Questions au Père Zago
Après avoir entendu l’exposé du Père Zago, les participants lui ont posé plusieurs questions, retranscrites ici dans le respect du style oral.
? Pourquoi n’avez-vous pas parlé du dialogue inter-religieux ?
A partir de cette Encyclique (R.M.55-57) y a-t-il des pistes d’ouverture par rapport, par exemple, aux grandes religions d’Asie ?
Le dialogue inter-religieux est un thème très important dans l’Encyclique et il est lié soit au concept du salut soit à la méthode missionnaire. C’est un thème qui parcourt toute l’Encyclique. par exemple au premier chapitre on parle du Christ sauveur, mais on dit immédiatement que le Christ, qui a sauvé toute l’humanité, qui est présent de manière spéciale dans l’Eglise, est aussi le sauveur des autres. Cela ne veut pourtant pas dire qu’il faut une conscience explicite de lui pour être sauvé. Dans le 2ème chapitre sur le Royaume de Dieu, royaume qui trouve dans l’Eglise le germe et les signes, mais qui va au-delà des frontières de l’Eglise, on parle aussi des religions non-chrétiennes. Au 3ème chapitre, en parlant de l’église primitive et en parlant en particulier du Kérygme, on dit qu’il n’y a pas seulement le kérygme adressé aux juifs mais aussi les kérygmes adressés aux Athéniens et aux animistes (chap.17 et 14 des Ac.) L’Evangile s’adresse non seulement au peuple élu mais à tous les peuples.
On y revient encore au 4ème chapitre en définissant la mission et les religions. Il est donc question du dialogue dans toute l’Encyclique, non seulement comme méthode, c’est un des chemins importants de la mission d’aujourd’hui, mais aussi en présentant tout le problème du salut, en présentant le rôle du Christ et de l’Esprit, en présentant le Royaume, en présentant les religions comme facteur positif et comme déjà une expression non seulement de la culture et de la recherche religieuse de l’homme mais aussi une expression de l’action de l’Esprit. Ceci est très important et reflète le cheminement de l’Eglise post-conciliaire, soit le cheminement théologique développé surtout en Asie, soit le cheminement pastoral de l’Eglise face aux religions non chrétiennes.
Mais je pense que nous n’avons pas encore touché, avec l’Evangile, les grandes religions, nous avons touché les religions animistes et cela avec un certain succès en Afrique et en Asie, avec les minorités, mais nous n’avons pas touché et évangélisé encore les grandes religions.
? De quoi s’agit-il exactement quand on parle de "nouvelle évangélisation" ?
Là aussi c’est un des grands thèmes de l’Encyclique. Avant tout, l’Encyclique a voulu préciser le thème d’évangélisation en donnant la priorité à l’annonce (n°44 à 47).
On a voulu affirmer que l’évangélisation est avant tout annonce de Jésus-Christ et que toutes les formes de mission tendent vers l’annonce de l’Evangile même quand on ne peut pas annoncer l’Evangile. C’est une affirmation d’ordre théologique, d’ordre existentiel pour l’Eglise, pas d’ordre pratique parce qu’on a bien des situations où on ne peut pas annoncer l’Evangile. Mais même alors on tend vers l’Evangile. Il n’y a pas de mission sans annonce.
Je cite une phrase forte à ce propos : "de même que l’économie du salut est centrée sur le Christ, de même l’activité missionnaire tend à la proclamation de son mystère" (fin du 2ème §. n°44).
Mais cela dit, l’annonce n’est pas exclusive, n’est pas un fondamentalisme. L ’annonce est d’une certaine manière la finalité de la mission, au point de vue opérationnel, mais elle s’intègre dans toutes les autres manifestations dont le témoignage avant tout est la première forme, parce que le témoignage exprime la vie, l’ être. L’évangélisation comme annonce se fait toujours aussi par le dialogue, et le dialogue n’est pas seulement avec ceux qui ne reçoivent pas l’Evangile mais toute mission se fait en forme de dialogue. L’évangélisation est encore en relation avec l’inculturation ; elle l’est enfin avec la promotion de l’homme. L’Encyclique rappelle (n°58) cette affirmation de Puebla que l’Eglise collabore d’une manière spécifique et efficace à la promotion de l’homme en annonçant Jésus-Christ parce que c’est la découverte de Jésus-Christ qui libère l’homme ; s’il n’y a pas de libération on peut même se demander s’il y a eu une vraie évangélisation. C’est un test, une manière de voir si vraiment Jésus-Christ a été annoncé.
