L’unité d’une vie donnée


Dans un tout autre style, Soeur Marie de Penanster nous propose ce texte sur la vocation missionnaire. Destiné à être présenté avec diapos à un groupe de jeunes - à l’occasion du centenaire de la mort de Lavigerie, fondateur des "Pères Blancs et Soeurs Blanches" - cet écrit décline les points fondamentaux de la vocation missionnaire. Autre façon, peut-être, de répondre à la question des "critères de discernement" !

Du tablier du serviteur...
au tablier du pont : l’unité d’une vie donnée !

- l’appel et l’attirance

- l’envoi aux autres peuples à la suite du Christ

- l’humilité si nécessaire au messager

- la force de la vie communautaire

- le coeur de la mission : la relation, vécue au quotidien

- Enracinement-déracinement : une joyeuse vocation de pont !

En résumé : du tablier du serviteur...
au tablier du pont : l’unité d’une vie donnée.

Une équation : Va + Viens = J’y vais !

Tout a commencé par une addition... ou une confrontation de deux paroles entendues :

  • l’une, qui vient du plus profond de moi, petite graine, qui en germant, fait éclater la platitude de mon sol : "Va voir là-bas... J’y suis !"
  • l’autre, qui vient de très loin et me supplie :
    "Passe la mer et viens à notre secours !" (Ac. 16.9)

Du choc de ces deux élections a jailli un dynamisme, un bouleversement pour 9 149 hommes et femmes Missionnaires de Notre Dame d’Afrique, (fondés en 1868 par le cardinal Lavigerie), qui ont dit OUI à une vie secouée, déplacée, transformée, enrichie. Parmi eux, 3 864 sont encore bien vivants !

Des "personnes déplacées" ?

Eh bien oui ! "Va, descends, pars sans hésiter !" (Ac. 10, 20)
Sortir, se déranger, quitter... c’est à l’apôtre de bouger ! Notre modèle ? JESUS, qui n’a pas réclamé dans l’agressivité d’être l’égal de Dieu. Il s’est déshabillé de sa divinité pour revêtir le tablier du serviteur et être à la hauteur du plus méprisé. Ainsi, Il a pu mettre tout homme debout, comme fils de Dieu, derrière LUI, LE FILS.

Sable + Roc = Socle

C’est beau tout ça !... Mais "qui suis-je pour aller trouver mes frères" ?
Dieu, c’est le Roc. Lui, mon rocher, ma forteresse !

Tandis que moi, par nature, je ne suis que sable...
Mais ce qui est en mon pouvoir, c’est d’offrir mon sable au Roc pour qu’il en fasse un socle !

Le socle ? ce n’est pas la statue, mais ç’en est le support
ce n’est pas la maison, c’en est la fondation
ce n’est pas le tableau d’art, c’en est la présentation.

Jean-Baptiste, modèle du missionnaire, tu dis "je ne suis pas" pour qu’on ne s’y trompe pas (Jn I, 20)
Tu dis "je ne suis pas" pour désigner "JE SUIS".
Tu n’es que fondation qui disparaît dans ta prison. Décapité, tu parachèves ta mission : ton doigt reste pointé vers Celui qui est la Tête du corps entier.

La Communauté...

- Un joyeux mélange de manques et de débordements où chacun s’exerce à poser sa bosse dans le creux du voisin, et à offrir ses creux pour absorber les bosses !
C’est avec tous ces "plus" et ces "moins" qu’on obtient une piste tout-terrain, ma foi fort praticable, une route de brousse où il fait bon marcher ! Nos différences ? mais c’est le sel de la sauce !

- Un vitrail : assemblage hétéroclite de petits bouts de verre, drôle de fenêtre obscure la plupart du temps, écran pour l’air et la fraîcheur : à quoi sert-il donc ? un vitrail n’est beau que s’il est transpercé. Sa raison d’être, c’est de se laisser traverser : il est alors transfiguré.
C’est une source unique de lumière qu’il va capter, mais il va la transmettre en la différenciant. Face au soleil, il n’est qu’ "agent de la circulation"...mais, grâce à lui, chaque personne assise dans les ténèbres recevra la couleur de lumière dont elle a personnellement besoin.

- Communauté rassemblée, communauté dispersée. Circulation et itinéraire pour mettre en marche la PAROLE, pour la porter à toute créature !

La Mission

Une mise en acte de la relation.

Visite d’amitié, on se salue, on bavarde un peu -dans une langue commune- simple visite, et on se quitte !
L’Incarnation n’a-t-elle pas commencé comme cela ? L’Ange entre chez Marie, l’humanité de Dieu frappe à la porte et dit : "S’il te plaît, est-ce que je peux entrer chez toi ? est-ce que je peux entrer en toi ?"
Et Marie a dit OUI. C’est comme cela qu’a commencé le Salut du Monde. C’est comme cela que se poursuit l’Incarnation ! Rejoindre les personnes dans leur vécu, vivre avec elles leurs situations humaines, visites reçues, visites rendues, travail ensemble... Un "oui" qui met en mouvement, un "oui" qui produit du fruit.
Une parole qui agit, et une action qui parle : comme un feu de brousse se propage le Salut !

Et voilà que la visitée devient visiteuse. La graine qui germait dans le coeur de l’autre avant mon arrivée se met à bondir, se met à tressaillir ! Nous nous donnons l’un à l’autre de grandir.

Mutuelle fécondité de nos visitations ; maternité, paternité données en plénitude -non pas enfantement - et pourtant... je songe à notre présence missionnaire qui a permis à 22 Congrégations de naître, vous, mes 4 000 Soeurs africaines !
Maternité émerveillée !

Emerveillement du don mutuel, où l’on ne sait plus qui donne et qui reçoit, car chacune à son tour est la source et la coupe.
Merci, mon frère, ma soeur d’Afrique qui si souvent as partagé avec moi l’eau de ton propre puits.
Tu m’as dés-altérée, tu as ôté l’altérité qui m’éloignait de toi, tu m’as accueillie, tu m’as rendue proche de ta vie !

"Faites circuler !..."

Profondément enracinées en Christ et dans l’amour des peuples africains, nous pouvons accepter d’être -plus ou moins souvent- déracinées par le Souffle du Vent !
C’est notre Exode, c’est notre Pâque : celle qui rend possible la durée dans l’insécurité ; celle qui insuffle l’audace des recommencements !

Au début, tu étais pirogue légère, qui s’est laissée façonner, creuser, évider, au service de tes frères. Et te voilà devenue pont entre deux rives, au-dessus d’un torrent ou d’un long fleuve tranquille... Mais ce pont n’a pas surgi par miracle. Il a fallu creuser de part et d’autre dans chaque berge pour y bâtir les arches qui porteront le tablier. Un vrai pont est fortement ancré des deux côtés de ce qu’il prétend relier.
Jésus, le Pont par excellence, a relié ciel et terre sans lâcher l’un et l’autre.

A nous de vivre paisiblement cette double appartenance qui permet d’enrichir chaque berge de ce qui est vécu sur l’autre.
Et que le pont garde son tablier ouvert à la circulation ! Il n’y a rien de plus contraire à l’esprit missionnaire que de couper les ponts derrière soi !