Discernement et accompagnement des vocations missionnaire à vie


Troisième temps de la session : Soeur Marie de Penanster, soeur de N.D. d’Afrique, donne son témoignage sur le discernement et l’accompagnement des jeunes vers une vocation missionnaire.

Avant même d’aborder le sujet, je donne une précision sur le titre de l’intervention. Une jeune Soeur me signalait son étonnement parce que le mot "religieuse" n’était pas mentionné dans "vocations missionnaires" et ajoutait "Pour moi, missionnaire à vie ne veut pas dire automatiquement engagement dans une institution religieuse. Je connais des jeunes femmes qui ont choisi un engagement à vie dans le célibat, comme laïques missionnaires"
C’est donc important de préciser qu’ici nous allons traiter du discernement de vocations religieuses missionnaires à vie -et ad extra, bien sûr, c’est-à-dire en dehors de son propre pays.

Qui vous parle ici ?

Une Soeur Blanche selon le nom "populaire"... mais dont le nom officiel est Soeurs Missionnaires de Notre Dame d’Afrique ! Nous avons repris notre nom à la fois pour lever l’ambiguité entre "couleur et vocation" et pour éviter les faciles jeux de mots, d’autant plus qu’il y a parmi nous des Soeurs Africaines missionnaires.
De plus il se trouve que cette dénomination est en effet plus parlante à la jeune génération d’Europe qu’à leurs parents, parce qu’elle contient deux mots : AFRIQUE et MISSION.
Pourtant, si le mot Afrique fait tilt chez les jeunes...(mais une Afrique presque toujours perçue au singulier alors qu’elle est tellement plurielle, une Afrique trop souvent associée à une notion d’aide plutôt que de partenariat), on découvre rapidement qu’en France -et peut-être même en d’autres pays d’Europe- le mot Missionnaire est plus souvent perçu dans un contexte de "Mission humanitaire" que dans celui de "Mission du Rédempteur"... !

A qui donc parlent ces jeunes ?

Il n’est que d’ouvrir les enveloppes dûment adressées aux S.M.N.D.A. : oui, c’est bien à des Soeurs Missionnaires qu’on s’adresse, mais à l’intérieur on trouve une grande diversité de demandes.

- souvent une lettre dactylographiée, photocopiée ou imprimée à l’ordinateur et intitulée soit "Madame", soit même "Monsieur" ou encore les deux ensemble !

- ou encore : il n’y a pas de titre ni pour débuter ni pour finir.

- mais on trouve aussi des lettres manuscrites adressées à "Ma Mère".

- on se sert beaucoup du téléphone pour demander des renseignements sur notre "Organisme" ou notre "organisation".

L’adresse a été trouvée - je cite par ordre décroissant -

  • en premier lieu par minitel,
  • puis les "pages jaunes" de l’annuaire (qu’une jeune fille appelait devant moi "sa Bible")
  • mais aussi par un prêtre connu ou dont l’adresse est connue,
  • et bien d’autres canaux, évidemment.

Ceci en France, mais vous devinerez tout au long de mon intervention que je déborde la France, m’appuyant sur l’expérience d’une centaine de Soeurs de ma Congrégation qui m’ont répondu, apportant chacune leur petite pierre à ce sujet. Je pense cependant rejoindre d’une façon ou d’une autre les mêmes genres de demandes adressées aux différents Instituts Missionnaires.

  • Essayons don un plan : nous allons voir.
  • Qui sont ces jeunes et que demandent-elles ?
  • Dans ce qu’elles demandent : la place de Dieu ?
  • Dans un premier contact comment peut-on s’y prendre ?
  • Une vocation religieuse missionnaire à vie -ad extra- implique quoi ?
  • Il faut donc des préalables humains
  • Critères de base pour entrer dans un processus de formation
  • Discernement :
    - reconnaître ce qui va dans le sens de l’appel
    - reconnaître les contre-indications
    - identifier les obstacles qui peuvent être travaillés, surmontés.
  • inviter à faire le premier pas.

I - Qui sont-elles ?

Il est évidemment difficile de dresser une liste de toutes les jeunes qui demandent, mais elles ont entre 18 et 30 ans. Les plus jeunes sont encore aux études ou en fin d’études ; les autres ont parfois une vie professionnelle déjà assurée et gratifiante mais sentent le besoin d’un plus. Il n’y a pas de profil type mais plutôt une demande quasi générale : elles demandent à vivre une expérience.

Que demandent-elles ?

P.. écrit : "Je suis très intéressée par un poste de missionnaire en Afrique. Pouvez-vous me renseigner sur les qualifications qu’il faut avoir pour postuler un tel emploi. J’ai 23 ans et je suis secrétaire."

