Catéchèse des adolescents et vocations


Hubert HERBRETEAU,
prêtre, responsable du Service Adolescents au Centre National de l’Enseignement Religieux (C.N.E.R.)

"Un jour ou l’autre, se présente l’invitation à répondre à la question posée par Jésus : "Pour vous qui suis-je ?" ; à la manière de ceux qui suivaient Jésus sur les chemins de Palestine certains diront : "Ce langage est trop fort, qui peut l’écouter ?" (Jn 6, 60) ; d’autres : "Seigneur, à qui irions-nous ?" (Jn 6, 68), ou : "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant !" (Mt 16, 16). De telles réponses nécessitent du temps, elles demandent que soit respectée la recherche de chacun. Elles supposent aussi que la question soit posée et entendue." (1)

Cet extrait tiré du Texte de Référence des évêques de France, caractérise le cheminement de toute démarche catéchétique. Un appel est lancé. La réponse à cet appel, la découverte de la vocation chrétienne demandent du temps. Il importe donc de respecter le cheminement du catéchisé.

Ce que le Texte de Référence exprime de la catéchèse des enfants peut convenir également à la catéchèse des adolescents. Cependant des difficultés spécifiques apparaissent. Le temps de l’adolescence est un temps de turbulence, de profondes transformations, d’instabilité. Faut-il, se demandent alors les animateurs, un accompagnement particulier ? Parler de la vocation baptismale avec des adolescents, c’est relativement facile. Mais aborder la question de la vocation spécifique (ministère ordonné, vie religieuse) suscite quelques hésitations. En effet, comment la catéchèse des adolescents est-elle concernée par l’appel et par la découverte de la vocation baptismale et des vocations spécifiques ? Cet article veut suggérer quelques réflexions concrètes.

I - D’UNE RIVE A l’AUTRE

Adieux à l’enfance

Entre 13 et 19 ans, les jeunes vivent d’importants bouleversements : physiques, psychologiques, relationnels. Ils font progressivement les adieux à l’enfance (2) et abordent la rive adulte.

La tâche des animateurs en catéchèse est de les accompagner dans ce passage parfois difficile et d’être attentifs à l’important travail qui se réalise en eux.

Le montage : "LE PASSAGE" (ACNAV) est l’un des moyens, par exemple, pour aider les jeunes de 4ème ou de 3ème. Il permet de faire comprendre les changements qui s’opèrent en eux. A la découverte de leur identité, un peu à la dérive, les adolescents ont besoin d’adultes qui les comprennent et leur servent de points d’appui, de guides.

Qui suis-je ? Comment être moi-même au milieu des autres ? Cette recherche tâtonnante se traduit par des comportements nouveaux, par une manière de s’habiller ou de parler.

Seigneur que veux-tu que je fasse ?

La catéchèse peut faire réaliser ce passage d’une rive à l’autre. Elle effectue un service d’humanisation, lorsqu’elle apprend à des jeunes à mieux se connaître, à communiquer, à devenir autonome ; lorsqu’elle facilite la prise de responsabilité, etc.

La vie chrétienne n’est pas étrangère à cet effort de développement humain. C’est au cœur même de la recherche de bonheur, de sens à la vie que l’appel du Christ peut être entendu et que la question surgit que veux-tu que je fasse ?

La catéchèse devra se donner les moyens pour que la vocation baptismale se réalise pleinement. Trois éléments paraissent importants :

1. L’INTELLIGENCE DE LA FOI

Au contact de la rationalité scolaire, les jeunes deviennent, au niveau de la Seconde, de la Première ou de la Terminale, plus critiques. La foi chrétienne est passée au crible. Croire est-ce raisonnable ?

Les animateurs doivent répondre à ces exigences intellectuelles, en informant, en argumentant, en suscitant débats et confrontations.

