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L’histoire des Instituts séculiers
Si le statut donné dans l’Eglise aux Instituts séculiers est reconnu en 1947, la réalité en est vécue depuis fort longtemps par d’Innombrables chrétiens.
Un peu d’histoire…
Il y a près d’un demi-siècle, un événement de portée considérable se produit dans l’Eglise. Il comble de joie un grand nombre de chrétiens dont se réalise enfin l’aspiration à voir reconnaître officiellement leur vocation à vivre la radicalité de l’Evangile, sans rupture extérieure avec le monde.
En effet, le 2 février 1947, par la Constitution Apostolique Provida Mater, le pape Pie XII donne un statut officiel d’Institut séculier à "des Associations de clercs ou de laïcs, dont les membres, en vue d’atteindre la perfection chrétienne et d’exercer pleinement l’apostolat, pratiquent dans le siècle les conseils évangéliques."
Qu’a donc de novateur ce texte, suivi du Motu Proprio Primo Féliciter le 12 mars 1948, puis de l’Instruction Cum Sanctissimus le 19 mars de la même année, trois textes qui donnent la législation fondamentale des Instituts et le droit qui les régit. C’est pour l’Eglise l’affirmation, reprise par le Code de droit canonique promulgué en 1983, qu’il est possible de "contribuer surtout de l’intérieur à la sanctification du monde", mission de salut de l’Eglise. "De cette manière, loin de fuir le monde, le séculier s’y insère ; il le purifie de l’intérieur avec la force critique de l’Evangile ; il vit et tente de faire vivre les réalités terrestres selon le plan créateur de Dieu ; et, en les introduisant dans l’ordre de la grâce obtenue du Christ, il les sanctifie et se sanctifie à travers elles." (Mgr. Dorronsoro. Mexico, Juillet 1990).
des précurseurs lointains
Si le statut particulier dans l’Eglise donné aux Instituts séculiers est reconnu en 1947, la réalité en est vécue depuis fort longtemps par d’innombrables chrétiens conscients de leur responsabilité dans la diffusion du message évangélique. Dès les premiers siècles de l’Eglise, cette aspiration à la sainteté existe et se traduit par la volonté de vivre dans le célibat pour le Royaume, au milieu du monde, et saint Cyprien au IIIe siècle, parlant des Vierges Consacrées, nous dit "chacune reste dans la situation sociale dans laquelle elle est née et garde une grande liberté de relations."
Peu à peu aux siècles suivants, s’institutionnalise la vie en commun, afin de ne vivre que pour Dieu, ce qui semble nécessiter la séparation d’avec le monde. Aussi l’Eglise oblige-t-elle les femmes qui veulent vivre la sainteté chrétienne à devenir des moniales auxquelles est imposée la clôture, ce que favorisent d’ailleurs les conditions sociales de l’époque. Toutefois, l’intuition d’une possibilité de donation à Dieu au milieu du monde reste vive. Au Moyen-Age, se développent les Tiers-Ordres, ou Associations de fidèles vivant dans la mouvance spirituelle de grands Ordres monastiques, ce que Catherine de Sienne illustre de façon éclatante. D’autres sociétés ou confréries d’obédiences diverses se fondent, spécialement en France et en Italie, du XVIe au XVIIe siècle, proposant la vie évangélique au milieu du siècle, car dit St François de Sales dans le langage de l’époque : "C’est hérésie que de vouloir bannir la vie dévote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du ménage des gens mariés."
