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Pourquoi les baptisés doivent-ils participer à l’éveil des vovations particulières ?
PRESENTATION du Père Gustave MARTELET - par le Père Claude Digonnet Né en 1916 à LYON. Auteur d’un vingtaine d’ouvrages, le Père MARTELET a publié entre autres : Ce sont ces trois ouvrages qui nous ont fait penser au Père MARTELET quand nous avons cherché un théologien pour lancer et nourrir notre réflexion dès l’ouverture du Congrès. Nous souhaitions un bon appui sur les textes conciliaires et spécialement Lumen Gentium. Nous avions besoin de nous rappeler les "idées maîtresses" et l’esprit du Concile. Nous souhaitions entendre parler de vocations spécifiques bien enracinées dans la vocation humaine et chrétienne et au service de cette vocation... Le deuxième ouvrage cité présente cet apport d’anthropologie chrétienne. Nous souhaitions enfin qu’à l’intérieur des diverses vocations spécifiques, le ministère apparaisse dans toute son originalité. Les trois tomes du dernier ouvrage honoraient cette demande. Dès nos premières rencontres de travail, nous avons compris que nous avions sonné à la bonne porte et que nous nous étions adressé à un théologien mais aussi à un spirituel au sens le plus fort de ce mot. |
POURQUOI LES BAPTISES DOIVENT-ILS PARTICIPER A L’EVEIL DES VOCATIONS PARTICULIERES ?
Gustave MARTELET
Je suis bien triste de prendre la parole, non pas parce que vous êtes là, au contraire je suis heureux de parler devant vous, mais bien triste après ce que vient de dire le Père DIGONNET, que je ne vais pas honorer du tout, et en fonction des questions posées par Mme de PREMONT auxquelles je ne répondrai pas davantage !Ce que je voudrais faire aujourd’hui devant vous, c’est présenter l’ensemble du mystère de l’Esprit sans lequel les problèmes qui nous sont posés sont, me semble-t-il, insolubles.
Donc, je vais foncièrement vous décevoir. Mais, si vous acceptez de perdre votre âme pour la trouver, vous êtes en très bonne disposition pour m’entendre !Ne cherchez pas des solutions car je me placerai du point de vue des convictions qui me paraissent les plus importantes en fonction des problèmes posés.
Pour évoquer théologiquement l’horizon de ce Congrès, je dirai qu’il se situe dans une Eglise conciliaire d’inspiration, sacramentelle de structure, spirituelle ou pneumatique de réalisation. Avec pneumatique : c’est vraiment du Saint Esprit qu’il s’agit.
1.L’Eglise dans laquelle nous travaillons est UNE EGLISE CONCILIAIRE d’INSPIRATION.
L’aspect sous lequel je voudrais prendre l’inspiration du Concile est celui de son décentrement. Voilà le paradoxe :
- Les évêques réunis par Jean XXIII (2 200 environ) pour l’assister dans cette fonction si difficile de conduire l’Eglise à ce tournant des millénaires, étaient réunis pour parler d’eux-mêmes, dans la suite de Vatican I qui avait parlé surtout du pape. Vatican II parlera donc des évêques !
Or l’intuition que tous ces hommes ont eue c’est que, pour parler d’eux-mêmes, il fallait commencer par s’en taire. Pourquoi ? Parce que l’épiscopat, le presbytérat, le diaconat, tout ce qui est ministère ordonné dans l’Eglise est essentiellement un service et non pas un pouvoir. Un mot a fait fortune au début du Concile à ROME, à savoir le mot : DIACONIE, diaconat, c’est-à-dire service, ministère.
Dans cette prise de conscience est apparu ce qui est absolument fondamental dans le ministère apostolique, à savoir le décentrement de soi. Décentrement sur qui ? La structure même de LUMEN GENTIUM permet de le comprendre : décentrement du ministère sur le peuple de Dieu. La vision cléricale de l’Eglise serait que les fidèles soient faits pour les prêtres et les évêques ! Personne ne le pense comme tel, mais il est bon de rappeler que le ministère a pour raison d’être les baptisés, les fidèles du Christ, bref le peuple de Dieu dont font partie d’ailleurs les ministres ordonnés.
A son tour, le peuple de Dieu dont on exclurait à tort le ministère ordonné, ne doit pas devenir le principe, la source ou le lieu d’une nouvelle cléricalisation. J’appelle cléricalisation ici le fait qu’une vocation quelconque dans l’Eglise se vivrait pour elle-même comme une "puissance" et dans l’exclusion virtuelle des autres.
Or le cléricalisme, c’est cela qui a été le défaut majeur du ministère ordonné pendant des siècles. Ce défaut ne doit pas devenir celui du peuple de Dieu qui se prendrait lui-même pour la totalité de l’Eglise en excluant tout ce qui n’est pas de lui, c’est-à-dire tout le ministère ordonné, par exemple en s’en désintéressant.
Vatican II enseigne que le peuple de Dieu sur lequel s’est décentré l’épiscopat doit lui-même se décentrer sur le monde. Pourquoi ? Parce que l’Eglise du Christ se définit par sa mission : "Allez..." (finale de l’Evangile de St Matthieu). Le peuple de Dieu doit être tourné vers le monde. Non pas pour s’y évaporer mais pour témoigner que le monde lui-même est bâti sur le mystère du Christ, qui l’ouvre au mystère de Dieu. Il s’agit donc d’un décentrement progressif qui met l’Eglise tout entière en état de mission à partir de son insertion dans le Christ. Un tel horizon est évidemment celui dans lequel se place le service des vocations pour le peuple de Dieu tout entier.