S.. "Cela me tenterait d’aller en Afrique pour un court séjour. Le but de ce voyage serait de me faciliter la décision à m’engager dans un projet de développement pour un plus long temps dans un pays du Tiers-Monde."

B.."Je veux participer à une action bénévole au sein d’une mission ou d’une communauté."

B.. veut partir car elle désire rencontrer les cultures, se rapprocher des gens, vivre à leur manière pour les comprendre :"C’est, dit-elle, une façon de me prouver que je suis capable d’aller au-delà de mes limites, de mon confort".

F.. au téléphone se dit "non qualifiée mais le coeur ouvert."

M.."je désire me joindre à votre lutte contre la pauvreté en Afrique."

Si je détaille un peu les différentes façons des jeunes de s’exprimer c’est que d’une part cela n’est pas étranger à la société d’aujourd’hui, au contexte français global que vous connaissez sans doute beaucoup mieux que moi, mais c’est aussi parce qu’il sera important, on va le voir bientôt, de prendre en compte leur expression pour les aider à l’amener au jour.

Quelques citations encore qui nous montreront que le mot "humanitaire" revient très souvent, ce qui n’est pas sans intérêt pour le sujet dont nous parlons.

"Voulez-vous m’envoyer une documentation complète sur votre association humanitaire et son action dans le monde ?"
"Je désire participer à une mission d’aide dans un pays africain."
"Peu importe le fond de la mission pourvu qu’elle soit à but humanitaire."
"Je veux aller aider les paumés."
"Je souhaite aller enseigner en Afrique pour travailler là-bas au contact des populations déshéritées, mais auparavant je veux découvrir l’Afrique à travers une activité humanitaire de votre organisme."

Il est intéressant ici d’entendre la réflexion d’un jeune homme français actuellement en formation chez les Missionnaires d’Afrique :
"Aujourd’hui les jeunes bougent, voyagent beaucoup, mènent une vie de plus en plus ouverte, très internationale. Avec le travail d’un été ils peuvent se payer un séjour à l’autre bout du monde. Ils voyagent parfois pour leur simple plaisir, mais souvent parce qu’ils veulent rencontrer d’autres religions, de nouvelles Eglises. N’est-ce pas parmi ces derniers que se trouvent les vocations missionnaires de demain ?
Un second élément les caractérise, je crois : les jeunes veulent essayer avant de décider.Tout les y invite : essayer une voiture avant de l’acheter, une revue avant de s’abonner, la vie de couple avant de se marier... C’est, semble-t-il, un mouvement de fond : un essai sans obligation d’achat !...Ils essaient avant de se décider ? eh bien, invitons-les à ’essayer’ notre vie en Afrique !"

II - Et Dieu là-dedans ?

B.. : "Dieu ? Non, je l’ai rayé de ma vie."
A.. : "Dieu ? Non, mais je respecte les religions."
C.. : "Ma Mère, je me pose la question de la vie religieuse et souhaiterais faire la connaissance de votre Ordre."
M.. : "Je me sens attirée par la vie religieuse mais je redoute de perdre ma liberté, attirée par l’amour humain, mais je pense que ça ne me suffit pas, attirée surtout par l’Afrique où j’ai déjà vécu un moment fort."
D.. : "Je désire partir pour rendre service. Etre tout simplement disponible, être présente, pour donner...mais donner quoi ? Pour connaître un autre pays, pour retrouver des frères. Pour réfléchir, penser, prier, Je suis preneuse de tout."
H.. : "Je voudrais donner mon temps à des personnes qui en ont besoin : pas les mourants de Calcutta, ni être seule dans un couvent...Par contre je me sens capable et motivée pour aider dans un dispensaire, dans l’enseignement."
P.. : "Je désire rendre ma vie plus intéressante. Je ne suis pas sûre d’avoir la foi en Dieu, mais je veux pourtant me rendre utile."
S.. : "J’ai le désir de servir un temps en Afrique sans avoir l’illusion d’aller sauver le monde mais pour rendre un peu à des plus défavorisés une partie du DON reçu, des talents reçus. La parabole des talents est pour moi très importante."

Il faut reconnaître qu’il y en a peu qui d’emblée expriment directement la notion d’appel, de vocation, de désir d’annoncer la Bonne Nouvelle, mais cela ne veut pas dire du tout que ce soit exclu totalement. C’est pourquoi il est si important de les aider à : verbaliser ce qui les habite -même confusément- et à relire à partir de leur vécu la façon dont elles marchent concrètement, pour réaliser ce désir.

