Quelles orientations pour la pastorale des vocations


"Les évêques donnent-ils des orientations aux Services des vocations ? Si oui, lesquelles ?" lors d’une rencontre des Services diocésains des vocations de la région Ouest, Mgr Emile Marcus, Evêque de Nantes et vice-président de la Conférence des Evêques de France a bien voulu répondre à ces deux questions.

Après quelques précisions sur ce qu’il faut entendre par "orientations" en un tel domaine (I), je répondrai à la question par l’affirmative, en essayant de décrire ces orientations (II). Je traiterai pour finir d’un point particulier : celui du rapport entre le Service des vocations, quelle que soit l’ampleur des terrains vocationnels pris en compte, et le Service de la vocation au ministère de prêtre, et tout particulièrement de prêtre diocésain (III).

I - Que faut-il entendre ici par "orientations" ?

Que les évêques de France donnent habituellement des orientations (ou des impulsions) en ce qui concerne la pastorale des vocations, on ne saurait en douter. Elles sont exprimées dans des textes nombreux de genres littéraires très variés, allant de la prédication à des directives, en passant par des études. Les évêques, lorsqu’il s’agit de prédications ou d’études, s’adressent tantôt à leurs diocèses respectifs, tantôt à l’ensemble des diocèses, par exemple dans le cadre des sessions nationales des vocations ou des revues spécialisées. La Commission épiscopale du clergé et des séminaires dont le Service national des vocations dépend est attentive à tout ce qu’expriment les évêques dans ce domaine afin d’identifier les préoccupations majeures et les dominantes pour l’action.

Toutefois, si l’on peut ainsi parler d’orientations des évêques, il faut bien reconnaître que celles-ci ne sont pas élaborées par une sorte de synthèse rigoureuse de ce que disent les uns et les autres. En fait, ces orientations sont déterminées par mode d’évaluation empirique pour laquelle la CECS, dans ses rapports avec le Service national des vocations (et à travers lui les Services régionaux des vocations et les Services diocésains des vocations) remplit son rôle au nom des évêques de France.

Entrent en ligne de compte, dans la détermination de ces orientations :

  • celles que donne le Saint Père, dans ses discours pour la Journée mondiale des vocations ou dans des circonstances particulières telles que son intervention à Ars en 1986.
  • les problématiques en cours sur les ministères ordonnés
  • les visées ecclésiologiques du moment, et notamment ce qui a trait au rapport Eglise-Monde
  • la conjoncture pastorale, etc ?

Par ce "jeu" de collaborations, le Service des vocations, à ses trois niveaux, contribue grandement à l’élaboration de ces orientations.
Les thèmes des Congrès nationaux des vocations, les éditoriaux du responsable du S.N.V. et l’observation des thèmes abordés dans la littérature du S.N.V. permettent d’identifier ces orientations.

II - Quelles sont ces orientations ?

Sur les deux décennies qui viennent de s’écouler, on peut repérer une dominante et des inflexions dans le temps.

La dominante

La pastorale de la vocation au ministère presbytéral a été doublement "désisolée".

  • "désisolée" de la "vocation chrétienne" comme caractéristique de tout le Peuple de Dieu qui est un peuple sacerdotal, donc appelé à l’être, puisqu’il s’agit de mettre en oeuvre un sacerdoce qui n’est pas monté du coeur de l’homme mais auquel les hommes sont appelés et dont ils deviennent participants en devenant membres de l’Eglise par le baptême.
  • "désisolée" des vocations chrétiennes "particulières". On parle plutôt, depuis quelques années, de vocations "spécifiques". En 1986, il était encore question de vocations "particulières" comme par exemple dans l’article du P. Yvon Bodin paru en juillet , dans Jeunes et Vocations et intitulé "L’éveil aux vocations particulières".
    Le mot "spécifique" évoque plutôt ce en quoi une réalité ne peut se rattacher à autre chose ou en dépendre ; le mot "particulier" désigne ce qui appartient en propre à quelqu’un ou quelque chose, par opposition à ce qui est collectif, commun, général et me paraît, de ce fait, mieux convenir.
    Quoi qu’il en soit du vocabulaire, le consensus va à dire que les vocations "se répondent" ou "se font signe" les unes aux autres, qu’elles se complètent les unes les autres, qu’"elles se valorisent mutuellement" et que, par conséquent, le Service des Vocations ne doit pas compartimenter son action au service de chacune d’entre elles.