2. Cette expérience conciliaire d’une décentration nécessaire de l’Eglise a permis de redécouvrir la signification d’un terme théologique, jusqu’alors couramment réservé aux seuls sacrements et que Vatican II attribue à l’Eglise dès le premier mot de Lumen Gentium. Le cardinal OTTAVIANI, alors Préfet du Saint Office, s’est d’abord élevé contre cet usage, déclarant que, d’après le Concile de Trente, il y a sept Sacrements et non pas huit, le huitième étant soi-disant l’Eglise ! Il n’avait pas vu que, de même qu’il y a dans la main une paume qui tient les cinq doigts, de même l’Eglise est la paume qui tient les "sept Sacrements pour pouvoir les donner comme le toucher du Christ qui sanctifie le monde. Il est donc possible et nécessaire de dire que l’EGLISE EST COMME UN SACREMENT.
Ce que Vatican II a déclaré dès les premiers mots de Lumen Gentium, cette qualification, d’ailleurs traditionnelle de l’Eglise chez les Pères, revêt une portée nouvelle en raison de l’expérience qui lui a redonné le jour au Concile. La sacramentalité de l’Eglise implique le fait que l’Eglise doit être décentrée de soi sur le Christ, sur le Royaume, et que sa signification dans le monde n’est pas centripète, mais foncièrement centrifuge. Elle est faite pour le monde et non le monde pour elle.
Si les évêques sont apostoliquement ordonnés en fonction du peuple de Dieu, l’Eglise tout entière existe pour l’ostension qu’elle doit faire du Christ au monde. La figure du Baptiste permet de bien comprendre ce qu’est 1’Eglise-Sacrement. Le Baptiste n’a de corps, de doigts, de voix que pour montrer le Christ et pour dire en le montrant : "Je ne suis pas le Christ". Si ensemble, nous sommes l’Eglise, ensemble nous devons vivre, quelle que soit la place que nous avons dans l’Eglise, dans le souci d’un autre que nous. Il nous faut être l’Eglise dans une réciprocité parfaite, les uns par rapport aux autres, selon nos différents ministères ou nos différentes vocations, mais référée à un autre que nous, à savoir le monde à qui nous devons annoncer le Royaume. Sinon, nous serions les boutiquiers d’une entreprise qui n’a rien à voir avec le mystère de l’Eglise.
C’était la deuxième caractéristique annoncée. Et voilà la troisième.
3. L’ESPRIT SAINT EST LE PRINCIPE IRREMPLAÇABLE POUR LA REALISATION D’UN TEL MYSTERE
On a reproché au Concile Vatican II de ne pas avoir été assez "pneumatique", non pas au sens de Michelin ! mais en disciple de l’Esprit Saint. Il y a du vrai et il y a du faux.
C’est vrai qu’en Occident, le langage sur la grâce a souvent masqué celui sur l’Esprit Saint. Si l’on parle ici du Saint Esprit, c’est pour une raison très simple. Le problème des vocations dans l’Eglise, tel que l’envisage ce Congrès, suppose que tous les baptisés prennent à cœur le souci des vocations et notamment des vocations spécifiques, ministères ordonnés et vie religieuse comprise. Or un tel souci pour un tel problème suppose que personne ne se voie comme étant à soi seul la totalité de l’Eglise, que ce défaut ne soit ni celui des prêtres, ni celui des laïcs, ni celui de la vie religieuse, que chacun, au lieu de sectorialiser l’Eglise et d’en démanteler 1’ecclésialité, se découvre vraiment comme inséparable de l’autre et traite vraiment l’autre ainsi. C’est pourquoi la question des vocations ainsi envisagée suppose un vrai passage à l’autre. Or le principe d’un tel passage, c’est avant tout le Saint Esprit. Pourquoi ?
Partons d’aussi haut qu’il le faut pour moins mal comprendre le mystère de l’Esprit Saint. Impossible sans partir du mystère trinitaire. C’est peut-être d’abord le mystère d’une prodigieuse altérité qui aboutit à une non moins prodigieuse communion. Je viens d’évoquer 1’altérité du Père et du Fils dans la communion de l’Esprit.
Du Père BALTHASAR, mort après sa nomination au cardinalat par Jean Paul II, j’ai entendu, un jour, voici quelques années, une remarque qui a été pour moi comme une illumination sur le mystère trinitaire de Dieu : "Il ne faudrait pas oublier, a-t-il dit ce jour-là au terme d’une réunion de la Commission internationale de Théologie, il ne faudrait pas oublier qu’entre le Père et le Fils, il n’y a pas d’analogie". Bien sûr, il y a entre eux deux unité de nature. Ils sont tous deux également et indivisiblement Dieu. Mais en tant que personne, le Père est celui qui donne, celui qui est la source et le Fils celui qui reçoit.
Or même si le Fils rend au Père, se donne à Lui en un retour absolu, il ne rend au Père que ce qu’il a reçu de Lui et reste ainsi toujours le Fils qui se doit tout entier au Père si bien que l’un et l’autre, dans le mystère de leur divinité commune, ont une personnalité réciproque entièrement différente. Cette différence est telle qu’elle est le principe de deux personnes infiniment distinctes entre elles quoiqu’également divines.
