Message de l’Assemblée générale des MEP


Au moment où nous achevions ce numéro, nous est parvenue cette déclaration du chapitre de la Société des Missions Etrangères de Paris. Il trouve ici une place toute naturelle, comme l’écho direct de la vie d’un Institut missionnaire aujourd’hui.

Chers confrères,

Une Assemblée Générale n’est pas seulement destinée à prendre quelques décisions concrètes et à élire un Supérieur Général et ses assistants. C’est surtout l’occasion de nous resituer devant notre mission et de faire le point sur nos orientations. C’est ce que nous avons essayé de faire à la lumière de l’Esprit. Beaucoup ont prié pour nous durant cette Assemblée. De nombreux monastères nous ont assuré de leurs prières. Vous l’avez fait aussi. Nous-même avons essayé de nous mettre en attitude de prière par la retraite inaugurale et par la prière commune qui a rythmé nos réunions. C’est ce retour au coeur de la Mission que nous voudrions partager avec vous.

1 Situation

1.1. Devant Dieu
C’est d’abord devant Dieu que nous avons voulu nous situer. L’Evangile est "force de Dieu pour le salut" (Rom.1,16). La Mission n’est pas notre entreprise. C’est le projet de Dieu à l’oeuvre dans le monde, depuis les origines, avec toute la puissance de l’Esprit créateur. C’est son Règne de vérité, de justice et d’amour que Dieu fait triompher sur les mensonges, les oppressions et les haines. C’est la gloire de Dieu qui rayonne sur l’univers malgré les laideurs qui défigurent l’homme et le monde.
Parce qu’elle est oeuvre de Dieu, la Mission nous dépasse. Ses horizons sont toujours "infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons demander ou concevoir" (Eph.3,20). Sa puissance surprendra toujours nos faiblesses humaines. C’est en cette force de Dieu que nous mettons notre foi et notre espérance. Cette espérance est donc indéfectible, quels que soient les échecs et les difficultés : "Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?" (Rom.8,35).

1.2. Devant les Nations
Envoyés comme serviteurs de l’Evangile aux Nations, nous nous replaçons aussi devant ces peuples auxquels nous avons été envoyés, en Asie et dans son prolongement dans l’Océan Indien, masses humaines gigantesques qui constituent 60 % de la population du globe.

1.2-1.Au contact de ces peuples, il nous a été donné d’admirer un raffinement culturel, qui est souvent le fruit de millénaires de développement philosophique et religieux, artistique et scientifique, et de nous laisser imprégner par la profondeur de leur sens religieux, leur sagesse, leur respect de l’autre et de la nature. Notre rencontre avec les grandes religions de l’Asie comme avec les religions des esprits et des ancêtres nous a marqués et nous a aidés à saisir de nouvelles dimensions de notre foi.
Cette sagesse de la culture asiatique va de pair avec une modernité audacieuse dont le signe le plus évident est le dynamisme scientifique et économique des anciens et nouveaux "dragons" orientaux.
Mais peut-être plus encore que l’essor économique, la richesse de l’Asie est dans sa jeunesse. Les statistiques nous disent que 34 % de la population de l’Asie a moins de 15 ans et 50 % moins de 20 ans. Nous n’avons d’ailleurs pas besoin de statistiques pour nous sentir interpellés par ces milliers de jeunes qui se pressent dans les écoles et les villages, ou dans les rues des grandes villes d’Asie. En voyant ces masses de jeunes asiatiques, comment douter que là est le creuset où se forge l’avenir du monde ?
C’est une expérience exaltante que de se trouver mêlé à cette vie bouillonnante. Dans cette histoire millénaire, ces cultures, ces religions, ce dynamisme et cette jeunesse, nous reconnaissons "l’image et la ressemblance" du Créateur. Nous y voyons, émerveillés, la main de Dieu ; nous reconnaissons dans leur prière et leurs rites la liturgie universelle des peuples qui louent le Seigneur (Ps. 117, 1), de la terre entière qui l’acclame avec des cris de joie (Ps. 100, 2 ; 98, 4). Nous percevons dans cet élan les pas du Dieu qui vient et établit son Règne dans le monde, l’oeuvre de l’Esprit qui donne la vie.