III - Premier contact

Tout cela montre qu’il y a quelqu’un qui cherche, qui demande. Dont nous ne savons pas grand chose, et qui parfois elle-même ne sait pas exactement ce qu’elle désire, recherche.
Et c’est pourquoi le premier contact est si important. En reprenant l’exemple de P.. qui se disait "intéressée par un poste de missionnaire en Afrique et s’enquérait des qualifications pour postuler un tel emploi", une lettre personnalisée, détaillée lui a été adressée et c’est huit mois après qu’est revenu un écho significatif :
"J’ai bien réfléchi quant à ce poste de missionnaire. Ce n’est pas pour moi. Je pense qu’étant très perturbée par mes problèmes familiaux, je cherchais une porte de sortie et j’avais surtout envie de fuir, fuir pour ne plus entendre ces voix qui grondent à la maison."

Il s’agit donc d’entrer en relation avec la personne. Par téléphone, par lettre comme ci-dessus, mais si possible, car c’est vraiment mieux, dans un dialogue face à face qui permet de faire connaissance. Dans cette première rencontre on sera attentive à saisir :

  • Qui elle est et le point où elle en est...
    Où en est-elle avec elle-même ? Quelle est la façon dont elle parle d’elle ?
    Où en est-elle avec les autres ? famille - amis - son ouverture à l’autre.
    Où en est-elle avec Dieu ? Quel est son lieu d’Eglise ?... Quel est son lien d’Eglise ?

  • Partant de là, quelles sont ses attentes, ses questions ?
    Est-ce une attente qui surgit de ses réflexions, de son esprit, sa volonté "elle pense que ce serait bien de..."
    Est-ce une attente qui vient de son corps, sa jeunesse, sa fougue "ça lui dirait beaucoup de..."
    Est-ce une attente qui vient du coeur, à un niveau plus intérieur : "elle trouve important de..."

  • Quels mots emploie-t-elle ?
    "Je veux - j’aimerais beaucoup...je me sens appelée à..."

  • De quelle façon en parle-t-elle ?
    - D’une façon assurée - avec des arguments. C’est clair : elle a le projet de ...
    - D’une façon nuancée, parfois maladroite, avec des points de suspension, des silences. Comme d’un appel perçu mais dont justement elle n’est pas très assurée...elle hésite...
    Comme si ce n’était pas son projet à elle, mais le projet d’un Autre sur elle.. et c’est souvent plus difficile à percevoir et à exprimer. On tâche donc d’être attentive à saisir l’enracinement que ses paroles ont en elle et à l’aider à préciser ce qu’elle met sous ses mots.

    Tu veux... eh bien, tu veux quoi ?
    Tu désires : un désir de quoi ?
    Tu sens un appel : un appel à quoi ?

    C’est lui permettre de prendre conscience des forces qui l’habitent car ses mots doivent pouvoir se vérifier par du concret. Pour l’aider à cela, je vais aller la chercher dans son quotidien et voir, avec elle, les pas qu’elle fait déjà ici, dans ce sens-là.
    Dans son travail, sa vie de chaque jour, ça se passe comment ?
    Peux-tu me parler un peu de ta semaine passée ? de ta journée d’hier ?
    Sans doute n’y aura-t-il aucune action spectaculaire, ni grand geste humanitaire mais une série de petites actions banales, presque inaperçues : elle aura rendu un service, pris du temps pour écouter quelqu’un qui voulait parler, que sais-je ? Et je vais alors la rejoindre dans un moment récent, dans une action qu’elle a décidée et dont elle a atteint le but ! C’est là que je vais l’aider à creuser.

    Pourquoi faire ainsi ? Parce que nos forces se trouvent derrière nos décisions. Je cite ici le Père Varillon dans "Joie de croire, joie de vivre" :
    "Ma vie réelle d’homme ou de femme, ce qu’il y a d’humain dans ma vie est un tissu de décisions. Ce qui, dans ma vie n’est pas décision ou acte libre ou option, n’est rien. Or ce sont nos décisions qui nous construisent. C’est jour après jour, décision après décision que nous construisons notre vie éternelle."
    - "Ah bon, hier soir tu as fait ceci, rendu tel service : comment tu t’y es prise pour le faire ? - Qu’est-ce qui t’a amenée à faire ça ? - Qu’est-ce que tu voulais en rendant ce service ? - C’est donc important pour toi ? ça a du sens pour toi ? Quels choix as-tu faits pour rendre ce service ? Tu as dû sans doute laisser de côté d’autres choses..." Qu’est-ce qui t’a permis d’y arriver ?"
    Tu as dû rencontrer des obstacles pour y arriver ? Comment les as-tu dépassés ? - Maintenant si tu regardes tout ce que tu viens de me dire, qu’est-ce que tu vois que tu as fait ? Qu’est-ce que cela te fait découvrir de toi ?"

    Voilà les forces vitales de la personne mises en plein jour. Elles se trouvent derrière nos décisions, si petites soient les décisions prises, mais nous ne savons pas les voir. En faire prendre conscience à la personne l’aide plus à bâtir la confiance en elle que de s’arrêter à ce qui manque.

