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La grâce peut davantage
Les accompagnateurs de jeunes en recherche trouveront profit à lire, à méditer ce livre paru chez Desclée de Brouwer en 1992, écrit par Don Louf, trappiste de l’abbaye du Mont des Cats.
Certes ce livre est écrit par un moine et il se base sur bien des expériences monastiques. Mais au niveau radical (à la racine de l’être) où il traite de l’accompagnement spirituel, il rejoint toute personne quelle que soit sa condition de vie. L’auteur situe d’abord l’accompagnement dans l’expérience chrétienne d’aujourd’hui, car tout est lieu du travail de l’Esprit au fond des coeurs :
La question de l’accompagnement spirituel laisse découvrir une sorte de carrefour, vers lequel convergent pour s’y rencontrer et s’y recouper plusieurs éléments essentiels de la vie de foi. Cette complexité se trouve éclairée par une vision globale de l’expérience chrétienne : expérience propre du croyant et expérience de l’Eglise en son ensemble.(p.12)
Mais le livre vise, comme le premier chapitre l’énonce : à réfléchir sur "tout ce qui charpente et construit l’accompagnement spirituel, humainement, psychologiquement et spirituellement" p.11.
On notera la manière vitale dont il est fait état de l’expérience chrétienne comme objet de l’accompagnement. Il s’agit de laisser croître la vie même de Dieu dans la personne. Ce qui suppose une confiance totale et préalable en la puissance de la grâce selon le titre même de l’ouvrage "La grâce peut davantage".
Les chapitres 3 à 8 reprennent les éléments de la 7e partie du livre du même auteur : "Au gré de sa grâce", propos sur la prière - paru en 1989. Ils développent avec finesse la relation et le dialogue entre accompagnateur et accompagné -en montrant les liens intimes entre psychologie et travail de la grâce, la relation dont il s’agit ici, étant d’abord une relation humaine. Il n’est donc pas surprenant qu’on soit averti des imbrications de la situation transférentielle (ch.4) inévitable en cours de l’accompagnement.
Le dialogue lui-même (ch.5) est situé à partir de la tradition monastique et en référence à l’insistance actuelle sur "l’écoute des désirs".
"La tâche la plus importante de l’accompagnateur sera finalement d’accueillir l’autre comme Dieu l’accueille. C’est là la seule attitude, au-delà de toute parole,qui puisse apaiser l’autre et le réconcilier avec les zones les plus obscures de sa personnalité, qui lui font honte ou peur : un accueil inconditionnel, synonyme d’amour." (p.105)
Vient ensuite une reprise détaillée de l’interférence en accompagnement des instances psychologiques intérieures : "le gendarme et le miroir" déjà explicité dans "Au gré de sa grâce" p.113 et suivantes.
La double image paternelle et maternelle, fondée scripturairement chez St Paul et expérimentée dans la relation aux supérieurs ou aux guides spirituels dans l’histoire de la vie monastique, a beaucoup à voir avec le rôle de l’accompagnateur.
Celui-ci découvrira comment, en se situant par rapport à la personne accompagnée, comme père et (ou) mère, "il dit quelque chose de très profond à la fois sur Dieu et sur l’homme" p.171.
Et "l’harmonisation de la force et de la tendresse constitue sûrement l’une des visées les plus difficiles à atteindre et les plus délicates à sauvegarder au coeur de l’accompagnement spirituel. Comme c’est l’image de Dieu qui est ici en jeu en chacun de nous, l’on comprendra qu’une solution humainement aussi parfaite que possible ne nous est donnée que dans la sainteté, et cette dernière ne l’est jamais totalement ici bas. Seule la charité du saint, qui en lui s’identifie au Saint-Esprit, est capable de se rapprocher d’aussi près que possible de cette harmonie de la double image réalisée en lui, et qui est toujours une authentique merveille. Néanmoins, à défaut de sainteté, et en attendant humblement mieux, une prise de conscience des exigences complémentaires de ce divin amour, et de nos possibilités ou impossibilités personnelles plus ou moins grandes en ce domaine, peuvent nous apporter une aide réelle et nous éviter certains pièges."(p.174-175)
Finalement, l’accompagnement est chemin de discernement (ch.9). C’est bien de cela dont il s’agit. Don Louf en retrace l’histoire, enrichie par la tradition monastique illustrée par des apophtegmes savoureux, et approfondie par le "moment historique" du discernement ignatien, déterminant pour la vie apostolique moderne.
Chercher la volonté de Dieu c’est se trouver soi-même..Il n’y a pas de dichotomie dans cette aventure même si elle implique le combat spirituel.
"Ce qu’il y a de proprement merveilleux dans une telle question, c’est que le demandeur lui-même porte la réponse au plus profond de son coeur. La volonté de Dieu qu’il cherche et qu’il voudrait sincèrement épouser, n’est autre chose que sa réalité la plus profonde et la plus féconde. Comme il a déjà été dit, la volonté de Dieu ne le menace en rien. Elle ne lui fera aucun mal. Elle n’est rien d’autre que le désir de Dieu et son amour à ce sujet. Rien de plus épanouissant pour lui, dans tous les sens du mot, et selon toutes les virtualités que Dieu lui-même a déposées en lui."(p.214)
Ce livre ne présente pas une technique à laquelle on pourrait rester extérieur. Il montre certes, combien l’accompagnateur ne peut faire fi des sciences humaines. Il montre en même temps combien mystérieusement et réellement, cette relation de l’accompagnement spirituel engage deux personnes, chacun pour sa part et dans sa différence, vers une rencontre de Dieu toujours plus profonde.
"N’est-ce pas à travers l’infinie patience de son père spirituel que l’accompagné devrait concrètement apprendre ce que peut signifier collaborer avec la grâce de Dieu : être attentif à elle, mais ne jamais présumer d’elle ; la serrer de près, mais ne jamais la précéder. C’et Dieu, et Dieu seul, qui ne cesse de renouveler ses merveilles."(p.226-227)
Dominique Sadoux
La grâce peut davantage. L’accompagnement spirituel
par André Louf - Desclée de Brouwer
1992, 230 pages. 98 F.