TABLE RONDE


P. BOUGAREL A cette table ronde, il y a une figure nouvelle : "Candide". Il est du Service des Vocations du diocèse de MEAUX. Il n’est pas si candide que cela ! c’est en gros un empêcheur de tourner en rond !
Et sans attendre, Candide, une première question :
Quelqu’un a osé dire, et c’est presque impertinent : le S.D.V. se doit être le poil à gratter des diocèses ! Vous rendez-vous compte ! Alors, qu’en pensez-vous ? Etes-vous d’accord, ou qu’est-ce que cela veut dire ? Pour ma part, je n’ai pas compris.

P. de MONTALEMBERT Poil à gratter, pourquoi ? Probablement pour permettre à l’Eglise de susciter des vocations ; ce serait alors formidable. Mais je pense à l’histoire de l’Eglise depuis 2 000 ans et le Service des Vocations n’existe que depuis une vingtaine d’années. Pourtant, à travers les siècles, l’Eglise a suscité des vocations, des vocations nombreuses et très variées...

Voilà pour une première impression. Nous sommes les uns et les autres très passionnés par notre travail au Service des Vocations parce que, je crois, nous touchons le cœur de l’Eglise, cette espèce de jointure un peu mystérieuse entre la liberté de chacun de nous et l’appel du Christ qui nous rejoint au plus profond. Et quand nous touchons le cœur de l’Eglise, nous voyons à la fois ses forces et ses faiblesses. Et vite nous voudrions que ce cœur de l’Eglise soit le plus beau possible. Et peu à peu s’enfle notre désir..., et on vient à s’occuper de tout !

Aussi ma première invitation c’est une invitation à la modestie. Les Services des Vocations n’existent que depuis une vingtaine d’années et pourtant l’Eglise a existé sans ce Service pendant de nombreux siècles. Modestie : nous sommes un Service de l’Eglise, nous ne sommes pas le cœur de l’Eglise, même si nous touchons le cœur de l’Eglise. C’est un service tout à fait passionnant, mais soyons humbles, si vous voulez soyons modestes. Poil à gratter, oui, peut-être. Mais tout de même ne grattons pas trop !

P. BOUGAREL Madame de PREMONT, après ce que vous avez entendu hier, quels sont les points marquants que vous souhaitez répercuter dans notre assemblée ?

Madame de PREMONT Je commencerai par trois points qui m’ont particulièrement frappée, et qui rejoindront ce qui vient d’être dit.

Le premier, il revient avec insistance, porte justement sur ce lien entre les Services des Vocations et les différents mouvements, organismes, aumôneries, conseils pastoraux, la liturgie, la pastorale des familles. J’ai regardé dans vos réponses, dans vos propositions comment il était exprimé.

On découvre le souhait que ce lien non seulement existe mais qu’il se développe, qu’il se traduise par une information et aussi une collaboration, comme dans la pédagogie des choix, des propositions pour l’accompagnement.

On trouve aussi ce souci, chez certains, que ce travail en commun respecte la spécificité de chacun des partenaires, pour rejoindre précisément l’union, la communion dans la différence. Et que, dans cette spécificité, le S.D.V. puisse précisément être comme le poil à gratter ! Poil à gratter, je l’entends comme une sorte de stimulation provocante lancée aux autres organismes pour qu’ils soient incités, provoqués à rendre fructueuse cette articulation.

Un deuxième point : il se réfère plus particulièrement à la dimension spirituelle de la pastorale des vocations. J’en vois deux aspects :

D’une part, la possibilité que se développent ces temps forts, sur lesquels vous insistez beaucoup. Pour donner aux jeunes l’opportunité de faire des expériences humaines et spirituelles fortes, qui ouvrent à la découverte du Christ, à l’expérience de Dieu. Temps forts qui peuvent être des retraites, des temps d’écoute et de prière, des soirées parfois, des réunions de S.D.V. Et qui permettent aux jeunes de rencontrer des témoins capables de dire ce qui les fait vivre : capables de dire le Christ à nos jeunes.

Un autre aspect, important aussi selon moi, il rejoint ce que le Père MARTELET a dit ce matin : un appel à la responsabilité. Responsabilité dans la liturgie, responsabilité des jeunes dans les conseils pastoraux. Quand on fait quelque chose, faisons-le avec les jeunes. Cet appel à la responsabilité, c’est un appel à l’éducation, à la construction de la liberté. Appels qui sont autant de petits appels. Ils vont peut-être précéder l’Appel, le "oui", ce oui qu’accompagnent, que suivent beaucoup de petits oui, comme ceux qu’on peut égrener durant toute une vie. C’est à travers ces oui que se construit la liberté du jeune.

Donc insistance pour qu’il y ait à la fois des temps décisifs, et un accompagnement de ces temps décisifs.

Le troisième point concerne la prise en compte de la différence dans la pastorale des vocations. J’ai lu dans vos questions :
Pour entendre un appel, faut-il est un super-crack intellectuel ? Comment accueillir des vocations culturellement différentes ? Cela, aussi bien à propos des lieux d’accueil que de la formation, le suivi de ceux qui sont appelés. Et par exemple, dans la pastorale des vocations, parmi les migrants. Comment l’Eglise prend-elle en compte ces différences ?

Voilà les trois premiers points sur lesquels j’invite les autres à répondre, à m’interroger, à prolonger la réflexion ...

P. BOUGAREL Eh bien, Candide, voilà un abondant cahier des charges ! S’agit-il de vœux pieux ? Y a-t-il des réalisations possibles ?