    Ce sont les faits qui m’éclaireront et éclairent l’autre, pas les émotions. En l’aidant à réfléchir sur son action accomplie, je lui permet de prendre conscience qu’elle a été en mesure de trouver les moyens appropriés pour atteindre son but.

Que cela se passe de cette façon ou de toute autre façon, l’objectif, dans une première rencontre, en essayant de saisir qui est là devant moi, et de vérifier ses capacités d’ouverture (à soi, aux autres, à Dieu) et d’engagement (moyens déjà pris).

Je prends un exemple très simple :
R..téléphone pour avoir des renseignements sur les activités d’été... On les lui envoie par courrier, puis elle retéléphone :

- "Finalement, je pense que ce n’est pas pour moi.

- Ah bon, qu’est-ce qui te fait penser ça ?

- Eh bien, je vois qu’il y a une vie de groupe et ça me fait peur.

- Attends ! qu’est-ce que tu voulais l’autre jour en demandant les informations ?

- Oui, je voulais faire quelque chose pendant mes vacances.

- En vue de quoi ?

- Ben, je ne voulais pas rester seule, mais je suis sauvage et je pense que ça sera trop pour moi.

- Une minute ! Reviens à ce que tu voulais au départ : il y a peut-être moyen de revenir à ton premier désir et de tenter l’expérience. Si c’est trop fort pour toi, tu t’arrêteras en cours de route."

Je vais la rechercher dans son objectif premier où j’ai vérifié qu’elle voulait vivre une ouverture. Je ne la laisse pas dans l’image négative qu’elle se donne, ni dans sa peur. Je la remets sur son autonomie en l’aidant à prendre une décision personnelle.

Pour moi, ça m’est indifférent qu’elle passe ses vacances à X.. ou à Y.. mais je tiens à ce qu’elle ne se laisse pas ballotter ni par ses peurs, ni par ses enthousiasmes, ni par des obligations - fût-ce même l’obligation de faire le bien - mais qu’elle se resitue dans son autonomie.

Autre exemple : "Je veux partir un an"...
En vue de quoi veux-tu partir ? quelles sont tes motivations ? Je vérifie son ouverture (à elle, aux autres, à Dieu)
Je dis bien : "en vue de quoi ?" et non pas "pourquoi ?" (le pourquoi ne m’attirerait que des théories, des belles considérations)
Elle répond par exemple "En vue de me donner"
"En vue de quoi veux-tu te donner ? Qu’est-ce que tu veux vivre ?"

C’est ce qu’on vient de voir avec l’exemple précédent de R.. : elle voulait vivre une ouverture...

Le second point à voir, à ce moment, ce sont ses aptitudes et capacités d’engagement (vis-à-vis d’elle, des autres, de Dieu). C’est-à-dire "Tu disposes de quoi pour arriver à ce but -là ?" Même si la question n’est pas posée en ces termes.

F.. écrit : "Les organismes de bénévolat n’ont fait que me répéter qu’ils avaient besoin de spécialistes : des diplômés, des chirurgiens et non de gens comme moi, puisque la main d’oeuvre ils l’avaient sur place. J’ai été très déçue. MAIS j’ai aussi compris que si je veux faire ce dont j’ai eu envie jusqu’alors, il faudra que je trouve un moyen pour y arriver."

Les émotions sont fortes, la déception aussi, mais elle se recentre sur son objectif et prend conscience qu’il y a des moyens à chercher et mettre en oeuvre pour y arriver.
N’est-ce pas l’aide la plus précieuse que nous puissions offrir à des jeunes ! Beaucoup doutent d’elles-mêmes, ou du moins disent volontiers "aujourd’hui je me sens capable de ceci, de cela - et c’est bien souvent pourquoi elles veulent obtenir une réponse immédiate - mais avouent parfois "demain je ne sais pas, peut-être que je ne pourrai plus."

C’est pour cela que la relecture sera pour elle extrêmement constructive. Il s’agit de la laisser sur son terrain, de l’aider à prendre conscience de tout ce dont elle dispose aujourd’hui, concrétisé dans ses paroles, gestes, comportements. De l’aider à voir comment elle est arrivée à poser tel acte, à faire telle demande, telle démarche. Comment elle a atteint son but ! Les forces de la personne sont dans le comment elle a vécu le fait ; ce qui lui permet alors de voir ce qu’elle a fait - c’est cela qui lui donnera force et confiance pour demain.

On ne peut pas "faire voir" à quelqu’un à partir d’idées ou d’arguments mais en travaillant les expériences. Et cela se fait par de petites questions. Une question, c’est comme une semence, ça fait surgir.

- c’est l’aider à voir qui elle est dans sa façon d’organiser son temps, de répartir ses énergies

- l’aider à reconnaître sa façon de faire, à voir si elle peut en adopter une autre.