Il y a donc dans la Trinité, 1’altérité fondamentale du Père et du Fils qui est l’œuvre éternelle du Père pour la joie éternelle du Fils. Sur cette lancée, disons que le mystère de l’Esprit est le mystère de celui que la différence infinie du Père et du Fils comme personnes ne désespère pas d’y voir la condition d’une union à nulle autre pareille et qui soit celle d’un amour absolu dont l’Esprit Saint est comme l’existence et le sceau. La personne de l’Esprit Saint est celle de celui qui n’existe en Dieu qu’au titre de rapport éternel entre un tel Père et un tel Fils ! Bien sûr, depuis toujours le Père ne désire engendrer le Fils que dans un amour parfait et le Fils lui-même ne reçoit la divinité que dans une ouverture infinie pour le Père. Et cependant, entre eux, et justement à cause de cela, il y a en eux l’Esprit Saint qui n’a d’existence qu’au nom de cette altérité du Père et du Fils dont il tire, si l’on peut ainsi dire, tout en en résultant, une communion proprement infinie. On peut donc dire que l’Esprit Saint, par fonction éternelle, par tempérament de toujours, par naturel, par personnalité, par mystère spécifique, est celui qui, dans la Trinité, a le génie de 1’altérité en vue de la communion.
Plus il y a de différence, plus il est capable d’assurer l’unité : c’est sans peine dans le mystère de Dieu, mais non pas sans effet. C’est pourquoi éternellement habilité au mystère de l’union, l’Esprit Saint peut être, dans l’Eglise, le principe d’une différenciation qui n’a pas d’autre but que la communion qui doit être d’autant plus profonde au dedans qu’elle commande la mission hors les murs de l’Eglise. Il est impossible de penser le thème de ce Congrès si nous ne nous persuadons pas du rôle irremplaçable en nous, dans l’Eglise, de cet Esprit qui fait la communion dans la différence, et que l’on peut définir comme celui qui a la passion de l’autre. Il a la passion de l’autre non pas pour l’abolir dans une aliénation, mais pour permettre de faire découvrir à chacun que notre différence est pour la communion avec qui nous est différent.
La passion éternelle de l’autre qui définit le Saint Esprit doit devenir dans l’Eglise la passion historique de chacun des membres de l’Eglise pour ce qu’il est, bien sûr, mais surtout pour ce qu’il n’est pas, de telle sorte qu’il n’y ait pas rivalité des uns et des autres mais au contraire réelle communion. L’Esprit, en nous faisant nous-mêmes, ne le fait qu’en nous apprenant à sortir de nous vers l’autre pour trouver ainsi notre véritable identité et entrer de ce fait dans le total mystère trinitaire, mystère de communion dans la différence. Cela étant, je pourrais m’arrêter car l’essentiel est dit.
Cependant, comme j’ai quand même une heure, je vais essayer de montrer en sept points comment le Saint Esprit révèle, à travers son travail tout au long de l’histoire spirituelle du monde, les mœurs dont nous avons besoin dans l’Eglise.
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La première étape est celle de la CREATION .
Rien que cela ! Il est là, selon que la Genèse nous dit que, sur le chaos, l’Esprit volète et qu’il y semble tout heureux. Pourquoi est-il si heureux ?
Parce que ce chaos qui prélude à la Genèse de ce monde représente une différence absolue à l’égard de Dieu. Or, comme l’Esprit c’est essentiellement la personne, ou, selon le vocabulaire théologique qui dit la même chose, l’hypostase de l’union, plus il y a de différence, plus il y a d’altérité, plus il est content. Or, si unir les contraires c’est le métier de l’Esprit Saint, si la création consiste à partir du chaos, quelle chance pour lui ! Il va pouvoir conduire cette différence radicale de Dieu à l’union même avec Dieu. Il est sûr en effet que, si Dieu se décide à poser l’univers, c’est pour pouvoir s’unir à un tout autre que lui. Ce tout autre étant tout d’abord comme chaos de 1’infiniment autre, la joie de l’Esprit Saint est totale. Plus il aura à travailler dans la différence, plus il pourra rêver de communion. Il a donc du pain sur la planche et il volète, heureux, sur le chaos, se réjouissant à l’avance du travail qui l’attend et de l’immense effort du monde qu’il va devoir soutenir pour que ce monde aille du chaos à la vie, de la vie à l’homme et de l’homme jusqu’au Fils de Dieu qui s’incarnera dans ce monde pour être le principe de la communion définitive et radicale de ce monde si différent de Dieu avec Dieu lui-même.
L’allégresse de l’Esprit au départ du monde lui vient de la tâche impossible d’union et de sur-union des contraires qui l’attend dans ce monde que le Père vient de poser d’abord sous forme de chaos.
Cette première étape nous permet de comprendre que, si nous trouvons dans l’Eglise des situations qui nous paraissent chaotiques, il faut faire appel à l’Esprit car lui seul, du chaos apparent, est capable de faire sortir la communion car il demeure celui qui unit les contraires et qui traite les contraires de telle sorte qu’ils s’harmonisent en communion.
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La seconde étape est celle de son INCOGNITO, très importante pour nous aussi.
Il va surtout, dans le secret des consciences et des cœurs, agir, sans que personne ne le sache, pour que l’humanité, du point où elle en est de son rapport implicite ou naissant à l’égard de Dieu, s’oriente en profondeur vers celui qui s’étant déjà ouvert à elle, est capable de l’ouvrir à lui, au-delà de la conscience formelle qu’elle en a.
Cette oeuvre de l’Esprit qui reste incognito, nous permet de comprendre le travail "ad extra" de l’Eglise. La plupart du temps, nous avons le contact avec un monde auquel nous ne pouvons pas dire le message dont nous sommes porteurs. Il doit "passer", pourtant, à travers la manière dont nous vivons avec les autres et pour eux. Quelque chose qui n’est pas clairement perceptible et qui agit cependant, peut influer le monde à son insu non pas contre sa liberté mais au plus profond de lui-même, là où travaille l’Esprit qui sait le respecter et pourtant le trouver.
