Nouvelles formes du religieux et pastorale des vocations


Jean Vernette,
vicaire général du diocèse de MONTAUBAN

Une pastorale des vocations ne saurait être intemporelle. Elle doit tenir compte de l’homme, du jeune tel qu’il est dans son contexte socio-historique et tout spécialement dans sa dimension religieuse, spirituelle, "mystique". C’est en effet sur ce terreau culturel que germe de fait une vocation. Il est important de le bien connaître, tant pour en faire une lecture théologique comme "signe des temps" que pour en induire certains éléments de pédagogie de la foi et de l’appel.

Nous nous limiterons dans le cadre de cette brève étude, au premier objectif : une analyse des lignes force de ce que l’on appelle couramment le "retour du religieux", suivie de la proposition de quelques orientations pour l’évangélisation. Chacun pourra par la suite dégager les applications propres à la pastorale spécifique des vocations.

Mais parler de "retour du religieux" est déjà prendre position. La religion a-t-elle bien un avenir au XXéme siècle ? pourrait-on se demander. "Dieu est mort - Les Eglises se décomposent - Les vocations se raréfient". On a souvent prédit en ce genre d’amalgame audacieux l’avènement décisif de l’athéisme. De fait, le raz de marée de l’incroyance est l’un des événements les plus marquants du siècle.

Ce que l’on appelle couramment la "culture moderne" (occidentale) s’est plu en effet à affirmer de manière décisive et au nom d’analyses différentes, une position uniformément a-religieuse. La religion serait même à détruire parce que nocive. Au mieux, on la considérerait comme définitivement dépassée et à reléguer au musée des antiquités.

DES FAITS NOUVEAUX

Or voici qu’un certain nombre de faits nouveaux semble infirmer ces prophéties. Le surgissement de religions sauvages parallélement au dépérissement des grandes Eglises sous certains de leurs aspects institutionnels, témoigne déjà de la permanence de la dimension religieuse constitutive de l’homme.

La prolifération des groupes communément appelés "sectes" (300 à 400 en France) est accompagnée d’un fort développement quantitatif de leurs adhérents. Les seuls Témoins de Jéhovah comptent en France un proclamateur faisant réguliérement le porte-à-porte pour 500 habitants, soit environ 8 000 "vocations" nouvelles de prédicants chaque année.

Cette recrudescence est devenue un fait de société dans toutes les nations occidentales. Et l’on ne peut se contenter d’y voir une conduite d’évasion de la jeune génération exprimant ainsi son impuissance à transformer politiquement la société par la fuite dans un irrationnel de défoulement.

Car ce surgissement est le révélateur, ou l’écume, d’un bouillonnement bien plus vaste : réveil de la mystique, déplacement du sacré et de ses lieux, retour du paganisme marqué par l’apparition du "néo-paien" occidental. L’incroyance massive est ainsi sillonnée de courants d’inquiétude spirituelle. Cette inquiétude latente cristallise même en adhésions à des causes sacrées de saveur typiquement religieuse comme l’écologie, la non-violence ou la défense des Droits de l’Homme. Certains de ces cheminements pourront conduire tel ou tel au séminaire ou au noviciat.

Elle se traduit aussi de manière significative au plan éditorial. Les livres consacrés aux religions de l’Orient, aux nouveaux "aventuriers de l’Esprit" ou simplement au patrimoine spirituel commun, tiennent une place honorable sur le marché : des milliers d’exemplaires du LIVRE DES MORTS tibétain, cinquante mille de la BAGHAVAD-GITA, six cent mille du PROPHETE de Khalil Gibran.

LE "RELIGIEUX" : FAIT DE NATURE OU NOUVELLE MODE ?

Est-ce besoin de points de repére, en un temps où toutes les institutions et valeurs semblent dégringoler de concert - l’Etat et l’Ecole, l’Armée et la Nation, les Eglises et la Morale ? Le fait est là. Tel le Phénix, la religion renaît de ses cendres et prend son vol au moment où l’on s’apprêtait à l’envoyer d’un coup de balai dans les poubelles de l’Histoire...

Aussi certains vont-ils répétant la phrase attribuée à André MALRAUX "Le XXIéme siècle sera le plus religieux de l’histoire". Il ne l’a jamais prononcée, mais a affirmé des choses bien voisines : "Le problème capital de la fin du siècle sera le problème religieux". Ou encore "Je n’exclus pas la possibilité d’un événement spirituel à l’échelle planétaire". Mais cette assurance est-elle le fruit d’une analyse sérieuse des faits, ou la simple expression d’une nouvelle mode : après le temps de la "mort de Dieu", celui de son retour dans l’actualité ?

Faut-il voir dans cet engagement pour le religieux un fait de nature ou une sorte d’auto-suggestion des croyants pour exorciser leurs peurs devant la montée de l’irréligion ?

Chacun peut aligner ici des faits pour justifier son point de vue. La ferveur populaire qui entoure les voyages de Jean Paul II plaide en faveur de la thése du réveil spirituel. Et l’effondrement régulier de la foi et de la pratique révélé par les sondages, la difficulté à susciter des vocations ministérielles et religieuses, semblent infirmer périodiquement ces enthousiasmes hâtifs. Il faut donc y regarder de plus près, c’est-à-dire


- en un premier temps dresser un DESCRIPTIF assez complet de ces nouvelles formes du "religieux", qui composent un paysage fortement contrasté,

- avant de procéder dans un deuxième temps à une ANALYSE des causes, accompagnée d’un bref inventaire des explications proposées ;

- nous serons alors à même à la 3ème étape, celle de la praxis, de déterminer quelques POINTS D’ATTENTION pour relever le défi et prendre en compte sainement ces nouveaux phénomènes dans les pratiques d’évangélisation à l’approche de l’an 2000. Une pastorale spécifique des vocations s’inscrirait alors comme naturellement dans la ligne de cette pastorale d’ensemble.

I - Un paysage contrasté : Les nouvelles formes du religieux

Quelles sont les manifestations repérables de ce "retour" ? Il n’est peut être d’ailleurs qu’un retour de Dionysos et d’Orphée, après l’échec patent de la civilisation technocratique bâtie sur le mythe de Prométhée triomphant. Et ces noms de divinités paiennes laissent déjà entrevoir qu’il y a là quelque manifestation du paganisme ancien. Aussi retiendrons-nous trois facettes de la nouvelle religiosité :

- c’est un foisonnement anarchique de recherches en tous sens,

-comme un réveil des paganismes,

- sur fond d’incroyance rémanente et de montée de l’indifférence.

1. - UN FOISONEMENT ANARCHIQUE DE RECHERCHES EN TOUS SENS,
témoignant d’un usage suspect de la religion.

UN APPEL "MYSTIQUE"

A côté de la prolifération de nouveaux mouvements religieux déjà évoqués, c’est la séduction des mystiques de l’Orient. Les jeunes continuent à prendre les chemins de KATMANDOU et de l’Inde mystérieuse et fascinante. En sens inverse le bouddhisme tibétain vient d’implanter plus de 70 centres ou monastères en France, au terme de deux décennies seulement de présence

C’est la recherche par beaucoup d’un "espace intérieur". Prés d’une centaine d’organisations, les "Mouvements de Développement du Potentiel humain", proposent à l’Occidental les techniques pour atteindre des "états supérieurs de conscience". La plupart viennent d’Outre-Atlantique. On connaît Arica, la Gestalt, la Sophrologie, le Cri Primal, Anthropos. Ou la Méditation Transcendantale et la Scientologie. Ces techniques deviennent religion de remplacement chez certains. D’aucunes invitent même à "devenir Jésus" : à réaliser en soi "l’esprit christique".

