Vocations capucines et SDV


Pio Murat est frère mineur capucin (une branche de l’Ordre de Saint François fondée au XVIe siècle et comptant aujourd’hui 12 000 frères à travers le monde), prêtre. Il exerce actuellement la charge de gardien (supérieur) du couvent de Paris, responsable des frères étudiants et vicaire provincial.

Pio Murat
capucin

Depuis plus de quinze ans, à des postes différents, j’ai été au service du premier accueil des candidats à notre forme de vie. Au cours de ces années, j’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs personnes, jeunes et moins jeunes, intéressés par la vocation franciscaine. Plusieurs sont partis, quelques-uns sont restés. Pour répondre à ce qui m’a été demandé, dans un premier temps, je vous présenterai la manière dont nous vivons le premier accueil et le discernement des demandes d’entrée. Ensuite j’aborderai la question de nos rapports avec les SDV.

Le premier accueil

Il faut le préciser, et cela ne surprendra pas, le nombre de candidats à notre vie, en quinze ans, a été et reste très modeste. En comptant large, j’en arrive à une petite trentaine de personnes. Les chiffres nuancent sérieusement la réalité des mots. L’accueil, du fait de ce flux timide, reste souple. Il est en place dans ses grandes lignes, mais il s’adapte en fonction des situations concrètes qui changent facilement. De manière générale, le candidat entre en contact avec un frère qu’il connaît déjà ou, suite à une découverte de la spiritualité franciscaine et de notre vie communautaire, il demande à entrer en relation avec un frère. Dans les deux cas, il rencontre pour une période assez brève le frère qui l’informe sur notre vie. C’est une période d’information et de premier discernement. Durant ces premiers contacts, il arrive que le candidat soit invité à partager pendant quelques jours la vie d’une fraternité. Cette expérience s’avère souvent importante tant pour le candidat que pour la fraternité. A ce stade, un premier choix s’opère.
Si le candidat exprime le désir de poursuivre sa recherche, le frère qui est en lien avec lui informe le provincial ou le frère délégué à l’accueil en vue du postulat. Actuellement, il a y un correspondant par province religieuse. C’est plus particulièrement à cette étape que je rencontre les personnes désireuses d’aller plus loin. Au cours d’un entretien (ou plusieurs), nous essayons de clarifier quelques points :
• Le candidat a-t-il une connaissance suffisante de la spiritualité franciscaine ?
• Quel est l’aspect qui l’attire le plus ?
• Sur un plan personnel, quels sont les points saillants de la vie religieuse qu’il souhaite vivre ?
• Est-il en lien avec le SDV de son diocèse ?
• A-t-il un accompagnateur spirituel, depuis combien de temps ?
Au cours de la conversation, nous essayons aussi d’avoir quelques informations sur sa vie passée : famille, études, participation à des mouvements d’Eglise, engagement dans la paroisse. Il est bon aussi d’être attentif à ses centres d’intérêt, ses expériences professionnelles. Un domaine, plus délicat à aborder mais nécessaire, concerne sa vie affective, sa santé physique et psychique.
En retour, le candidat pose aussi les questions qui l’habitent. Généralement, celles concernant le cursus de formation sont une constante. D’où la nécessité de lui présenter clairement les étapes de la formation à l’aide d’un document. Si l’entretien laisse envisager une suite possible, nous demandons les coordonnées de personnes à contacter : le responsable du SDV, l’accompagnateur spirituel, ou encore d’autres personnes susceptibles de donner un avis autorisé. Après ces informations, le candidat reçoit une réponse positive ou négative. Durant cette étape, nous proposons aussi un passage dans l’une ou l’autre de nos fraternités. Les échanges que le candidat peut établir avec les frères, sa manière de se situer dans le groupe sont précieux pour le discernement.