2. L’ÉDUCATION A LA SOLIDARITÉ

Pour certains jeunes, la réponse à l’appel du Christ se traduit par le dévouement, la générosité... Les animateurs devront, là aussi éduquer progressivement à la vraie solidarité. Le théologien Patrick JACQUEMONT, disait récemment au forum des Communautés Chrétiennes à STRASBOURG (Pentecôte 91), qu’il s’agissait aujourd’hui de "croire avec des mains intelligentes" (3), la générosité n’est pas un moment passager d’émotion, sensiblerie. Elle demande ténacité, analyse des situations, évaluation des actions menées.

3. L’APPRENTISSAGE DE L’INTÉRIORITÉ

Cet aspect est primordial, dans la catéchèse des adolescents. Tiraillés entre mille sollicitations, plongés dans un univers de bruits et d’images, les jeunes connaissent peu de moments de solitude. La découverte de la volonté de Dieu suppose temps de recul, relecture de sa vie, silence et prière. La catéchèse des adolescents a aussi pour objectif de favoriser l’intériorisation, l’écoute attentive de la Parole de Dieu. A l’occasion d’une marche pascale, Hélène, Jacqueline et Gwenaëlle (15 ans) exprimaient par exemple, leur grande découverte de la traversée de la nuit "Nous avons compris ce que ça voulait dire rentrer en soi-même".

L’adolescence est un temps de découverte de soi-même. Les animateurs en catéchèse, par leur invitation à relire les évènements passés, par leur accompagnement respectueux des jeunes, par leur souci d’humanisation, font vivre une expérience constructive. C’est essentiel pour que la vie baptismale trouve sa pleine mesure et son dynamisme.

II - PAROLE DONNÉE

En quoi la catéchèse des adolescents est-elle concernée aujourd’hui par l’éveil à la vocation baptismale et aux vocations spécifiques ?

Une réponse vient spontanément : la catéchèse est l’écho de la Bonne Nouvelle. C’est une rumeur qui se propage, c’est la communication d’un message. Si elle ne peut prétendre transmettre directement la foi, elle a pour tâche de donner accès aux documents de la foi (Écriture et Credo). La catéchèse en effet, permet à des jeunes d’ouvrir la Bible. Elle a pour objectif de faire résonner l’appel du Christ et de susciter une réponse à cet appel. En quoi consiste la lecture de la Bible avec des jeunes ? Voici, à titre d’exemple, deux éléments fortement présents dans la revue "INITIALES" (revue réalisée par le service Adolescents du Centre National de l’Enseignement Religieux).

Les appels dans la Bible

Depuis sa création, la revue "INITIALES" propose à chaque numéro, des méthodes pour lire les textes bibliques. Très souvent, elle donne une place aux grands témoins : Elie, Jonas, Samuel ou les Apôtres de Jésus... Ces témoins sont situés dans le contexte historique, social...

La pédagogie d’ "INITIALES" met l’accent sur l’initiative de Dieu. Le témoin est présenté comme un partenaire de Dieu. Un lien fort, intime s’établit entre Dieu et le roi, entre Dieu et le prophète.

La liberté de réponse est toujours laissée. La parole de Dieu est parole de vie. C’est une promesse. C’est aussi une action qui bouscule et incite à s’arracher, à tout quitter pour partir.

"INITIALES" montre enfin que le témoin biblique évolue dans sa manière de comprendre Dieu. Pour cela, il doit souvent passer par l’épreuve, le doute, l’échec.

Cette proposition de grandes figures bibliques trouve écho dans la vie des adolescents. En évitant un concordisme facile, les jeunes se trouvent en demeure de répondre, comme Elie, Jonas, Pierre, Marie, à l’appel de Dieu.

La découverte du Christ, Parole de Dieu

La Parole par excellence, c’est bien sûr le Christ (cf. He 1, 1-4). Beaucoup de démarches pédagogiques, dans "INITIALES" sont consacrées à la mission de Jésus. Le numéro de novembre 1990 avait pour thème
"La Parole", et invitait à réfléchir à l’originalité de la Parole de Dieu. Celle-ci, en Jésus, le Verbe de Dieu, réalise ce qu’elle dit.