D’où l’impossibilité de nous désespérer si le travail que nous avons à faire dans la mission demande pour nous un travail purement incognito. Nous avons alors avec nous un très bon compagnon ou plutôt c’est nous qui entrons dans le compagnonnage du Saint Esprit qui, depuis deux millions d’années au bas mot, travaille incognito l’humanité et la conduit dans la proximité d’un Dieu qui se rapproche d’elle sans qu’elle le sache mais non pas sans qu’elle en bénéficie. C’est la deuxième étape.
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La troisième étape est un nouveau bonheur pour l’Esprit, c’est celle de la PROPHETIE.
Les quinze milliards d’années de genèse du monde actuel, humanité non comprise, si l’on accepte les évaluations actuelles, sont quinze milliards de silence cosmique pour l’Esprit. Il a travaillé sans qu’on en sache le comment, mais on sait qu’il a travaillé à assister l’évolution du monde pour que, prenant tout son temps, elle puisse aboutir, pas de partout, mais le long d’une crête sagittale, à l’apparition d’un être conscient, capable de s’ouvrir peu à peu au mystère de Dieu.
Pendant tout ce temps, le Saint Esprit s’est tu, il a eu le courage de se taire. Il a gardé pour lui, tout en s’en inspirant dans le monde en genèse, ce qu’il avait dans le cœur, à savoir le dessein créateur d’unir le monde au Père dans le mystère du Fils.
Mais désormais, avec l’âge prophétique, c’est à dire avec la naissance de l’Ancien Testament, le Saint Esprit commence à être libéré ; il va pouvoir confier quelque chose de son secret. Non pas le dire encore totalement, mais d’une certaine façon, le pré-dire. Il va créer le langage qui, dans le peuple élu, permettra au Fils, l’heure venue, de parler. Car le Verbe de Dieu a besoin d’apprendre à parler le langage des hommes et l’Esprit Saint prépare pour Lui les mots par lesquels le Fils pourra dire clairement le message absolu. Durant la période prophétique, le Saint Esprit a donc le courage non plus seulement de l’incognito, mais celui des préparations encore balbutiantes. Il prépare dans Israël les mots qui permettront au Fils de dire ce qu’il a à nous dire de la part du Père dans la puissance unitive de l’Esprit Saint.
Cette étape du mystère de l’Esprit est, elle aussi, exemplaire pour nous. Elle nous donne la certitude que nous pourrons, dans l’Esprit Saint, découvrir peu à peu les paroles que nous avons a dire dans l’Eglise ; mais plus encore hors d’elle, où nous sommes appelés à dire le message du Christ et la vérité du Royaume. Comment ne serions-nous pas associés aux préparations prophétiques, auxquelles le Saint Esprit lui-même s’est assujetti dans le Peuple de Dieu ! Lui-même n’a pas tout dit à la fois ; c’est peu à peu qu’il s’est libéré de son secret ; il a donc eu la patience des paroles progressives qui rendent possible la parole de plénitude. Vous voyez donc que le mystère de l’Esprit à l’intérieur de toutes ces étapes est l’éducateur du fidèle du Christ, du baptisé du Christ, du ministre du Christ ; il nous apprend à faire de façon personnelle et modeste, ecclésiale aussi, ce que lui-même a fait dans la préparation prophétique du peuple de Dieu, pour recevoir le Christ.
C’est la troisième étape : En elle, il devient clair que le Saint Esprit est celui qui assure la jonction. Il fait la jonction entre deux appels : 1’appel radical, c’est l’appel du Père qui crée le monde pour que le monde puisse entrer dans son propre mystère."Au nom de cet appel, le Père demande au Fils de bien vouloir se préparer à entrer dans l’univers de la création pour y dire le mystère ultime de Dieu et donc le mystère ultime de l’homme. C’est l’appel radical, celui qui vient d’en haut, dont l’Esprit prépare les moyens d’expression à travers l’étape prophétique.
Mais le Saint Esprit fait la jonction aussi avec un autre appel, son répondant, l’appel venu d’en bas. Au sein d’une création faite pour devenir le lieu nuptial de la rencontre de Dieu et de l’homme, le cœur de l’homme est de façon innée aussi un appel vers Dieu. L’Esprit Saint est du côté et au-dedans des deux appels : de l’appel que le Fils reçoit de bien vouloir entrer dans notre humanité et d’avoir le courage du dépouillement de lui-même pour devenir l’un de nous et de l’appel de l’humanité qui, sans le savoir, désire celui qui lui est destiné. L’Esprit Saint fait la jonction des deux. L’étape prophétique ne peut être comprise comme oeuvre de l’Esprit que si elle est celle d’une parole qui fait retentir en même temps la réalité de ces deux appels et qui en assure au cœur de l’histoire des hommes la parfaite jonction. C’est à servir cette jonction que nous sommes appelés nous aussi. Dans l’ad extra de l’Eglise, il nous est demandé de garder toujours présent le sens de l’appel du Père au Fils en vue de l’incorporer à notre humanité et l’attente ou l’appel de l’humanité qui, même quand elle le nie ou l’ignore, est faite pour recevoir celui qu’elle semble d’abord refuser ou d’abord ignorer.
Notre travail, dans l’Esprit, est celui qui tient patiemment, obstinément, les deux appels ensemble pour qu’ils retentissent au cœur de ceux que nous devons, comme chrétiens, servir, ayant commencé par accepter d’entendre cet appel de l’homme et cet appel de Dieu de l’intérieur même du mystère de l’Eglise.
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La quatrième étape, alors, c’est évidemment le point culminant de l’opération historique du Saint Esprit.