C’est, dans la même ligne, l’engouement pour les Voies et Ecoles de spiritualité. Le Zen, le Yoga sont aujourd’hui des techniques reçues dans nos pays tout comme le Soufisme d’origine islamique. Mais notons-le, on ne peut dissocier une technique de vie intérieure, de l’arrière-pays culturel et du terreau religieux où elle a pris racine et qu’elle véhicule : une certaine vision du monde. Il faut y être attentif.

C’est l’attirance des "Nouvelles Sagesses" d’Occident, qui sont en fait des gnoses rénovées. C’est l’attrait pour l’Esotérisme Traditionnel. Le plus respectable y côtoie le plus douteux. Il y a les Francs-Maçonneries dont le nombre d’adhérents va croissant dans les générations de jeunes adultes. Mais aussi l’Anthroposophie et la Théosophie, les Rose-Croix, la Nouvelle Acropole et le Graal.

LA SÉDUCTION DE l’ÉTRANGE

C’est l’intérêt pour l’Occulte et l’Irrationnel. Les grands magasins ont presque tous développé sous le titre général d’ "Esotérisme" un secteur consacré à l’Etrange, qui va pêle-mêle de la parapsychologie à la croyance aux Extra-terrestres, du satanisme à la sorcellerie, de la divination au spiritisme. C’est ici que l’on trouvera maintenant la Bible au bas des rayons. Tout est loin d’être sain dans cet engouement, même si l’on peut y déceler certaines formes élémentaires de l’inquiétude métaphysique. Or ce retour des formes archaïques du religieux est un trait marquant de la nouvelle religiosité.

Sur le seul thème de l’au-delà, beaucoup s’intéressent à la "Vie après la vie" du Dr MOODY et à la communication avec les morts. L’astrologie comme pratique divinatoire draine une clientèle fournie parmi les 60 % de français estimant qu’il y a "quelque chose de vrai" dans les prédictions des horoscopes. L’astrologie humaniste intéresse les chercheurs en sciences humaines. Les revues spécialisées dans le domaine des sciences traditionnelles, de l’hermétisme et de l’ésotérisme sont lues en tous milieux.

C’est l’attente, angoissée ou non, de la Fin du monde à l’approche de l’an 2000, au terme de l’Age noir du Kali-Yuga avec le passage de l’Ere des Poissons à l’Ere du Verseau. La crainte croissante d’une apocalypse nucléaire favorise la naissance de groupes millénaristes et apocalyptiques qui se préparent eux aussi au Nouvel-Age, au retour du Paradis perdu et de l’Age d’Or. Des communautés écolo-bibliques aux nouveaux Messies et aux Témoins de Jéhovah, chacun annonce le retour prochain du Christ, chacun l’interprètant à sa manière.

UN PAYSAGE CONTRASTE

Il faudrait aussi relever en corollaire éclairant, mais nous sortirions alors des limites du sujet, la manifestation d’un certain réveil à l’intérieur des Eglises, avec le Renouveau Charismatique, la floraison des groupes de prière, l’attirance des monastères et hauts-lieux spirituels. Et ici, le sain et le saint se côtoient avec bonheur. Le mouvement qui en pousse certains vers la colline de TAIZE ou la Communauté de l’ARCHE de LANZA DEL VASTO est une des manifestations les plus authentiques de cette "ruée vers l’âme" qui en conduit d’autres vers les miroirs aux alouettes des nouveaux gurus à la mode alors qu’ils cherchaient la source d’Eau-Vive.

Tel est le pays où vivent ou d’où viennent les jeunes en recherche de vocation. Peu échappent à l’emprise de cette micro-culture. Ce retour du religieux se manifeste en effet dans toutes les couches de la société :

- des jeunes de la nouvelle vague en quête d’un sens de la vie, qu’ils cherchent du côté des Evangéliques, mais aussi dans des groupes initiatiques ou orientaux ;

- des gens des classes moyennes du savoir séduits par les ésotérismes et l’utopie du New-Age ;

- des princes de l’intelligence élaborant une nouvelle gnose telle celle de PRINCETON ;

- le "bon peuple", fortement attaché aux rites de la religion populaire, mais séduit aussi par les guérisseurs, les magiciens, les apparitions ;

- des marginaux, et nos sociétés en fabriquent bon train, en recherche d’un groupe un peu chaud humainement où ils soient accueillis et reconnus tels qu’ils sont, comme le faisaient les Enfants de Dieu. Ou d’un groupe fortement structuré qui donne réponse à leur besoin de sécurité, de modéle et de points de repére, comme les Jéhovistes, les Mormons, voire certains groupes intégristes.

C’est une sorte de réveil anarchique de la pulsion religieuse constitutive de l’homme, avec ce qu’elle peut véhiculer de confus, voire de pathologique.

PARFOIS, UN USAGE SUSPECT DE LA RELIGION

Le religieux peut en effet servir à tout, l’expérience le montre. Le nazisme, le stalinisme et le maoïsme ne sont-ils pas devenus des quasi-religions mobilisant parfois à leur service des jeunes qui s’y engageaient comme dans un sacerdoce ou une vie consacrée ? Tout comme l’idéologie de la Sécurité Nationale dans certains Etats d’Amérique du Sud, ou celle du show-business. Et certaines manifestations même plus avouables que celles que nous venons de relever, témoignent d’un usage suspect de la religion. En particulier quand celle-ci devient une "religion fonctionnelle" qui "place Dieu en position de combler le désir, de répondre aux besoins, d’absolutiser les engagements relatifs".

Quelle est la vérité de Dieu contenue dans un certain nombre de phénoménes religieux devenus à la mode ? On pense par exemple avec André GODIN aux "jubilations fusionnelles" de certains groupes de prière chauds n’ayant pas su contrôler leur fonctionnement, ou aux "excitations conflictuelles" de groupes de chrétiens situant la présence de Dieu quasi-exclusivement dans la qualité de l’engagement socio-politique. Souvent on y fait moins l’expérience de Dieu que de soi-même et de son désir bruyant. FREUD avait déjà pourchassé ces expériences comme des illusions. Tout n’est pas pour autant à rejeter, mais il faut se rappeler qu’un désir de religieux bruyant, exalté, émotionnel comme on les aime aujourd’hui, même exaucé, n’est pas forcément une expérience de foi. "L’exaucement merveilleux n’est pas à confondre avec l’écoute d’une parole. Le critére essentiel demeure la mise à l’épreuve d’une Parole contestatrice".

Dans les manifestations religieuses même en christianisme, tout n’est donc pas à prendre pour argent comptant. Les formateurs de séminaires et noviciats savent quel travail de discernement est à opérer pour éduquer le sentiment religieux, et évangéliser la pulsion mystique. D’ailleurs le retour du religieux traduit parfois un simple réveil des paganismes.

2 - UN VIGOUREUX REVEIL DES PAGANISMES, SOUS DES FORMES SUBTILES

Les "païens", dans la Bible, sont les gens qui ne font pas partie du Peuple de l’Alliance. En perspective chrétienne, ce sont ceux qui ne reconnaissent pas ou pas encore le Dieu d’Abraham. Les néo-paiens sont des hommes religieux qui, aujourd’hui, se référent à d’autres dieux que Celui de la Bible. Le paganisme n’est d’ailleurs pas un moment aujourd’hui dépassé de l’histoire religieuse. Il représente une valeur religieuse en constante antithèse du christianisme.