1.2-2. Cependant la vue de ces merveilles ne nous rend pas aveugles à l’autre face du monde asiatique. Ces masses immenses sont en partie victimes de la pauvreté. Cette jeunesse est souvent désorientée et se sent écrasée par un développement économique sauvage et dégradant pour l’homme et la nature. Analphabétisme, paupérisme et maladies, enfance exploitée et femmes opprimées, vie déshumanisée des bidonvilles et des grands ensembles des mégapoles, rejet des hors-castes, qu’ils soient "dalits" ou "burakumin", affrontements sanglants au nom de la religion, de la langue ou de l’ethnie, suppression des libertés et des droits de l’homme, mépris de la vie, guerres larvées ou déclarées avec leurs cortèges de réfugiés et de sans abris, et, en arrière-plan, les grands déséquilibres économiques internationaux, "les situations de néo-colonialisme économique et culturel" déjà stigmatisés par la lettre de Paul VI sur l’Evangélisation (§.30) : tout cela fait aussi partie du paysage dans les régions où nous travaillons.
Il serait facile d’allonger encore la liste de ces désordres. Il ne s’agit pas pour nous d’une simple déclamation démagogique mais d’une expérience qui nous mine de jour en jour. Car nous nous sentons solidaires de ces peuples dont nous partageons les joies et les fiertés mais aussi les angoisses.
Parmi eux et avec eux, dans la foi, nous rencontrons le Christ en agonie jusqu’à la fin des temps et nous y entendons son cri apparemment désespéré sur la Croix. A ce cri a répondu la Résurrection et, comme le disait l’un de nous aux funérailles d’une victime des émeutes de Nouvelle Calédonie, depuis la mort de Jésus en croix il n’y a pas eu d’appel angoissé que Dieu n’ait pas entendu et auquel il n’ait pas répondu en faisant partager "la puissance de la Résurrection" de son Fils (Phil.3,10).
Aussi, si devant cette masse de détresse, nous nous sentons bien faibles, "ne sachant qu’espérer, nous ne sommes pas désespérés" (2 Cor.4,8). Nous savons que le gémissement du monde est travail d’enfantement et que "soumise au pouvoir du néant, la création garde l’espérance d’être libérée de la servitude destructive pour avoir part à la liberté et à la gloire de Dieu" (Rom.8,20-22). Cette confiance en la force divine, victorieuse de tous les esclavages, du désespoir et de la mort, telle est la Bonne Nouvelle que Jésus, par son ministère et surtout par sa mort et sa Résurrection a apportée aux pauvres et qu’il nous a léguée pour la transmettre.

2 Cheminements

Envoyés comme serviteurs de cette Bonne Nouvelle, nous nous sommes mis en route. Certes, le temps n’est plus où nos aînés mettaient des mois, voire des années pour rejoindre l’Asie. Cependant la route de l’Asie reste encore une aventure et fait de nos vies un cheminement..

2.1. Itinéraires et Itinérance
Pour certains, l’aventure fut bien concrète et les mena dans les prisons de Chine, du Vietnam et du Brésil ; au fil des expulsions, elle les entraîna dans des exodes parfois répétés.
De toute façon, notre vie missionnaire est un exode continu, un itinéraire intérieur fait :

- de rupture : tout départ exige un déracinement linguistique, culturel et religieux.

- et d’enfouissement dans un nouveau peuple, sa langue, sa culture, ses rythmes et ses façons de voir et de réagir. Appelés à nous laisser transformer en profondeur, nous sommes travaillés et façonnés de l’intérieur par ceux au milieu de qui nous vivons.
La vie missionnaire est donc marquée par "l’itinérance", une mise en route continuelle qui suit l’appel d’Abraham (Gen.12,1) et l’exode d’Israël au désert, à la suite de Jésus qui invitait les disciples à "aller ailleurs" (Mc. 1,38) et "n’avait pas lui-même où poser la tête" (Mt.9,20). Ainsi notre vie missionnaire est-elle un cheminement en compagnie du "Dieu qui vient" (Apoc.1,4.8), pour aller à la rencontre et marcher avec les hommes d’Asie et de l’Océan Indien, pour retrouver les voies de l’Esprit dans leurs cultures et leurs religions et faire converger leurs chemins vers celui qui est la Voie, Jésus-Christ.

