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Laïcs en Pastorale des Vocations
Paule de PREMONT *
Il m’a été demandé comme femme, laïque, de faire une synthèse des deux premières questions de l’enquête qui a préparé ce Congrès. Je vous les rappelle :
1 - | A/ | Comment avez-vous été conduits à travailler pour la pastorale des vocations ? |
B/ | Aujourd’hui, quelles sont vos motivations profondes ? | |
2 - | A/ | En tant que laïc, comment voyez-vous le sens et l’importance des vocations spécifiques dans l’Eglise pour le monde ? |
B/ | Quelle chance représente pour l’Eglise, et pour vous, constat que cette enquête et vos réponses m’ont suggéré. Puis de reprendre sous cet éclairage les points majeurs que vous soulevez, à partir des questions.
I - TRIPLE CONSTAT Arrivant, avec un regard neuf sur cette pastorale des vocations assurée par des laïcs, trois choses me frappent, qui me paraissent en organiser la perspective : A - CET APPEL DES LAÏCS EST UNE CHOSE NOUVELLE B - IL EST REVELATEUR D’UNE CERTAINE ECCLESIOLOGIE : c’est à dire une certaine compréhension de ce qu’est l’Eglise C - Il nous renvoie à une question fondamentale sur l’Eglise : AU SERVICE DE QUI SOMMES-NOUS APPELES ? A/ nouveauté de la question Cet appel des laïcs est une chose nouvelle. Vous écrivez par exemple : Pour nous laïcs, la question des vocations a été longtemps considérée comme une affaire de clercs, ou celle des ordres religieux. Elle ne nous concernait pas, dans la mesure où l’ossature, si je puis m’exprimer ainsi, assurait elle-même son recrutement. Cela correspondait à la conception que nous avions de l’Eglise : une Eglise qui nous paraissait descendante, à recevoir comme une chose toute faite, et pour tout dire cléricale. B/ or l’appel des laïcs est révélateur… d’une autre ecclésiologie Car s’il y a mobilisation des baptisés aujourd’hui, ce n’est pas simplement parce qu’il y a urgence. C’est plus profondément parce que la réflexion qui a mené à Vatican II, et dont nous voyons ici les fruits, nous a fait redécouvrir que l’Eglise n’est pas d’abord une institution organisée par des clercs, mais un Peuple, le Peuple de Dieu, comme vous êtes nombreux à le rappeler. Elle est premièrement une communauté de croyants, dont nous sommes co-responsables, chacun avec sa vocation propre et dans sa complémentarité. Une complémentarité qui n’est pas concurrence, mais témoigne de la liberté de l’Esprit, dans l’Eglise du Christ. Ce qui nous amène à un troisième constat : C/ Cet appelle des laïcs à leur responsabilité dans la pastorale des vocations, renvoie au cœur même du mystère de l’Eglise En effet, la communauté ecclésiale n’est pas close sur elle-même. Comme le suggèrent vos réponses, elle a un horizon, plus encore elle a Quelqu’un au cœur de son mystère. Sa vérité c’est le Christ, dont elle est le Corps. C’est à partir de ce triple constat que vous m’invitez à faire, que je vais maintenant aborder les deux premières questions. II - POINTS MAJEURS La question 1 porte sur ce qui a mis en route votre participation à la pastorale des vocations ; la question 2, sur les convictions ecclésiologiques et christologiques que vous en retirez. On s’aperçoit dans vos réponses que les deux questions sont intimement liées. Ainsi, pour beaucoup d’entre vous, les motivations sont des convictions, ce qui révèle le lien entre pastorale et ecclésiologie. - Question l : A - COMMENT AVEZ-VOUS ETE CONDUITS A TRAVAILLER A LA PASTORALE DES VOCATIONS ? J’entends cette question comme une question sur le facteur qui a joué dans votre engagement. Et je remarque que dans une très large majorité vous répondez : par UN APPEL. Vous dites par exemple : Vous précisez de plus, que cet appel est passé par l’intermédiaire d’évêques, de prêtres, de membres d’antenne locale du S.D.V., de religieuses, de responsables de mouvements ; et qu’il s’adresse dans une large mesure à des laïcs engagés dans des services d’Eglise, où ils exercent une responsabilité vis-à-vis de jeunes. Ces indications me paraissent importantes, et elles invitent à se demander comment entendre un tel APPEL. S’agit-il d’une simple transmission au sein d’une Eglise recrutant pour son propre compte ? Mais il y aurait alors risque que l’Eglise se referme sur elle-même, ecclésio-centrisme. Ou ne faut-il pas voir dans cet appel, comme y invitent certaines réponses, la retransmission de l’appel de quelqu’un ; parce que si l’Eglise