En effet, 1’INCARNATION, c’est la réussite suprême de l’Esprit. Sans prétendre épuiser le mystère, mais pour éviter de le laisser dans le silence et le non-dit, j’ai proposé de dire que le mystère du Saint Esprit en Dieu, c’est le mystère de l’union des contraires. Les contraires, ici, sont l’originalité infinie du Père et du Fils, le Père qui donne et le Fils qui reçoit, le Saint Esprit étant celui qui, entre les deux, n’existe que comme une ouverture aux deux autres pour les unir infiniment entre eux dans sa propre Personne. Le Saint Esprit est donc éternellement l’union d’amour d’éternels contraires, qui définissent le mystère de Dieu. Dès lors, on peut pressentir comment l’Incarnation est, dans l’histoire, le chef-d’œuvre du Saint Esprit, puisque, dans la chair de l’humanité (nous saluons ici Marie), va se faire une prodigieuse union des contraires. Non pas en Dieu seulement, entre les Personnes divines selon l’unité indivisible de la Nature divine, mais entre Dieu et l’homme selon une entière diversité des natures, Dieu et l’homme vont passer l’un dans l’autre en Jésus-Christ, sans que jamais l’un nuise à l’identité de l’autre, ni le plus grand au plus petit, de telle sorte que le plus petit restant lui-même, pénètre dans le plus grand et participe réellement à son mystère. Les Pères de l’Eglise nous ont appris à analyser ce prodige d’amour et ils nous disent : l’Eternel est entré dans le temps, l’Infini dans notre finitude, l’Immense dans l’infime, l’Immortel dans la mortalité. Dieu s’est fait homme, le Verbe s’est fait chair, le Fils s’est fait l’un de nous, afin qu’en lui l’homme soit fait Dieu et que l’affiliation de l’humanité tout entière au mystère sur-vivifiant du Père se réalise grâce au Fils dans la puissance d’union du Saint-Esprit.
Rappelons-nous ce que nous avons dit, dès le début, qu’il a le génie de l’union. Mais il n’a pas seulement le génie de l’union en rêvant de l’union : il a le génie de l’union en réalisant dans l’Eternité de Dieu l’unité du Père et Fils et il l’a dans le Christ en y réalisant l’union de Dieu et de l’homme de sorte que l’homme soit aussi totalement ouvert et donné à Dieu que Dieu est totalement ouvert et livré à l’homme. Tel est dans le Christ le chef-d’œuvre du Saint Esprit.
Nous devons saluer au passage Notre Dame où se réalise cette opération prodigieuse du Saint Esprit pour l’humanité tout entière.
L’Esprit Saint nous apparaît ici comme le "concepteur" du Christ, comme on parle maintenant dans l’industrie d’un concepteur, c’est à dire de celui qui a eu l’idée de ce qui est désormais réalisé et qui fait mouche sur le marché. Toutes proportions gardées, car ce n’est qu’une image, on peut dire que le Saint Esprit est le concepteur de l’Incarnation. D’une certaine façon, c’est lui qui a donné au Père l’idée d’une union par le Fils entre l’autre que Dieu, en Dieu et l’autre que Dieu hors de Dieu, de telle sorte que l’union du Père et du Fils dans la puissance de l’Esprit qui fait leur bonheur à tous trois ne reste pas pour eux seulement mais qu’elle devienne la nôtre par don et grâce à défaut qu’elle le soit pour nous par nature, comme elle l’est en Dieu.
L’Esprit est donc le concepteur de l’Incarnation parce que c’est pour nous, dans l’histoire, un mystère d’union comme l’union du Père et du Fils l’est dans l’éternité selon l’amour du Saint Esprit. Concepteur de l’Incarnation, le Saint Esprit est aussi son réalisateur, nous l’avons dit, dans la chair de Marie. Il va le rester au cours de la vie du Christ. Il est celui qui fait du Christ cette humanité qui a l’Esprit "sans mesure" comme dit St Jean (3, 34).
Bien sûr, puisqu’il est l’œuvre de l’Esprit dans la chair, l’Esprit va le pousser au désert, va l’inspirer dans son action et le rendre capable d’unir les hommes au Père par-delà cette contradiction suprême pour le Fils d’avoir à porter sur lui la négation du Père par les hommes. L’Esprit Saint permettra au Fils, dans la chair, de s’offrir sans réserve (Heb. 9, 14) pour que, dans ce dépassement que Dieu fait de lui-même en la mort de son Fils, l’humanité découvre que seul l’amour de Dieu est à la racine du monde et non pas je ne sais quel égoïsme de Dieu qui ne ferait de l’homme que la pure occasion d’une gloire sans profit pour le monde. L’Esprit inspire donc au Fils cette générosité suprême qui révèle aux hommes que Dieu est l’amour sans mesure , en lui-même de toute éternité mais aussi pour nous quelle que soit l’indignité où nous puissions nous trouver d’être aimés à ce point par l’Amour même.
Cet Esprit qui a conçu le Christ et qui lui a permis d’exister au fort même de la mort nous est irremplaçable pour entrer dans la foi au Christ. Conçu dans l’Esprit, le Christ est donc inconcevable pour nous hors de l’Esprit. La plupart du temps, nos difficultés sur la foi viennent de ce que, sans nous en apercevoir, nous réduisons le mystère du Christ à une idée dont nous serions les maîtres ! Aussi, quand par bonheur, nous nous apercevons de notre non-maîtrise sur le Christ, parce que soit dans l’Eglise nous rencontrons un scandale, soit dans le monde une contradiction, nous avons le sentiment de perdre la foi. Mais comment pouvons-nous être, à notre manière, des concepteurs du Christ dans la foi si ce n’est dans la puissance de l’Esprit ? Marie n’a conçu le Christ dans la chair que grâce à l’Esprit. Et nous pourrions concevoir spirituellement le mystère du Christ dans la foi et tenir ainsi notre place dans l’Eglise et dans le monde comme chrétiens autrement que dans l’assistance du Saint Esprit !