Ainsi donc, toute la pastorale des vocations telle qu’elle est orchestrée par l’ensemble complexe CEGS et SNV, SRV, SDV marche-t-elle selon l’idée qu’il convient de prendre en charge la dimension vocationnelle de toute l’Eglise, c’est-à-dire :

  • qu’elle s’occupera des diverses vocations qui se peuvent rencontrer
  • que tout sera situé par rapport au baptême (et l’on parle couramment, c’est un fait, de "vocation baptismale"), donc aussi par rapport à la "vocation" ou "élection" du peuple de Dieu, et selon une problématique de co-responsabilité, dont on a remarqué assez vite qu’il fallait la qualifier de "différenciée".

A propos de la vocation au ministère presbytéral, on trouvera ainsi fréquemment, dans la littérature vocationnelle, des formules du genre de celle-ci :
"l’originalité du ministère des pasteurs ne se comprend qu’articulée sur la responsabilité des laïcs."


2 Les inflexions

Elles se manifestent dans la manière de prendre en compte les vocations particulières, c’est-à-dire de les situer les unes par rapport aux autres et même déjà, tout simplement, de les dénombrer. La question se pose inévitablement dès lors que l’on ne traite plus de chaque vocation pour elle-même et isolément.
Ainsi est-on allé du cercle le plus large à des tentatives pour délimiter l’aire de travail du Service des vocations.

Le cercle le plus large a certainement été atteint avec le Congrès d’Amiens en 1982. On peut se demander, en lisant les n° 301 et 301bis de la revue Vocation qui donnent le compte-rendu des travaux, si la pastorale des vocations en France ne devrait pas s’étendre à "tout choix particulier à la suite du Christ". Etaient invités à ce colloque des témoins de toutes sortes d’engagements dans l’Eglise - ce qui n’a rien que de très normal - mais ils étaient moins sollicités d’intervenir à propos de leur responsabilité dans l’éveil des vocations "particulières" que comme sujets eux-mêmes, d’une "vocation" au titre de leur combat pour les Droits de l’homme, de leur participation aux responsabilités dans l’Eglise, de leur solidarité avec les peuples pauvres, de leur intervention dans les média ou dans le monde de la santé, de leur présence auprès des marginaux, etc ? Sont significatifs de cette insistance sur l’usage le plus large possible du concept chrétien de la vocation la mise en valeur par l’un des intervenants de la formule de Paul VI "Toute vie est vocation", le parti pris de traiter simultanément de "la vocation des disciples et de celle des apôtres", l’expression "Vocation ecclésiale" appliquée aux personnes. On lit par exemple que "l’ Esprit ne cesse de susciter des expressions variées de l’unique vocation filiale et ecclésiale" (n° 301, p.14 ss.)

Devait ainsi surgir, au cours de ce colloque, l’idée que soit envisagée une instance qui serait capable de prendre en compte "la vocation chrétienne", vocation de base de tout baptisé et, pourquoi pas, que soit organisé un congrès de la vocation chrétienne (p.80ss.) . Il apparaît bien, à la lecture de ce compte-rendu, que les congressistes éprouvèrent de la gêne, finalement, à cause de l’ambiguïté que véhiculait le mot "vocation".

Le Service des vocations, dans les années qui suivirent, devait revenir à un champ délimité de responsabilité. Cependant, à lire l’ensemble des bulletins du S.N.V., on se rend bien compte que le dénombrement des vocations particulières ou spécifiques auquel il faut se consacrer fait toujours un peu difficulté. Un exemple :
Sr Dominique Sadoux (religieuse du Sacré Coeur de Jésus) écrit dans Jeunes et Vocations d’octobre 1990, p.57 que "ce qui revient en propre au S.N.V. est circonscrit dans ce qui regarde les vocations ’célibataires’. Donc l’élément qui limite l’éventail est le célibat consacré". Seraient donc exclues des préoccupations du S.N.V. certaines communautés nouvelles qui accueillent dans les associations de fidèles qui les définissent, des gens mariés, comme aussi le diaconat permanent qui est à 80 % constitué d’hommes mariés.