est appelante, c’est qu’elle est elle-même appelée, et qu’en elle le Christ représente 1’APPEL, est à l’origine de tout APPEL ? De plus, cet appel correspond à un recrutement de responsables qui vont comme vous le dites bien, témoigner auprès de jeunes. Or ce témoignage est justement ce qui fait la spécificité chrétienne. L’Eglise n’a-t-elle pas pour mission de faire entendre l’appel du Christ, qui l’ouvre à plus grand qu’elle, à une réalité ultime : le Royaume de Dieu ? Sans cet appel que resterait-il de l’Eglise ? Or, je constate que, pourtant, l’on n’ose plus appeler. B/ CECI REJOINT VOS MOTIVATIONS PROFONDES que l’on peut grouper autour de TROIS THEMES
Vous parlez d’aider les jeunes à reconnaître l’appel du Christ, à vivre leur foi , de les rassurer pour qu’ils n’aient pas peur d’être témoins, d’entendre un appel que nous qualifions dans ce congrès d’appel spécifique. On trouve toutes les étapes de votre aide à travers les termes d’éveil, de discernement, d’accompagnement, de soutien, de dialogue, de témoignage. Par ces expressions, ne laissez-vous pas entendre quelque chose d’essentiel ? Les jeunes d’aujourd’hui sont conditionnés, vous le savez comme moi. Or dans cette pastorale, vous les aidez à reconnaître ce que la société ne reconnaît pas. C’est bien d’une affaire spirituelle dont il s’agit : aider à naître, accompagner, soutenir, appeler une liberté à grandir ; dans le dialogue confiant que vous entretenez avec ce jeune, au sein des réalités de sa vie, dans ce tissu relationnel qui le façonne : famille, école, aumônerie, mouvement. Je pense que les parents qui participent à cette pastorale sont les premiers sensibilisés à cet aspect de la question.
Je cite : "Servir l’Eglise là où je suis appelé, voilà ce qui m’a motivé" Beaucoup de vos réponses témoignent de ce souci de l’Eglise. Mais j’aimerais vous poser la question : Quelle Eglise voulez-vous servir ? Si le service de l’Eglise est lié à l’idée que l’on se fait de l’Eglise, l’insistance sur les sacrements que je trouve dans vos réponses et sur laquelle je reviendrai, invite à penser que pour certains, servir l’Eglise c’est servir un milieu où l’on ne fait que recevoir. Or dans l’Eglise, sommes-nous simplement des consommateurs ? N’avons-nous qu’à recevoir ? Ou précisément, les sacrements ne sont-ils pas pour nous ce qui fait naître et porte notre responsabilité de fidèles qui avons à donner ? Ceci m’amène à votre troisième motivation :
C’est-à-dire : J’ai reçu le baptême, pourquoi l’Eglise m’a-t-elle baptisé ? Qu’a-t-elle fait de moi comme baptisé ? Qu’attend-elle de moi comme baptisé ? Question fondamentale en effet, et vous avez raison de mettre en évidence à travers cette interrogation, que l’on ne peut répondre à la question de la liberté et à la question de l’Eglise, si on ne sait pas soi-même ce qu’engagé le baptême des chrétiens. Si le baptême plonge dans le Christ mort et ressuscité, faisant de nous des membres de son Corps, dans la force de son Esprit, l’Eglise ne saurait être réduite à un parti ou à une institution. Elle est bien cette communauté où nous sommes non seulement tous responsables, mais où nous découvrons, comme vous le dites, les uns par les autres, le sens spécifique de nos vocations. Mais votre interrogation va très loin. Elle demande si cette vocation commune, qui est de se recevoir du Christ en devenant son Corps, n’implique pas aussi l’existence de vocations spécifiques qui soient au service de la communauté tout entière et en rappelle la mission. C’est la question qui vous était posée ensuite. - Question 2 : A - EN TANT QUE LAÏC, COMMENT VOYEZ-VOUS LE SENS ET L’IMPORTANCE DES VOCATIONS SPECIFIQUES DANS L’EGLISE, POUR LE MONDE ? QU’EN RETIREZ-VOUS DANS VOTRE RAPPORT AU CHRIST ET A l’EGLISE ? Cette question n’a pas été toujours clairement perçue. Certains questionnaires l’indiquent, ou laissent la question sans réponse. D’autres notent qu’ils ne comprennent pas le sens de l’expression "spécifique". N’avons-nous pas tous une vocation spécifique ? D’autres encore ne font pas le lien entre les deux parties de la question qui est non seulement la spécificité mais le rapport de cette spécificité au mystère de l’Eglise. Peut-être a-t-on utilisé ici des catégories qui ne vous sont pas familières. C’est une des questions à se poser. Pourtant, si on part du Christ comme fondement de l’Eglise, ainsi que le suggèrent de nombreuses réponses, on découvre qu’il y a des éléments structurants nécessaires, des ministères ou articulations vitales pour que l’Eglise puisse accomplir sa mission, qui est de présenter au monde le message, la vie et les mœurs du Christ. Ces éléments spécifiques sont dons du Christ Ressuscité à son Eglise, comme plusieurs le soulignent, car l’Eglise ne se donne pas sa mission, ni sa vie, elle les reçoit. Dans le regard que vous portez sur les vocations spécifiques, deux points ont retenu particulièrement mon attention :