Autre exemple : le n° 102 d’INITIALES, intitulé "les fous de Dieu", voulait faire découvrir comment Jésus a suscité l’étonnement, l’incompréhension, l’hostilité.

Ces deux accents mis sur la Parole de Dieu rejoignent la vie des adolescents. Certes, ce n’est pas d’emblée que cette Parole est méditée, intériorisée. Pour qu’elle devienne Parole vivante, elle doit trouver un terrain prêt à l’accueillir. C’est le rôle des animateurs de défricher et de préparer la terre. Il est nécessaire d’étudier rigoureusement les textes, puis il faut lire la Parole de Dieu, à voix basse ou à mi-voix, en observant une pause entre les phrases, "de façon que l’écho et le sens des mots puissent se déposer en vous peu à peu, comme une pluie fine sur une terre desséchée".(4)

Parfois un long apprentissage est nécessaire pour que la Parole soit goûtée et qu’elle devienne nourriture pour la vie spirituelle.

III - UNE PLACE ET UN RÔLE DANS L’ÉGLISE

Prendre en compte les changements, au temps de l’adolescence, ouvrir la Bible pour accueillir la Parole vivante de Dieu, ce sont en catéchèse deux points essentiels. La découverte de la vie chrétienne, la réponse à l’appel de Dieu se font dans la confrontation de ces deux points.

Reste à interpeller pour des services particuliers dans l’Église, à éveiller à la radicalité évangélique exprimée dans la vie religieuse, ou à inscrire dans la durée un service missionnaire.

Or le constat est souvent fait : les animateurs d’adolescents éprouvent de la difficulté à parler en catéchèse des vocations spécifiques. D’où viennent les réticences ? Quels obstacles sont rencontrés ? Que faudra-t-il promouvoir ?

Les difficultés à parler des vocations spécifiques sont multiples. Il ne faudrait pas dire trop vite que les adultes, aujourd’hui, manquent d’audace. S’il n’y a pas interpellation directe au ministère presbytéral ou à la vie religieuse, c’est probablement parce que un contexte plus général n’y porte pas. Cinq difficultés sont à noter :

1. Des jeunes, participant à des groupes de catéchèse, n’ont pas véritablement d’expérience ecclésiale.

Certes ils peuvent inscrire dans leur itinéraire des moments ponctuels, des expériences fortes : la participation à un pèlerinage, à une veillée pascale, à une marche. Un rassemblement de jeunes a pu soulever l’enthousiasme. Mais ces jeunes, qui reconnaissent avoir beaucoup reçu dans ces temps forts, ont très peu la conviction qu’ils ont une place à tenir dans l’Église actuelle, qu’ils ont à donner de leur compétence, de leur dynamisme. Par exemple Hélène (16 ans) fait du violon. Elle déclare "peut-être que j’aide les gens à prier, lorsque je joue du violon à la messe". Par ailleurs, elle ne se sent pas toujours à l’aise dans la communauté paroissiale. Les chants, les prières, les textes bibliques lui paraissent dépassés ou incompréhensibles.

En dehors du groupe de catéchèse, certains jeunes n’ont aucun lien avec une vie d’Église. Et Pauline (17 ans) de dire : "Depuis ma confirmation, j’ai l’impression de m’éloigner de plus en plus de la religion". Sans ce lien à une communauté chrétienne il n’y a pas beaucoup de chances pour qu’un appel à une vocation spécifique soit entendu.

2. Une autre difficulté vient de l’absence de projet. Des sociologues le notent : les lycéens ont généralement peu de perspectives d’avenir.

Ainsi François DUBET écrit

"Les élèves se caractérisent par une quasi-absence de projets professionnels. Le monde scolaire se suffit à lui-même. ’Je vois la majeure partie de mes copains, on ne vise pas tellement au-dessus du bac, on vise jusqu’au bac, une petite filière scientifique, terminale C, et puis après on a une vue assez courte de notre avenir’, dit Olivier, du lycée Michelet". (5)

Dans ce contexte de vacuité et d’angoisse parfois, le projet de vocation spécifique dans l’Eglise n’affleure même pas chez les jeunes chrétiens.

