Les jeunes et la vocation missionnaire
Second temps de cette session : le Père Hippolyte Simon, chargé de la formation permanente des prêtre dans le diocèse de Coutance, nous propose son analyse dur rapport entre les jeunes et la vocation missionnaire.
En acceptant de parler cet après-midi, j’ai bien conscience d’aller au devant d’une déception pour vous. Je ne vous ferai pas l’injure de penser que vous attendez de moi une parole qui serait la solution magique à toutes les interrogations que vous portez - que nous portons - au sujet des jeunes et de la vocation missionnaire.
Mais je ne vous ferai pas non plus l’injure de penser que vous vivez allègrement cette situation. Je crois qu’il est honnête et lucide de dire que la situation présente, dans notre pays, est très difficile pour tout le monde. Elle est difficile pour les Instituts missionnaires ; elle est difficile pour les congrégations religieuses qui ont des communautés ou des fraternités dans les pays dits de Mission ; elle est difficile aussi pour nos diocèses qui ne peuvent plus, comme ils le souhaiteraient, assurer la relève de tous les prêtres qui sont partis là-bas, au titre de ’ Fidei Donum’.
Parce que nous avons bien conscience de cette situation, notre prière se fait, à certains jours, prière de désolation - "Le Seigneur aurait-il oublié son peuple ?" se demandaient les Psalmistes. Il nous arrive de nous demander : "le Seigneur aurait-il oublié son Eglise ?" Intervenant devant des personnes qui partagent forcément cette inquiétude, je suis donc attendu comme quelqu’un qui devrait avoir à proposer, sinon la solution, du moins des éléments de solution. Mais je dois, forcément, vous décevoir : je dois à la vérité de vous dire d’entrée de jeu : je n’ai pas la solution... Alors vous allez me dire : "En ce cas, pourquoi as-tu accepté de parler devant nous ? " Je me suis interrogé et je vais essayer d’articuler deux réponses. J’ai accepté de parler sur ce sujet :
1) parce que j’ai une dette envers les missionnaires ;
2) parce que le rapport des jeunes à la vocation missionnaire s’inscrit dans une question plus large qui est celle du rapport des jeunes à la vocation chrétienne et cela m’intéresse de réfléchir avec vous sur ce point.
Si j’avais eu besoin d’un troisième motif pour dire oui à la demande qui m’était adressée, j’aurais fait observer que j’interviens au début de votre congrès, en quelque sorte en apéritif, et que le rôle d’un apéritif c’est de creuser l’attente, d’aviver le désir, de donner faim. Ce n’est donc pas trop grave si je ne comble pas votre faim : il vous restera deux jours pour trouver des nourritures plus substantielles.
Dette
J’ai dit que j’avais une dette envers les Missionnaires. A l’occasion de ce congrès j’ai essayé d’en faire le bilan pour moi-même : il est considérable. Je voudrais m’y attarder un peu, non pas pour vous raconter ma vie : elle n’a pas un intérêt majeur ... mais je me suis dit que, en ouverture de ce congrès, ce petit exercice pouvait être tonique.
De plus, cette façon de procéder m’évite d’avoir à redire des choses que j’ai déjà dites ailleurs. S’il est vrai que la Vocation Missionnaire est un cas particulier de la Vocation à la vie consacrée, je voyais mal comment reprendre sans les répéter des analyses déjà proposées.(1) Pour sortir de cette difficulté, j’ai essayé de repérer, dans les différentes étapes de ma vie, les traces d’une influence missionnaire. Et en esquissant ce bilan devant vous, je voudrais vous inviter à faire la même chose pour vous. Que cette évocation nourrisse notre action de Grâces, tout-à-l’heure, au cours de la célébration qui va suivre.
Il me semble que cet exercice, que j’ai déjà qualifié de tonique, peut être aussi très important pour notre vie spirituelle. Avant de nous interroger sur ce que nous pourrions faire en vue de donner à d’autres - ou pour inciter des jeunes à donner à d’autres églises - prenons conscience de ce que nous avons nous-mêmes reçu.
Ici, à Lyon, au berceau de l’Eglise dans notre pays, je n’évoquerai que d’un mot tout ce que nous devons aux missionnaires des temps passés. Si nous sommes devenus chrétiens, c’est que nos ancêtres ont eu le privilège d’être évangélisés par des missionnaires venus d’ailleurs. Pour nous aussi, pour nous d’abord, le christianisme et l’Evangile sont des produits d’importation ! si vous me permettez cette expression. Ne l’oublions jamais. Je n’insiste pas... Il suffit de le dire pour mesurer que notre dette est ici considérable...
Sur ce point, je rappellerai seulement la remarque de Françoise Dolto, à propos de l’homme recueilli par le Bon Samaritain. Celui qui a ainsi été sauvé de la perdition ne peut pas restituer sa dette directement à son bienfaiteur, puisque celui-ci, nous dit la parabole, est parti dès l’aube et a continué son chemin. Le bénéficiaire n’a donc pas d’autre solution que de devenir, à son tour, un "bon samaritain". A lui de savoir se dérouter, au temps opportun, lorsqu’il apercevra d’autres blessés gisant au bord de la route. Le don de Dieu est gratuit : à nous de le diffuser en devenant, à notre tour, donateurs de ce que nous avons reçu. Ravivons ici notre conscience de ce que le Christianisme, avant d’être un devoir, est d’abord un don reçu, un don gratuit, une chance de salut.