Or les formes qu’a pris le religieux aujourd’hui favorisent l’absorption de toute recherche spirituelle dans un grand tout indifférencié où se dissout radicalement l’originalité de la Révélation biblique. La religion, dans la présente "ère du vide" comme dit Gilles LIPOVESTKY, apparaît souvent comme l’un des multiples moyens de la réalisation de soi, de l’équilibre, de la sagesse : par la méditation intérieure ou la scientologie, par le christianisme, le soufisme ou l’hindouisme. Et chacun d’élaborer sa propre religion à sa propre mesure - et donc son propre visage de Dieu, sa propre idole -, en empruntant des éléments à toutes les croyances, sans référence à l’invariant d’une Révélation objective : un peu de christianisme, reste du souvenir du catéchisme, un zeste de bouddhisme, un bout de croyance à la réincarnation, un soupçon de yoga. Or cet esprit est connaturel au paganisme. Il est typique du Nouvel-Age nous le verrons. Notons pour le moment quatre de ces manifestations plus particuliérement repérables

- les résurgences modernes de la religiosité archaïque,

- le paganisme théorisé,

- le christianisme néo-paien,

- le gnosticisme.

LES RÉSURGENCES MODERNES DE LA RELIGIOSITÉ ARCHAIQUE

Ce sont d’abord les pratiques magiques et la crédulité. Quand l’avenir effraye on se tourne vers le mage, le sorcier, le guru : ils pullulent. On dénombre, en France, autant de voyants que de médecins généralistes plus de 40 000.

Ce sont ensuite les versions modernes du Panthéon antique et de ses dieux. Le Vitalisme par exemple, qui favorise l’intensité de la vie plus que sa conversion : "être bien dans sa peau", "s’éclater", deviennent le maître-mot de l’existence ; il n’est qu’à voir les thèmes porteurs des publicités. Ou bien la recherche d’une communion avec la Nature qui l’identifie à Dieu, tel le retour à la Terre-Mère qui anime certaines ferveurs écologistes et du Nouvel-Age. Ou encore ce monisme panthéiste pour lequel l’homme et le cosmos sont issus d’une unique substance divine que la plupart des nouvelles techniques d’exploration de l’espace-intérieur telle la Méditation Transcendantale, vous promettent d’atteindre par la "plongée" jusqu’aux niveaux les plus subtils de la conscience personnelle, étincelle du Divin cosmique.

LE PAGANISME THÉORISÉ

Aux yeux des théoriciens néo-païens dans la ligne de NIETZSCHE et en parenté avec les Nouvelles-Droites, il s’agirait plus radicalement de permettre à l’homme occidental de se réapproprier une partie de lui-même : en revenant aux divinités ancestrales qui régnaient avant le christianisme. Celui-ci en effet, en coupant les peuples européens de leurs traditions religieuses païennes, aurait éloigné Dieu des hommes : en l’exilant hors du monde. Alors que le paganisme occidental établissait une continuité entre Dieu et le monde, l’un et l’autre étant taillés dans la même étoffe divine.

Il favorisait d’ailleurs, à la différence du christianisme, explique Alain de BENOIST, l’esprit de tolérance religieuse en acceptant un nombre illimité de dieux et donc de cultes et de voies légitimement différentes pour atteindre la vérité et le sacré. C’est une des revendications du Nouvel-Age. Aussi dira le G.R.E.C.E. (Groupement de Recherche et d’Etudes pour la Civilisation Européenne), une des instances intellectuelles de la nouvelle droite, le christianisme est-il particulièrement désastreux pour l’Europe en train de se construire. D’où l’intérêt porté par certains aux résurgences des religions normaniques, celtiques, odinistes. Et surtout au moment de l’entrée dans l’ère astrologique du Verseau avec l’an 2000, dit-on, qui marquera la fin du christianisme et de l’ère des Poissons, de même que l’ère du Taureau a vu la naissance puis la disparition de la religion babylonienne, et l’ère du Bélier celle de la religion mosaïque.

Ce sera alors l’avènement de la nouvelle religion mondiale : celle du Nouvel-Age. Et chacune des nouvelles religions et gnoses de se bousculer pour prendre la place du christianisme jugé défaillant, en lui donnant au passage la chiquenaude qui le fera chuter. Les moonistes s’appelaient "Pionniers du Nouvel-Age". Le magazine populaire de l’ésotéro-occultisme
"Nostradamus" se sous-titre "Nostra New Age". Les multiples mouvements religieux qui se regroupent sous le titre générique d’Itinéraires spirituel pour le Nouvel Age" ont dressé déjà l’acte de décés prochain du christianisme des Poissons. A moins, disent certains, qu’il accepte de se libérer de ses pernicieuses origines et de s’ouvrir... au paganisme.

UN CHRISTIANISME NEO-PAIEN

En effet, écrivait Louis PAUWELS dans la suite de Charles MAURRAS, l’Eglise a bien su à certains moments assimiler certaines valeurs du paganisme quand elle s’était libérée du "germe évangélique dissolvant", celui de l’égalité des hommes devant Dieu qui a tourné en égalitarisme destructeur des élites. Car le christianisme par lui-même est facteur de décomposition de l’homme comme il l’a été de l’Occident. Il a historiquement engendré la révolte des faibles, des esclaves avec l’effondrement conséquent de l’empire romain, et livré ainsi l’Europe aux hordes d’envahisseurs.

"L’Evangile sans l’Eglise est un poison". La formule attribuée à Joseph de MAISTRE affine la pointe du combat. Il s’agit, dira Louis PAUWELS, de "transmuter un ferment de décivilisation" (l’Église des origines lançant les pauvres à l’assaut de la civilisation gréco-romaine, et ouvrant ainsi les portes aux destructeurs barbares) en "aliment de civilisation" (l’Église postérieure, facteur d’Ordre dans la Cité et de civilisation de l’Occident). Or la grande erreur de l’Église catholique a été de revenir, avec Vatican II, au subversif venin de ses origines : l’Évangile des pauvres, égalitariste. Tout l’effort du catholicisme neo-païen sera de lutter contre les dérives conciliaires : l’Église servante et pauvre, les théologies de la libération, la séparation de l’Église et de l’État. Et ce, pour sauver l’Église d’un "retour à sa pernicieuse enfance". C’est le refus du Dieu de Jésus-Christ et de l’Évangile au nom du combat contre la révolution.

LE GNOSTICISME

Il représente l’une des formes les plus vigoureuses du retour de Dieu et du religieux. Le gnostique est celui qui connaît parce qu’il a eu une révélation : la tentation élitiste est proche, on le pressent. Et c’est par cette connaissance qu’il est sauvé, connaissance délivrée au long des monographies "confidentielles" des Rose-Croix, des cours de la Nouvelle Acropole, des ouvrages de la Théosophie, des "auditions" de la Scientologie, des conférences du Mouvement du Graal. Et non par la grâce gratuitement donnée par le Dieu de Jésus-Christ. C’est en cela qu’il est païen. Le salut est lié à l’entrée dans le groupe choisi des disciples, à la ren-contre de Dieu "sous l’habit du mendiant".

Or de nombreux chrétiens pratiquent la double appartenance. Ces mouvements donnent en effet le change, se référant abondamment à la Bible et se présentant comme de simples sagesses, supérieures à la foi certes, mais sans contradiction aucune avec elle. On leur a même promis de les aider à mieux pratiquer leur christianisme en faisant ce que les Églises sont incapables de faire. Et les voici rosicruciens et chrétiens, anthroposophes et chrétiens. Mais ils sont devenus du même coup et insensiblement : croyants à la réincarnation, fidèles d’un Dieu qui est Vibration et Énergie cosmique, disciples d’un Jésus grand maître essenien et grand initié ésotérique, mais aucunement Fils de Dieu et Ressuscité. C’est à terme un danger mortel pour le christianisme. Il n’est qu’à relever au gré des sondages la chute alarmante de l’adhésion à certaines vérités fonda-trices du christianisme chez les chrétiens de nos pays : sur la divinité de Jésus et sa résurrection, sur la vie éternelle et l’au-delà.