3. Une troisième difficulté doit être soulignée. En catéchèse, il arrive que les animateurs présentent des témoins trop exceptionnels : l’Abbé Pierre, Mgr Romero.

L’action de ces personnages exceptionnels vaut la peine d’être connue et admirée. Cependant le piège existe d’en faire des modèles inaccessibles, sur un piédestal.

Les jeunes de 13-19 ans vont s’enthousiasmer et garder en mémoire les grandes causes pour lesquelles ces témoins se sont battus. Mais que leur fait-on découvrir exactement de la vie chrétienne et des services spécifiques dans l’Eglise ?

La revue "INITIALES" dans le n° de mai 1991, donne des conseils aux animateurs au sujet de l’utilisation de témoins et indique des repères pour une pédagogie du témoignage.

4. Un autre obstacle est l’ignorance de ce qu’est la vie et le travail d’un prêtre, d’un religieux ou d’une religieuse, au quotidien.

A l’occasion d’un pèlerinage à Lourdes, des jeunes lycéens, en mai dernier, ont partagé avec des prêtres sur leur emploi du temps. Au moment de la confirmation, des prêtres, des diacres, des religieux et des religieuses sont interviewés... C’est alors la découverte de tâches multiples, complexes, difficiles à expliquer concrètement.

Plus fondamentalement, dans une société où règnent le calcul, la rentabilité, l’ambition, la vie du prêtre et des religieuses apparaît marginale, voire "dépassée". Pour certains jeunes cependant, une interrogation commence à naître..., un attrait peut-être.

5. Enfin, il n’y a pas de mots pour le dire.

Avec des jeunes, les animateurs butent parfois sur un problème de langage. Comment parler du ministère presbytéral ? Comment faire des distinctions entre les ministères ordonnés et la vie religieuse ? etc. Derrière les mots, manque la compréhension de l’Église, Corps du Christ. Les animateurs eux-mêmes ne sont pas tous formés et aptes à expliquer.

EN CONCLUSION

Les cinq difficultés énumérées précédemment ne doivent pas décourager les animateurs de groupes d’adolescents. Certes, la tâche est ardue, mais la catéchèse ne remplirait pas sa fonction si elle ne faisait pas découvrir la vocation baptismale et les vocations spécifiques.

De plus, dans une société de plus en plus médiatisée où la communication est essentielle, un point de vue est à retenir. Lorsqu’un groupe ne communique pas ce qu’il est, il est communiqué par d’autres que lui. Ce qui signifie que tout groupe d’Église doit échanger, dire ce qu’il vit, présenter ses projets. Ainsi ne pas expliquer suffisamment ce qu’est le ministère presbytéral, la vie religieuse, le travail d’un missionnaire en Afrique ou en Amérique du Sud, c’est sombrer dans l’oubli. Ou pire, c’est contribuer à perpétuer les clichés, les images anciennes du prêtre, des religieux, des missionnaires.

La catéchèse, dans sa tâche de communication et dans son dialogue avec la culture actuelle, ne doit pas négliger cet aspect.

Aux animateurs d’adolescents, de mettre en place, pour cela, des pédagogies adaptées aux différents âges, d’informer, de susciter des témoignages.

NOTES : --------------------------------------------------------------------------------

1) LA CATÉCHÈSE DES ENFANTS, Texte de référence, Ed. Le Centurion 1979, p.29 [ Retour au Texte ]

2) LES ADIEUX A l’ENFANCE, A. Braconnier, Calmann Lévy, 1989 [ Retour au Texte ]

3) L’ACTUALITÉ RELIGIEUSE DANS LE MONDE, 15 ?5 ?1991, p.13 [ Retour au Texte ]

4) PRIÈRE DANS LA VIE, Marcello de Carvalho Azevedo, Ed. Le Centurion 1989, p.57 [ Retour au Texte ]

5) LES LYCÉENS, François Dubet, Ed. du Seuil 1991, p.61 [ Retour au Texte ]