2.2. Pauvreté qui nous enrichit
Cet itinéraire est celui de la pauvreté :

-  pauvreté matérielle d’une vie simple et parfois dure

-  pauvreté sacerdotale d’une disponibilité totale aux autres, d’une vie donnée

-  pauvreté en solidarité avec les pauvres, leurs angoisses et leurs luttes, solidarité qui fait du missionnaire l’homme des Béatitudes (R.M.91)

- pauvreté spécifique au missionnaire étranger qui demande une dépossession en profondeur de nos façons de voir, de nos habitudes et même de bien des certitudes. Il y a grande pauvreté à vivre dans l’insécurité de l’étranger, à devoir s’exprimer continuellement dans des langues trop riches et complexes pour être maîtrisées parfaitement, à entrer dans des mondes nouveaux où nous nous sentons gauches et ignares.
Pour employer les mots de St Paul, cette dépossession est la façon pour le missionnaire de vivre pleinement la "kénose" du Christ Serviteur, son "dépouillement total de soi..., l’anéantissement empreint d’amour et qui exprime l’amour" (R.M.83)
Mais la kénose du Christ mène à la Résurrection, à une nouveauté de vie. Dans l’aventure missionnaire, nous en faisons l’expérience concrète. Ayant laissé maison, famille, patrie et milieu culturel à cause de l’Evangile, nous recevons dès maintenant le centuple, dès maintenant, au temps présent (Mc.10,30).
Apprendre d’autres langues, s’initier à une culture et à une sagesse étrangères est une vraie découverte. C’est une expérience exaltante que de dire Dieu et de l’adorer dans des langues nouvelles. La vie au milieu d’autres peuples nous libère de bien des étroitesses, préjugés et faux absolus. Elle élargit notre esprit et notre coeur. Nous sommes enrichis des richesses spirituelles des Nations. Nous recevons beaucoup de la façon originale dont les Eglises d’autres continents vivent leur foi ; en partageant cette vie, il nous est donné de faire l’expérience concrète de la communion d’Eglises qui fait la vraie catholicité. Ainsi, de jour en jour, notre vie missionnaire nous fait saisir "l’incomparable richesse de sa grâce" (Eph.2,7) et nous ouvre à cette plénitude.
Dans cette perspective, c’est comme un signe de "résurrection" que nous avons reçu, durant l’Assemblée, la nouvelle de la nomination de Mgr Ramousse comme Vicaire Apostolique de Phnom Penh. Nous touchons du doigt "la puissance de Sa Résurrection" quand nous voyons renaître cette Eglise qui paraissait anéantie.

3 Orientations

Nous étant replacés aux sources profondes de la Mission, nous pouvons maintenant faire le point sur ses orientations.

3.1. Rejoindre l’action de Dieu
Jésus invitait ses disciples à lever les yeux et voir "les champs déjà blancs pour la moisson...Je vous ai envoyés moissonner ce qui ne vous a coûté aucune peine" (Jn.4,35s). Si la Mission est d’abord agir de Dieu avant d’être entreprise humaine, il nous faut d’abord, avant d’établir des priorités pour notre action, rejoindre cet agir préalable de Dieu, engranger la belle moisson que Dieu lui-même, par son Esprit, a semé et fait croître et qui est déjà là devant nos yeux, qui nous attend. "Travailler pour le Royaume signifie reconnaître et favoriser le dynamisme divin qui est présent dans l’histoire humaine et le transforme" (R.M.15). C’est dans cet esprit qu’il nous faut comprendre le double dialogue avec les cultures et avec les pauvres.

3.1-1. Dialogue
Le dialogue interreligieux n’est donc pas une attitude tactique destinée à se gagner des sympathies. C’est un acte de foi en la priorité de l’action divine. Comme nous le rappelle R.M., l’Esprit protagoniste de la Mission nous précède dans la Mission : il n’y aurait pas d’écoute de l’Evangile si l’Esprit d’abord n’agissait dans les coeurs. Cela ne "concerne pas seulement les individus, mais la société et l’histoire, les peuples, les cultures et les religions (R.M.28). Le dialogue interreligieux est donc demandé par le profond respect qu’on doit avoir envers tout ce que l’Esprit ’qui souffle où il veut’ a opéré en l’homme" (R.M.56). De fait, comment ne pas percevoir le souffle de l’Esprit dans le sens du divin en Inde et de l’absolu de Dieu dans l’islam, la sagesse confucéenne, le détachement bouddhique, l’aspiration à l’harmonie du shintoïsme japonais, l’enracinement dans une lignée vitale à Madagascar ?