- si elle organise son travail, ses études et comment ?

- si elle reconnaît sa contribution personnelle

- si elle la met au service des autres

- si elle a assumé des responsabilités en accord avec ses valeurs

- l’aider à voir si elle collabore, si elle dépasse les obstacles dans ses relations

- si elle prend des décisions en accord avec le sens qu’elle donne à sa vie.

Tout cela, c’est à elle de le découvrir, et on peut l’y aider. C’est donc le concret de la vie qui va nous éclairer.

D.. qui écrivait : "Je souhaite partir enseigner en Afrique" n’a pas craint de faire 400 kilomètres pour répondre au défi lancé : "eh bien viens donc parler de vive voix de ce désir qui t’habite" !... Quelque temps après, une lettre de sa part arrive :"Depuis notre rencontre, mon envie de connaître ce continent n’a cessé de croître. Je distingue à présent les différents chemins qui mènent vers ce pays et j’espère de tout coeur pouvoir en emprunter un bientôt, et faire le premier pas prochainement."
On voit que le déplacement qu’elle a fait n’a pas été seulement kilométrique !

Même chose pour M.. qui "souhaitait se joindre à notre lutte contre la pauvreté en Afrique" et a été provoquée à la fois à une réflexion pour expliciter son désir et le sens de ses mots ; puis à des pas concrets à faire d’abord, sur place, à sa mesure, pour incarner ce désir.
Car les théories doivent se vérifier. J’entends ce que sa bouche me dit et je l’accueille avec attention, respect. Mais ce sont ses pieds qui vont me dire sa conviction !
Ce qu’il y a dans sa tête, son coeur, comment cela se concrétise-t-il ? Quelles sont les décisions qu’elle prend, en conformité avec ce qui est ressenti intérieurement ? C’est la boutade d’une de mes Soeurs, qui a beaucoup travaillé dans ce domaine, et me disait : "C’est par les pieds que je reconnais une vocation !"

Bien sûr, il faudra laisser mûrir les choses. Mettre la jeune dès que possible en relation avec son Service Diocésain des Vocations si ce n’est déjà fait, en lui laissant la porte ouverte pour pouvoir parler. C’est bon qu’elle ne soit pas entre les mains d’une seule personne. C’est en Eglise que nous sommes au service des différentes vocations !

IV - Vocation religieuse missionnaire à vie

Je résume en quatre points :

  • attachement vrai au Christ
  • désir de Le faire connaître en s’insérant dans une Eglise
  • ouverture à l’universel
  • Mission vécue en communautés internationales.

 

  • Les deux premiers, je ne peux guère les séparer. Ils sont comme des frères jumeaux !
    On dit de Saint Romuald ermite "il entendit l’appel du Seigneur qui se confondit pour lui avec l’appel à la vie érémitique".
    Pour la vie missionnaire, on pourrait dire "un attachement fort à Jésus-Christ qui se confond, pour nous, avec le désir ardent de faire connaître sa Bonne Nouvelle et d’y consacrer toute notre vie."

  • Le troisième point : ouverture à l’universel.
    Etre tourné vers l’autre, non seulement par le respect et l’accueil de la différence, qui sont déjà un signe, mais peuvent se vivre sur place, sans sortir de chez soi. Tandis que pour la vocation missionnaire ad extra cette ouverture est vécue sur le mode d’une attirance très forte vers l’autre comme autre, quelque chose de puissant et joyeux qui met en mouvement vers un autre peuple, qui fait sortir de chez soi pour lier son sort à celui du peuple auquel on est envoyé, pour vivre avec lui ses joies et ses peines, sa croissance et ses insécurités. Pour accepter de souffrir et grandir avec lui, dans une proximité la plus vraie et la plus concrète possible.
    Or, dans l’Afrique d’aujourd’hui, tout autant que dans bien d’autres pays du Sud, les défis sont très forts. Beaucoup de peuples vivent dans des situations très difficiles. C’est l’Evangile qui nous pousse humblement et puissamment à aller partager leur vie.

  • Quatrième point enfin : pour nous, comme pour un certain nombre de Congrégations missionnaires : cette mission se vivra en communautés internationales et inter-raciales. Je veux dire, pas seulement au niveau général de l’Institut mais au niveau des petites cellules de base, dans le quotidien de la mission communautaire.

V - Préalables

Dès lors, on voit que, sur le plan humain des préalables sont nécessaires :

  • une certaine solidité de base, faite de bon sens (si c’est la chose du monde la moins bien partagée... ne nous étonnons pas de la voir mise en premier !)
  • un certain équilibre physique - psychique - affectif qu’il ne faut pas craindre, je crois, d’appeler "maturité"
  • une honnête confiance en soi, avec la connaissance de ses talents et limites
  • la capacité d’entrer en relation, autant avec l’autre "proche" que l’autre "lointain".
  • la capacité d’évoluer, de changer, de s’adapter
  • la capacité de vivre des ruptures fortes, mais des ruptures portées sans trop de regrets ! Que le chagrin ne l’emporte pas sur la JOIE de se savoir appelée, de se savoir sur son chemin, de réussir sa vie !