L’engagement dans ces associations se fait à des degrés divers. Aussi faut-il faire mention particulière de la Compagnie sainte Ursule fondée en 1535 à Brescia, en Italie, par Angèle Merici, qui peut être considérée comme le prototype de ce que seront quelques siècles plus tard les Instituts séculiers. Diversifiée au cours des âges en plusieurs familles différentes, ce fut au point de départ, une innovation que caractérisait ainsi le P. Beyer, s.j. : "Pas d’habit distinctif, pas de clôture, de cloître ni de maisons communes. Pas d’office choral. Pas de vie communautaire, pas une pauvreté uniforme, pas une obéissance claustrale. Mais une consécration originale au milieu de tous, à Dieu et aux autres... avec l’engagement d’observer les conseils évangéliques... d’une telle simplicité, d’une telle grandeur spirituelle, que l’on s’étonne de voir apparaître pareil nouveau message dans un temps qui n’était pas mûr alors pour le recevoir." En effet, très vite après la mort d’Angèle Merici, des pressions s’exercent sur les membres de la Compagnie pour qu’elles adoptent vie commune et costume religieux, et peu à peu elles deviennent congrégation d’Ursulines. Toutefois, pendant le XVIIe siècle, durant quelques années subsiste en France "une compagnie de Vierges séculières vivant dans leur famille". Elle reprend vie en s’actualisant, au cours du XXe siècle.
une évolution rapide du monde
L’évolution considérable du monde, accélérée à partir du XVIIIe siècle par le développement de la technique, l’accroissement démographique, crée des besoins nouveaux. La séparation s’affirme de plus en plus entre les domaines profanes et religieux, allant en France, jusqu’à une volonté de déchristianisation totale lors de la Révolution de 1789. Il est impératif pour sauvegarder la foi, de trouver des moyens appropriés. Et c’est le Père de Clorivière jetant les fondements d’une vie religieuse dans la clandestinité, en février 1791 (celle des Prêtres du Coeur de Jésus), qui disparaît dans la deuxième moitié du XIXe siècle, mais se réorganise après la 1ère guerre mondiale, et devient Institut Séculier en 1952. Dans le même temps, avec Adélaïde de Cicé, Pierre de Clorivière fonde les Filles du Coeur de Marie, qui choisissent de rester Institut religieux.
Pourtant, malgré la tourmente qui a profondément marqué la société tout entière, le XIXe siècle qui suit est, en France, le temps d’une éclosion extraordinaire de la vie religieuse apostolique féminine. Les besoins sont immenses, dans les domaines de la santé et de l’éducation en particulier. Aussi les vocations affluent-elles dans ces nouvelles congrégations à voeux simples. Nous n’insisterons pas sur cette terminologie sauf pour indiquer qu’elle traduit après une lente maturation, la prise en compte des nécessités du temps par la législation de l’Eglise. A la fin du siècle et au début du XXe, ces congrégations sont reconnues comme "Familles religieuses" et leur droit est codifié. Il ne peut être question d’y assimiler les associations qui se multiplient lorsque la situation évoluant à nouveau, la République française naissante s’affirme anticléricale et se livre à des manifestations violentes contre les Ordres religieux et promulgue les lois scolaires laïques.
Plusieurs associations se créent afin de remplacer l’instruction religieuse donnée dans les écoles, par une catéchèse organisée à l’extérieur ; d’autres se donnent pour fin première de maintenir la vie consacrée, alors que les congrégations sont expulsées de France. L’appel de l’Eglise, que traduit l’Encyclique Rerum novarum, trouve un écho auprès de personnes sensibilisées par la misère des masses ouvrières et les injustices sociales qui la provoquent, puis, après la 1ère guerre mondiale, l’Action catholique développe dans la conscience de beaucoup de chrétiens, l’importance de leur mission particulière dans la Mission de l’Eglise.
De façon générale, il est possible de dire que l’éclosion des nombreux groupes qui s’organisent de façon discrète, dès la fin du XIXe siècle, est une réponse à la déchristianisation de la société. C’est aussi une volonté de rendre présent le Christ à un monde qui l’ignore, sous les formes les plus diverses, et dans tous les milieux. L’esprit missionnaire très vif après la période de conquêtes coloniales, est également fort présent dans certaines de ces associations qui essaiment parfois sur plusieurs continents. Ces sociétés ou associations se forment à l’initiative de laïques ou de prêtres, très souvent dans la mouvance d’une grande famille spirituelle, et leur appellation reflète l’axe principal de leur engagement qui se veut total et définitif, dans l’orientation choisie.
qu’en dit l’Eglise ?