Le gnoticisme a été la maladie infantile du christianisme au temps même de son affrontement avec le paganisme. Or ces deux courants sont à nouveau en plein essor. Ils représentent à la fois l’expression majeure du retour du religieux aujourd’hui et un défi majeur pour le christianisme et l’évangélisation à la fin du deuxième millénaire.

3 - UN RETOUR DU RELIGIEUX SUR FOND D’INCROYANCE MASSIVE ET DE MONTÉE DE l’INDIFFÉRENCE

On le voit, le retour du religieux est loin d’être un retour de la chrétienté, même si certains y alimentent leurs nostalgies - nostalgies de civilisation d’ailleurs plus que nostalgies d’Évangile -. Une hirondelle ne fait pas le printemps et l’hiver de l’incroyance n’est pas passé pour autant. Il serait illusoire de voir dans la nouvelle religiosité un appui immédiat pour l’évangélisation, même si nous pouvons légitimement y discerner des attentes, même si tel jeune "chercheur spirituel" a parcouru bien des voies initiatiques avant de frapper à la porte d’un noviciat. Retenons seulement que déchristianisation n’est pas synonyme d’irréligion. Les gens ne sont plus guère chrétiens. Cela ne veut pas dire qu’ils soient devenus irréligieux.

Mais il faut noter aussi, à côté du maintien d’une incroyance massive, la montée en puissance de l’indifférence religieuse. Elle touche tout particuliérement les jeunes générations. C’est comme un "bof !" désabusé, lourd de désintérêt pour les choses de l’homme et les choses de Dieu, aux formes multiples.

Elle naît parfois d’une perte de tout désir et de tout espoir : de tout sens de la vie. Indifférence blasée du chômeur de longue durée, du drogué, de l’économiquement faible consacrant toutes ses forces à tenir la tête hors de l’eau. Il n’y a plus de place alors pour les problèmes métaphysiques et religieux.

Elle naît parfois à l’inverse, chez les nantis, d’une polarisation à l’extrême sur le job, la réussite technique, qui vampirise toute l’énergie mentale dans un investissement sans fond. Ils sont rivés toute la semaine à l’ordinateur, aux cours de la Bourse ou à la planche à dessin. Et en compensation, ils s’éclatent durant le week-end au ski, au golf ou à la planche à voile. Indifférents à tout ce qui n’est pas l’investissement immédiat dans l’action efficace ou la jouissance. Ils ne disent pas seulement "il n’y a pas de Dieu". Ils disent en fait par leur vie : "Il n’y a pas d’homme intérieur, il n’y a pas d’autre rive pour le sujet humain".

Devant ce désintérêt aveugle, tiède et mou, on a le sentiment qu’il n’y a aucune ouverture possible au dialogue religieux. A la différence de la rencontre avec l’agnostique qui s’est donné au moins la peine de se poser la question, ou du sceptique qui la maintient quand même dans son champ d’interrogation. L’un et l’autre ont d’ailleurs secrètement besoin de la foi du croyant pour cultiver en paix leur soupçon...

Et pourtant au coeur même de l’indifférence, les questions essentielles sautent parfois à la figure comme un appel de sens. Celles de la vie et celles de la mort, de la souffrance et de l’amour. Des questions que l’on ne peut renvoyer d’un haussement d’épaules suffisant. Or toute question sur le sens est en germe une question religieuse.

La béance intérieure que recouvre le "bof" de l’indifférence peut engendrer toutes sortes de réponse de type religieux. Le choix d’une consécration totale à un absolu dans la vie religieuse ou ministérielle. Mais tout aussi bien l’adhésion à une secte aussitôt après le passage d’un prédicateur. Voire à une religion-substitut comme ces religions d’Extra-terrestres qui ont fleuri ces derniéres années parce qu’offrant une expérience religieuse de remplacement : "Il y a quelque part dans le cosmos quelqu’un qui pense à nous". L’exemple est révélateur du paradigme de la nouvelle religiosité. On sait peut-être qu’aujourd’hui 62 % des français croient à l’existence d’Extra-terrestres (alors que 40 % seulement croient au paradis et 37 % à la Trinité..).

Cette croyance concerne surtout les classes moyennes et les jeunes, comme un corollaire de la "conscience planétaire" qui est la leur. Et la solidité de l’adhésion, comme pour l’astrologie, est facteur du niveau d’études : on croit davantage à Bac + 4 qu’à Bac +1.

4 - UNE SORTE DE MICRO-CULTURE : LA NOUVELLE RELIGIOSITE

A la fin de cette premiére étape, comme un survol d’une mosaïque de territoires où nomadisent un certain nombre de nos contemporains et qui est le lieu d’origine des jeunes en recherche de vocation, on doit faire le constat que le sentiment religieux est de retour, sous des formes renouvelées sinon inédites. Ce religieux relève d’ailleurs souvent davantage de la re-
ligiosité que de la religion, de la crédulité que de la foi, de la curiosité que de l’adhésion. Aussi vaut-il mieux parler de "nouvelle religiosité" : une sorte de micro-culture à large audience, une nébuleuse dense bien qu’aux contours imprécis, dont il serait présomptueux de ne pas tenir compte. Retenons-en quatre traits majeurs :

- le pluralisme

- le nomadisme

- l’individualisme

- une mentalité technicienne

LE PLURALISME

Dans ce marché commun du religieux "être chrétien" ne va plus de soi. Et concrètement la présence côte à côte sur les mêmes bancs de l’école, d’enfants musulmans issus du Maghreb, bouddhistes réfugiés du Sud-Est asiatique, Jéhovistes de filiation américaine, à côté de catholiques ou de protestants, pose très tôt au jeune chrétien la question de la validité de sa propre religion : "Pourquoi ne croient-ils pas aux mêmes choses que moi ?" Ce qui enclanche souvent le relativisme doctrinal : "Bof ! toutes les religions se valent !".

LE NOMADISME

On change plus aisément de croyance aujourd’hui qu’hier, au gré des rencontres, des lectures, des voyages. On se définit couramment comme "en recherche" et donc moins lié sociologiquement à l’Eglise dans laquelle on a été baptisé. En cet "âge de la glisse" comme dit G. LIPOVESTKY, symbolisé par le surf, la planche à voile, où il n’y a plus d’ancrage idéologique stable, où l’on glisse au dernier vent de la mode, on change d’orientation et parfois de religion "comme on change de rési-dence, de femme, de voiture". Ou plutôt, bien ancré dans son individualisme, on choisit les opinions et les religions "à la carte" en les adaptant au désir d’aujourd’hui, ou de son âge.

Cela tient pour une part au primat actuel du provisoire dans nos sociétés technicisées. L’avènement de la société post-industrielle s’est fait en effet dans une prolifération de techniques sans cesse dépassées par d’autres plus performantes. Les choses sont éphéméres : un ordinateur chasse l’autre. Des professions meurent et d’autres se créent sans cesse. La moitié des professions que les lycéens d’aujourd’hui exerceront demain dans leur vie professionnelle, n’existent pas encore. On vit au jour le jour, au coup par coup.

Les valeurs culturelles et religieuses, prises dans ce maëlstrom, apparaissent alors aux jeunes comme provisoires et dépassées, dès qu’elles sont du passé. Ne faudrait-il pas leur en substituer de plus actuelles, de plus performantes ? D’où ce nomadisme qui amène à gyrovaguer d’un groupe à l’autre, d’une secte à un monastère.