En résumé "être bien dans sa peau" : un bon enracinement humain qui permet alors :

  • de vivre la mobilité, le déplacement vers l’autre sans avoir l’impression d’un "moins-être"
  • de faire face aux défis sans vivre dans l’angoisse ni se sentir déstabilisé.

Bien sûr !... il ne faut pas tout demander au départ ! chacun de nous est un être en croissance ! Sinon, pourrait-on parler de processus de formation ? Et vous avez noté que j’ai mis beaucoup de nuances : "la capacité à". Cela revient à ma question précédente "Tu disposes de quoi pour arriver à ce but-là ?" Car il y a des aspects essentiels à vérifier pour aider la personne à s’engager dans sa route à elle, selon le plan unique d’amour que Dieu a pour elle.

A partir de cette ossature de la vie religieuse missionnaire ad extra, on peut alors parler de "critères de base pour entrer dans un ’processus’ de formation".

VI - Critères de base

- Capacité d’ouverture (aux personnes, aux situations, à ce qui est autre, différent) à laquelle est liée une capacité d’apprendre, de se laisser modifier.

- Capacité d’engagement qui sera à vérifier concrètement dans l’expérience de vie et doit être liée à une capacité de durer, de surmonter les obstacles.

- Sensibilité spirituelle. C’est-à-dire la relation à un Dieu vivant plutôt qu’à une idée de Dieu. Et un Dieu rencontré en Eglise. Un Dieu Amour que l’on veut annoncer à travers l’Eglise, Corps du Christ !

VII - Le discernement

Le discernement consistera donc à

  1. reconnaître ce qui va dans le sens de l’appel et développer ces forces
  2. reconnaître ce qui peut être une contre-indication à cette vocation précise
  3. reconnaitre ce qui peut être un obstacle à travailler, à surmonter.

1 - Un appel paraît clair quand il est greffé sur des éléments palpables.

- Une expérience d’être "saisie" par le Christ et une soif de le faire connaître :
"Je voudrais aller jusque dans les maisons les plus pauvres pour leur annoncer l’amour que Dieu leur porte."
"Me revient toujours cette parole dans mon oraison ’Jésus parcourait les villes et les villages’"
"je voudrais aller chez les peuples musulmans pour que Dieu leur porte son amour, mais sans jamais les forcer !"

Bref, toute une sortie de soi, vécue comme une JOIE.

- Bien dans sa peau, elle désire aller de l’avant, est tournée vers les autres, manifeste une capacité d’évoluer, de grandir en tout, de s’"ouvrir, de s’intégrer dans une communauté bien concrète et une église locale".
"Etre envoyée, c’est pour moi aller vers des frères et soeurs d’autres pays d’Afrique et devenir "pont" entre mon pays d’origine et mon pays adopté."

- Bien enracinée dans sa propre culture, elle n’y est pas soudée, pas rigide. Capable de souplesse... mais pas au moins de se laisser ballotter à tout vent ! Libre dans son choix, elle a déjà prouvé dans sa vie, par des actes concrets qu’elle vivait cette ouverture aux autres dans son propre milieu.

S.. dit : "Ce qui m’a aidée pour voir ma vocation : l’attrait conjoint de l’amour des petits, des gens simples, différents, éloignés, marginaux et l’attachement à la personne de Jésus. L’autre, différent, non pas vu comme une menace mais comme un enrichissement, une rencontre une ouverture, une aide réciproque pour la recherche de la vérité. Cela a commencé dans le village, la paroisse, les mouvements, la fac et l’hôpital avant même mon départ pour l’Afrique. Etant missionnaire sur place, engagée dans un milieu pauvre, j’ai dû choisir la spécificité ’ad extra’, non comme un plus, non comme une fuite, non comme un reniement de mon Eglise locale, mais pour une ouverture, un élargissement, une plus grande liberté. L’affrontement au choix m’a fait préciser mes motivations. Dans le refus du ’tout, tout de suite’ je ne me suis pas sentie ’aspirée’ mais j’ai été renvoyée à ma foi. Si l’appel vient de Dieu, si c’est un don de Dieu ça tiendra."

2 - Ce qui, pour cet appel, serait contre-indication.