CANDIDE Je vais prendre les choses par un autre biais. On parle parfois de "crise" des vocations. C’est un mot que j’ai entendu. Ensuite, quand nous avons quitté Paris l’autre jour, il y avait une formidable pagaille à l’aéroport d’Orly ; on arrive ici ayant raté l’intervention du Père MARTELET ; on se retrouve dans un carrefour et la première chose que dit quelqu’un, c’est que le Saint Esprit est un familier de la pagaille !

On n’avait pas été très familiarisé avec la pagaille d’Orly... Mais ça m’a permis de réfléchir sur ce mot "crise". Et ce qu’on vient de dire là, tout ce qui a été dit à propos des initiatives multiformes prises en faveur des vocations, tout cela me fait penser plutôt à une situation de vitalité.

Je suis frappé par la relative jeunesse de notre assemblée, par son dynamisme, les idées qui fusent de partout. Soit qu’au fond j’aime bien les crises, soit que ce n’est pas tellement une crise, j’insisterais plutôt sur cette vitalité ecclésiale qui s’est traduite concrètement en des choix, des initiatives un peu en tous les sens. Il y a peu de vocations aujourd’hui, dit-on parfois ? Mais y aurait-il tant d’initiatives dans l’Eglise aujourd’hui, s’il n’y avait pas des gens qui répondent à des appels très profonds, très intérieurs ?

Peut-être y a-t-il plus de vocations qu’on ne l’imagine... Mais savons-nous les repérer, les honorer, les apprécier, nous en réjouir ? Le mystère de Dieu nous touche de près.

P. SIMON Une réaction au moins, vis-à-vis de Candide. Je vais lui poser une question sur un point, ou apporter un correctif.

Il dit qu’il aime bien les crises. On peut effectivement se réjouir de ces situations qui obligent à l’inventivité, à la créativité. Sauf que je me dis : il y a tout de même des gens qui en souffrent, qui en sont victimes. Je crois que dans notre prière nous pouvons penser aussi à eux, ceux qui se sont trouvés bouleversés à un moment donné, ma génération par exemple. Je suis de ceux qui ont connu des situations relativement difficiles, lors de bouleversements de séminaires, j’ai des amis qui y ont perdu pied. Vu de l’extérieur, et sans faire moi-même le bilan, certains aujourd’hui peinent à retrouver un certain équilibre. Ceux, aussi, qui en ces vingt ans auraient pu devenir prêtres et ne le sont pas devenus parce que l’air du temps a fait que, etc.

De temps en temps je me dis que je suis content d’être prêtre, j’aimerais que d’autres puissent se dire la même chose. Alors je pense à ceux-là. Autrement dit, statistiquement on peut se réjouir, mais au plan des personnes il y a des situations douloureuses.

La vitalité, oui je l’ai trouvée ici. Dans une table ronde nous avons le temps seulement de reprendre les questions, mais en deux minutes je voudrais dire aussi la joie de participer à un congrès comme le nôtre, à la qualité d’ecclésialité que je trouve, pour employer un grand mot... J’entends par là la qualité de relation en Eglise que je peux constater en laissant traîner les oreilles dans les forums, dans les assemblées partielles et les petits groupes. J’ai trouvé, ce n’est pas le seul congrès auquel j’ai participé ces temps-ci, j’ai trouvé que ça fonctionne plutôt bien. Et ça je pense que ça peut nourrir notre action de grâce.

Les questions que vous avez posées, que Madame de PREMONT vient de reprendre, sur le S.D.V., sa place dans l’Eglise, ce me semble aussi bon signe en un sens. Parce que dans les questions remontées hier soir, tous les mouvements disent : "Nous voulons avoir des liens avec les S.D.V." Cela me semble un peu nouveau : il y eut des temps où les S.D.V. étaient un peu tout seuls, les autres mouvements n’étaient pas tous, pas toujours, forcément preneurs de la question de l’appel. Ce n’est pas une accusation. Et les mouvements se sont renouvelés, les questions aussi ont changé...

Donc, en un sens, ces questions sont la preuve que le S.D.V. a fait passer le message à des mouvements, des communautés, des Services d’Eglise. Et qu’aujourd’hui tout le monde reprend la question. C’est bon signe. Ainsi le S.D.V. permet à tous les mouvements d’intégrer l’appel dans leur pédagogie.

P. THOMAS Je crois qu’une crise c’est crevant pour tout le monde. On risque d’ailleurs de s’y épuiser, ou de devenir purement et simplement agressif et de se mettre alors sur la touche, et de compter les erreurs, les cartons jaunes et rouges, de tous ceux qui évoluent sur le terrain. On risque aussi d’y perdre un sens de la vie, un goût de la vie. C’est effectivement arrivé. On y perd des amis. Dans cette crise, mon meilleur ami s’est marié. Il était prêtre, c’était vraiment mon meilleur ami. En plus le Père IZARD le connaît, il était au S.N.V. Et il n’a pas pu tenir en France, ensuite il est parti à l’étranger.

Ce sont des choses lourdes. Cela m’a amené, moi, à me poser personnellement la question, au même moment : Il est plus intelligent que moi, plus généreux aussi, comment se fait-il que lui fasse ce choix ? Serait-ce donc le meilleur choix ? Et si je reste dans le ministère, moi, c’est que je fais le mauvais choix ? Je ne suis pas assez futé ?
Puis ça c’est passé autrement, j’ai re-choisi. Pourquoi ? C’est notre histoire à tous.

Dans les périodes de crise, et c’est bien là l’avantage aussi, il y a quelque chose qui nous permet, par la crise même et par cette souffrance, de nous déconnecter d’une certaine manière de vivre, de ne plus rester des êtres répétitifs, des gens conformes, mais de pouvoir vraiment devenir différents. Une conversion, c’est quand même une sacrée différence : 180° de retournement ! On ne le vit pas sans souffrance. On ne regarde plus dans la même direction, on ne pense plus que le soleil se lève au même endroit.

