé comme dans les communautés. La liturgie doit aussi jouer un rôle. Elle constitue une expérience vivante du don de Dieu et une réponse à son appel. Elle manifeste le visage de l’Eglise comme peuple de prêtres dans la variété des vocations. Elle rappelle que l’offrande des souffrances peut être d’une grande utilité pour la promotion des vocations.

Comme peuple prophétique... par l’annonce de la parole et l’éducation de la foi . (n°39).
L’Eglise doit annoncer et manifester le sens chrétien de la vocation. On ne peut se contenter d’une prédication sur la vocation personnelle et la vie comme vocation. Il faut une prédication directe sur le mystère de la vocation dans l’Eglise, la valeur du sacerdoce ministériel, qui combatte les objections et crée des conditions favorables à la naissance de nouvelles vocations... Il faut en montrer la valeur, ne pas craindre de la proposer explicitement comme une possibilité aux jeunes qui ont les qualités appropriées : ce n’est pas une atteinte à leur liberté. L’histoire des vocations montre que le voisinage et la parole d’un prêtre ont pu jouer un rôle décisif.

Comme peuple royal... sous l’influence et avec le témoignage de la charité (n°40)
Il faut donc susciter chez les jeunes la volonté de suivre Jésus en tout. Il faut retrouver le souci de la direction spirituelle. (C’est un des rares lieux qui parle de la direction spirituelle dans toute l’exhortation). Il faut éduquer les jeunes à l’engagement, au sens du service gratuit. L’éducation au volontariat y aide en amenant à un engagement désintéressé et gratuit qui les rendra plus sensibles à l’appel de Dieu au sacerdoce.

Avec quels acteurs ?

Le n°41 rappelle que c’est toute l’Eglise qui est responsable de la naissance et de la maturation des vocations sacerdotales. Donc tous les membres de l’Eglise sans exception doivent assumer leurs responsabilités, chacun à sa place.

-  L’évêque doit veiller à ce que cette dimension soit présente dans l’ensemble de la pastorale ordinaire et promouvoir et coordonner les initiatives.

- Les prêtres doivent en avoir le souci et leur témoignage doit y porter et être un facteur convaincant.

- Les familles en tant qu’Eglise domestique doivent fournir les conditions favorables pour la naissance des vocations. Elles sont le premier séminaire dans lequel les enfants acquérront le sens de la piété, de la prière et l’amour de l’Eglise.

- L’école, comme communauté éducatrice, doit donner le sens de la vocation et le désir d’accomplir la volonté de Dieu dans l’état de vie le plus adapté y compris la vocation sacerdotale.

- Les laïcs : enseignants, catéchistes, éducateurs, animateurs, etc... doivent jouer leur rôle. Plus ils approfondiront leur vocation, plus ils pourront reconnaître le caractère irremplaçable de la vocation et de la mission sacerdotales.

- Les groupes de réflexion sur la vocation apporteront un soutien matériel et moral.

-  Les mouvements de fidèles laïcs se montreront des lieux particulièrement adaptés à la proposition et la croissance des vocations.

"Le problème des vocations sacerdotales ne peut être délégué à certains spécialistes sur lequel on se décharge" (n°40). C’est un problème vital au sein de l’Eglise et qui doit manifester l’amour du chrétien pour son Eglise.
"Parce que le manque de prêtres est certainement la tristesse de toute l’Eglise, la pastorale des vocations doit être entreprise avec une ardeur nouvelle vigoureuse et plus déterminée par tous les membres de l’Eglise... Ce n’est pas un élément secondaire et accessoire de la pastorale d’ensemble de l’Eglise...c’est une dimension connaturelle et essentielle à la pastorale de l’Eglise comme à sa vie et à sa mission." (n°34).
Le risque c’est que si tout le monde est responsable, personne ne se sente responsable. Les services de vocation dont le rôle n’est pas mentionné explicitement - à moins de les voir dans les groupes de réflexion sur la vocation - ne veulent pas décharger les autres de leurs responsabilités mais les leur rappeler et les y aider.

C’est donc dans un contexte de crise que se situe la définition d’une pastorale des vocations. S’il est dit que son but est de discerner et d’accompagner les vocations au sacerdoce, l’effort principal reste néammoins de savoir comment les susciter. Or même si en Europe c’est ce problème qui se pose prioritairement, il ne supprime pas le souci du discernement... Et en d’autres pays où les candidats se présentent massivement c’est cette question du discernement qui reste prioritaire. Ce qui est dit de la pastorale des vocations reste peut-être trop marqué par la situation européenne de crise.

Voilà en tout cas ce que nous dit "Pastores dabo vobis" de la crise des vocations et de la pastorale à mettre en oeuvre pour y remédier. Il y aurait à se demander si l’analyse de la crise est suffisante et va au fond des choses et si la réponse est à la mesure de la crise. Mais cela demanderait une étude qui dépasse le cadre de cette présentation. Tel qu’il est ce texte est déjà très suggestif et peut nous indiquer des pistes oubliées ou nous encourager à poursuivre avec ténacité une route difficile où les succès ne sont pas toujours visibles et immédiats.

Charles Bonnet