La société leur apparaissant par ailleurs comme incapable de se diriger suivant un projet politique ou économique durable, et fonctionnant au régime de la marche à vue, ils manifestent le plus grand désintérêt pour les grands projets et les grandes idéologies, marxistes ou libérales. On s’ingénie à construire l’absolu dans le ponctuel et le relatif. Que vont devenir alors les dogmes religieux et l’engagement définitif dans ce contexte ? Le dogme est considéré par beaucoup comme quelque chose de relatif, valable pour un moment donné mais qui risque de bloquer le progrès. Et l’engagement est soumis à l’épreuve du temps. Sauf si, à l’inverse un besoin viscéral de certitudes, de sécurité et de points fixes, en pousse d’autres vers l’intégrisme, le repli frileux dans l’évangélisme fondamentaliste, ou la secte totalitaire.

L’INDIVIDUALISME

Quand on rencontre habituellement des jeunes en groupes de discussion, on a le sentiment que chacun se concocte sa propre religion, avons-nous déjà noté, une religion-kit, en intégrant les éléments reçus du passé, d’une famille chrétienne par exemple, à des éléments piqués au présentoir du supermarché religieux contemporain, dans un aimable syncrétisme destiné d’abord à l’épanouissement harmonieux de la personnalité. On tisse son propre cocon. On se fabrique une religion douce comme il y a des médecines douces : pour un mieux-être dans sa peau, pour une jouissance intérieure. Le religieux n’est plus nié loin de là, mais relativisé et récupéré, banalisé.

Cette mentalité de repli-sur-soi est un trait marquant de la société globale. "Vivre à fond", "Prendre son pied" : la nouvelle culture est égocentrée sur l’individu et l’accomplissement du moi. Les groupes de thérapie centrés sur le corps, les groupes d’exploration de la conscience centrée sur l’espace intérieur, fonctionnent alors comme des religions de remplacement. On privilégie l’intime et l’attention au moi,.en même temps qu’on se désintéresse dans une indifférence aimable, on vient de le voir, du politique, du syndical et de l’Institution religieuse.

Chez les chrétiens, la montée de l’individualisme s’est traduite par le refus de l’engagement militant comme critère de valeur de la foi, au profit d’une recherche de liberté, de fête, d’éclatement, de bonheur. Ce n’est pas purement négatif. Il faut évangéliser cet individualisme qui es recherche d’un autre esprit, d’autres valeurs : celle de la personnalisation tout d’abord.

UNE MENTALITÉ TECHNICIENNE

Elle est marquée par le primat de l’expérimental. N’est valable aux yeux de beaucoup que ce qui a été prouvé et expérimenté personnellement. On veut faire sa propre expérience et se décider ensuite. D’où la difficulté d’accepter l’expérience et les croyances religieuses de la famille. "Qu’y a-t-il après la mort ?" : la réincarnation ? La vie éternelle ? Rien ?Les réponses sont personnelles et dépendent assez peu des croyance familiales. D’où la facilité des ruptures avec la famille pour entrer dans une secte par exemple.

Ces croyances ne sont pas niées et rejetées car on conserve avons-nous dit les acquis de la première enfance. Mais chacun les réorganise pour se bricoler sa propre manière de voir les choses et sa propre religion, devenue une affaire privée. Comme disent beaucoup de jeunes : "Il faut faire avec ce qu’on a". Et l’on appellera parfois "Dieu" tout simplement ce que l’on estime le plus important : la Vie, la Nature, l’Amour avec majuscules ; ou un interlocuteur auquel on s’adresse occasionnellement. D’ailleurs "il faut être sincére et cela suffit !".

On voit ainsi la vedette de hard-rock Prince concocter un savant mélange de sexe et de religion qui passe très bien la rampe. Or ses chansons parlent de Dieu, de Jésus-Christ et se terminent par la question : "Bon, bon alors on fait l’amour ce soir ?".

Ce dictat de l’expérimental se manifeste aussi dans la recherche d’une expérience directe, voire scientifique, des réalités religieuses. Par le spiritisme, le channeling, la voyance - en plein développement - on veut mettre la main sur l’autre côté du miroir. L’astrologie séduit parce qu’elle semble s’appuyer sur des lois scientifiques. De même la parapsychologie avec son appareillage d’observations et d’expérimentations. Les croyances ufologiques s’appuient sur des faits établis.

La validité d’une religion est par ailleurs mesurée à sa capacité de transformer. concrétement les choses par des changements vérifiables expérimentalement. L’impact actuel de certaines religions japonaises tient à ce qu’elles proposent des techniques spirituelles permettant de faire face aux problèmes de la vie de tous les jours. La récitation du Sutra du Lotus dans la Sokka Gakkaï bouddhiste, aurait des effets bénéfiques aux plans professionnel et financier. La transmission de la lumière par l’imposition des mains dans le mouvement guérisseur Mahikari aurait des conséquences positives sur le corps, la santé, les choses et l’environnement. L’Église de Scientologie propose des techniques très élaborées pour obtenir des résultats efficaces sur soi-même et son entourage dès cette vie. La religion dans ce contexte devient un objet de consommation parmi d’autres, porteur d’expériences et de jouissance spécifiques.

On comprend l’importance du discernement spirituel pour identifier dans ce maquis des expériences religieuses, la paille et le grain, puisque chacun conserve des religions officielles ce qui lui convient. Comme et quand cela lui convient. Il n’est qu’à voir le succès des "sagesses" syncrétistes portées à l’heure actuelle par les courants du Nouvel-Age. Ou la fluidité des croyances : Jésus demeure objet de ré-vérence mais comme l’un des multiples avatars du divin cosmique. Les Evangiles sont abondamment cités, mais après réinterprétation en perspective gnostique. Cette dissolution "molle" des croyances est notable même chez les chrétiens : un catholique sur quatre croit à la réincarnation.

Bref, dans ce lent mouvement de balancier de l’histoire qui va régulièrement du politique au mystique, de l’humanisme à l’adoration, l’humanité semble entrer aujourd’hui dans la phase mystique et religieuse. Il importe alors aux chrétiens d’être très attentifs à la forme de religieux qui est en train d’apparaître.

Mais pourquoi ce retour aujourd’hui ? après le temps du Descriptif, ouvrons celui de l’Analyse.

II - Analyse

Nous retiendrons seulement deux questions :

- Quelles sont les causes les plus notables de l’apparition de nouvelles formes du religieux ?

- Quelle interprètation globale peut-on en donner ?

1 - UNE PREMIERE APPROCHE DES CAUSES DE CE RETOUR

Nous la chercherons du côté de la conjoncture religieuse et de la conjoncture psycho-sociale.

- La conjoncture proprement religieuse

La religion étant d’origine sociale, une multitude de facteurs interfèrent dans la conjoncture religieuse à une époque donnée. Relevons-en quatre à incidence plus notable :

- la sécularisation et ses effets

- un climat angoissé d’apocalypse prochaine

- les transformations de l’Eglise depuis Vatican II

- l’attente d’une Ere nouvelle à l’approche de l’an 2000.

LA SÉCULARISATION ET SES EFFETS

La sécularisation a entraîné un recul de la religion qui crée comme un vide de la conscience de l’homme d’aujourd’hui, en substituant une vision profane à la vision religieuse du monde. Or la "religion" intégrait l’homme au réel en le "reliant" au cosmos, à lui-même, en lui fixant une origine et une fin. En Occident, elle le reliait au christianisme, l’intégrant par là à une société donnée. Et voici l’homme de nos sociétés occidentales désincarné du monde, dépourvu de sens à donner à son existence, égaré dans une nuit privée d’étoiles. Un vide s’est creusé par le recul de la conscience religieuse.

D’où cette quête errante de spirituel chez certains, avec la recherche de nouveaux modéles : Bouddha ou Moon après Jésus. En tous sens puisqu’il n’y a plus de points de repère : dans l’Évangile ou dans les Védas. Incessante chez ceux que ce creux au fond de la conscience laisse insatisfaits : ils vont d’un monastère bénédictin à un groupe hindouiste, du spiritisme à la Rose-Croix.