Cette remarque est importante. J’ y reviendrai plus directement à propos des jeunes : il est important de leur apprendre à reconnaître qu’ils partagent avec nous cette dette. Il convient donc de les aider à entendre, eux aussi, cette invitation à devenir médiateurs du don gratuit de Dieu... C’est en effet dans l’Action de grâces que peut s’enraciner l’Appel à devenir, à notre tour et à notre place, missionnaires.....
Mais je n’ai pas seulement reçu des Missionnaires qui furent aux commencements de l’Eglise en Gaule. J’ai aussi reçu de missionnaires contemporains et je vais maintenant parler pour moi, dans mon histoire particulière, en vous laissant le soin de penser à votre histoire à vous. J’ai reçu, et beaucoup plus qu’on ne pourrait le croire, de la part de missionnaires, dans ma propre existence et dans mon propre cheminement.
Je serai aussi bref que possible dans ce repérage, mais vous allez voir que les traces de ce que j’appelle "ma dette" sont nombreuses . Chemin faisant, je noterai des questions et je les synthétiserai en conclusion.
1 Tout d’abord, au temps de mon enfance, dans le petit village du bocage normand où j’ai grandi, le curé qui m’a fait le catéchisme avait le souci de la "Sainte Enfance", comme on disait à l’époque. Nous étions donc abonnés à des revues et nous participions régulièrement aux efforts de la collecte. Il nous passait des films fixes sur les Missions, et ceci était pour nous, dans le contexte de l’époque, une ouverture formidable sur le monde extérieur et sur des civilisations différentes de la nôtre.
Surtout, j’ai été marqué, dès cette époque-là, par le témoignage d’un jeune de mon village qui se préparait à devenir Spiritain. C’est à travers lui que j’ai rencontré pour la première fois l’Abbaye Blanche. (2) Ces jeunes qui se préparaient à partir dans les Missions faisaient figure, pour nous, de cosmonautes ! ! Ils occupaient une grande place dans notre imaginaire, lorsque nous pensions à mener une vie aventureuse. Je ne crois pas être le seul pour qui l’aspect "aventurier" ou "explorateur" a pu être l’ un des facteurs déclenchants de l’intérêt pour les Missions "ad gentes."
Question : qui peuple aujourd’hui l’imaginaire des enfants ? Je ne suis pas sûr que les Missionnaires y occupent encore la place qu’ils avaient dans le nôtre. Je ne suis pas sûr que les "Fils de Goldorak" ( pardonnez-moi si je retarde, mais je ne suis pas un spécialiste !) aient encore envie de s’identifier à quelque missionnaire. Mais ceci est une vraie question pour les Catéchistes. La structuration de l’imaginaire est aussi, pourquoi pas ?, une des médiations de l’Evangélisation des enfants. Je pense qu’il est important de nous interroger à ce sujet.
Le Spiritain dont je parle, et qui est devenu maintenant un ami, commençait alors, en 1957, son apostolat en Guinée-Conakry. Il y est toujours, après 18 ans d’interruption entre 1967 et 1985, à cause du système totalitaire de Sékou Touré. Dans mon village, il était alors, et il demeure, une sorte de "héros national", soutenu et encouragé par toute la population, y compris les non-pratiquants. Il me paraît clair que cette configuration, courante il y a 40 ans dans beaucoup de villages de France, tend à devenir plus rare aujourd’hui, compte tenu de la désertification des campagnes et de la mobilité sociale. A cet égard, mon village fait un peu figure de ’village gaulois irréductible’. Mais, au-delà de l’anecdote, il y a là l’indice d’une perte de contact entre les communautés chrétiennes de France et la vocation missionnaire.
Ceci étant, il faut le noter, il est illusoire de penser que cette configuration puisse revenir. Autrement dit : ne comptons pas sur la nostalgie romantique pour résoudre nos questions. Nous sommes bel et bien condamnés à inventer....
Question : comment retrouver ce contact quotidien, à travers les outils modernes de la communication que sont les médias ? Rude affaire : le succès du film "Mission" ne suffira pas à régler la question. On peut aussi se demander pourquoi, dans le film "La cité de la joie," le personnage du prêtre est remplacé par celui d’un médecin. Mais il est clair que l’idée que les gens de mon village natal se font de la Mission ne dépend plus seulement de celui qui en est parti : cette idée se fabrique aussi à Paris, dans les médias nationaux. Car on les reçoit, quand même, chez moi !!
2 Après le village, il y a eu le collège. Et là, je me souviens de deux choses.
- On nous entretenait dans une sorte de culte envers les grands devanciers, issus de notre collège. Tous les ans, nous fêtions le Bienheureux Auguste Chapdelaine, martyrisé en Chine.
- Régulièrement, nous avions des conférences par différents missionnaires venus des quatre coins du monde : d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et aussi de l’Alaska. Là aussi, je passe vite, car vous êtes nombreux, ici, à avoir connu ces soirées de projection et ces rencontres avec un missionnaire barbu que nous considérions comme une sorte d’athlète, héraut, à la fois, de la Bonne Nouvelle et de la culture française. Dans l’esprit de nos professeurs, il était clair que les deux réalités allaient ensemble. Nous n’allions pas tarder à être touchés par les remises en question liées à la décolonisation mais nous étions vraiment les derniers représentants de cette alliance tranquille entre l’évangélisation et la colonisation française. Je schématise, mais à peine, le discours de tel ou tel de mes professeurs de l’époque, en particulier de mon professeur d’histoire.