Oui, c’est là la chance des crises. C’est bien pour cela, effectivement, que les crises qui pour certains sont des grands moments de chute, sont pour d’autres une occasion de vivre. C’est peut-être ce qui prépare un accouchement. Le Seigneur le dit : "quand une femme est sur le point d’accoucher, elle est dans la difficulté, dans l’angoisse. Dès que son enfant est venu au monde, elle est heureuse." N’y a-t-il pas bien des enfants qui sont venus au monde depuis que cette crise s’est emparée de l’Eglise et du monde ? Regardons les enfants ! écoutons le cri des enfants qui ainsi viennent de naître : il est peut-être lui aussi assez impressionnant.

P. SIMON Une simple remarque, sur ce mot de "crise". Rappelons-nous tout de même ce que vit l’Eglise actuellement. De fait, ce sont des bouleversements, des transformations, mais ce n’est pas une crise abstraite. C’est parce que l’Eglise vit une formidable transformation de son mode d’existence à l’intérieur d’elle-même, avec en son sein un ré-équilibrage des tâches, des fonctions, des ministères, de la participation de chaque chrétien. C’est un premier point.

Un deuxième point : l’Eglise vit une transformation de son rapport au monde, du moins dans notre pays et en Occident, qui est vraiment intéressante. L’Eglise a beaucoup servi la société, par de grandes institutions, par exemple les communautés religieuses. Beaucoup des communautés religieuses du XIXème siècle ont participé à tout l’effort de l’Eglise au service de la société civile, par la santé, l’éducation, etc. Et voilà que l’Eglise entre dans un nouveau rapport au monde. Tout naturellement ces Ordres religieux, qui étaient nés dans un élan de justice au sein de la société civile par la santé, l’éducation, se demandent s’ils ont encore leur place dans ce nouveau rapport de l’Eglise au monde. C’est une question difficile pour eux, une question féconde aussi pour l’ensemble de l’Eglise.
Enfin je crois que ce qui nous bouleverse, c’est que le monde lui-même vit un nouveau rapport à son mystère, à sa spiritualité. Nous sortons, si vous voulez, de cette espèce de revendication, par le monde, d’une autonomie des sciences, de l’économie... Même les grands scientifiques maintenant se retournent vers le mystère pour tenter d’y puiser des réflexions nouvelles, des recherches scientifiques nouvelles. Cette transformation du monde touche aussi l’Eglise. Ce n’est donc pas une crise comme ça, c’est une crise de vie. Voilà ce que je voulais rappeler.

P. BOUGAREL M. Auvillain, vous n’avez encore rien dit...

M. AUVILLAIN En lisant les comptes-rendus, j’ai été frappé par le fait que l’essentiel du message de ces journées était passé. Ce qui m’a frappé aussi, ce sont toutes les perspectives d’avenir qui s’offrent pour les différents Services des Vocations. Je me disais qu’il y a du travail pour deux ans, et encore je suis optimiste !

Le premier point, tout le monde est d’accord ici, est acquis : Tout baptisé est appelé, tout baptisé est serviteur de l’appel et donc appelant. Nous en sommes bien convaincus, nous avons ce devoir d’appeler.

Nous avons comme mission, c’est bien clair, et le Service des Vocations a comme mission, de faire comprendre à tous ce qu’est la vocation de chaque baptisé. Il y a là un travail important, je le redirai, mais un travail de pédagogie. Nous avons à faire découvrir à chacun ce qu’est sa propre vocation, c’est-à-dire ce qu’il est réellement, et ce qu’il doit devenir pour être enfin lui-même.

Un deuxième point. C’est en découvrant les exigences de notre propre vocation, c’est-à-dire en réfléchissant sur notre situation de baptisé à partir du moment où nous avons compris ce que cela signifiait réellement, que nous pouvons et que nous devons oser appeler. Il nous faut sortir, et tous en conviennent, il est nécessaire de sortir d’une certaine réserve qualifiée à juste titre de discrétion par certains. Nous devons poser la question à chacun et aux jeunes en particulier, et oser leur dire : à quoi êtes-vous réellement destinés ? Et afficher, hier H. SIMON en a parlé, afficher leurs différences en étant chrétiens d’abord dans un monde qui tend à l’identification. Nous avons à rappeler cela régulièrement. Donc nous restons encore sur les hauteurs. Ensuite il faudra trouver le moyen d’appliquer tout cela.

Le troisième point. Je reprends ce qu’a dit Paule de PREMONT, sous un autre angle.

Je n’aime pas du tout l’expression "poil à gratter" parce que ça irrite, c’est superficiel et ça agace. Ceci dit, je crois que la mission du Service des Vocations est de faire prendre conscience non uniquement aux mouvements, organismes... Nous avons tendance à raisonner par rapport, je dirais, aux militants dans l’Eglise. Chacun sait que ça représente 5 à 12 % d’une communauté en étant optimiste. Mais j’ai la hantise de la communauté tout entière, celle qu’on voit dans les grandes cérémonies, le dimanche... Cette communauté doit prendre conscience qu’elle est tout autant responsable des vocations que les mouvements, que les Services des Vocations en particulier.