Des groupes chauds et convaincus souvent dénommés "sectes" leur offrent des réponses particulièrement tranquillisantes, un modèle, des rites. Il suffirait de dire "Jésus t’aime" ou de psalmodier le mantra "Hare Krishna". Les brumes de l’avenir absurde et bouché s’évaporent alors à la chaleur d’une communauté porteuse d’une vérité assurée.

Un exemple frappant de ce fonctionnement nous est donné aujourd’hui avec l’écroulement d’une société sécularisée type, celle des pays de l’Est. L’URSS représente un parangon du phénoméne. L’effondrement du matérialisme athée officiel y a laissé une société déboussolée par la perte de ses certitudes scientistes. La béance ainsi creusée a jouée comme un appel d’air pour un "religieux" ambigu dont le retour traduit une soif réelle de spiritualité et d’intériorité que l’on verra se manifester autour de l’Église orthodoxe, mais s’exprimer aussi par un fort engouement pour le merveilleux la superstition et la magie. Ou par le développement de multiples sectes importées d’Occident.

Beaucoup sont passés du marxisme au spiritisme, dans la ligne d’une vieille tradition russe d’intérêt pour les phénomènes occultes, renforcée par le sentiment écologique qu’un grand bouleversement planétaire est en marche, dont la catastrophe de TCHERNOBYL serait l’un des révélateurs.

Toute l’Europe de l’Est est atteinte par ce séisme. La Sokka Gakkaï japonaise prévoit de s’implanter en Union Soviétique. Douze mille personnes pratiquent déjà la Méditation Transcendantale en Arménie soviétique. L’Église de Scientologie est vigoureusement active en HONGRIE, POLOGNE, BULGARIE et dans l’ex ALLEMAGNE de l’EST.
Le phénoméne nous éclaire sur le vécu de nos propres sociétés.

UN CLIMAT ANGOISSÉ D’APOCALYPSE PROCHAINE

La période que nous vivons est riche en cataclysmes de tout genre succédant au grand cataclysme des 55 millions de morts de la deuxième guerre mondiale : bouleversements économiques et sociaux ("la crise"), conflits et révolutions (fruits lointains de la guerre froide), menaces atomiques, voire certaines incompréhensibles variations climatiques. Cet ensemble disparate de malheurs quand on l’appréhende globalement peut suggérer l’idée d’un grand bouleversement en marche et engendrer une forte angoisse existentielle s’exprimant sur le plan religieux.

D’où l’incroyable succès des mouvements eschatologiques : Témoins de Jéhovah, Église Universelle de Dieu, Raëliens, certains évangéliques, multiples micro-groupes exploitant les "secrets" de Fatima ou de San Damiano, d’Arés ou de Dozulé. Et les prophéties de Nostradamus se sont révélées récemment comme un best-seller diffusé à un million d’exemplaires. Il n’est pas jusqu’aux groupes soucoupistes qui dans une sorte d’attente millénariste ne voient dans l’arrivée des Extra-terrestres le début d’une nouvelle Ere de bonheur, de paix et d’unité sur la terre. Notons au passage que 42 % des français pensent cette rencontre probable dans l’avenir.

Ce qui nous amène à parler plus spécifiquement du Nouvel-Age, une des expressions contemporaines typiques de la nouvelle religiosité.

L’ATTENTE D’UNE ÉRE NOUVELLE A L’APPROCHE DE L’AN 2000

Nous arrivons historiquement à la fin de vingt siècles de Christianisme et à l’orée du 3ème millénaire. Le thème du Nouvel-Age rassemble alors certaines formes diffuses du retour du religieux, mais aussi des désirs authentiques de réveil spirituel, pour proposer une nouvelle spiritualité qui entré particuliérement en consonnance avec les attentes des générations actuelles. Il les pénétre à la manière d’une "douce conspiration" (Marylin FERGUSSON).

Il est caractérisé par la conviction que l’humanité est sur le point d’entrer, à l’aube de l’ère astrologique du Verseau (Aquarius, en anglais). dans un âge nouveau de prise de conscience spirituelle et planétaire, d’harmonie et de lumière, marqué par des mutations psychiques profondes. Il verrait le second avènement du Christ dont les Energies seraient déjà à l’oeuvre parmi nous. C’est un millénarisme pour l’an 2000. Son credo implicite, commun à de multiples mouvements, a bien des similitudes avec celui de l’ésotéro-occultisme.

On perçoit en arrière plan le climat d’espoir et de crainte typique de notre époque de crise que nous venons de signaler. Il engendre l’attente de la fin de ce monde et le désir d’un monde autre. Le Nouvel-Age attire parce qu’il promet santé, bonheur et sens de la vie. Mais aussi parce qu’il veut répondre au malaise de la société dans son ensemble, au-delà du mal-être individuel. Il représente une utopie assez vague pour que chacun puisse y projeter ses aspirations religieuses en ce temps où, encore une fois, l’on se compose sa propre religion en empruntant librement à toutes les traditions spirituelles.

Le projet a de quoi séduire bien des chercheurs d’absolu. Il ne s’agit rien moins que de passer, entreprise prométhéenne, du monde ancien au monde nouveau, de l’obscurité à la lumière, des Poissons au Verseau. D’accéder à des sommets où jamais l’homme n’était encore parvenu. De passer de la conscience individuelle à la conscience cosmique, de l’expérience morcelée à l’illumination mystique dans la totalité. De faire naître la nouvelle religion mondiale, synthèse de toutes les religions et de leurs valeurs. Beaucoup émargent à cette attente, dans les jeunes générations.

LES TRANSFORMATIONS DE L’EGLISE DEPUIS VATICAN II

Vieille histoire mais qui continue à porter des conséquences. Le Concile a été facteur de renouveau du catholicisme. Mais en contre coup il a ébranlé la sécurité de croyants en recherche de bases solides et définitives pour mener la barque de leur existence en ces périodes troublées. C’est ainsi que des chrétiens s’expliquent de leur adhésion au Mormonisme américain malgré la distance culturelle importante. Parce qu’ils y trouvent, disent-ils, une parole de Vérité prononcée avec assurance, avec autorité, et fondée sur une communication directe avec Dieu.

D’où le retour du fondamentalisme, avec la recherche d’une parole écrite ne-varietur dans un livre que l’on peut prendre au pied de la lettre. L’offensive menée par le mouvement évangélique "Moral" aux Etats-Unis contre l’enseignement de l’évolutionisme dans les écoles en est typique.

- La conjoncture sociale : une tendance générale au repli -

La société occidentale est marquée actuellement par une tendance générale au repli. Et cette mentalité de recentrage favorise la naissance de groupes religieux fermés. Après l’époque des grandes aspirations des années 1960-1970 et leur mentalité d’aventure, c’est en effet, note B. CATHELAT, le temps du réformisme mesuré, du conservatisme prudent. On se replie sur la famille et sur le clan, sur la nature et la vie privée. On recherche le leader charismatique. Or ces traits caractérisent la plupart des nouveaux mouvements religieux. Tous recherchent la chaleur communautaire. Plusieurs s’intitulent des "Familles" : les Enfants de Dieu ou "Famille d’Amour", celle des Amis de l’Homme, de l’Eglise de l’Unification, de Nazareth. Certains se replient à la campagne. D’autres se constituent autour d’un guru, d’un maître spirituel, d’un leader.