Question : là aussi, inutile de rêver ; nous n’allons pas retrouver l’équivalent de ces années de pension et nous n’allons pas retrouver, surtout, le rôle pédagogique de ces soirées pour éveiller les jeunes français à la dimension de l’universel. Mais il y a sans doute un effort à faire en direction des enseignants, - en particulier de l’enseignement catholique, - pour réhabiliter le rôle joué par les missionnaires dans la formation de la civilisation qui est la nôtre aujourd’hui. (3)
3 Mais c’était aussi l’époque de la guerre d’Algérie et, à ce moment là, les schémas limpides se sont brouillés. Au tournant des années 50/60, nous avons été touchés, à notre tour, par la contestation du bien fondé de la démarche missionnaire classique. Nous avions été ,jusque là, peu concernés par les publications d’intellectuels comme J.P. Sartre ou Franz Fanon, que j’ai découverts ultérieurement. Mais avec la guerre d’Algérie, toutes ces questions ont fait irruption dans notre quotidien, et dans tous les villages de France.
Question : Il faudra, un jour prochain, que des historiens nous disent quel a été le rôle décisif de cette guerre d’Algérie sur l’évolution de l’Eglise qui est en France. Je crois qu’elle a été déterminante pour les vocations sacerdotales et donc aussi pour les Instituts missionnaires masculins.
Il est probable qu’elle a été l’occasion, pour quelques séminaristes, d’une découverte de leur vocation missionnaire. Mais, à l’inverse, et beaucoup plus gravement, elle a créé une remise en question spirituelle profonde pour toute une génération. Et c’est cette génération qui a connu, de plein fouet, la grande crise des vocations, dans les années 65-75. De cette crise nous ne sommes toujours pas relevés. Son impact, encore aujourd’hui, sur les jeunes, est considérable.
4 Pour moi, deux souvenirs plus positifs restent liés à cette période.
Le premier, c’est le départ en mission de religieuses dont l’implantation, jusque là, était restée diocésaine. Cet envoi en mission d’infirmières et d’enseignantes se produisait en même temps que les premiers départs de prêtres au titre de l’encyclique Fidei donum.
Le second, c’est la rencontre, au séminaire de Coutances, des séminaristes Martiniquais. Jusque là formés par les Spiritains à la Croix-Valmer, ces jeunes rejoignaient notre séminaire diocésain en 1963. Et ceci confortait aussi l’idée que les temps avaient changé.
Je ne dis pas que nous avons eu raison de comprendre les choses de cette façon. Mais c’est comme cela que nous les avons perçues, dans le contexte de ces années 60-70. Après le temps des missionnaires, nous entrions dans le temps de la maturité des jeunes Eglises. De ce point de vue, plusieurs évolutions semblaient parfaitement cohérentes :
- La presse soulignait la présence au Concile d’évêques "autochtones" comme on disait à l’époque.
- Les prêtres fidei donum et les religieuses de congrégations diocésaines, qui ouvraient des postes dans les anciens pays de mission, n’allaient pas fonder l’Eglise mais partaient en "coopération missionnaire". Or, qui dit coopération dit que l’on va vivre désormais sur la base de la réciprocité des échanges.
- C’était aussi le début de la coopération dans le cadre du service militaire. Plusieurs de mes amis ont été parmi les premiers à expérimenter cette façon d’effectuer leur service national dans le cadre de la Délégation Catholique à la Coopération, qui se mettait alors en place.
- Autre facteur important dans l’évolution des mentalités : les débuts du C.C.F.D. marquaient une volonté de modifier les rapports Nord/Sud. Non plus sur la base d’une colonisation, mais sur la base, là aussi, du partenariat.
- Je signale aussi, sans m’y attarder, l’émergence politique des pays émancipés de la tutelle européenne : le Mouvement des pays non-alignés était alors en plein essor.
- Si vous ajoutez encore à tout cela le climat d’optimisme qui baignait toute cette époque - en dépit des tensions de la guerre froide, bien sûr - il est facile de comprendre que la vision classique de la vocation missionnaire ait été quelque peu dévaluée, dans l’esprit des gens de ma génération. Je n’ai pas été étonné de lire, dans les comptes-rendus des enquêtes, qu’il en reste quelque chose dans la mentalité de bien des prêtres de nos diocèses : certains missionnaires se plaignent d’être peu invités à parler dans les paroisses.
Selon un schéma commode et sans doute un peu simpliste, nous étions invités à lire l’histoire de façon strictement linéaire, pour ne pas dire déterministe.
A une époque d’ensemencement, succédait une époque de croissance. Il fallait désormais que les peuples se libèrent de la tutelle occidentale, et ceci à tous points de vue : politique, économique, culturel et religieux. Dans ce schéma, la figure du missionnaire devenait, logiquement, caduque. Au nom même de sa réussite. Après avoir vécu dans un rapport de mères à filles, les Eglises d’Europe devaient apprendre à vivre dans un rapport d’Eglises-soeurs avec les Eglises des pays en voie de développement.
Nous n’avons pas encore fini de nous expliquer sur ces transformations.