C’est trop facile de se défausser sur des spécialistes d’un problème qui concerne toute la communauté. J’aurais même tendance à dire, mais vous risquez de mal interpréter l’expression en étant trop simples : Je ne dis pas qu’on a les religieux, les prêtres qu’on mérite. Mais il y a un peu de cela. Et c’est dans la mesure où la communauté sera entièrement impliquée dans cette exigence de trouver les ministres ordonnés, ou les religieux, ou les personnes consacrées dans un état particulier qui rappellent à cette communauté d’où elle vient et de qui elle dépend, c’est dans cette mesure que nous aurons des communautés vivantes. Nous n’aurons pas seulement des Services. Cette sensibilisation de l’ensemble du Peuple de Dieu me paraît très importante, sur la nécessité d’avoir des ministres, dans le sens très large du mot, ordonnés ou consacrés dans un état de vie particulier.

Le quatrième point, c’est qu’il faut que nous travaillions, et c’est un travail de fourmi, au problème de la pédagogie de l’appel, la pédagogie du choix. Il y a tout de même une technique pour aider les gens à faire un choix, surtout les jeunes. Ce travail de pédagogie, nous devons le soigner davantage, c’est bien ressorti dans plusieurs rapports et comptes-rendus.

En particulier, deux papiers le disent, l’importance de faire parler les témoins dans des assemblées de jeunes, mais pourquoi pas dans des assemblées communautaires plus générales ? Que quelqu’un vienne dire : j’ai choisi telle ou telle vie, pourquoi je l’ai choisie et comment, et regardez finalement je ne suis pas si malheureux que ça... Ce type de témoignage me semble très important, notamment dans des groupes de jeunes.

Combien ont été frappés, par exemple durant trois jours dans un monastère, d’entendre un religieux très simple et modeste, irradiant la joie et qui vient dire : mais voyez, j’aime le Bon Dieu, je suis très bien où je suis. C’est peut-être plus important que tous les discours.

L’importance de la mission, aussi. Il nous faut absolument être sensibilisés au fait que les missionnaires sont nécessaires, c’est-à-dire une partie, certains éléments de la communauté qui se consacrent en priorité non à la marche de cette communauté, mais à ceux qui sont à l’extérieur, qui n’ont pas encore connu la révélation. Ce me semble très important.

Je ne vais pas dire que nous n’avons pas besoin de ministres pour faire fonctionner la communauté, ce serait idiot. Mais nous devons, et le Père THOMAS l’a rappelé hier, nous devons tout le temps avoir à l’esprit les autres, la brebis perdue. En fait, ce n’est pas les 99 %, c’est l’inverse je crois. Il y en a 99 % à l’extérieur et 1 % à l’intérieur. Je schématise, j’exagère, mais tel est bien le problème. Non pas des ministres et des religieux pour faire tourner la communauté, mais pour aller à l’extérieur, une tâche qui d’ailleurs nous concerne tous.

P. BOUGAREL Candide, je sais qu’il y a autre chose qui vous gratte ! Souvent vous avez entendu dire : s’il n’y a pas de communauté vivante, il n’y aura pas de vocations. Sans générosité missionnaire au loin, il n’y aura pas de vocations. Ces préalables, qu’en pensez-vous ?

CANDIDE J’avais même entendu dans un groupe : si on n’est pas d’abord des vivants... Et je pense au mot de Jésus à Pierre : "Je ferai de toi..." Qui nous rend vivants ?

Les préalables, donc ? A mon avis, quand on dit une phrase qui est un peu comme un préalable, ainsi : si les communautés chrétiennes ne sont pas d’abord vivantes, pas de vocations, et donc il faut se consacrer à rendre les communautés chrétiennes vivantes puis nous parlerons de vocations...

Donc quand on pose ainsi comme des préalables, ce me semble une indication intéressante. Parce que ça nous dit où l’Eglise doit travailler de façon multiforme. Retenons-la comme une indication d’un effort de l’Eglise dans telle direction.

Mais je crois que si on en fait un préalable, on risque de nous rendre nous-mêmes maîtres du chemin, de l’accès. Et de cela je crois que nous ne pouvons pas être maîtres.

J’ai été frappé, dans un carrefour où il y avait un proviseur de lycée, selon ce que j’ai compris, il a été fort étonné, il a dit combien un jeune qui avait été appelé à une responsabilité d’accompagnement d’un groupe de confirmation avait changé sa façon d’être et de vivre au sein de ce même lycée. Ce jeune était très timide, il avait de la difficulté à s’insérer : par cet appel et cette responsabilité, il est devenu vivant.

Aussi, si je serais "nous"..., je ne ferais pas de préalable. Appelons dès le départ et en même temps rendons les communautés plus vivantes,_ soyons rayonnants, soyons tout cela mais en même temps. Peut-être parce que nous aurons envie d’appeler, nos communautés deviendront aussi un peu plus vivantes.

P. BOUGAREL Père THOMAS, ça c’est passé dans une boutique de Lourdes. Quelqu’un était en train d’acheter des cartes postales et il dit : "je voudrais bien savoir si sur ce qu’a dit Mgr THOMAS, tous les évêques de France sont d’accord avec lui ?"

P. THOMAS Je n’ai pas fait d’enquête préalable ! On pourrait en faire une, ce peut être un sujet qui mériterait de revenir un jour à Lourdes dans la salle à côté, si nous faisions une année par exemple sur ce thème : les vocations chrétiennes. Il y a combien d’années que nous n’avons pas eu vraiment cette façon d’aborder les questions... On a abordé l’an dernier communion et mission, mais nous pourrions... Je vais aller un peu plus loin.

Il se peut que des évêques ne pensent pas comme moi : c’est leur droit. Comme j’ai le droit de ne pas analyser forcément les réalités comme eux. Car il s’agit en fait d’une analyse de situation, surtout l’analyse de l’importance de la vocation chrétienne comme base d’accès, j’allais dire à la spécificité de toutes les vocations. C’est un peu ce que j’ai essayé de dire.