Mais à côté de ce recentrage conservateur sur la ruche tribale, nous avons noté aussi l’existence d’un mouvement de hors-jeu social, d’individualisme égocentré qui conduit à mener comme une double existence : une participation résignée pour gagner sa vie (un emploi, un horaire, un crédit), et une évasion impliquée en de tout autres domaines. Toute l’énergie, toute la créativité sont investies "ailleurs". Dans la moto, les voyages, l’artisanat créatif. Ou dans le yoga, les énergies douces, la recherche ésotérique, l’attente du Nouvel-Age. Le retour du religieux se joue alors souvent sur ce registre de l’ "ailleurs".

Au terme ce sera parfois l’éclatement du corps social en de multiples tribus repliées sur elles-mêmes : vie associative et aménagement de l’existence privée comme un cocon, mais aussi cénacles initiatiques et groupes religieux sauvages.

Comment expliquer ces phénoménes socio-religieux ?

2 - DES ESSAIS D’EXPLICATION

Même si ce n’est pas directement dans notre propos - je m’en suis expliqué plus longuement ailleurs - il est intéressant d’avoir quelque idée des nombreux essais d’explication globale proposés pour ce que l’on nomme globalement "retour du religieux". Parce que chacun en parle presque toujours de manière impliquée. On est rarement neutre.

Causer de "réveil spirituel" par exemple, c’est pour les uns une manière de se fermer les yeux devant la prégnance de l’incroyance et de l’indifférence dans les nouvelles cultures, se consoler à bon compte en avalisant sans esprit critique des choses bien ambiguës, voire des désirs nostalgiques de restauration de la chrétienté.

Pour d’autres, refuser d’en parler, c’est se fermer les yeux devant les manifestations déconcertantes de l’Esprit en se cramponnant à des analyses soixante-huitardes dépassées.

Essayons de prendre quelque recul pour écouter objectivement tout un chacun. Ils disent des choses fort intéressantes mais diverses :

- Une grande variété d’analyses -

1/ C’est, disent certains, un simple déplacement du champ religieux à l’intérieur du seul monde croyant, qui peut tenir à un caprice des vents de la mode.

2/ C’est la simple permanence résiduelle de bribes religieuses échappées au rouleau compresseur de la sécularisation, disent d’autres chercheurs. Comme une "religion diffuse". Ou comme une "nébuleuse d’hétérodoxie". Pour protester contre les contraintes idéologiques et dogmatiques, on s’évade dans l’astrologie ou le spiritisme.

3/ C’est une simple crise du modernisme, du culte de la Raison et du Progrès, qui se trouve pris de doute sur lui-même parce qu’incapable de résoudre aujourd’hui les questions fondamentales de l’existence. Une sorte de retour du refoulé occidental.

4/ C’est un nouveau gadget, une nouvelle mode, dans l’ère du vide, du vide de toute idéologie. Engouement éphémère comme celui de la planche à voile ou des médecines douces.

5/ C’est simplement une récurrence offensive de la religion, du sentiment religieux individuel, à l’intérieur d’un mouvement inéluctable de retrait du religieux, car il n’est absolument pas envisageable que la société se coule à nouveau dans la dépendance des dieux.

DES PRÉSUPPOSÉS QUI NE SONT PAS INNOCENTS

Ces types d’explication sont fort pertinents pour comprendre certains aspects de "ce qui se passe". Mais les quatre derniers s’appuyent sur des présupposés qu’il faut identifier et sur lesquels on peut légitimement porter un jugement différent.

1er présupposé :

La religiosité diffuse d’aujourd’hui serait un simple résidu non-signifiant de bribes marginales de la religion. Rappelons-nous que ce fut la tentation permanente des Eglises instituées comme du rationalisme, de traiter par le mépris ou l’apologétique combative des croyances et pratiques où l’on ne voyait qu’archaïsmes sans valeur. Or le retour en force de la religiosité tient justement à ce qu’elle a récupéré une partie de la demande religieuse qui n’était plus toujours honorée par les Eglises ni par la Raison : quête de fête, de merveilleux et de sacré, requête de bien-être intérieur, de points de repère solides, d’expériences religieuses senties.

2ème présupposé :

L’hypothèse suivant laquelle la modernité engendrerait inévitablement le recul de la religion. Mais voici que bien au contraire celle-ci en produit : sacralisation de la technique, du politique, de l’écologie, de la science.

3ème présupposé :

Le religieux serait un simple épiphénomène explicable par ses seuls aspects sociologiques ou économiques. Certes le fait religieux ne se vit pas en état d’apesanteur psychologique ou culturelle. Mais comme le rappelait sans cesse Mircea ELIADE, il ne se révèlera comme tel qu’à celui qui l’appréhende suivant sa propre modalité, religieuse, sacrale.

Et si de fait certaines formes de religiosité relèvent d’un nouveau gadget au supermarché de l’individualisme, comme une sorte de ballon d’oxygène pour occidental en marasme, ou - comme le dit joliment Marcel GAUCHET - de "l’incroyable survivance de l’entente magique des choses", il s’agit justement de distinguer dans le religieux ce qui constitue authentiquement l’homme et ce qui n’en est que parasitage superficiel. Mais sans jeter pour autant le bébé avec l’eau du bain, la religion avec ses déviations occasionnelles.

Il s’agit pour le chrétien de prendre en compte le religieux pour y discerner entre l’admirable et l’innaceptable. Car le christianisme est la conversion à Jésus-Christ d’une dimension religieuse constitutive de l’homme. Mais d’un religieux authentique.

Voilà qui peut tracer quelques lignes simples et opératoires pour notre praxis pastorale.

III - Orientations pour la praxis

L’arrivée comme une lame de fond de la nouvelle religiosité représente un sérieux défi pour l’annonce de l’Evangile à l’approche du troisième millénaire. Avons-nous les moyens de cette nouvelle mission ? Pas totalement semble-t-il.

Nous avons dû en effet nous équiper pastoralement au lendemain de la guerre, et avec une rare capacité d’invention missionnaire, pour l’évangélisation d’un homme incroyant et sécularisé dont on avait toutes raisons de penser qu’il serait le modéle dominant en Occident. Et cette perspective a mobilisé l’essentiel de nos forces apostoliques. Or voici que surgit un homme religieux et païen que l’on n’attendait guère. Et c’est à lui qu’il faut annoncer l’Evangile. Dans sa propre langue.

Car si "l’Esprit Saint nous parle par l’incroyance" comme le disait Paul VI, il nous parle aussi par le paganisme, la gnose et la nouvelle religiosité. Il n’est pas interdit d’y déceler même parfois des "pierres d’attente de l’Evangile".

A condition de commencer par écouter ces nouveaux croyants même s’ils sont parfois crédules. En vue de discerner. Parfois d’exorciser.

Il s’agit donc :

- de prendre en compte le religieux,

- de répondre aux attentes qu’il exprime (à l’intérieur du christianisme),

- de l’évangéliser (en ce qu’il a d’évangélisable)

C’est une tâche pastorale pressante dont notre pastorale spécifique des vocations dépend pour une part.

1 - PRENDRE AU SERIEUX LES NOUVELLES FORMES DU RELIGIEUX,
pour ce qu’elles expriment d’original

Cette attitude ne nous est pas spontanée. Habitués à regarder les dissidences religieuses à partir de notre situation d’Eglise majoritaire, nous sommes tentés de les identifier spontanément avec les schismes, les hérésies, les phénomènes plus ou moins aberrants. Voire de ne les qualifier que par la mesure de leur déviance en les amalgamant sous l’épithète uniformément péjorative de "sectes".

Mais alors nous les mutilons de leur originalité propre et nous nous empêchons d’entendre ce que ces croyants ont à dire de neuf aux religions officielles :

- qu’il faut vivre dans l’attente active du retour de Jésus, comme le rappellent les Adventistes,

- que la vie intérieure n’est pas un gadget mais le coeur même de l’homme, comme l’expriment les mouvements orientaux,

- que la lecture de la Bible dans certains cas peut inviter à des ruptures avec le monde, comme le vivent les Témoins de Jéhovah emprisonnés pour objection de conscience.