Le concepteur du Christ qu’est l’Esprit Saint ne l’est pas seulement dans la chair de Marie, dans la vie historique du Christ et dans sa résurrection d’entre les morts, il l’est encore dans le fait qu’il nous ressuscite nous-mêmes à la foi quand nous risquerions de douter.
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La cinquième étape évidemment est celle où l’Esprit Saint en la puissance duquel le Christ s’est incarné, est mort et ressuscité, se révèle désormais comme le grand FAÇONNIER du mystère du Corps du Christ qu’est l’Eglise. Oui ! le grand façonnier ! Car le Saint Esprit travaille à façon, c’est à dire qu’il entend faire l’Eglise sur mesure pour le Christ et pour l’humanité. Je parle de ses désirs et non de notre réponse à de tels désirs. Car c’est au titre de ce qu’il donne sans cesse à l’Eglise qu’il est, de manière continue en ce qui le concerne, le façonnier pentecostal de l’Eglise, comme Corps mystique du Ressuscité.
En quoi l’est-il vraiment ? Il l’est de façon tout à fait initiale et qui va rester exemplaire de toute la vie de l’Eglise par le coup de gong que représente la Pentecôte. C’est alors le réveil des Apôtres encore paralysés de peur. L’Esprit Saint les réveille et, sous son impulsion, grâce à sa lumière et dans sa force, les Apôtres vont rendre possible à Jérusalem et, au-delà, aux "nations", comme Jésus le leur a demandé (Mt 28, 19) l’audition du message, la conversion du cœur, l’immersion dans le Christ, l’unité dans la foi et la confession du témoignage. En effet : audition du message, conversion du cœur, immersion dans le Christ, unité dans la foi, confession du témoignage, tout cela est la définition vivante de l’Eglise. L’Eglise n’est corps du Christ qu’à cette condition, car nul ne confesse que Jésus est Seigneur sinon dans l’Esprit Saint (1 Cor 12, 2). Or l’Eglise c’est celle des témoins jusqu’aux extrémités de la terre et jusqu’à la fin des temps (Mt 28, 19-20).
.Désormais, l’Esprit Saint a, dans l’Eglise, son oeuvre en profondeur, le lieu où il peut librement, souhaitons-le, s’exprimer et réaliser au grand jour le rêve immémorial de son cœur : annoncer de façon explicite par l’intermédiaire de l’Eglise qui n’est Eglise des sauvés (Ac 2, 40) qu’en étant celle des témoins, le dessein éternel du Père, accompli dans le Christ par l’Esprit.
Quelle est alors la tâche de l’Esprit dans le peuple ecclésial de Dieu ? Il est l’unificateur de la multiplicité. Par le baptême, il fait de tout fidèle un membre du Corps du Christ. C’est l’incorporation ad intra, l’unification ad intra, qui demande pour ainsi dire l’unité du travail ad extra. Quelle que soit la diversité des baptisés, tous ont la vie du Christ en eux. C’est pourquoi, dans la diversité des témoins, il peut y avoir unité de témoignages car c’est au même Christ que nous sommes initiés par un unique Esprit.
Quelle est l’initiation que nous devons à l’Esprit par l’Eglise ? Elle comprend trois aspects, comme le Concile nous l’a rappelé en disant que tout chrétien est prêtre, prophète et roi.
- Tout baptisé bénéficie d’abord de l’identité du Christ, comme Fils éternel "tourné vers le Père", comme nous le dit le Prologue de St Jean (1, 1). Vous savez que les plantes connaissent ce qu’on appelle un phototropisme positif à l’égard de la lumière et que, spontanément, elles se dirigent de son côté si elles sont mises dans un lieu obscur où filtre un peu de jour. Or la lumière par excellence étant celle du soleil, nous disons que toutes les plantes sont de quelque manière des héliotropes.
Par voie de comparaison, je dirais que le Fils est comme défini par un héliotropisme éternel à l’égard du Père. Il est "tourné vers le Père" de toute éternité et ne l’est que vers Lui, par essence de Fils ! Si donc ce Fils vient dans la chair, il va communiquer à l’humanité dans l’histoire 1’héliotropisme qui est le sien de toute éternité. Or, puisque le sacerdoce, selon l’Epître aux Hébreux, consiste à "aider les hommes dans leur rapport avec Dieu"(5, 1), qui plus et mieux que le Fils sera dans l’histoire et dans l’humanité le prêtre par excellence ? Il fera de notre "rapport à Dieu" dans le temps ce qu’est son rapport au Père dans l’éternité. Il fera de nous des êtres "tournés vers le Père" dans l’histoire comme il est lui-même dans son éternité. Et comme cette union au Père est éternellement vécue dans le mystère de l’Esprit, irremplaçable lien de leur pure différence, l’Esprit dans le baptême nous initie à ce sacerdoce filial du Christ dans notre chair et nous donne dès lors le pouvoir de vivre notre vie humaine avec un cœur de Fils. Il fait de nous dans le Fils des prêtres au sens spirituel de ce mot, selon la première lettre de Pierre (1 P 2, 5).
- Ce sacerdoce n’est pas à vivre dans la peur comme si c’était une réalité trop grande pour le monde : parce que le sacerdoce du Fils qui nous fait aussi spirituellement prêtre est celui du Christ qui a vaincu le monde, au sens johannique de ce mot (Jn 16, 33) le sacerdoce baptismal est inséparable de la royauté.