Question : En vous parlant des changements de mentalités intervenus dans ces années là (65-75) je n’oublie pas mon sujet :" les jeunes et la vocation missionnaire." C’est un point sur lequel nous aurons à revenir. Je crois que nous ne sommes pas encore sortis de cette problématique. Elle induit en effet cette interrogation majeure : Pourquoi aurions nous encore besoin de vocations missionnaires proprement dites, alors que la coopération missionnaire semble suffisante ?
5 Mais il faut encore aller plus loin : il ne serait pas suffisant de dire qu’il y a eu un transfert ou passage
de l’insistance sur la vocation missionnaire " à vie"
vers la prise en compte de la coopération missionnaire entre Eglises partenaires.
Il y a eu remise en question beaucoup plus radicale de toute perspective missionnaire.
Je crois pouvoir dire qu’une insistance unilatérale sur le développement économique, et donc sur l’aide financière, a éclipsé, dans les esprits, l’importance du service proprement ecclésial. A la limite, on pouvait comprendre que les jeunes Eglises aient besoin d’argent et de moyens matériels, mais on ne voyait plus bien pourquoi il faudrait continuer de leur envoyer des agents pastoraux : qu’il s’agisse de religieux , de religieuses, de prêtres ou de laïcs engagés dans des services explicitement pastoraux.
Déjà bien, d’ailleurs, quand les chrétiens savaient résister aux mots d’ordre simplistes qui commençaient à se répandre dans notre pays, suite aux déceptions de la décolonisation. Rappelons- nous, en effet, qu’à cette époque dont je parle, Paris Match faisait ses titres avec des slogans du genre " la Corrèze plutôt que le Zambèze ! " En d’autres termes, nous avons tous été plus ou moins marqués par une conception " implicitement matérialiste " du développement. L’économie était considérée comme la clef de tout, l’explication en dernière instance (pour parler comme l’un des maîtres à penser de l’époque : Louis Althusser.).
On oubliait seulement ceci : l’économie est une invention et une création de l’humanité : à ce titre, elle est donc d’abord une activité qui relève de l’esprit humain ; elle a donc une composante spirituelle, même si celle-ci se dissimule derrière des lois apparemment objectives.
Question : Là aussi, vous le voyez bien, nous sommes à un carrefour . Nous ne pouvons pas réfléchir à la vocation missionnaire pour les jeunes sans élucider cette question : Qu’est-ce que le développement ? Et qu’en est-il du rapport entre l’annonce de la libération en Jésus Christ et la volonté de travailler à la promotion intégrale des peuples ?
Les questions de Jean XXIII dans Pacem in terris (1963) et de Paul VI dans Populorum progressio (1967) sont encore nos questions ; sans oublier Gaudium et Spes de Vatican II.
Après cet "arrêt sur image", je reviens à mon itinéraire pour y pointer d’autres questions.Pour ma part, en 1965, j’avais d’abord pensé partir en coopération. Mais, finalement, je m’étais résolu, un peu à contre - pente de l’état d’esprit du moment, à faire mon service militaire. C’était après la guerre d’Algérie, mais il se trouve que j’ai quand même été envoyé en Algérie, sur la base de BECHAR, où l’armée française avait gardé une enclave, au service de la fusée Diamant, ancêtre d’Ariane, en attendant la réalisation de KOUROU, en Guyane.
J’ai donc eu ce privilège, car c’en est un !, de passer un an dans le désert et de découvrir la fascination que celui-ci peut exercer sur nous, dès lors que nous acceptons d’en traverser l’austérité. Mais c’est là aussi que j’ai entrevu, au contact des Pères Blancs et des Soeurs du P. de Foucauld, un aspect de la mission que je connaissais très peu : la présence silencieuse au milieu de croyants d’une autre tradition religieuse. Et là, j’ai commencé à me rendre compte que les schémas dont j’ai parlé à l’instant étaient probablement simplistes. J’ai commencé à comprendre, sans pouvoir bien me l’expliquer à l’époque, que l’expérience religieuse ne se laisse pas réduire à la dimension économique des sociétés. Aujourd’hui, j’irai jusqu’à dire, m’appuyant en cela sur les analyses philosophiques de Marcel GAUCHET, que "tout se passe d’abord dans la tête". Ce qui signifie, en clair, que l’évangélisation, dans la mesure où elle nous libère de la magie et des craintes ancestrales, est, en elle-même, un facteur essentiel du développement. Evangélisation et Développement sont, en quelque sorte, les deux faces d’une unique conception de l’être humain comme être libre et responsable.
Plus anecdotique, ou du moins plus personnel, c’est là-bas aussi que j’ai découvert Maurice CLAVEL, en lisant le Nouvel Observateur . La lecture de ses éditoriaux, ajoutée à la perception du désert, n’a sans doute pas été étrangère à ma décision de revenir ensuite au Séminaire et d’y faire de la philosophie politique. Comme quoi, même le Nouvel Obs’. peut apporter sa contribution au mûrissement d’une vocation ! Revenu au Séminaire, à Coutances d’abord, puis à Bayeux, j’y ai retrouvé mes collègues dont plusieurs rentraient de coopération. Et pour nous tous, les séjours dans ces pays étrangers ont été déterminants lorsqu’il nous a fallu prendre du recul par rapport à un événement que nous traversions en France à ce moment là : le fameux mois de Mai 68 !