La position de l’Eglise reste semble-t-il très réservée pendant de longues années, à l’égard de ces unions de laïcs, qui, soucieuses d’avoir une place officielle, demandent à Rome la reconnaissance de leur caractère à la fois religieux et séculier ; position motivée par l’absence de vie commune et de costume distinctif. Le 11 août 1889, la Congrégation des Evêques et Réguliers publie le décret Ecclesia Catholica, stipulant que le Saint Siège ne reconnaît pas ces Instituts comme "familles religieuses" proprement dites, mais comme "associations pieuses", dont les voeux ne sont pas publics, c’est à dire reçus au nom de l’Eglise, mais privés. Toutefois, le décret reconnaît que les membres de ces sociétés de fidèles qui suivent les conseils évangéliques dans le monde, ont de ce fait la possibilité d’exercer un apostolat difficile, voire impossible pour des religieux.
Cette situation n’est pas modifiée lors de la publication du Code de droit canonique en 1917 qui ne mentionne pas ces associations, laissant ainsi le temps faire son oeuvre de maturation. Si plusieurs associations excluent toute apparence religieuse, d’autres tournent la difficulté en ayant la structure juridique d’Institut religieux, mais avec des membres externes. Certains enfin adoptent la structure des Tiers ordres ou des associations pieuses, mais vivent intégralement la pratique des conseils évangéliques et se consacrent aux oeuvres d’apostolat en vivant dans le monde.
l’Eglise hiérarchique sort de sa réserve
En 1938, enfin, le pape Pie XI se préoccupe de ces unions de laïcs et charge la Congrégation du Concile d’étudier la question de manière approfondie. Le Père Gemelli, Recteur de l’Université de Milan et fondateur des Missionnaires de la Royauté du Christ a "pour mission de prendre connaissance du mode de vie de chaque Union" lorsqu’il convoque à Saint Gall en Suisse, les 21 et 22 mai de la même année, les représentants de 20 Sociétés, de pays différents : Italie, France, Autriche, Allemagne, Pologne, Suisse, Hollande. Il présente alors à la Congrégation du Concile un mémoire célèbre sur "Les associations de laïcs consacrés à Dieu dans le monde". Bien que non publié, ce "mémoire" est cependant un des éléments qui permettent au pape Pie XII de reconnaître dans l’Eglise un nouvel état de vie consacrée, par la Constitution apostolique Provida Mater du 2 février 1947. Cette Constitution y donne sa définition de l’Institut Séculier et semble privilégier la consécration, car, pour Dom Albertini, sous-secrétaire de la Sacrée Congrégation pour les religieux et I.S., lors du trentième anniversaire de ce document, "la nouveauté... réside dans le fait que l’Eglise reconnaisse aux laïcs qui vivent dans le monde selon leur état, et aux prêtres séculiers, une véritable consécration pour une vie de perfection dans la charité." Cependant ce texte ne donne que partiellement satisfaction aux Instituts, aussi un deuxième document Primo Féliciter est-il publié l’année suivante, le 12 mars 1948. Il apporte les précisions attendues, soulignant que si Primo Féliciter ne diminue en rien la réalité de la consécration, il met l’accent sur la "sécularité", caractère propre et spécial en qui se trouve toute la raison d’être de ces nouveaux Instituts.
Mais l’embarras reste grand en face de cette nouvelle vocation à laquelle le Concile fait une place discrète. Tout en soulignant que ces Instituts ne sont pas religieux, ils sont placés dans le décret Perfectae caritatis dont le titre général est : "La rénovation et l’adaptation de la vie religieuse".
En revanche, les Instituts se retrouvent bien dans la mission du laïcat définie pour la 1ère fois par un Concile dans la Constitution Lumen Gentium "C’est là (dans le siècle) qu’ils sont appelés par Dieu, pour travailler comme de l’intérieur, à la manière d’un ferment, à la sanctification du monde, en exerçant leurs propres charges sous la conduite de l’esprit évangélique, et pour manifester le Christ aux autres principalement par le témoignage de leur propre vie, rayonnant de foi, d’espérance et de charité. C’est à eux qu’il revient particulièrement d’illuminer et d’ordonner toutes les choses temporelles auxquelles ils sont étroitement liés."