Donc évangélisation comme annonce, c’est un thème central.
On parle aussi de la nouvelle évangélisation dans un sens très spécifique. Dans les n°33-34, regardant le monde par rapport à la foi et l’action de l’Eglise l’Encyclique décrit la nouvelle évangélisation comme activité de l’Eglise à l’égard de ceux qui ne sont plus chrétiens, mais qui l’ont été, où à l’égard de milieux de cultures qui ont été chrétiens mais qui ne le sont plus. Comme vous savez il y a deux circonstances privilégiées par le pape actuel par rapport à ce concept de nouvelle évangélisation :celle de l’Amérique latine et de l’Europe.
Le terme de nouvelle évangélisation a été employé la première fois en Amérique latine, il y a neuf ans. Parlant au CELAM, Jean Paul II a dit qu’il fallait une nouvelle évangélisation : nouvelle, comme manière, comme dynamisme et comme participation.
Ces trois mots ont été développés ensuite à Montevideo en 1987, donc en Uruguay. Et je dirai que pendant les neuf dernières années il a insisté là-dessus. Les définitions plus claires se trouvent dans cette Encyclique, comme aussi dans l’exhortation "Christi fideles" au n° 34.
On dit que la nouvelle évangélisation n’est pas un nouvel évangile mais c’est une manière d’annoncer de nouveau l’Evangile à des hommes qui vivent dans une société nouvelle. Donc il y a le besoin d’une nouvelle évangélisation kerygmatique. L’annonce doit aller à l’essentiel, mais dans une situation nouvelle, exprimée en Amérique latine par les injustices, les sectes et les changements culturels qui mettent à l’épreuve la religiosité populaire traditionnelle. En Europe la ,nouvelle évangélisation doit tenir compte d’un monde de consommation, d’un monde sécularisé, d’un monde aussi qui a une recherche nouvelle de sens culturel.
Donc on peut distinguer dans l’Encyclique l’évangélisation première qui va aux non-chrétiens, évangélisation kérygmatique nécessaire partout où il n’y a pas eu de première catéchèse. Il faut alors une annonce pour que les gens choisissent pour Jésus-Christ parce que dans un monde en changement le problème n°1 c’est le choix du christianisme.
Et il y a la nouvelle évangélisation comme effort de l’Eglise dirigé vers ceux qui ne sont plus chrétiens, dans un monde, une culture déjà touchés par l’Evangile
? Evangéliser est-ce seulement à l’égard des autres, que recevons-nous ? N’est-ce pas donner et recevoir ?
Il n’y a pas un sens unique dans la mission et à tous les niveaux. Soit dans l’inculturation du missionnaire, soit dans l’inculturation du message, soit dans l’inculturation de la communauté, soit dans la collaboration entre Eglises il y a toujours ce va et vient : donner et recevoir. Et cela nous met au coeur même de l’être chrétien qui est être de communion (cf.n°85).
? Quel lien entre développement et évangélisation, avec le rôle des missionnaires laïcs ? On a regroupé dans un même chapitre de l’Encyclique la question de la promotion de l’homme et des valeurs du royaume.Sont-elles en opposition ?