A la réflexion, je ne sais pas si ces évènements ont joué un rôle aussi décisif que certains le disent sur l’évolution de l’Eglise en France. J’ai tendance à penser qu’ils ont été plus un révélateur qu’une véritable cause. Mais il est sûr qu’ils ont été suivis, chez nous, de la grande crise des vocations, au début des années 70. Crise qui a conjugué de nombreux départs de prêtres, de religieux et de religieuses avec une diminution du nombre des entrées dans les séminaires et les noviciats. Mais crise qui était déjà là, inscrite dans les courbes antérieures. (4) Je n’y reviens pas.
Quoiqu’il en soit, il reste que :
- tous ces bouleversements dans les esprits ont encore accentué les remises en question de la vocation missionnaire.
- cette crise a "vitrifié" (au sens d’une explosion nucléaire qui vitrifie et stérilise pour longtemps une région), de façon durable, des milieux chrétiens qui autrefois connaissaient des vocations et n’en ont pas connu depuis cette époque.
- cette crise a creusé un écart entre les chrétiens de France, - qui ont vécu ces événement - et les missionnaires - qui étaient loin. J’ai souvent eu l’occasion de m’en rendre compte. Et ceci joue encore un rôle important dans la difficulté actuelle, pour des missionnaires, de venir expliquer chez nous ce qu’ils vivent ailleurs, dans leurs missions.
Pour ne prendre qu’un exemple, mais il est éclairant : je pense que beaucoup de missionnaire ont découvert à ce moment-là combien il pouvait devenir difficile de se faire comprendre de leurs propres neveux ou nièces. Souvenons-nous de la manière dont la référence au marxisme a pu compliquer ces dialogues. Le missionnaire qui rentrait de Chine devait se demander parfois s’il parlait encore la même langue que ses compatriotres, quand il entendait certains d’entre eux vanter les mérites du Grand Timonier ! Il s’est alors creusé comme un fossé culturel entre les chrétiens de France et les missionnaires. Ceux-ci ne suivaient nos événements que de loin en loin, et ils ne reconnaissaient plus leur pays quand ils y revenaient pour leurs congés. Sans pouvoir développer, je pense que nous rencontrons ici l’une des difficultés à situer la vocation missionnaire auprès des jeunes.
Question : Comment renouer le fils de la mémoire entre les générations dont les références sont devenues aussi disparates ?
D’autant plus que, à cette même époque, se sont accomplies deux révolutions silencieuses (5) dans notre pays :
- l’exode rural et l’industrialisation, d’une part,
- la réforme scolaire, d’autre part.
On sait - et je n’y reviens pas - les difficultés rencontrées par l’Eglise de France pour accompagner ces mutations économiques et culturelles. Il n’est donc pas difficile de deviner l’effort pédagogique qui s’impose à nous. Nous avons à faire une véritable traduction pour dire à des jeunes, qui vivent dans un monde sans références religieuses apparentes, ce que vivent des missionnaires immergés dans des sociétés où le religieux est encore aussi déterminant. Déjà, les petits français sont perdus quand ils rencontrent d’autres Européens, de l’Ouest ou de l’Est, qui reçoivent des cours de religion à l’école ! Alors, que dire de leur étonnement devant des musulmans ou des animistes ?? Pour avoir souvent été témoin de la surprise de séminaristes, - et pourtant des séminaristes ! - affrontés à ces situations, je mesure facilement l’étonnement des jeunes français, lorsqu’ils participent, par exemple, à des voyages d’immersion dans un pays du Tiers Monde.
Je connais tel ou tel de mes collègues, parti comme fidei donum en Amérique du Sud, qui n’en revient pas encore lui-même de se voir accomplir autant d’actes aussi explicitement religieux ! Vous le voyez : sur ce point nous avons à faire, ici, en France, un travail pédagogique considérable. Nous avons respiré dans un climat intellectuel ou culturel qui reprenait, en la simplifiant, la Philosophie de l’Histoire vulgarisée par le marxisme et/ou Auguste COMTE . Après un âge religieux infantile, l’humanité doit nécessairement aborder à des rivages sécularisés. La fameuse prophétie de MALRAUX ( réelle ou supposée, mais on ne prête qu’aux riches !) sur le caractère religieux du 21° siècle, ne résout pas toutes les questions : il faut encore penser ce qu’elle veut dire.
Question : Tant que cette Philosophie de l’Histoire perçue comme un progrès linéaire et inexorable restera dominante dans les têtes de nos contemporains, il sera difficile de parler de la vocation missionnaire autrement qu’en termes résiduels : s’il y a des peuples qui en sont encore à un stade religieux archaïque, on peut aller les évangéliser. Mais pourquoi faudrait-il aller évangéliser ceux des peuples qui sont parvenus à un stade de développement économique proche du nôtre, sinon supérieur à lui ?
6 Après mon séminaire, je suis venu à Paris pour quatre années d’études et j’ai eu la très grande chance de loger dans un foyer de prêtres étudiants. Sur 45 que nous étions, il y avait en moyenne, chaque année, 25 nations différentes qui étaient représentées dans ce foyer. Pour moi ce furent quatre années bénies !
La fréquentation de ces frères prêtres, de tous les continents, m’a fait comprendre :
- que la Mission ’ad gentes ’ est loin d’être terminée. Un homme sur quatre, sinon sur trois, ne connaît pas l’Evangile ! Je n’insiste pas sur ce point, je pense que le P. Zago le fera par la suite.