Paul VI le répète plus tard avec insistance dans son discours du 20 septembre 1972 aux responsables généraux des I.S. : "Vous êtes laïcs... vous demeurez laïcs". Cela permet de "comprendre clairement et en profondeur tout ce qu’ils ont de propre dans leur consécration à Dieu, dans l’apostolat et même dans l’organisation juridique." Cette insistance s’affirme dans un nouveau discours le 25 août 1976, en des termes que reprend le pape Jean-Paul II en 1980 : "S’ils demeurent fidèles à leur vocation propre, les Instituts séculiers deviendront comme le ’laboratoire d’expérience’ dans lequel l’Eglise vérifie les modalités concrètes de ses rapports avec le monde... Le champ propre de leur activité évangélisatrice c’est le monde vaste et compliqué de la politique, du social, de l’économie, mais également de la culture, des sciences et des arts, de la vie internationale, des mass média".
organisation actuelle des Instituts séculiers
En 1983, le nouveau Code de droit canonique fait aux I.S. une place dans les Instituts de vie consacrée, aux côtés des Instituts religieux et leur apporte cette législation particulière qui leur manquait jusque-là.
La nouveauté de cette vocation séculière est accueillie dans l’Eglise, "comme un don particulier de l’Esprit Saint fait à notre temps" pour l’aider "à résoudre la tension entre l’ouverture objective aux valeurs du monde moderne (état séculier chrétien authentique) et le don plénier du coeur à Dieu (esprit de la consécration)". (Document final de l’assemblée des évêques latino-américains de Puebla).
Si l’Esprit Saint est à l’origine de cette nouvelle forme de vie, il est également présent durant le long cheminement que nous venons de décrire, et il a inspiré chacun de ces Instituts qui, dès 1947, demandent leur reconnaissance officielle. Celle-ci exige une révision des constitutions trop souvent calquées sur le modèle religieux.
Dom Albertini indique que, en 1948, seul l’Opus Dei avait obtenu l’approbation pontificale (il change de statut quelques années plus tard), dix autres Instituts avaient été érigés en Instituts de droit diocésain et une quarantaine d’autres étaient à l’examen. Très rapidement ces chiffres s’accroissent et en 1978, les statistiques indiquent : 37 Instituts de droit pontifical et 88 de droit diocésain.
En 1988, 150 Instituts sont reconnus, et présents dans toutes les parties du monde. Le regroupement de quelques associations a permis que soit promulguée la Constitution apostolique en 1947. Ce résultat atteint, il leur semble nécessaire de poursuivre la collaboration pour un approfondissement de la recherche et un travail efficace, ainsi que pour mettre en commun leurs ressources spirituelles et leur dynamisme en vue de la mission commune d’évangélisation.
C’est ainsi que dès 1954, une rencontre a lieu en Italie qui rassemble quelques 32 Instituts séculiers. 7 nations sont représentées. Puis c’est à Venasque, en 1963, qu’un nouveau rassemblement est organisé. Et enfin, en 1970, se tient à Rome le premier Congrès mondial des Instituts séculiers, regroupant plus de 400 délégués, représentant 92 Instituts provenant de 16 pays et 2 continents. De ce premier Congrès Mondial naît en 1972 la Conférence mondiale des Instituts séculiers, qui les réunit d’une manière stable, réalise échanges d’expression, étude des problèmes de vie et de formation, au cours de congrès organisés tous les quatre ans. En France, quatorze Instituts se réunissent en 1970, formant ainsi une Conférence nationale des Instituts séculiers dans le but d’une meilleure connaissance mutuelle et d’une recherche commune sur tous les points concernant leur vie et leurs relations au sein de l’Eglise.
En conclusion de cette étude, il faut signaler que les Instituts séculiers en France n’ont pas échappé à la grave crise traversée par l’Eglise depuis les années 1960, entraînant une raréfaction des vocations. Mais les Instituts prennent de plus en plus conscience de leur responsabilité pour faire connaître au monde cette forme de vie si adaptée aux conditions de la vie moderne et ils conservent inébranlable leur confiance en l’Esprit Saint qui les a fait naître.
Marie-Antoinette Perret
Commission formation de la CNIS