III - Service des vocations et Service de la vocation au ministère de prêtre diocésain

Que le cercle des vocations dont s’occupe le S.N.V. soit très large et quasiment illimité (en un sens chaque chrétien a sa vocation "personne n’étant autorisé à ne rien faire dans l’Eglise" comme a dit le pape Jean-Paul II dans son exhortation apostolique sur la vocation et la mission des laïcs) ou qu’il soit délimité, voire restreint, la vocation de prêtre diocésain ne peut pas être traitée simplement comme une parmi les autres. De fait, elle donne cours à des travaux du Service des Vocations qui la prennent en considération en référence aux données ecclésiologiques énoncées plus haut, mais pour elle-même. Par exemple, l’excellent cahier de janvier 1987 intitulé "L’appel au ministère de prêtre diocésain".

La raison en est que le ministère des évêques et des prêtres est d’un enjeu irréductible dans l’Eglise, à cause de son caractère "fondateur". S’il est nécessaire de donner à ce sujet une référence, on pense évidemment à la Constitution dogmatique de Vatican II Lumen Gentium.
Que la constitution de l’Eglise soit étudiée à partir de ce qu’elle est comme Peuple de Dieu et donc en partant du sacerdoce commun (ch.2) ou qu’elle le soit à partir de l’institution des Douze et des ministères hiérarchiques (ch.3) le résultat est le même : l’Eglise reçoit ses prérogatives de peuple royal, sacerdotal et prophétique, de la médiation sacramentelle de ses ministres ordonnés pour participer à la fonction sacerdotale du Christ lui-même, c’est-à-dire les évêques et leurs coopérateurs prêtres. C’est dans le décret sur les prêtres, Presbyterorum ordinis, que le caractère indispensable du presbytérat trouve une de ses expressions les plus fortes : "La fonction des prêtres, en tant qu’elle est unie à l’ordre épiscopal, participe à l’autorité par laquelle le Christ lui-même construit, sanctifie et gouverne son corps" (P.O.2). Dans le corps que constituent le Christ et son Eglise, les prêtres, est-il expliqué, "agissent au nom du Christ tête en personne".

La formule de la prière d’ordination "Aujourd’hui encore, Seigneur, donne-nous les coopérateurs dont nous avons besoin pour exercer le sacerdoce apostolique" est à prendre dans le sens le plus fort. Aussi les évêques, si importantes et chères que soient à leurs yeux les vocations au diaconat, aux ministères et aux charges d’Eglise, aux Instituts de vie consacrée de toute nature (Instituts religieux et Instituts séculiers), et d’autres encore, ne peuvent pas ne pas mettre une insistance particulière dans l’éveil à la vocation de prêtres diocésains en raison même de la nature de l’Eglise et du bien du peuple de Dieu.
Ces données se traduisent nécessairement, d’une manière ou d’une autre, dans les orientations données au Service des vocations.

Conclusions pratiques

1 Le Service des vocations, comme son nom l’indique, est un "Service de l’Eglise" chargé de favoriser l’éveil aux vocations sacerdotales, diaconales, religieuses, missionnaires, donc selon un large éventail de vocations particulières. Il le fait sous la conduite des évêques qui interviennent par une instance nationale, la CECS, leurs instances régionales, et chacun dans leur diocèse. Il reçoit de ces évêques des orientations à l’élaboration desquelles il contribue.

2 Ces orientations sont conformes aux grandes intuitions ecclésiologiques et pastorales de Vatican II, mais elles sont évolutives. Il n’y a pas lieu de s’étonner, puisqu’elles tiennent compte nécessairement de nombreux éléments de conjoncture. De toutes façons, les orientations de ce type ne peuvent pas être rigides. Sur un fond de consensus ecclésiologique et pastoral, elles évoluent selon les nécessités de l’époque.

3 Dans l’éventail des vocations que prend en compte le Service, la vocation presbytérale tient nécessairement une place particulière en tant qu’elle concerne la structure apostolique de l’Eglise. D’ailleurs, on sait bien que ce qu’il en advient se répercute de façon vitale sur toutes les autres composantes de l’Eglise.

Mgr. Emile MARCUS