- que la coopération missionnaire est évidemment nécessaire et pour longtemps. Quand on compare la situation des Eglises, il apparaît vite que, malgré notre misère, nous sommes beaucoup plus riches encore que beaucoup de diocèses de par le monde. Je ne parle pas seulement de richesses matérielles, mais aussi de richesses en moyens humains, en particulier pour tout ce qui concerne la formation. Le fait que ces jeunes Eglises aient à leur tête, de plus en plus, des évêques et un clergé "indigènes" ne doit donc pas nous faire illusion, ou masquer la réalité. La mission ad gentes et la coopération missionnaire sont encore d’actualité !
- j’ai compris aussi que, quand bien même toutes les Eglises, de par le monde entier - encore une fois nous sommes loin du compte - seraient capables de se suffire à elles-mêmes, il n’en reste pas moins que la mission serait encore constitutive du dynamisme de nos Eglises européennes, et en particulier française. Et pas seulement la coopération. La vocation "à vie" restera nécessaire pour signifier que le premier Messager du Salut, Christ, a voulu se donner sans retour. Ceci est d’une grande importance pédagogique de nos jours. On peut lire tous les jours des articles alarmants sur le retour des nationalismes, sur la "revanche des tribus," comme on dit, y compris en Europe, et sur la complicité que ces régressions politiques peuvent rencontrer dans les sentiments religieux. Eh bien, la réponse à ces craintes, parfois fondées, se trouve dans le geste de celles et ceux qui sont capables de quitter leur patrie d’origine pour s’en aller mourir au sein d’une autre culture. Ce geste atteste que l’Evangile transcende toute culture pensable et que nous n’avons pas à nous installer ici-bas comme dans une patrie définitive !
Que tous les supérieurs religieux me pardonnent si je complique leur tâche : quand un vieux missionnaire cabochard décide que ses os devront sécher sur la terre où il a été envoyé pour annoncer l’Evangile, je dis que ces os là, eux aussi, ont valeur de témoignage !
Et je me souviens de l’admiration de tel ou tel de mes confrères, à Paris, pour l’un ou l’autre de ces missionnaires. Ces prêtres étrangers pouvaient tenir des propos sévères sur la colonisation ( dans ces discussions-là , je répondais : ce que tu dis est vrai mais laisse-moi cependant te dire que tu me le dis en français ! ), mais ils reconnaissaient toujours la valeur de ces témoignages. Au contact de ces prêtres étudiants, j’ai appris à redécouvrir la nouveauté de l’Evangile, sa force de libération et l’ouverture à l’universel qu’il apporte à tous ceux qui l’accueillent.
A une époque où l’on aurait facilement dit : "à chaque culture sa religion ; pourquoi exporter la nôtre ? ", ces frères prêtres m’ont appris que nous n’avions pas à décider a priori et à leur place qu’ils n’avaient pas besoin d’être évangélisés. Claude Digonnet m’a rapporté des propos identiques, mais encore plus fermes, d’un évêque africain de ses amis.
Pour conclure sur ce point je reprendrai l’image qu’un de mes collègues au Séminaire de Caen, le P. Cancouët, aime à expliquer. Il fait remarquer que l’on donne aux fraisiers qui se forment à partir d’un autre fraisier le nom de stolon. Du grec stellein, envoyer. Apo- Stolon ! Un fraisier qui ne produit plus de stolon est un fraisier qui commence à se porter mal. Prions donc et travaillons pour que nos Eglises soient jugées dignes d’envoyer encore des Apo-stoloi !
7 Après ce détour par Paris je suis revenu dans ma Normandie natale, à Mortain précisément. Et là, pendant quatre ans, j’ai retrouvé avec bonheur mes amis spiritains de l’Abbaye Blanche. A l’époque, ils organisaient, chaque trimestre, un week-end missionnaire qui connaissait un très grand succès. Et je crois pouvoir dire que ces week-end, à ce moment là, vers 1974, ont servi de support, sinon de relais, à bien des aumôneries et mouvements de jeunes dans notre région. C’était un des rares endroits où une parole explicite, sur les questions proprement religieuses, était tenue. Je ne sais pas - est-ce mesurable ? - les retombées proprement missionnaires de ces initiatives. Mais il me paraît que notre région a beaucoup reçu, à ce moment là , de tous ces témoignages.
Malheureusement l’expérience de Mortain n’a pas pu continuer. Les Spiritains ont dû fermer ce lieu d’accueil. Ce sont les S. d. V.et les pélerinages de jeunes qui ont pris le relais. Mais ces souvenirs restent pour moi comme un bon exemple de coopération féconde.
8 De 1978 à 1990, j’ai été au séminaire de Caen. Là aussi, des liens avec les Instituts missionnaires se sont poursuivis et se sont croisés. Au séminaire nous avons accueilli un frère du Bénin et deux soeurs, une Malgache et une Camerounaise, pour une formation théologique.
La forme la plus présente de coopération était précisément la coopération dans le cadre de la D.C.C. Environ 50 % des séminaristes en situation de faire le service national ont choisi la coopération et j’ai observé que cette forme de coopération était bien utile pour le cheminement de ceux qui en profitaient.