3.1-2. Engagement avec les pauvres
Le dynamisme divin est particulièrement actif chez les pauvres. Dieu qui, déjà dans l’Ancien Testament, s’identifiait à la cause des pauvres, (Ex.22, 20-26), en Jésus-Christ, s’est fait un avec eux (2 Cor.8, 9). Le cri des pauvres est un appel de Dieu. L’engagement de solidarité avec les masses asiatiques, le dialogue de vie et d’action avec leurs efforts est aussi une façon de rencontrer Dieu, de recevoir sa présence et ses dons : "Tout ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait" (Mt.25, 41).
"Il faut donc souligner l’importance du dialogue pour le développement intégral, la justice sociale et la libération humaine. Les Eglises locales, comme témoins de Jésus-Christ, sont appelées à s’engager dans ce domaine... Il faut qu’elles se mobilisent en faveur des droits de l’homme, qu’elles proclament les exigences de la justice, et qu’elles dénoncent les injustices..." (Document du Conseil Pontifical pour le Dialogue et de la Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples sur "Dialogue et Annonce", 19-05-91 : "Documentation Catholique", oct.91, p.881, n°44)
Ces efforts pour la justice portent la marque du "Christ Ressuscité qui agit déjà dans les coeurs par la puissance de l’Esprit non seulement en inspirant le désir du monde à venir mais en avivant, purifiant et renforçant les aspirations de l’humanité pour une vie plus humaine" (Gaudium et Spes, 38).

3.2. L’annonce de l’Evangile
La moisson demande des ouvriers (Mt.9,38). La puissance de la Résurrection doit être annoncée aux pauvres, la Bonne Nouvelle à laquelle ils ont droit. C’était la mission de Jésus (Lc.4,18s) ; c’est aussi celle des disciples, la nôtre (Lc.9,1-6).
Cette évangélisation se fera par la multitude des chemins de la Mission décrite au ch.4 de R.M. :

- l’annonce directe qui a "en permanence la priorité de la Mission" (R.M.44). Nous pourrions donc mettre en exergue de notre programme missionnaire la prière de St Paul en Eph.6,19s : "Que la Parole soit placée en nos bouches pour annoncer hardiment le mystère de l’Evangile...Priez donc afin que je trouve dans cet Evangile la hardiesse nécessaire pour en parler comme je le dois".

- Mais les autres "chemins" complémentaires ne sont pas moins importants :

le témoignage de vie car "l’homme contemporain croit plus les témoins que les maîtres" (R.M.42)
la formation des Eglises pour en faire à leur tour des communautés missionnaires car c’est l’Eglise locale qui a la responsabilité de la Mission (R.M.48)
le travail de développement et de conscientisation tant du côté des pauvres pour soutenir leurs efforts (R.M.58) que du côté des riches en leur rappelant que ce qui compte n’est pas plus d’avoir mais d’être et que la lutte contre la faim passe par une conversion du style de vie des nantis (R.M.59)
la charité comprise au sens le plus profond qui fait de l’amour "le moteur de la Mission" (R.M.60)
la présence priante et silencieuse même si aucune action directe n’est possible.

- Enfin, et surtout, ce qui importe, c’est l’authenticité de vie chrétienne, la disponibilité du serviteur à l’action du Maître, sa malléabilité à la puissance de l’Esprit, la transparence de l’apôtre à la "splendeur de Dieu" :
"Nous tous qui, le visage découvert, reflètons la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés dans cette même image, avec une gloire toujours plus grande par le Seigneur qui est l’Esprit... Car le Dieu qui a dit : ’que la lumière brille au milieu des ténèbres, c’est lui aussi qui a brillé en nos coeurs pour faire resplendir la connaissance de sa gloire qui brille sur le visage du Christ’
(2 Cor.3,18 ; 4,6). Le vrai missionnaire, c’est le saint" (R.M.90).