Certains disent : "Nous avons besoin du prêtre qui donne les sacrements" C’est vrai, mais le ministère du prêtre est-il d’abord de donner les sacrements ? Son premier ministère n’est-il pas d’être l’homme de l’annonce publique du Christ, selon l’Evangile ? Croirions-nous si le Christ n’était pas annoncé ? Ce n’est qu’ensuite que viennent le sacrement et les mœurs. Au service de 1’apostolicité de l’évêque, le prêtre est ainsi, comme vous le dites, le "rassembleur" de la communauté qu’il va fonder sur ce message qu’est le Christ, sur la vie propre du Christ Ressuscité, sur les mœurs du Christ. Mais s’il est ce rassembleur, s’il pose le fondement, il n’est pas lui-même le fondement, comme je l’ai vu écrit. Pas plus qu’il n’est le seul "vecteur" ou "passerelle" (pour reprendre vos termes), qui nous relie au Christ. "Impossible d’aller au Christ sans le prêtre et les sacrements". Non, car l’Eglise n’est pas l’Eglise du prêtre, mais l’Eglise de Jésus-Christ, dans la force de son Esprit.
Vous la voyez surtout dans l’ordre du signe, de la gratuité du don d’une vie, témoignant de l’Absolu de Dieu. Certains ont en outre évoqué un service plus particulier du monde et l’accompagnement spirituel des laïcs. Nous ne savons pas toujours bien situer ces vocations de religieux et de religieuses. Et il serait éclairant ici de retrouver tout le sens, la richesse de telles vocations pour la mission de l’Eglise, à partir de "l’inspiration fondatrice", à la base de chacune de ces familles religieuses nées au cours des âges, à travers différentes cultures ou circonstances. Pourtant, vous suggérez quelque chose de fondamental : Si la vie religieuse n’a pas de fonction hiérarchique, pas plus que Marie n’en avait dans la première communauté chrétienne, elle remplit cependant une fonction constitutive essentielle qui est d’ordre spirituel. Elle rend en effet un double témoignage. Elle nous dit d’une part l’amour du Christ comme tel, sans référence à une structure, et que dans l’Eglise ce qui est aimable c’est le Christ, que tout a rapport à cet amour, tout prend sens en fonction de cet amour, s’organise à partir de cet amour : la communauté comme les ministères qui la structurent intérieurement. Elle nous dit d’autre part la liberté inventive, dynamique de l’Esprit. Elle nous fait comprendre que si la structure qui organise intérieurement l’Eglise et lui est nécessaire, est dominée par la présence de Quelqu’un, ce Quelqu’un ne saurait être enfermé dans une structure. C’est pourquoi cette vie religieuse nous paraît proche de l’individualité et des situations particulières, aide les laïcs à s’approprier les mœurs du Christ, au cœur de leurs entreprises. Cela met bien en évidence qu’il y a non seulement complémentarité au sein de ces vocations spécifiques, mais que cette complémentarité est nécessaire à la vitalité de tout le corps. Si les vocations religieuses accompagnent ce mouvement de diastole des vocations particulières, qui les envoie témoigner dans la diversité du monde, dans la pulvérisation des responsabilités, le ministère sacerdotal, ministère de communion, permet le mouvement de systole qui regroupe dans l’unité de la confession, de la vie et des mœurs du Christ, la diversité des vocations. Abordons maintenant la dernière question. B/ QUELLE CHANCE REPRESENTE POUR L’EGLISE, ET POUR VOUS, LA PARTICIPATION DES LAÏCS A L’EVEIL DES VOCATIONS SPECIFIQUES ? Quelle richesse, quel renouveau représente pour cette pastorale la présence des laïcs ? Dans vos réponses, vous faites ressortir trois idées-clé : - Cette participation retire à la question des vocations son caractère purement clérical (voire sacralisé) en la référant à la responsabilité de tous, - Dans cette co-responsabilité, les laïcs apportent une dimension de dialogue avec le monde - Ils renouvellent la pédagogie de cette pastorale, notamment par leur connaissance directe et leur proximité des jeunes.