Chaque année, j’ai aussi eu l’occasion d’héberger des étudiants venus de pays de mission. Avec cette difficulté qui va vous faire sourire. Plusieurs fois, j’ai vu arriver un étudiant africain qui me disait : " Le missionnaire, dans mon village, m’a dit ’si tu as un problème, tu vas au séminaire, ça va s’arranger’ !" Il me fallait donc honorer la parole de ce missionnaire inconnu. Mais je me suis rendu compte que l’hospitalité, en France, n’est pas toujours aussi facile à honorer qu’elle peut l’être en certaines contrées du globe !
Je peux ajouter encore que, souvent, mon Evêque, Mgr Wicquart, alors chargé de la coopération missionnaire avec l’Afrique de l’Ouest, nous faisait part de ses visites et de ses préoccupations.
Pendant ces douze ans à Caen, j’ai vu six vocations sacerdotales proprement missionnaires se déterminer pour ma région :
2 Spiritains
2 S. M. A. dont l’un est depuis rentré chez nous.
1 M. E.P.
1 Père Blanc.
Sur les six, trois sont passés au séminaire de Caen. Il a fallu parfois défendre ces vocations devant leur Evêque, mais rien que de très normal. Si l’Evêque avait laissé partir ces jeunes de gaieté de coeur, c’est peut être là qu’il eût fallu se poser des questions !
En proportion, 6 sur 54 entrées au total, soit 10 % . Cette proportion est normale mais les chiffres absolus sont insuffisants pour tout le monde.
9 Je noterai en passant, - mais comme je n’ai fait qu’un bref séjour dans ce pays, je ne développerai pas, - que j’ai eu la chance d’être invité en Thaïlande pour une session et une découverte des missions de ce pays. J’y ai beaucoup appris. Je note seulement ces chiffres :
200 000 catholiques, en 10 diocèses, pour 56 millions d’habitants.
Il est utile, pour un français, de décentrer son regard de l’ Afrique. Avec ces chiffres, l’ampleur de la tâche missionnaire en Asie n’a pas besoin d’être démontrée.
10 Depuis deux ans, dans mon diocèse, à Coutances, je constate la fatigue du
personnel pastoral et l’inquiétude, avouée ou larvée, devant l’avenir.
Je vois bien les difficultés que rencontrent les aumôneries et les mouvements de jeunes. Leurs effectifs restent évidemment très faibles. Quand on rencontre 20 jeunes sur un lycée de 2000, on dit que ce n’est pas mal ! Je vois aussi les difficultés rencontrées par la catéchèse.
On peut décrire la situation comme extrêmement grave.
15 séminaristes pour 400 prêtres dans mon diocèse. Et si l’on fait le parallèle avec les Instituts religieux, on a par exemple 18 jeunes en formation pour 811 spiritains. Ces chiffres sont 7 ou 8 fois inférieurs au taux minimum de renouvellement. Il faut en effet un taux de 2 % par an pour renouveler un corps social. il faudrait donc, par année de formation, 8 à Coutances et 16 pour les Spiritains. Les uns et les autres, nous en sommes loin.
Question : Ce déclin est-il inéluctable ?
Ce ne serait pas grave pour nos institutions, s’il ne s’agissait que de leur propre survie. Mais je n’en prends pas mon parti, car c’est grave pour le devenir des personnes concernées. Je ne prends pas mon parti d’un retour généralisé au paganisme. Car c’est là ce qui est en jeu. C’est donc là qu’il faut prendre parti pour les vocations !
Conclusion
Je ne vais pas entrer dans le détail de toutes les initiatives qui pourraient venir en réponse aux questions que j’ai essayé de repérer chemin faisant.
Au départ, je soulignerai une conviction : l’Eglise de France, et chacun de nos diocèses, possèdent encore des atouts dont il convient de reprendre conscience et de faire le meilleur usage possible. J’ai ici la liste des Missionnaires et des Coopérants de mon diocèse. En additionnant tout le monde, les chiffres sont impressionnants. Ce serait sûrement pareil dans les vôtres. Il ne faut pas se résigner à laisser ce capital d’expérience inutilisé.
Ensuite, une bonne nouvelle : les idées ont changé et la prise en compte de la vocation missionnaire est souvent mieux faite qu’il y a dix ans. Mais il faut faire en sorte que cette prise de conscience se diffuse dans le corps presbytéral, chez les chrétiens et dans l’opinion publique. Est-il possible d’agir dans les médias pour changer l’image de marque ? J’ai déjà noté cette question. Tout le monde connaît des figures de missionnaires, mais trop peu : Mère Teresa, Soeur Emmanuelle. Il y a eu le film "Mission", mais on a changé les personnages de " La Cité de la Joie". On a eu droit à des discussions légitimes mais aussi à beaucoup de persiflage lors de l’assemblée de Saint-Domingue. Tout ceci finit par composer un climat qui ne porte pas beaucoup à la réhabilitation de la vocation missionnaire.
Il est probablement plus facile et plus immédiatement possible de réfléchir à la collaboration avec les services de Catéchèse. Un effort de coopération et d’invention est très formateur pour les enfants et les adolescents. Il ne faut pas renoncer à cette dimension de leur éducation. Notre société a vécu une mutation profonde autour de l’Ecole. Celle-ci est de plus en plus contraignante ; la pression sociale et les exigences des parents sont de plus en plus fortes. Des jeunes n’ont plus de temps pour militer où que ce soit. Ces jours-ci, j’ai appris un cas extrême, mais hautement révélateur. A Caen, un père avait dit à son fils : "Si tu n’as pas ton bac, inutile de rentrer à la maison !" Il a fallu qu’un prêtre aille le reconduire chez lui, deux jours après la proclamation des résultats ! Il paraît que les ambulanciers du SAMU se tiennent en alerte dans les rues adjacentes au rectorat, le soir des examens ! On ne pourra plus s’étonner des méthodes japonaises !!