Nous pouvons vivre de cet héliotropisme du Fils vers le Père, qui donne au monde son ouverture véritable, dans la puissance de l’Esprit de la résurrection. En ce sens le sacerdoce des fidèles est, comme le dit la même épître de Pierre, un "sacerdoce royal". Non pas qu’il fasse de nous, baptisés, des dominateurs, mais des êtres sûrs d’avoir avec eux une puissance plus grande que celle du péché du monde, qui est le nôtre aussi, des êtres libérés ou vraiment libérables. Mais libérés pour quoi ? pour qui ?
- Pour le prophétisme. Initiés par l’Esprit au mystère du Christ, soutenus par sa puissance, nous pouvons annoncer ce qu’est le Christ et ce qu’il révèle. Comme lui-même a été l’annonciateur du Père, nous pouvons, dans son Esprit, trouver les paroles (Mt 10, 20) qui font de chacun d’entre nous, à notre manière et parfois sans rien dire, mais toujours de façon expressive, des prophètes du Royaume et des témoins du Christ. C’est dans l’Esprit que cela s’accomplit, selon la multiplicité des tâches qui sont celles des hommes et des lieux d’insertion qui caractérisent la vie humaine des baptisés.
Ainsi, nous devenons des coopérateurs qualifiés du Saint Esprit au sein du monde par l’Eglise.
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D’où la sixième étape de l’œuvre de l’Esprit. Concepteur du Christ dans une quatrième étape, grand façonnier de l’Eglise dans une cinquième étape, le Saint Esprit se révèle ici comme : le DIFFERENCIATEUR ministériel du Corps du Christ qu’est l’Eglise.
Si nous vivons vraiment dans l’Eglise du Christ selon le mystère de l’Esprit, nous ne pouvons pas ne pas découvrir l’impossibilité de vivre du Christ sans que le Christ se donne à nous et que sans Lui, nous ne pouvons rien faire (Jn 15, 5) de ce qui concerne notre croissance dans le Christ et celle du monde en Lui. L’Eglise est dans l’Esprit un Corps dont les membres ne vivent que de la vie de la Tête. Et puisque le corps ecclésial du Christ est, comme corps assemblé, un corps visible, objectif, il faut que le rôle irremplaçable de la Tête qui fait vivre son Corps apparaisse à ce même corps pour que personne, dans le corps, puisse se croire, comme membre, capable de vivre de la Tête sans tout recevoir d’elle. Comment cela va-t-il se traduire pour l’Esprit Saint dans le Corps ecclésial du Christ ?
Rappelons-nous que, dans la Trinité, il est celui qui permet au Fils d’être heureux de dépendre totalement du Père et au Père de se donner au Fils sans le réduire à Lui. Il est le principe d’un amour de réciprocité et de tradition totale de soi, dans lequel les Personnes divines s’unissent à raison même de leur diversité irréductible. Dès lors le Saint Esprit se montre capable de différencier dans le Corps de l’Eglise, certains de ses membres qui deviendront le signe du rôle irremplaçable que joue seul le Christ pour faire vivre son Corps au titre de son mystère entièrement personnel de Tête ; le Saint Esprit le fera sans créer pour autant dans le Corps soit la jalousie des membres qui ne sont pas appelés comme tels à rendre à la Tête ce service de Tête, soit la domination de ceux à qui cette représentation échoit pour le seul bien du Corps.
Le Saint Esprit est capable de créer dans l’Eglise la différenciation des divers ministères apostoliquement ordonnés, au sein du peuple de Dieu, sans le disloquer, mais au contraire pour l’unir davantage en lui-même en l’unissant au Christ, comme il est capable de faire vivre dans la Trinité le Fils dans le parfait bonheur de la dépendance au Père : "Le Père est plus grand que moi" comme disait Jésus lui-même (Jn 14, 28), sans la moindre rivalité entre le Fils qui reçoit et le Père, source qui donne.
De même que l’Esprit Saint est, dans la Trinité, le principe d’un amour de différence et de réciprocité sans jalousie ni domination, il est aussi dans l’Eglise celui qui différencie certains membres du Corps comme serviteurs ecclésiaux de la Tête, sans que ces membres différenciés du Corps aient à se prendre pour des puissants, mais simplement pour des serviteurs et que les autres, dans le corps aient à se croire lésés et à devenir des jaloux. A ce compte, le ministère ordonné pourra apparaître, au service ecclésial, de l’originalité du Christ. Il sera essentiellement dans l’Esprit un ministère de rassemblement visible du corps ecclésial du Christ. Il le sera comme ministère de l’annonce du Christ dans l’Eglise et pour elle, comme Mme de PREMONT l’a rappelé d’après vos propres remarques. Le sacerdoce ministériel est d’abord prophétique. Il se doit d’annoncer ce que personne ne saura jamais de lui-même, à savoir que Jésus est Seigneur et ce que signifie une telle confession. Le prophétisme ministériel a le devoir impérieux de proclamer ad intra le mystère qui doit être annoncé de manière existentiellement appropriée, ad extra. Comme le Christ prophétiquement annoncé n’est pas une idée mais une vie, le Saint Esprit donne au ministère ecclésialement ordonné le pouvoir d’incorporer à la vie du Ressuscité. Qui de soi-même pourrait dire sur le pain des hommes, sur le vin de leurs vignes : "ceci est mon Corps, ceci est mon Sang" et penser pouvoir faire par ces mots du pain et du vin de la terre, le Corps et le Sang du Christ Ressuscité ? C’est parce que l’Esprit qui a ressuscité Jésus d’entre les morts assiste un tel ministère que celui-ci peut permettre au Corps ecclésial du Christ de se nourrir de la vie même de son Seigneur.