Il semble que la personne n’a pas ce qu’il faut pour répondre à cette vocation, si :

- il y a absence d’engagement apostolique sur son terrain,

- fermeture aux différences déjà dans son propre pays,

- tristesse devant l’insécurité de l’inconnu, de ce qui est "autre",

- dépaysement ressenti comme un manque d’être, la nostalgie de son milieu premier, l’internationalité vécue comme un blocage de ses propres dons.

- un besoin très fort de sécurité à tous les niveaux. Tout changement est dur à vivre, elle n’est plus elle-même, elle perd ses assises, ses points de repère quand elle est dans une nouvelle situation.

- l’incapacité à vivre la solitude,

- un esprit de supériorité qui se double souvent d’entêtement. Elle envisage la mission comme un "plus à apporter" et se montre peu perméable au "recevoir" de la part de l’autre. La mission à l’extérieur est école d’humilité : "La mission à l’extérieur est école d’humilité. Humilité d’ailleurs sans laquelle le missionnaire aurait du mal à découvrir tout ce qu’il y a de beau et de bon chez l’autre malgré sa différence. Les complexes de supériorité disqualifient le missionnaire" (Citation du Père Rossignol).

- une santé fragile - beaucoup d’allergies ou de signes psychosomatiques,

- une autre spiritualité qui a besoin de beaucoup d’heures de prière, de jeûne et voit la vie missionnaire de façon négative - "Les Soeurs sont trop actives et ne prient pas assez."

- un âge trop avancé qui ne permettra pas l’adaptation et l’interdépendance dans la vie communautaire.

3 - Mais il peut y avoir des obstacles à travailler, à surmonter.

Il s’agit d’aider la personne à cheminer vers un objectif, d’une façon concrète, mais en étant très attentive à prendre en compte le facteur TEMPS.

- il faut du temps pour mûrir et laisser mûrir...

- il faut aussi savoir trancher parfois et ne pas laisser traîner la jeune dans l’illusion quand, visiblement, ce n’est pas la voie par laquelle elle pourra rendre gloire à Dieu et s’épanouir.

- on peut patienter quand on sent un désir de cheminer, un désir dynamique qui permet de mettre en marche ! D’où l’importance capitale d’identifier ce qui est déjà inamovible et ce qui est capable d’évoluer.

- on sera attentive aussi à la possibilité de la personne de gérer sa liberté : et ceci tout autant chez la jeune qui vient d’un contexte très structuré, avec peu de place pour des choix personnels, que celle qui a vécu "la bride sur le cou"... C’est là encore que le facteur ’temps’ permettra de voir, à travers la formation proposée, si elle peut développer cette capacité.

X.., venue d’une autre Congrégation demande à faire un essai chez nous car elle se sent appelée à la vie missionnaire. Mais d’elle-même, assez vite, elle se rend compte qu’elle n’arrive pas à gérer sa liberté. Son autre Congrégation était beaucoup plus encadrée que la nôtre, et elle se retire.

Y.. était en stage, passionnée, courant partout, charmante et tout à fait désorganisée. Ce manque d’équilibre la rendait malheureuse. On lui a demandé d’arrêter son stage. Très vite elle est entrée dans un monastère très strict et très structuré où, depuis, elle est visiblement heureuse et épanouie.

Z.., ardente, apôtre, rien ne l’arrête, mais très indépendante, prend des décisions pour elle-même et son travail sans en référer à personne. Ardente APOTRE, oui ! mais pas pour une vie en communauté !

Personne n’est parfait, pas plus les jeunes que nous-mêmes ! mais il y a un seuil au-delà duquel une difficulté devient un véritable obstacle, une incapacité. Cela ne peut se voir qu’avec le recul du temps, et par l’observation des effets, des fruits !
Est-ce que, à travers les efforts qu’elle fait, la personne se construit, devient davantage elle-même, ou est-ce que ses efforts l’épuisent, la détruisent ?
Cela paraît un critère important car Dieu ne peut pas nous appeler à une VIE qui... nous dévitalise !
La joie, l’élan, l’enthousiasme, le don de soi, sont des signes qui ne trompent pas. Bien sûr, il peut y avoir des temps de crise, mais si, de façon habituelle, ces signes-là manquent, il faut regarder de plus près et voir si la jeune n’essaie pas de se "forcer" à entrer dans une vie à laquelle elle n’est pas appelée... un peu comme si elle essayait d’entrer dans une robe qui n’est pas taillée à sa mesure.

Dans la collaboration S.D.V.- Instituts, j’ai un exemple qui m’a beaucoup aidée : une jeune femme a voulu prendre contact avec nous. Nous avons convenu de prendre le temps de faire connaissance et elle est venue passer une fin de semaine. Au bout de la réflexion étalée sur 24 heures, il m’était apparu assez clairement que telle n’était pas sa voie, mais, à ma grande surprise, sa conclusion était diamétralement opposée... et elle était déjà impatiente d’obtenir une date d’entrée en formation !
Je n’aime pas brusquer...et c’est toujours difficile de prendre seule une telle décision. Pourtant il m’a fallu prendre position, au moins pour lui dire que, de mon côté ce n’était pas si clair que cela !... et à ce moment-là elle a avoué que le P. X..., de son S.D.V., avec lequel je la savais en relation, mais sans plus, lui avait dit la même chose que moi !
Intérieurement cela m’a beaucoup réconfortée, vous le devinez ! Joie et nécessité d’une complémentarité en Eglise !