Il faudra sans doute essayer de proposer des formations théologiques pendant les vacances. L’expérience des missionnaires retrouve chez nous une réelle actualité : pensons à toutes les formes de sorcellerie, de magie, d’astrologie et de fatalisme qui refont surface dans notre pays. Ils ne seront plus dépaysés, hélas ! quand ils reviendront en France ! Sérieusement, ils pourront nous aider à un vrai travail de discernement sur le fait religieux lui-même.
Il faudra inventer aussi pour renouer le dialogue et la mémoire. Ce que j’appellerai la mémoire des Papys et des Tontons ! C’est déjà vrai dans les familles. Les jeunes ont besoin de ces repères dans le temps. Il faut donc faire mieux connaître l’expérience des missionnaires, des fidei donum et des coopérants. J’ai parlé de la rupture culturelle des années 60-70, il faut travailler à la surmonter. Il serait bon que des enregistrements vidéo gardent mémoire de ces expériences de missionnaires.
Il me paraît qu’il faut sortir des schémas : le Nord est matérialiste et le Sud est -encore - religieux. D’un côté, on ne peut pas nous accabler sous le reproche de n’être que matérialistes et en même temps nous demander de l’argent ! Réciproquement, il y a du religieux clandestin chez nous. Il faut donc aider les jeunes à se retrouver au milieu de toutes ces contradictions. Il y a là un nouveau champ d’analyse encore peu exploré.
Il y a également à faire preuve d’inventivité pour réfléchir sur les voyages. Beaucoup de jeunes en sont friands, et les conditions économiques les rendent, pour certains, plus accessibles. Mais à condition de veiller à la pédagogie : un petit français ne peut pas entrer, sans explications, dans les mentalités des pays qu’il découvre.
J’ajoute une observation : en France, il me semble que les rassemblements d’Eglise qui réunissent actuellement le plus de jeunes ont plutôt un caractère sacramentel qu’un caractère militant. Je pense à des confirmations, ordinations, pèlerinages, etc... Ceci peut se révéler fécond pour aider à redécouvrir l’originalité de la mission de l’Eglise. Comment y intégrer la dimension missionnaire ?
Enfin, je voudrais souligner la nécessité de la collaboration avec les Missionnaires pour éviter le blocage Nord/Sud. Nous avons été fabriqués, si vous me permettez l’expression, avec une boussole Ouest/Est. Les jeunes, après les évènements de ces dernières années, n’auront plus ces mêmes repères. Ils auront - je le crains ! - une boussole Nord/Sud où le Sud sera perçu comme dangereux. Nous devons contribuer à éviter aux jeunes ce malheur du mépris envers les pauvres ! Ceci est un enjeu ecclésial, mais il engage aussi l’ensemble de la société démocratique.
A cet égard, nous avons eu un exemple majeur avec le synode spécial, convoqué par le Pape Jean-Paul II, au moment de la guerre du Golfe. En réunissant des évêques originaires de tous les pays belligérants, il a donné à voir, concrètement, que l’Eglise, Témoin du Ressuscité, est aussi au service de l’unité de tout le genre humain.
L’action des missionnaires n’aurait pas sa plénitude de sens si elle ne s’inscrivait pas dans ce rappel : "homme qu’as-tu fait de ton frère ? "
Il nous faut nous entraider à donner corps à cette antique question biblique !
Hippolyte Simon
Prêtre du diocèse de Coutances
Notes
1 Cf Jeunes et Vocations N° 58 Juillet 1990 : Appeler, c’est servir une liberté.
N° 67 Octobre 1992 : Paroles d’Eglise [ Retour au Texte ]
2 C’était alors, à 15 kms de chez moi , le Séminaire pour le Scholastiquat des Spiritains. [ Retour au Texte ]
3 Récemment, nous avons vécu une "semaine de la Francophonie". Tous les médias en ont parlé. A ma connaissance, - mais il est vrai que je n’ai pas suivi tous les débats sur le sujet,- personne n’a signalé le rôle joué par les missionnaires dans le rayonnement de la langue française. Je sais bien qu’il n’est pas le but premier de leur présence "ad gentes", mais notre pays s’honorerait à reconnaître que , par surcroît, des missionnaires peuvent contribuer à ce rayonnement. Qui a appris le français à Léopold SENGHOR et à Kofi YAMYANE ? Il n’y a pas longtemps, lorsqu’on parlait de ’l’Internationale’, on pensait à une autre ! Mais il faudra bien se souvenir que celle qui a le mieux marché et qui continue encore de fonctionner, c’est la nôtre ! [ Retour au Texte ]
4 Cf. "Documents Episcopat " N° 8 et 9 . Avril - Mai 1992. [ Retour au Texte ]
5 Pour ma part, j’ai eu souvent l’occasion de mesurer à quel point cette question demeure douloureuse pour des missionnaires. Ils ont comme l’impression d’être devenus étrangers à leur pays d’origine. Il faut un grand effort de dialogue pour dépasser cette impression. [ Retou au Texte ]