Ce "tous ensemble" est une insistance commune. La question des vocations n’est pas une chasse-gardée, une "affaire de curés" ; nous sommes tous concernés, c’est l’affaire de tous. Et la chance de l’Eglise, ce n’est pas tant que des laïcs participent à l’éveil des vocations, c’est, dites-vous "que les communautés catholiques : prêtres, laïcs et consacrés ensemble, agissent en tant que telles pour l’éveil aux vocations. Ce sont ces communautés aussi qui doivent soutenir et accompagner les vocations". Car l’Eglise est tout entière en état de vocation et de mission. Et dans ce "tous ensemble", chacun participe avec son charisme propre, témoignant de la créativité de l’Esprit, qui sait pourvoir aux besoins de l’Eglise, dans la mesure où, comme vous l’exprimez, la communauté chrétienne le désire et cherche à y prendre sa part. LE DIALOGUE AVEC LE MONDE Dans cette mise en oeuvre de la complémentarité, vous mettez en évidence que les laïcs apportent leur sensibilité particulière. Les laïcs décloisonnent cette pastorale des vocations, en la reliant aux interrogations, aux besoins du monde, ce monde où l’Eglise a à prendre corps, à assumer une existence historique. Ils l’ouvrent à la mentalité, au langage des hommes de ce temps, dans leurs diverses sensibilités (vous évoquez celle du monde ouvrier). Ils lui apportent leur expérience, leur connaissance acquise des hommes et des choses. Vous remarquez qu’il est important qu’un jeune qui cherche à traduire concrètement l’appel du Christ, sous l’inspiration de l’Esprit, soit confronté à ces réalités du monde. Cela le provoque à regarder au-delà de la seule gestion des structures ecclésiales ad intra, et lui fait découvrir qu’il y a plusieurs façons de vivre l’alliance avec Dieu, d’être signe du Royaume. Vous rappelez notamment l’importance du témoignage des couples.
Comme vous le laissez entendre, cela aide à la liberté d’expression (le dialogue avec un laïc paraît plus gratuit), cela permet de dédramatiser un projet vocationnel. Situés au cœur de ces relations que tisse le jeune dans son milieu de vie, vous êtes bien préparés à aider à ce déconditionnement, à cette libération de la liberté, qui paraissent un enjeu capital aujourd’hui. CONCLUSION Pour conclure cette brève synthèse, j’en reprendrai les affirmations essentielles, avec les points qu’elle invite à creuser :
Il me semble que vous nous invitez, de plus, à approfondir cette question de la "spécificité" de certaines vocations, pour le service de tous ; à creuser ce qu’engagent ces notions de co-responsabilité et de complémentarité ; à aller plus avant dans la réflexion sur le sens de cette mission de l’Eglise, non seulement ad intra, mais inséparablement ad extra, en plein cœur du monde, au service des plus pauvres et, également, à s’interroger sur la façon dont nous comprenons ces rapports : appel et liberté, appel et projet. Nous ne sommes pas toujours au clair avec ces notions. Si la vocation met l’accent sur la précédence de l’appel du Christ, en qui tout subsiste, il ne s’agit pas d’oublier la consistance propre du sujet, ses aptitudes, son autonomie d’accueil. L’appel de Dieu passe par l’intégration de cette autonomie. Je vous invite maintenant à y réfléchir. Le chantier est ouvert. * Madame Paule de PREMONT, mariée, mère de trois enfants. Elle vient de réussir une licence de théologie au cycle C de l’Institut Catholique de Paris. Elle a trouvé dans la famille et la spiritualité ignatiennes la source et la vigueur de ses engagements. [ Retour au Texte ] |