Développement et évangélisation, évidemment ça entre dans le rôle spécifique de l’Eglise. En matière de développement économique l’Eglise n’a pas de solution concrète. Mais, dit l’Encyclique, tout peut se juger à partir de la charité, source et terme de la mission : les oeuvres caritatives de la mission, l’oeuvre de la promotion humaine et tout cela. Le paragraphe 60 se termine ainsi :
"Ce sont en effet ces oeuvres qui témoignent de l’âme de toute l’activité missionnaire c’est à dire de l’amour qui est et reste le moteur de la mission et qui est également ’l’unique critère selon lequel tout doit être fait ou ne pas être fait, changé ou ne pas être changé. C’est le principe qui doit diriger toute action et la fin à laquelle elle doit tendre. Quand on agit selon la charité ou quand on est mû par la charité rien n’est désavantageux et tout est bon.’ (citation d’Isaac de l’Etoile, Père oriental du septième siècle) "
Donc c’est l’âme de la mission. La charité nous dit quoi faire : est-ce que c’est l’annonce, est-ce que c’est la promotion humaine, est-ce que c’est le dialogue, le témoignage. c’est cet amour pour Dieu et les autres. Le rôle du missionnaire est de découvrir comment Dieu agit chez l’autre pour se mettre en syntonie avec lui.
? Autour du discernement des besoins avec un exemple : à Lyon il y a, paraît-il, 300 religieuses sur la colline de Fourvière et personne à Villeurbanne. .
Quel discernement des besoins ici et là-bas ? quel critère pour la décision de fonder ou de supprimer les communautés ici ou là-bas ? N’avons-nous pas trop souvent le seul souci de maintenir des communautés chrétiennes, notamment du côté adulte ? Faut-il pour s’ouvrir à l’universel commencer par s’ouvrir au voisin, de palier ou européen, ne faut-il pas plutôt accepter d’être parachuté très loin, est-ce que ce n’est pas là un des meilleurs essais d’ouverture ?
Il y a beaucoup d’aspects dans cette question et je pense que le discernement est une attitude demandée dans les temps de mutation soit au niveau des personnes soit au niveau de l’église locale et universelle.
Je dirais qu’il y a pour le discernement deux chemins de solution ; un chemin sociologique et l’autre charismatique.
C’est à dire qu’il y a le besoin de voir les données sociologiques réelles par exemple dans une ville comme Lyon. Voir quelle est la situation de la foi, quelle est la présence de l’Eglise. Je pense que chaque Eglise doit se poser ce problème, regarder objectivement la situation sociologique. C’est vrai aussi en pays de mission. Prenons par exemple un pays comme la Thaïlande où on a une communauté chrétienne. Est-ce que l’Eglise doit s’occuper seulement de la communauté chrétienne ? Quelle présence auprès des bouddhistes ? Moi, comme supérieur d’une congrégation missionnaire, je suis très sensible à ces aspects. Donc l’importance d’une présence au Japon, au Pakistan, là où on a 0,3 % de chrétiens, non seulement pour servir les chrétiens mais aussi les non-chrétiens.
L’Eglise a un rôle de présence même si on ne peut pas convertir. C’est le rôle de la prière, du dialogue. Il faut tenir compte des besoins et de la façon dont l’Eglise va répondre non seulement aux besoins des communautés, à l’évangélisation des autres mais aussi à la promotion du Royaume par-delà les frontières de l’Eglise.
Et il y a un autre aspect qui est charismatique. Le Seigneur appelle, le Seigneur fait sentir. Il y a des hommes qui se sentent appelés à être missionnaires dans des situations spéciales, et nous devons croire à cela. Si nous ne croyons pas que l’Esprit appelle, nous ne découvrirons pas de vocations. C’est la tâche de toute la pastorale vocationnelle : croire que l’Esprit parle à des jeunes d’aujourd’hui et qu’il peut appeler. Je pourrais vous donner de nombreux exemples. J’en retiens un seulement.
On avait un missionnaire breton au Cameroun depuis 40 ans. Il travaillait parmi des musulmans au Nord Cameroun mais il avait toujours le désir d’aller travailler là où il n’y a que des musulmans. Il y a quatre ou cinq ans j’avais lancé cet appel : est-ce qu’il y a des volontaires pour le Sahara ? et lui a répondu : "depuis 45 ans depuis ma formation, je désirais toujours être Oblat, mais à la manière du Père de Foucault donc dans un milieu complètement musulman". Finalement j’ai accepté et il est parti. Il avait appris l’arabe, étudié la langue et maintenant il se trouve là, au Sahara.