Par ailleurs, dès le début je vous l’ai dit, je ne crois pas avoir trouvé un remède, je ne l’ai pas testé. En médecine, pour utiliser un remède il faut avoir le label :A.M.M. je crois (Autorisation de Mise sur le Marché), je n’ai pas demandé cette autorisation parce que je me suis dit qu’après tout, ça m’étonnerait que l’ensemble des évêques de France ne soient pas d’accord sur l’importance d’un approfondissement de la vocation chrétienne comme base de fidélité à l’Esprit Saint. Pour voir ensuite, à partir des dons venant de l’Esprit, à partir de la liberté parce que c’est Lui qui nous rend libres, à partir des expériences de Dieu que nous faisons, comment nous pouvons aller plus loin chacun dans notre vocation.

Tout ce qui a été dit sur l’Eglise mystère et Peuple de Dieu va dans ce sens. Quant à l’importance des personnes et des consciences, je crois, nous entrons dans le siècle de l’importance de la conscience et du jugement de conscience par rapport à des conformismes, religieux ou mondains.

J’aurais tout de même 50 % de chance de trouver un consentement je crois. Mais cela me pose aussi la question de l’évêque, ou plutôt de l’épiscopat. A mon avis, et ce n’est pas que le mien, un évêque ce n’est pas seulement une individualité qui est là : il tombe d’une lettre d’un pape, vous disant que désormais c’est fini, c’est le membre d’un collège plus encore qu’un prêtre. Les prêtres font partie d’un Presbyterium. Mais regardez la tradition de l’Eglise : vous voyez qu’un évêque c’est fondamentalement quelqu’un qui est agrégé à un collège épiscopal.

On parle toujours du collège épiscopal, dans la tradition de l’Eglise. Le signe de cela, c’est que l’évêque n’est jamais ordonné seul. A la rigueur un évêque pourrait ordonner tout seul un prêtre ; mais merveilleuse est cette association de tout un Presbyterium, lors de l’imposition des mains. Tandis qu’un évêque n’est pas ordonné sans qu’il y ait trois co-ordinands, qui sont le signe du collège épiscopal. Pour renoncer aux trois il faut vraiment des cas graves. C’est d’ailleurs ce qui fait que l’ordination d’évêques par Mgr LEEEBVRE, lui seul ordonnant trois ou quatre évêques, est tout à fait non traditionnelle : il entrait dans son système à lui et, par le fait même, quittait le collège épiscopal.

Ceci nous rappelle qu’on a toujours parlé d’un collège. Le Christ a voulu les Douze. C’était déjà un collège et c’est aux Douze qu’il a dit : "Allez par le monde entier". Maintenant il y a 2 700 évêques par le monde entier.

J’ai découvert progressivement que j’étais d’abord membre d’un collège, et non évêque comme ça, selon mon tempérament, mes idées. Par le fait même c’est dans la relation au monde entier, avec le souci du monde entier comme par la relation à un diocèse précis dans lequel on est envoyé avec son Presbyterium, ou éventuellement un conseil pastoral, des Services et bien d’autres choses : c’est par là que l’évêque exerce sa responsabilité. Il ne prend pas la parole en son propre nom. Je vous assure que je le sens de plus en plus : chaque parole est mienne, mais elle est aussi celle de ceux avec qui je vis la vie chrétienne, avec qui je cherche le Seigneur. J’ai plutôt à être l’interprète en ce sens de ceux qui cherchent Dieu, de tous ceux qui l’ont trouvé et qui le servent. Cela demande à certains moments de risquer, car on peut parler un peu plus tôt qu’un autre, ou parfois un peu plus tard. Mais quand on a été durant 20, 30 ou 40 ans convaincu de quelque chose, même un évêque a le droit de le dire. Il a lui aussi le droit à sa vocation spécifique. J’ai exercé cette vocation spécifique pas tellement en dehors du collège épiscopal.

P. BOUGAREL On demande maintenant à H. SIMON ce qu’il a entendu, lu, découvert de marquant hier soir, dans les papiers.

P. SIMON C’est comme dans les réunions habituelles : à la fin, quand les laïcs se sont exprimés, on demande le mot du Père, si je comprends bien !...

Après les questions tout à fait pertinentes relevées avant moi par mes collègues, je vais devoir revenir sur certaines qu’ils ont retenues. Mais auparavant, au risque de surprendre, je veux dire que ce qui m’a intéressé dans les comptes-rendus hier soir, c’est la présence de la société civile.

J’ai trouvé intéressant que plusieurs comptes-rendus disent l’utilité, l’importance pour les jeunes, pour la société, de notre présence par exemple dans les forums des métiers. C’est revenu dans l’aumônerie de l’Enseignement public, dans l’Enseignement catholique. Au moment où il y a des propositions faites pour informer les jeunes, il importe qu’en la personne des représentants des S.D.V. l’Eglise soit présente pour attester qu’il y a là des métiers susceptibles de permettre à quelqu’un d’être heureux.

Il y eut toute une étymologie autour du mot "métier", le lien avec le ministère, etc., je renvoie aux dictionnaires, ils sont bien faits sur cette question. Mais je trouve significatif l’intérêt à ce sujet.

On a insisté aussi sur la présence aux médias. Je reprends, pour le souligner parce que je suis tout à fait d’accord, ce qu’a dit notre Candide il y a un moment. Autant les grandes institutions et les Congrégations ont été utiles à la société civile au siècle dernier, selon les besoins d’alors, autant il faut se persuader sans complexe que sont utiles aux jeunes les propositions qu’on leur fait pour leur permettre de décider de choix dans leur vie, pour qu’ils prennent conscience d’être appelés à plus grand qu’ils ne le pensent peut-être. C’est vraiment leur rendre service à eux. C’est rendre service à la société civile, quoi qu’ils fassent après.