Je cite encore une jeune professe : "Il ne faut pas se cacher qu’il y a difficulté pour un jeune d’aujourd’hui de s’engager à vie. Cela vient d’un sentiment de peur, d’une perception négative de l’Eglise. Pour entrer dans des Instituts vieillissants. Peur aussi de ne pouvoir vivre radicalement l’engagement avec les pauvres auxquels ils se sentent appelés... peur de se laisser manger par la structure..."

Et pourtant elles affirment combien la rencontre d’un témoin de l’Eglise et des expériences vécues en Eglise les ont aidées :

- la variété des engagements vrais et des rencontres vraies dans et hors de l’Eglise,

- les retraites accompagnées,

- la formation reçue dans les mouvements d’Action Catholique,

- les rencontres inter-candidatures (un week-end par trimestre pour les jeunes aux études)

- l’aide à la recherche du vécu qui prend au sérieux notre désir missionnaire et nous aide à l’ étayer. "Pour moi, dit-elle, l’accompagnement n’est pas seulement un lieu de vérification d’une vocation mais bien plutôt un lieu de construction -c’est un long apprentissage pour apprendre à se connaître, à s’ouvrir à l’autre, à Dieu."

Et c’est là qu’on perçoit l’importance de rejoindre les jeunes là où ils vivent, font une expérience spirituelle (pélés, groupes de cheminements, de prière). Importance de prendre le temps de cheminer avec eux, de découvrir peu à peu leur "désir de Dieu", leur "désir d’être missionnaire" de poursuivre toute une pédagogie d’initiation, de choix, vu l’éventail des états de vie et de vocation

- une jeune signale l’importance de la neutralité de celui qui accompagne les premiers pas dans le choix. Elle disait d’autre part avoir ressenti un manque de lien entre le "spirituel"(la formation spirituelle), proposé par son S.D.V. et la vie apostolique qu’elle désirait.

- un point serait encore à vérifier : un trop court laps de temps entre la conversion à Jésus-Christ et le "vouloir partir l’annoncer" au loin. Car chez certaines il y a eu clairement l’expérience de conversion, de rencontre du Christ devenu soudain - ou petit à petit - quelqu’un pour elles. Mais y a-t-il vraiment pour autant appel à la vie religieuse missionnaire ? La seule façon de le vérifier sera de lui faire vivre à plein ce qui est proposé dans une première étape et de discerner à partir de ce qui se passe... ou ne se passe pas !

Et c’est pourquoi il faut proposer à un certain moment, de concert avec le S.D.V., de faire un pas de plus dans une première étape, sachant que ce n’est que le début d’une formation.
Pour notre Institut, par exemple, il y a une première année dans le pays d’origine vécue en communauté, avec un travail à mi-temps. -Puis le postulat international d’un an, en Afrique. - Après quoi elles font un stage de 2 ans comme postulante dans une de nos communautés d’Afrique et ce n’est que la cinquième année que le noviciat viendra englober et confirmer tout l’acquis précédent !

Pour conclure

discerner un appel de Dieu, accompagner quelqu’un dans une recherche de vocation, c’est le plus beau métier du monde ! à la fois difficile et merveilleux- épurant et enthousiasmant.

- Dépouillant oui, car on ne sait pas très bien comment s’y prendre : chaque personne est un mystère et sa relation à Dieu ne nous appartient pas. On ne mesure pas l’écho qui retentit dans le coeur de l’autre. De plus on ne sait pas toujours, après, vers où le jeune continue sa route. Souvent même on n’en entend jamais plus parler.

- Exaltant pourtant ! Ah oui ! parce qu’on est au service de la vie. La vie d’une petite graine dans le coeur d’un fils ou d’une fille de Dieu !
Parce qu’on croit vraiment que c’est un service rendu qui en vaut largement la peine. Aider quelqu’un, c’est aider dans la gratuité. Une Soeur travaillant en pays musulman disait qu’on était provoqué à aimer le Seigneur pour lui-même et non pour ses confitures..." C’est tout à fait valable pour nous dans ce beau travail.

Oui, c’est gratifiant pour nous tous d’être au service de quelqu’un qui recherche le Seigneur !

Soeur Marie de Penanster
Missionnaire de Notre-Dame d’Afrique, originaire du diocèse de St-Brieuc