3.3. Les horizons de la Mission
L’une ou l’autre forme d’engagement missionnaire dépendra surtout de l’Esprit à travers les situations et les charismes personnels. Lorsqu’on fait le bilan des activités des membres des Missions Etrangères, on ne peut qu’admirer la variété des dons et des chemins, depuis la présence au monde scientifique de la recherche jusqu’à la vie monastique et érémitique, de l’action dans les camps de réfugiés de Thaïlande jusqu’à l’aide aux réfugiés en France et en Amérique, des mégapoles industrielles du Japon aux tribus de l’Inde ou de la frontière birmane, de la participation à la recherche théologique des Eglises d’Asie à l’animation des mouvements de jeunes, des prisons du Brésil aux collèges universitaires, de Madagascar à la Corée, de la France aux Etats Unis, c’est tout un éventail de tâches bien différentes : l’uniformité et le conformisme n’appartiennent pas au profil M.E.P. !
Ceci illustre concrètement la variété des horizons de la Mission analysée par R.M. au ch.4 : variété des horizons géographiques de par le monde mais aussi nouveaux horizons sociologiques dans les "nouveaux mondes" de notre âge, les grandes cités, les migrants et les réfugiés, les camps et les bidonvilles, sans oublier les "nouveaux aréopages" que constituent le monde de la communication, l’engagement pour la paix et les droits de l’homme, la culture, la recherche scientifique : "Notre époque est tout à la fois dramatique et fascinante" (R.M.38), conclut cette analyse. "Dramatique", certes, et nous portons particulièrement le souci des Eglises où notre présence a été interrompue, en Chine, en Corée du Nord, au Laos, au Vietnam et en Birmanie. "Fascinante" car, en regardant les mondes de l’Asie, nous réalisons comme le dit l’Encyclique, que "la Mission ne fait que commencer" (R.M.30).

3.4. En lien de communion avec les Eglises locales

3.4-1. Dans et avec l’Eglise locale
Naguère "pays de mission", les communautés chrétiennes d’Asie sont devenues des Eglises locales. L’Evangélisation n’est plus confiée aux Sociétés missionnaires, elle est prise en charge par ces Eglises. Loin de nous attrister de "perdre des territoires", nous nous réjouissons d’avoir vu les Eglises d’Asie et de l’Océan Indien croître et atteindre l’âge adulte. Nous ne portons pas la nostalgie des relations anciennes de "mère" à "fille" et de "maître" à "disciple". Nous tenons à respecter la prise en charge d’elles-mêmes par les Eglises d’Asie. Nous n’avons qu’un désir, c’est de servir la Mission dans et avec les Eglises locales.
Cette intégration profonde correspond à l’intuition fondamentale qui a motivé, aux origines de la Société, l’envoi des Vicaires Apostoliques en Asie pour y ordonner des prêtres et d’autres évêques et ainsi établir des Eglises. Cette référence à l’Eglise du lieu est restée la grande tradition de nos devanciers et cette tradition s’est épanouie dans la situation actuelle où nous sommes souvent très minoritaires dans le presbyterium des diocèses où nous travaillons. Si nous sommes tentés de nous demander : "A quoi sert-on quand on ne sert plus à rien ?", la réponse est simple : "A servir !".
C’est dans cet esprit qu’en 1986 nous avons décidé de soutenir les Instituts missionnaires fondés par les Eglises locales. C’est dans le même esprit que nous accueillerons maintenant, dans notre Société, des prêtres originaires de ces Eglises. Il ne s’agit pas de "recruter", de nous servir au vivier des vocations abondantes en certains pays. Il s’agit plutôt d’offrir le service de notre Société pour l’épanouissement missionnaire des Eglises locales si elles le désirent, là seulement où elles le désirent, quand elles le demandent.
Cette insertion dans l’Eglise locale nous permet aussi de dépasser le dilemme parfois posé entre activités missionnaires et pastorales. Ce dilemme nous paraît faux. Comme nous le rappelle la F.A.B.C., "le sujet actif de la Mission est l’Eglise locale vivant et agissant en communion avec l’Eglise universelle" (Bandung 1990. Déclaration finale 3.3.1). C’est en lien avec les communautés locales, leur presbyterium et leur laïcat que se réalise notre projet missionnaire. Même si certaines nouvelles insertions plus ou moins clandestines peuvent isoler ceux qui y sont appelés, ils ne le font pas en francs-tireurs ; ils comptent sur le soutien de prière, d’amitié, de solidarité et de communion des communautés chrétiennes et aiment venir s’y ressourcer.