Hier on a dit : prendre en compte les besoins du monde, les attentes des personnes. Eh bien je crois qu’en servant ainsi la liberté des jeunes, on leur rend service à eux-mêmes et à la société civile. Je voulais souligner cette importance.

La deuxième chose que je tiens à souligner : on a parlé des temps forts. Un groupe a dit : comment faire, pour que le reste, le quotidien, ne soit pas perçu comme un temps faible ? D’où l’importance de l’accompagnement, des groupes de discernement... Je voudrais le souligner.

A propos de la mission : on en a parlé davantage hier après-midi et ce matin qu’hier matin. Mais je crois important aussi de voir ce qu’elle signifie. On ne peut tout dire lors d’une table ronde, mais je veux noter deux pôles. Le fait que des chrétiens, des ministres ordonnés, religieux, consacrés partent ad gentes pour fonder d’autres Eglises, ou travailler au service d’autres Eglises, ce fait rejoint la ligne apostolique ; c’est dans la continuité de ce mouvement qui vient du Christ et qui concerne toutes les nations.

Mais je suis très impressionné par des missionnaires que je connais, dont le seul désir est de mourir là où ils ont travaillé. Le fait que certains partent sans retour, c’est le signe que la mission, ce n’est pas seulement un service è rendre. C’est une vie à donner. Cela signifie quelque chose de la radicalité évangélique, ça signifie aussi que nous-mêmes nous avons reçu l’Evangile. Si plus personne parmi nous ne partait ad gentes, ce voudrait dire que l’Evangile est à nous depuis toujours.

Donc partir pour transmettre l’Evangile c’est reconnaître que nous l’avons reçu nous aussi. Voilà qui me semble important. Accessoirement, mais dans les temps qui sont les nôtres ce n’est pas du tout secondaire, c’est signifier l’unité du genre humain. Il n’y a qu’un seul Sauveur, c’est donc qu’il n’y a qu’une seule humanité. Et c’est l’honneur de l’Eglise, je crois, de signifier cette unité du genre humain : puisque l’Eglise au Concile se présente elle-même comme sacrement du salut, c’est-à-dire signe et moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité du genre humain. Je le redis, par les temps qui courent, c’est important.

P. BOUGAREL Candide a entendu, a vu des choses, ne serait-ce qu’en levant les yeux...

CANDIDE J’ai eu quelques distractions pendant tous nos débats dans cette salle. J’ai été interrogé d’abord par une remarque faite par quelqu’un après l’exposé du Père MARTELET. Cette personne disait, c’est un petit mot qu’on a lu à la table ici : "peu importe si on n’a pas bien tout compris : ce qui comptait c’était la conviction et cette conviction traduit la profondeur spirituelle ! "

Je ne veux pas juger de la profondeur spirituelle, Père MARTELET. Mais j’aimerais qu’on réfléchisse à ce mot "conviction". Alors mon regard s’est porté sur cette sorte d’extraordinaire superstructure qui couvre notre tête, et j’ai vu comme un gigantesque aspirateur à vocations ! Il y a donc ces structures métalliques qui peuvent représenter notre monde et l’Eglise qui telle une espèce de pieuvre tentaculaire se trouve partout, pour finalement aspirer toutes ces vocations dans des espèces de blocs de béton fermés. Et je me suis dit : ne tombe-t-on pas un peu dans le piège du militantisme de la conviction ?

On a parfois l’impression que par les vocations nous allons chercher à nous rassurer. Vous savez, une vocation particulière, quelqu’un qui devient prêtre ou religieux ou religieuse, c’est une fameuse pièce à conviction. Une conviction en chair et en os. Si des gens font ce choix, c’est que ça doit être vrai, cette affaire-là. Et s’il nous manque des pièces à conviction notre foi s’en trouve atteinte.

Je rappelle simplement qu’avec beaucoup de conviction bien des gens choisissent l’erreur, et ils s’y donnent avec dévouement ! On a beaucoup joué entre nous sur les convictions. On s’est donné des convictions, on s’est envoyé des convictions. Elles nous rassurent peut-être. Mais j’ai parfois l’impression qu’elles disent plus notre désarroi que notre confiance. Ainsi cette petite conviction que j’ai entendue : l’Esprit continue d’appeler mais c’est nous qui ne savons pas répondre. Je trouve ça assez fort : décider que l’Esprit ceci, l’Esprit ça..

Si on rayonne, on sera appelant ? Dans sa vie le Christ a eu des phases où il a été très appelant, d’autres où il a été plutôt repoussant. Pourtant n’a-t-il pas toujours été rayonnant ?

Je me suis rappelé alors que l’originalité des chrétiens, ce n’est pas tant la force de nos convictions, c’est notre liberté intérieure. Et c’est cette liberté qui nous rendra capables d’inventer les réponses du don et de l’amour. S’il y a moins de signes, c’est un appel à puiser en soi cette liberté intérieure, à bien l’enraciner dans la personne du Christ. Et s’il y a plus de signes, ils sont là pour nous ouvrir au mystère du don et non pas pour nous rassurer.