N’y a-t-il pas là des requêtes souvent entendues chez les jeunes aux premières années de leur formation ?

2 - REPONDRE A CERTAINES ATTENTES DES JEUNES GENERATIONS
telles qu’elles sont révélées par la nouvelle religiosité

Un simple exemple, à partir des déplacements que connaît aujourd’hui le sentiment religieux.

On assiste à un déplacement de l’adhésion à la recherche du "discours" (sur la doctrine), de "parcours" (on est toujours en recherche ). Et l’on passe allégrement de la Bible à la Bhagavad Gita, de Jésus à Moon.

Il n’y a certes pas à avaliser cette quête errante de spirituel. Mais à éviter de présenter le christianisme comme un systéme rigide et clos où tous les aiguillages seraient faits d’avance. Car Dieu est Quelqu’un que l’on cherche avant d’être un énoncé notionnel clos dans une définition.

DÉPLACEMENT DE LA RELIGION A LA SAGESSE

Beaucoup sont davantage en quête de paix intérieure, de spiritualité et de mystique, que de dogmes et d’institutions religieuses.

Il y a alors à remettre en valeur le Christianisme comme sagesse : sagesse du corps, paix du coeur, harmonie avec la création. Celle de François d’Assise, de Bernard de Clairvaux et de François de Sales. Le christianisme comme Voie ("La Voie", disaient les premiers chrétiens) qui vaut toutes les gnoses initiatiques. En retournant à notre patrimoine spirituel, à la symbolique des Pères de l’Eglise, au sain ésotérisme du langage de la pierre chez les bâtisseurs de cathédrales.

DEPLACEMENT DU DOGME A L’EXPERIENCE PERSONNELLE

C’est ce qui fait en particulier le succès des religions de l’Inde où le religieux est affaire d’expérience intérieure, à l’école d’un guru, et non de dogme : "le goùt de la pomme n’est connu que de celui qui la mange.."

Sans glisser bien sûr dans la confusion entre état-psychologique-altéré et mystique à la manière des hippies cherchant dans la drogue un moyen pour "voir Dieu en face", il y a à retrouver une saine "théologie ascétique et mystique" ouvrant les voies de l’expérience intérieure de Dieu, sous la conduite d’un Maître spirituel, dans la Tradition d’une Ecole.

DEPLACEMENT DU NOTIONNEL A L’ÉMOTIONNEL

Pour faire plus facilement cette expérience du divin "en direct", certain se jettent, dans une sorte d’appétit sauvage, vers des groupes où l’on chante, où l’on danse, où l’on est bien ensemble.

Sans confondre spirituel et émotionnel, il y a alors à retrouver le sens du corps dans la prière, de la fête dans la liturgie, des symboles charnels qui parlent au coeur et aux sens, eau et lumière, flammes et encens, gestuelle et icônes. A nous interroger sur le climat froid et compassé de certaines de nos célébrations.

3 - ÉVANGÉLISER LE RELIGIEUX QUE L’ON DIT "DE RETOUR"

L’évangéliser, après l’avoir au préalable exorcisé, quand il n’est ni saint, ni sain. On avait en effet voulu chasser le religion de nos sociétés occidentales, en la déclarant aliénante, mais "chassez la religion et elle revient au galop !". Et voici qu’elle revient parfois en pitoyables parodies bien malsaines : comme chez les Adorateurs de l’Oignon adorant un oignon castré, où chez les fidéles de Jim Jones le leader mégalomane de la trop fameuse secte du Temple du Peuple dont on a encore en mémoire le suicide assassinat collectif de plus de 900 personnes un certain matin de novembre en forêt de GUYANA.

UN TRAVAIL PRREALABLE D’ECOLOGIE SPIRITUELLE

Il faut donc procéder à une sérieuse dépollution des formes maladives du maquis parfois empoisonné que représente la nouvelle religiosité. C’est u travail d’écologie spirituelle. Alors on pourra l’évangéliser, sainement. Puisque, redisons-le, le christianisme est la conversion à Jésus-Christ d’une dimension religieuse constitutive de l’homme. Mais elle est païenne à l’origine.

Les dieux du paganisme sont respectables certes comme l’expression tâtonnante d’une recherche de la Voie et de la Vérité. Mais ils ne sont pas le "Vrai Dieu" révélé par la Bible et dont Jésus est le Visage humain, Lui qui est la Voie et la Vérité.

Et pourtant ce désir qui met en route certains et les égare parfois dans les opiums de KATMANDOU et les rêveries de l’étrange, est souvent en germe le Désir de Dieu. Tout comme le désir de l’eau chez la Samaritaine, cette soif très banale et à ras de terre, était en germe le Désir de l’Eau Vive Encore fallait-il que quelqu’un lui révèle et son désir et l’Eau qui le comblerait. Cette révélation c’est l’évangélisation.

UN PROGRAMME D’ÉVANGÉLISATION

Elle consistera en particulier à identifier ce qui est christianisable dans la nouvelle religiosité, - la défense de la nature, la redécouverte de l’intériorité -, et ce qui ne l’est pas - le culte de la race, de l’Eros, du Profit -.

Elle consistera à redécouvrir les propres richesses de notre Credo. Si nous ne parlons plus de la Communion des Saints, les gens iront chercher dans le spiritisme la réponse à leurs questions sur la communication avec leurs morts. Si je ne parle plus de la résurrection de la chair, des fins dernières, de la vie éternelle, ils rejoindront les 22 % des européens qui croient déjà à la réincarnation.

Elle consistera enfin à réapprendre à dire en clair l’Evangile, à l’annoncer en direct au milieu du vacarme des mille bateleurs vantant chacun leur marchandise au grand cirque du religieux contemporain. C’est le kérygme pour la seconde évangélisation. Je veux dire ceci : nous accueillons, et avec coeur grand ouvert, des gens qui sont demandeurs de quelque chose à l’Eglise. Sans doute avons-nous maintenant aussi à nous déplacer pour aller à ceux qui ne sont "demandeurs" de rien, mais peut-être "chercheurs" : de Quelqu’un ? A aller aux croyants hors frontiéres. A passer aux barbares.

UNE TACHE PASTORALE PRESSANTE

Ce simple survol des grands dynamismes spirituels animant nos contemporains nous interpelle, chrétiens responsables de l’avenir du christianisme et spécialement des vocations.

Car voici des gens, et particuliérement des jeunes, ébranlés par l’actuelle crise de civilisation de l’Occident et de la cassure qu’elle introduit dans la cohérence du monde. Ils deviennent ou redeviennent "chercheurs" d’identité, de certitudes, de qualité de vie, d’absolu. Certains, au travers même de leurs errances, ne seraient-ils pas en quête d’une Bonne Nouvelle pour leur vie ? A nous de rejoindre ces lieux où leur coeur est "touché" : car le coeur est le tissu de la conversion et de la vocation.

En faisant oeuvre de discernement : car le désir qui pousse l’homme vers l’absolu, voire vers le religieux comme lieu d’assouvissement de son état de manque, peut l’égarer sur des objets imaginaires ou des idoles. Il faudra donc aider le désir à se libérer des objets imaginaires sur lesquels il est toujours en péril de se fixer. Il faudra rendre libre le mouvement qui pousse l’homme en avant vers l’autre, vers l’Autre comme Absent, et qui est proprement en lui la marque de l’Infini.

Voilà qui trace déjà quelques lignes du cahier des charges d’une éducation spirituelle dans le contexte actuel de retour du religieux.

"L’homme dans son fond, écrit Jean GUITTON, est idolâtre ou iconoclaste. Il n’est pas athée."