3.4-2. En dialogue
Dans cette insertion dans l’Eglise locale, nous ne pouvons gommer notre caractère d’étranger ni oublier notre vocation missionnaire. L’un et l’autre sont d’ailleurs tout au bénéfice des Eglises. Notre sensibilité différente peut devenir un facteur d’enrichissement. Nous apportons le souci de "l’ailleurs" qui peut nous faire percevoir des espaces non évangélisés, même dans des Eglises déjà bien structurées et quadrillant le terrain.
Notre service ne consiste pas à faire les "bouche-trous". Il n’est pas non plus prétexte à nous isoler dans "nos projets". Dans le dialogue avec les Eglises, nous aidons les Eglises à s’ouvrir aux autres et à ceux du dehors.

4 Appels

En conclusion, nous voudrions nous adresser à tous ceux qui aimeraient partager la joie de notre aventure.

4.1. Les vocations
La vocation missionnaire à vie, à l’étranger et aux Nations, garde un sens. Nous y croyons pour la simple raison qu’elle nous a rendus heureux. Nous rappelons donc le devoir impérieux pour la Société des Missions Etrangères et pour ses membres de communiquer cette joie et de porter le souci de l’éveil et de l’épanouissement de telles vocations.
Aux jeunes plus directement, nous adressons cet appel. Etre missionnaire en Asie est une aventure qui donne à la vie de nouvelles dimensions et qui remplit le coeur. Ceux qui s’y engagent ne seront pas déçus car Dieu ne déçoit pas.

4.2. A l’Eglise de France et d’Europe
Nous étendons notre appel à l’Eglise de France et des autres pays d’Europe. Que ces vieilles Eglises ne cèdent pas à la tentation de se refermer sur leurs problèmes et sur des perspectives étroitement européennes, mais qu’elles demeurent fidèles à leur vocation universelle. Que notre présence, en leur nom, en Asie, les aide à prendre davantage conscience de l’immense réalité de l’Asie et de l’enjeu qu’elle représente pour l’avenir du monde et la venue du Règne de Dieu.

4.3. Aux Eglises d’Asie et de l’Océan Indien
Nous les remercions de nous accueillir et de nous enrichir de leurs nouvelles richesses.
Nous nous réjouissons de les voir prendre le relais de la Mission et prions qu’elles soient fidèles à cette grâce qui leur donne leur pleine stature.
Nous leur demandons de voir en nous, non pas les survivants d’un passé glorieux mais des témoins de l’ailleurs, des signes de communion avec les autres Eglises et d’accepter notre "étrangéité", même et surtout si elle les interpelle.

4.4. A notre Société Missionnaire
Nous ne pouvons que reprendre l’appel de l’Encyclique R.M.65 :

- garder la foi dans la validité de notre vocation

- entretenir la fidélité au charisme des fondateurs qui est, dans notre cas particulier, le service de la Mission dans et avec les Eglises locales

- mais laisser à cette fidélité la créativité de l’Esprit "qui fait toutes choses neuves" et donne audace et courage

- dans une écoute toujours plus attentive aux réalités de l’Asie et des "transformations rapides et profondes du monde d’aujourd’hui" (R.M.37b)

- au prix d’une conversion continue à plus de dépouillement, plus de transparence et de disponibilité à l’action de l’Esprit.

4.5. Finalement
réalisant l’immensité de l’enjeu auquel nous faisons face et devant lequel nous nous sentons si démunis,
sachant que nous ne sommes que des serviteurs inutiles
et que la Mission est dans la main de Dieu à qui seul appartiennent la Puissance et la Gloire,
nous ne pouvons qu’adresser notre prière à Celui qui vient par son Fils Jésus-Christ.
Viens Seigneur Jésus !

Paris, le 29 juillet 1992.