J’ai reporté mon regard sur cette superstructure qui nous coiffe. Je me suis dit que ce n’est pas un aspirateur, c’est l’inverse : une soufflerie : ça souffle de l’air chaud, c’est agréable. Et j’ai constaté qu’au fond il y avait comme des voiles dans cette superstructure, que ces voiles étaient tendues par un souffle qui venait d’ailleurs, qui ne venait pas de ces grandes souffleries. Et je me suis redit alors la petite phrase de l’Evangile de 3ean : "Le vent souffle où il veut, tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va... Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit".

P. BOUGAREL Beaucoup de réflexions, de suggestions nous sont venues des forums. Père SIMON, comment tenir compte de tout cela ? Comment le mettre en place, en mouvement ? N’y a-t-il pas trop de choses ?

P. SIMON Je ne sais s’il y en a trop, mais c’est vrai, il y en a beaucoup !
Je voudrais revenir à une question posée à plusieurs reprises : faut-il être un super crack intellectuel pour répondre à une vocation ? Elle me rappelle mon ancien ministère dans les séminaires.

Je crois pouvoir répondre : non, il n’est pas nécessaire d’être un super crack intellectuel pour répondre à une vocation. Et je crois pouvoir rendre cette justice aux séminaires : ils forment des gens qui, quand ils entrent au séminaire, ne sont pas du niveau de super crack et qui deviennent des prêtres tout à fait valables. Je parle des séminaires, je pourrais aussi bien parler des congrégations religieuses.

Ceci dit, je crois que dans l’Eglise de France, il nous faut travailler un peu avec notre tête aussi. On a fait souvent de 1’antiintellectualisme. On a confondu intellectuel et cérébral. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Je l’ai écrit dans le bouquin que vous avez cité : HEGEL dit que l’intelligence est d’abord dans la main. Il y a quelque chose de vrai.

Pour répondre à une vocation, il ne s’agit pas simplement d’acquérir un savoir théologique, il ne s’agit pas de savoir lire, écrire ou dire. Il y a aussi un savoir vivre qui est bien plus important. Quelqu’un qui sait nouer des relations, comprendre les gens, est peut-être plus apte que quelqu’un qui sait lire des livres. Je crois donc qu’à ce sujet il ne faut pas faire de complexes, mais pas non plus se donner des alibis.

On ne peut demander la même chose à tout le monde quant aux études. Mais on est en droit de demander à chacun de donner le meilleur de lui-même pour un meilleur service. Parce que nous sommes dans une société où les exigences intellectuelles sont de plus en plus importantes, il est important aussi que les personnes qui travaillent dans l’Eglise puissent se situer à parité avec celles de la société civile. Ce me semble tout à fait élémentaire.
Par exemple, par rapport à la vie religieuse il y a là, je crois, une interrogation.

Parce qu’on a peut-être encore trop, en France, l’image de la religieuse qui rend des services de toutes sortes mais qui n’a pas forcément acquis une formation théologique. Or aujourd’hui, il y a dans les universités plus de filles que de garçons. Si la vie religieuse veut retrouver sa signification, il faut aussi qu’elle accepte ce défi de la formation intellectuelle.

Pardonnez-moi, c’est rapide, c’est unilatéral, comme tout ce qu’on a dit autour de cette table. Il faudrait le travailler. Ce que je pense de tout ça ? J’y vois un appel pour tous, à reprendre les bribes de suggestions que nous avons faites à cette table ronde, dans ce congrès. A les re-travailler tous ensemble dans les S.D.V. en fonction des situations locales.

On a demandé à Mgr THOMAS s’il représentait l’épiscopat. Il a parlé en son nom, c’est pour cela qu’il était libre, le S.D.V. n’est pas une superstructure aspirante et refoulante. Il est au service, pédagogiquement, des diocèses où les situations locales sont diverses. J’ai été responsable d’un séminaire dans une région qui compte trois diocèses, la physionomie des diocèses est différente, comme aussi celle des S.D.V. Ils travaillent bien ensemble, je crois qu’ils travaillaient assez bien, et qu’ils continuent de bien travailler avec le séminaire. Ils sont dans notre salle, s’ils ne sont pas d’accord qu’ils se lèvent ! Il faut en ce domaine de la coordination parce que nous sommes en France et que nous avons à travailler ensemble. Mais il faut aussi respecter l’histoire propre, l’originalité de chaque diocèse.

Pour conclure je reprends ce qui a été dit au sujet de la liturgie. De fait elle a été décisive dans nos communautés parce qu’il fut un temps où c’était la communauté paroissiale qui s’exprimait dans la liturgie. Celle-ci était donc l’expression d’une communauté préexistante. Aujourd’hui, dans notre société, c’est la liturgie qui devient fondatrice des communautés.

Et actuellement, à mon avis, sur les trois pôles qui composent l’expression de l’Eglise, il y en a deux qui fonctionnent bien. Le pôle des grands rassemblements de populations en fête : "Dans l’Eglise en fête", nous avons chanté tout à l’heure... Cela on sait le faire actuellement, et c’est plutôt tonique, je l’ai déjà dit. On sait faire aussi les rencontres en petits groupes. Ce que vous avez fait hier et avant-hier est bien à l’image de l’Eglise de France à ce point de vue.

Mais il y a le niveau intermédiaire, celui de l’assemblée ordinaire du dimanche ordinaire. Là il y a probablement encore beaucoup à faire. J’ai constaté avec beaucoup de joie que dans les forums vous le reconnaissez. Il y a à travailler à une prise de conscience, M. AUVILLAIN l’a dit avant moi, pour que tous les baptisés re-découvrent qu’ils sont tous en situation de vocation.

En même temps, je crois qu’on peut être optimiste quand on voit tout le mouvement synodal qui s’accomplit à l’intérieur de l’Eglise et qui prend en compte précisément ce niveau intermédiaire.