C’est pour dire qu’il faut être toujours attentif au charisme. Moi je n’envoie jamais comme missionnaire dans un pays quelqu’un qui ne demande pas à y aller. Je pense qu’il y a le besoin objectif, mais je crois toujours que l’Esprit appelle.
? Comment inviter des missionnaires qui arrivent un peu déphasés, à partager ce qu’ils vivent et les aider à comprendre ce que vit l’Eglise de France ?
Comment être un pont si je suis étranger(e) à la fois ici et là-bas ?
Ce sont des questions très importantes et je pense qu’elles répondent à une manière nouvelle d’être missionnaire aujourd’hui.
Pour des missionnaires qui arrivent en France, dépaysés, je pense qu’ils doivent être accueillis avant tout, et ce n’est pas facile, même dans nos communautés religieuses. On veut toujours faire la leçon... On veut évangéliser. Je me souviens que quand on a quitté le Laos, je suis rentré à la même époque et j’ai participé à des sessions en France. Evidemment nos confrères français voulaient expliquer comment l’Eglise de France avait évolué. Mais surtout on voulait nous endoctriner avant de nous accueillir et il y a eu des blessures très fortes parce qu’on nous disait : "C’est ça la mission, qu’est-ce que vous faites là-bas ? Vous n’avez rien compris du communisme. Il faudrait être ouvert, au contraire vous avez été fermé..."
Je pense qu’il faut l’accueil des deux côtés. Il faut l’esprit de communion. Tous on a à recevoir, tous on a à donner.
Evidemment il y a aussi avec les missionnaires à leur faire connaître l’évolution de l’Eglise d’Europe, ou de l’Eglise de France, c’est tout ce problème de la formation continue.
Je pense que les religieuses en général ont fait plus d’efforts que les religieux à ce niveau. Et la formation continue s’intéresse toujours à l’évolution de l’Eglise dans les différents continents. Je pense que l’Eglise de France a beaucoup à donner et à beaucoup à apprendre aussi. C’est vrai pour l’Eglise d’Italie, c’est vrai pour l’Eglise de Thaïlande...
Comme animateurs missionnaires, sensibles à cela, je pense que nous avons un rôle à jouer. C’est faire Eglise, une Eglise qui est en marche, qui est conduite par l’Esprit, non pour opposer mais pour intégrer. C’est un des aspects importants de l’Encyclique : ne pas opposer les nouveautés, le dialogue par rapport à l’annonce, l’inculturation par rapport à la fondation de l’Eglise, mais intégrer ces diverses composantes.
Et c’est un effort, pour nous, toujours à poursuivre.
Je voudrais faire un commentaire à propos des vocations. Une constatation. Moi, je connais un peu le mouvement des Vocations en 64 pays où, O.M.I., nous sommes présents,. Je dirais que ce qui marque davantage ce n’est pas l’information. On a des pays où on fait des vidéos, des tas de produits, sans grands résultats.
Deuxième remarque : aujourd’hui les jeunes sont plus sensibles au vécu, à la vie qu’à la mission. Il y a cinquante ans, on entrait, au moins chez les Oblats, pour aller au Pôle Nord ou dans tel pays. Maintenant on entre plutôt pour vivre un genre de vie.
Troisième remarque : là où en Occident on a des vocations plus nombreuses c’est là où on a des communautés vivantes et des jeunes. Donc une expérience non seulement du témoignage d’un individu missionnaire, qui a sa valeur, mais aussi des communautés où les jeunes peuvent faire l’expérience de l’Evangile, et à l’intérieur de l’Evangile, découvrir l’appel de Dieu
Dans ma province d’origine d’Italie j’ai donné 50 obédiences en six ans, pour la mission. Et tout part d’une communauté qui a commencé en 1968, où on n’entre pas pour être Oblat, mais simplement pour faire une expérience missionnaire. Il n’y a que ce choix au départ et c’est un peu le modèle qui a été pris par plusieurs congrégations, en Italie, même s’il existe d’autres formes qu’on appelle pré-noviciat. Mais là on n’a pas voulu donner d’étiquette.
Donc je souligne l’importance de l’expérience du vécu mais d’un vécu communautaire pour qu’on puisse dire aux jeunes "Viens et vois".