La relation au SDV

De manière générale, ceux qui viennent frapper à notre porte ne sont pas en contact avec les SDV. Cela s’explique de différentes façons, dont voici quelques exemples. Nous accueillons des hommes qui ont déjà un âge mûr (entre trente-cinq et quarante ans). Nombreux sont ceux qui n’ont pas le sens de la vie ecclésiale et pour lesquels l’appel au sacerdoce ne se présente pas comme une priorité. Suite à une conversion et parfois à un long parcours, ils ont le désir de vivre une vie évangélique en communauté. Une des raisons de leur démarche est liée à la séduction qu’opèrent la figure charismatique de saint François et de sa spiritualité. Suite à un voyage à Assise ou à une lecture, certains entendent un appel à s’engager sur cette voie. Ils consultent l’annuaire, et maintenant internet, pour entrer en contact. Ces deniers temps, le livre de Luc Adrian, Des fleurs en enfer, sur les franciscains du Bronx ou encore des publications autour du Padre Pio ont attiré l’attention de quelques-uns sur notre vie religieuse.

Des relations à repenser

Même si les candidats ne sont pas habituellement en lien avec les SDV, il y a cependant quelques exemples qui permettent de réfléchir sur la nature de nos relations. Les documents conciliaires et surtout, à leur suite, Mutuae Relationes et Vita Consecrata insistent clairement sur la responsabilité des évêques pour faire connaître et promouvoir la vie religieuse. De ce fait, les SDV partagent cette mission confiée aux pasteurs. Il n’est pas rare de rencontrer des équipes de SDV dans lesquelles des religieuses et des laïcs travaillent avec des prêtres séculiers. La présence de religieux est un fait est plus inhabituel. Il me semble que cela s’explique essentiellement par deux raisons. L’identité d’une vocation chrétienne laïque ou religieuse féminine est bien distincte de l’identité du prêtre diocésain alors que celle du religieux est plus difficile à départager. La gêne est encore plus vraie pour la vie religieuse apostolique. Les terrains de mission des prêtres séculiers et réguliers sont facilement les mêmes. L’histoire est là pour rappeler que les tensions ont existé et que, d’une certaine façon, elles ne peuvent pas disparaître totalement.

Un contentieux ancien

La première difficulté est peut-être de l’ordre d’un contentieux que l’on reçoit inconsciemment comme héritage. Dans certains cas, cela peut se traduire par des incompréhensions, des rivalités. Le contexte de raréfaction des vocations n’arrange pas davantage la situation. Il m’est arrivé de rencontrer l’une ou l’autre fois des séminaristes qui prenaient contact contre la volonté d’un des responsables du séminaire. On trouve aussi sans doute des exemples analogues du côté religieux. Le but n’est pas tant de mettre en avant ces comportements que de souligner qu’ils existent et qu’ils sont lourds à porter par ceux qui sont en période de discernement. Cela indique aussi que la réception d’un texte comme Mutuae relationes n’est pas encore bien assimilée.

Une ignorance réciproque

La deuxième raison que j’annonçais est plus profonde. Elle est liée à une ignorance réciproque de l’identité propre de la vie religieuse et du prêtre diocésain. Le problème de l’identité, si prégnant dans une culture comme la nôtre, nous touche aussi et crée des problèmes de reconnaissance réciproque. Juste un exemple : il arrive que des responsables de SDV nous renvoient des candidats parce qu’ils posaient problème au séminaire (dans les études, difficultés relationnelles ou psychologiques). Quelqu’un qui a du mal à prendre en charge sa vie ne peut pas s’épanouir davantage dans la vie religieuse que dans la vie de prêtre diocésain. La vie religieuse est aussi souvent mal connue à cause d’une vision trop cléricale de la vocation consacrée. Comment est perçue la vie religieuse d’un homme qui n’est pas prêtre ? Comment la présentons-nous à quelqu’un qui nous en fait la demande ? Les difficultés que l’on peut ressentir nous renvoient d’une certaine manière à la question de l’identité dont nous parlions à l’instant.

Conclusion

Pendant mes études, j’ai été profondément marqué par l’enseignement du P. Jean-Claude Guy, sj. Dans ses cours, le document Mutuae relationes revenait comme un thème récurrent pour dire l’apport unique et original de la vie religieuse dans l’Eglise. La pleine fécondité de cette contribution dépend de la relation mutuelle franche et délibérée que des rencontres de ce genre peuvent favoriser.