Alors puisque nous repartons chez nous, faisons synode à notre façon, à notre vitesse, avec ceux que nous allons retrouver !

P. BOUGAREL Depuis un moment, M. AUVILLAIN, vous avez quelque chose à dire sur le droit à 1’échec...

M. AUVILLAIN Oui, dans un compte-rendu précédent, une question m’a frappé : quelle place faisons-nous à l’échec ?

A mon avis, en toute action il y a un risque d’échec. Il nous faut savoir qu’une fois partis d’ici, dans l’enthousiasme, avec tous nos projets, tout ne marchera pas forcément comme nous le souhaitons ! La place de l’échec ? Il ne faut pas être masochiste, et dire que plus ça rate plus ça a de la valeur spirituelle, non vraiment pas ! Il nous faut tout faire pour réussir. Mais soyons réalistes, sachons que certains jeunes, sur lesquels nous aurions misé, abandonneront au début du parcours, ou pendant, ou hélas après.

Il faut intégrer ce risque dans nos projets. Il faut savoir en tirer des leçons, Un échec devient valable si on repart en essayant de comprendre ce qui s’est passé. Il nous faut surtout en tirer parti. Nous devons nous dire que l’échec fait partie de notre travail. Evitons de nous appesantir dessus, mais sachons que nous pourrons le rencontrer à chaque moment. Encore faut-il s’entendre sur l’échec ! Sera-ce un échec pour nous ? ou pour celui qui n’a pas fait ce que nous espérions qu’il ferait ? Alors, c’est là que devra entrer en jeu notre optimisme : peut-être 5, 10, 15 ans après, sans que nous le sachions, ce qui s’est vécu au moment où nous étions en contact avec ce jeune servira, ou aura servi. Je voulais simplement attirer votre attention là-dessus.

P. BOUGAREL Madame de PREMONT, avant de finir, une femme a sûrement quelque chose à dire...

Mme de PREMONT Je suis laïque, je suis mariée, j’ai beaucoup apprécié la façon dont nous avons entendu parler et du mariage et du célibat consacré. J’en ai retenu que tous les deux signifiaient quelque chose de divin au milieu de notre société, quelque chose de Dieu et de l’homme. Simplement, ils le signifient de façon autre. Ils ne seront pas dévalorisés l’un par l’autre, tout au contraire : on les découvre dans leur complémentarité, dans cette vie et cette mission du Christ. C’est une invitation à en parler de façon conjointe dans notre pastorale des vocations . Pour inviter les jeunes à un choix libre et à un choix qui mène à la joie, au bonheur.

P. BOUGAREL Je sais que je serai critiqué parce que je vais maintenant poser les questions à l’évêque et que ce seront les dernières. Alors on me dira : tu as gardé le bon morceau pour la fin...

Père THOMAS, on vous demandait : pouvez-vous nous parler des diacres permanents ? Et je crois savoir, Père, que vous avez ordonné deux diacres handicapés physiques...

P. THOMAS Pour qu’il n’y ait pas qu’un modèle de diacre permanent...

Il peut être marié ou non, l’essentiel est qu’il soit ordonné dans l’Eglise pour être en permanence et par tout son être le signe du Christ Serviteur, le signe du Christ qui se fait proche des plus petits et des plus oubliés dans l’Eglise. Oui, c’est un peu cela : le signe du Christ qui sait se mettre à genoux devant les personnes humaines, comme à la Cène avant de se mettre à table et de présider l’Eucharistie et avant de dire en même temps qu’il est la Tête, le Seigneur.

Il faut les deux. Parce que si le diacre n’est pas là en permanence, si c’est simplement un état dans lequel on passe avant de prendre un certain pouvoir, on risque de prendre une attitude de pouvoir et de cléricature quand on est en responsabilité de présidence. L’Eglise a donc besoin, en chacun de ses rassemblements et de ses célébrations, d’avoir le Seigneur à genoux devant les personnes humaines et le Seigneur debout pour marcher à la tête de son peuple.

P. BOUGAREL Une autre question, Père THOMAS. De fait, dans ce congrès, il y a beaucoup de laïcs. On était habitué à ce que les évêques parlent souvent et que les fidèles soient passifs surtout. Là on a vu des évêques épiscopalement discrets, et des laïcs fort remuants. Quel visage cela vous donne-t-il ?

P. THOMAS Un visage qui n’est pas du tout malheureux ! Je suis toujours en train de me demander si pendant un certain temps, au fond, on ne s’est pas trompé d’Eglise. A force de se demander ce qu’il y a de nouveau, quand on voit l’Eglise faite d’hommes et de femmes, d’enfants, de jeunes, de personnes de tout âge et qui sont tous croyants et répondent à l’amour du Seigneur par toute leur manière de vivre...

N’a-t-on pas fait de l’Eglise un lieu spécial, des types de rassemblements spéciaux, des gens de relations tout à fait originales, comme des stéréotypes ? Votre question ne serait-elle pas le reflet de ce stéréotype ?

Voilà 62 ans que je vis mais je ne sais pas, ce stéréotype je ne l’ai jamais rencontré. Quand je suis avec des laïcs ou avec d’autres, je suis avec des gens qui croient ou non, c’est bien ça la réalité. Au fond, un évêque, alors, il parle ou se tait, il admire, il rend grâce. Il est heureux. De temps en temps il dit quelque chose aussi, il le dit librement. Il sait très bien que par ailleurs, pendant tout cela, il est le signe du Christ qui redit aux hommes, aux femmes : ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis ; et je vous ai établis, je vous ai fortifiés, je vous ai envoyés dans le monde pour que vous portiez du fruit et que ce fruit demeure...