Comme cette vie que le Christ donne ainsi à son corps ecclésial est une vie qui doit devenir existence, le ministère qui rassemble ce Corps pour qu’il soit nourri à la double table de la Parole et du Corps du Ressuscité, est un ministère qui doit travailler dans l’Esprit à la configuration de soi-même et des autres aux oeuvres du Royaume. C’est pourquoi le ministère apostoliquement différencié est chargé d’assurer dans l’Eglise, non seulement le service public de l’information évangélique, celui non seulement de l’incorporation sacramentelle au Ressuscité mais aussi, quoique non exclusivement, celui de l’éducation aux mœurs du Royaume.
En ce domaine, et je n’en dis qu’un mot, la vie religieuse joue un rôle d’appoint essentiel. Le ministère ordonné n’a de soi aucun privilège de sainteté. Il a un devoir de sainteté mais il n’a pas le privilège de la sainteté. La fonction est sainte mais non pas de soi ses dépositaires ordonnés. Il est une sainteté des fidèles tellement plus grande que celle de leurs serviteurs cependant ordonnés. Quant à la vie religieuse, elle représente, dans l’Eglise, le primat spirituel de la sainteté sur tous les ministères ordonnés et son importance vitale dans toutes les tâches entreprises ad extra au service du Royaume. L’Esprit Saint est ici le donateur infatigable du charisme de la consécration religieuse. Celui-ci n’est pas le monopolisateur de l’Amour du Christ, mais il en est dans l’Eglise un des rappels et des instigateurs privilégiés.
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J’en arrive ainsi à la septième étape qui nous permet de prendre conscience du MYSTERE immense de l’Esprit et de développer en nous les convictions capables de susciter les solutions qu’appellent les problèmes que pose dans l’Eglise la question des vocations spécifiques, comme on dit dans ce Congrès.
Le souffle du Saint Esprit est au principe de l’Eglise et tous les ministères en elle ne sont que de coopération avec Lui. Certes c’est le Christ qui a fondé l’Eglise. Mais si l’Esprit Saint n’avait pas été donné à l’Eglise, la fondation par le Christ serait devenue lettre morte. Seul l’Esprit Saint est l’Esprit de la lettre, la vie de la structure, le dynamisme réel de l’institution et lui seul fait la sacramentalité de ce Corps qui est l’Eglise, c’est à dire, fait de l’Eglise une réalité qui sort d’elle-même pour désigner un plus grand qu’elle.
Une fois entrevu ce souffle créateur du Saint Esprit, on découvre qu’il est celui sans lequel nos diversités deviennent des rivalités, nos désirs de servir des tentations de dominer, nos vocations particulières des exclusions des autres, le sectoriel du destructeur de l’ecclésial et nos problèmes des impasses, alors qu’ils sont le lieu possible des débouchés, pourvu que nous ne manquions pas plus à l’Esprit Saint que 1’Esprit Saint lui-même ne manque à qui désire vraiment servir le Christ en baptisé d’Eglise pour le compte spirituel et humain de ce monde.
En conclusion, trois choses me semblent ressortir de tout cela pour notre travail. Je peux me tromper et vous verrez par vous-mêmes ce qui vous paraît le meilleur ou, du moins, le moins mauvais.
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Premièrement, le sens de l’autre comme essentiel à soi dans le mystère de l’Esprit.
Si nous ne devenons pas des personnalités ouvertes à l’autre, à l’autre que nous dans l’Eglise, soit au niveau des ministères inter-ecclésiaux, soit au niveau de la mission, nous n’avons pas en nous le mystère de l’Esprit.
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Deuxièmement, c’est une conséquence, nous avons à décléricaliser (je ne dis pas à dé-clergifier l’Eglise au sens de la suppression du ministère sacerdotalement ordonné) à ne pas cléricaliser nos services et à refuser que ce qui, de fait, est nôtre, passe à nos yeux pour la totalité de ce que doit être l’Eglise. S’il n’y a pas en nous l’humilité qui nous situe à notre place comme membre du corps et non pas comme le tout du corps, alors les problèmes de vocations spécifiques, qui sont sans doute avant tout des vocations de laïques, de religieux ou de religieuses et de serviteurs ordonnés, ne peuvent être résolus.
Le Saint Esprit nous ouvrira à l’évidence de ce que nous ne faisons pas dans ce que nous faisons et qui demeure à faire. Dès lors, nous n’enfermerons pas la totalité des vocations dans la singularité de la nôtre, c’est à dire nous ne "cléricaliserons" pas notre tâche en ne voyant plus qu’elle au détriment final de la plupart des autres. Pourquoi ? Encore une dernière fois, parce qu’il est dans l’histoire comme dans l’éternité l’union bien aimée des contraires.
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Troisièmement. Vivant ainsi, nous rendons possible, grâce à l’Esprit, l’ampleur dont l’Eglise a besoin pour essayer de répondre à toutes les urgences par la diversité en elle des vocations au service du Christ et du monde. C’est dans la mesure où nous ne vivons pas selon l’Esprit mais selon notre propre esprit qu’il peut nous sembler qu’il y a des vocations en surnombre dans l’Eglise. Non, si nous avons en nous l’ampleur du Saint Esprit, nous ne trouverons pas qu’il y a trop de vocations réelles dans l’Eglise. Cette ouverture de cœur commande d’ailleurs sa vraie jeunesse et son antisclérose.
Retrouvant sa jeunesse dans la jeunesse infatigable de l’Esprit Saint, l’Eglise pourra alors parler aux jeunes. Et ceux-ci, nous pouvons l’espérer, applaudiront, désireront et viendront joindre leur force à celle de l’Esprit : c’est elle qui rendra la leur divinement infatigable au service des rêves immémoriaux et des réalisations toujours renouvelées du Saint Esprit de Dieu.