Prêtre diocésain


Jean de MONTALEMBERT,
prêtre diocésain, responsable du Service des Vocations du diocèse de MEAUX

En commençant ce témoignage sur le prêtre diocésain, deux grandes figures de prêtres diocésains me viennent à l’esprit : le curé d’Ars, gui passait des heures au confessionnal pour témoigner de l’étendue de la miséricorde de Dieu à ses paroissiens, puis aux pèlerins venus à Ars ; et le Père Guérin, le fondateur de la J.O.C. en France, gui "usait" pratiquement un évangile par an, tant il y annotait des noms de jeunes travailleurs ou des situations vécues par ceux-ci, lors de sa méditation de la Parole de Dieu. Deux figures pourtant bien différentes.

Jean-Marie VIANNEY nommé curé d’un petit village de 250 habitants après de laborieuses années de séminaire. Il y restera quasiment toute sa vie après plusieurs tentatives infructueuses, et de son évêque pour le nommer ailleurs, et de lui-même pour fuir un ministère dont il ne se jugeait pas digne.

Le Père GUERIN, lui, sera détaché de sa paroisse par son évêque pour qu’il se consacre à la fondation des premières équipes de la J.O.C.

Existe-t-il aujourd’hui beaucoup de curés de villages de 250 habitants ou de prêtres détachés par leur évêque pour se consacrer à l’éveil de jeunes apôtres en milieu ouvrier ?

Ces dernières années, le nombre des prêtres, la répartition des tâches et les façons de vivre le ministère ont évolué très rapidement. Quand mon diocèse, celui de MEAUX, a pris sa dimension territoriale actuelle, il y a juste deux cents ans, on comptait 760 prêtres pour une population de deux cent mille Seine-et-Marnais, c’est-à-dire un prêtre pour 250 habitants. En 1900, on comptait un prêtre pour 842 habitants ; en 1960, un prêtre pour 1 543 habitants et en l’an 2000 nous serons 130 prêtres diocésains en activité dans le diocèse pour une population voisine de 1 300 000, c’est à dire un prêtre pour 10 000 habitants. Notre ministère, dans ses formes, ne sera ni celui du curé d’Ars, ni celui du Père Guérin. Pourtant, chez eux, comme chez les prêtres diocésains d’aujourd’hui, on peut retrouver une même vocation commune : se mettre au service de son évêque pour la charge pastorale qu’il nous confiera et se donner cœur et âme à cette population confiée pour qu’elle s’ouvre au Salut et s’attache à Jésus-Christ.

Depuis plusieurs siècles dans l’Eglise latine, le prêtre diocésain est le troupier de l’Eglise. Dévolu parfois à des tâches un peu obscures et peu gratifiantes, il fait vivre par sa fidélité et sa constance l’Eglise ordinaire. Il n’est peut-être pas un brillant orateur, ni grand organisateur, ni hardi prophète, ni audacieux missionnaire, mais on sait le trouver quand on a besoin de lui. Il est proche de gens qui l’ignorent le plus souvent mais lui confient leurs peines et leurs désarrois, quand ceux-ci se présentent au détour de l’existence. Il tirera le diable par la queue pour boucler un budget paroissial sans ressources. Il se fera tour à tour bricoleur, secrétaire, comptable, cuisinier, chantre ou chauffeur de car pour les besoins de sa communauté. Aujourd’hui, on peut le trouver aussi devant l’ordinateur pour simplifier le fichier d’adresses de la paroisse. Au village de mes parents, dans le Morvan, le dernier curé titulaire a été retiré en 1965 parce qu’il n’avait pas suffisamment de ressources pour vivre. Pourtant, à son enterrement plusieurs années après, une forte délégation du village s’est déplacée : ce prêtre était en fait très aimé des gens !

L’image du prêtre diocésain est devenue ces dernières années plus floue. Avant on savait bien qui était Monsieur le Curé. Il était repérable, il restait longtemps dans la même paroisse, et ses paroissiens étaient des habitants de toujours. Avec la mobilité contemporaine, les repères ne sont plus les mêmes. C’est moins le prêtre que la communauté elle-même qui assure une certaine stabilité et visibilité.

Beaucoup de chrétiens sont devenus très actifs dans la vie de l’Eglise. Le prêtre passe de communautés en communautés, de services d’Eglise en services pour animer, réconforter, former, appeler, ouvrir…, comme si nous retrouvions davantage une mobilité paulinienne dans notre ministère pastoral de la charité. Les Lettres de Saint Paul nous montrent combien il gardait le souci des communautés chrétiennes qu’il avait fondées ou visitées sans pour autant demeurer sur place. Aujourd’hui le prêtre diocésain est appelé à beaucoup se déplacer, mais, pour autant, c’est toujours le soin du troupeau qui guide son action.

Quelle est l’originalité de cette vocation ?

"Je ferai de toi un pêcheur d’hommes"

Le souci des gens, la compassion, le désir de les voir grandir ou guérir ; l’envie de rassembler, de briser les barrières, de faire se rencontrer ; le désir de livrer une parole de paix et de pardon, d’ouvrir à l’Evangile, de faire connaître Jésus..., autant d’attitudes, de gestes ou de souhaits qui sont à l’origine d’une vocation de prêtre diocésain. Dernièrement un jeune me rencontrait pour me dire son intention d’entrer au séminaire. Cela faisait quelque temps déjà qu’il était en lien avec le Service des Vocations, hésitant entre un engagement monastique, ou une orientation vers la prêtrise. Peu avant Pâques, il participe à une célébration pénitentielle. Le prêtre est seul et donne l’absolution collective. Pour ce garçon, le manque de prêtres pour offrir à chacun le pardon du Christ lui est apparu brusquement comme un appel très fort vers la prêtrise.

La vocation de prêtre diocésain prendra donc sa source dans l’intérêt que porte un jeune pour une vie ecclésiale à la fois concrète et locale et pour des gens précis. Un cœur pastoral se forge lentement bien avant que se pose de façon explicite la question de la vocation à la prêtrise. C’est la marque que nous sommes saisis par le Christ et sa charité pastorale bien avant que nous n’en ayons conscience et c’est une bonne indication dans le discernement des vocations. "Je ferai de toi un pêcheur d’hommes". Naturellement au départ ce souci, ou cet intérêt, se manifestera de façon partielle, par exemple dans le soin exigeant et aimant que prendra un chef scout pour sa troupe, ou la peine que prendra un étudiant pour monter un groupe d’aumônerie dans sa fac.

Mais peu à peu le cheminement et la formation vers la prêtrise élargiront son cœur pastoral aux dimensions de la charge qui lui sera confiée. Et pour le prêtre diocésain, le troupeau, c’est toute la population qui lui est confiée et pas uniquement ses ouailles ou ses sympathisants.

Prêtre d’un diocèse

Le diocèse est une unité territoriale. Au départ il s’agissait d’un découpage administratif de l’empire romain. En matière ecclésiale l’avantage du découpage territorial, c’est qu’il est neutre et stable. Il ne qualifie pas a priori les personnes qui se trouvent, se déplacent ou habitent sur ce territoire. Il oblige l’Eglise à se penser en termes universels : sur ce territoire-là toute personne quelle qu’elle soit a droit à sa sollicitude, à sa miséricorde et à l’annonce de l’évangile. "J’ai encore des brebis qui ne sont pas dans la bergerie". Et si un territoire est délimité, c’est qu’il y a d’autres territoires et donc d’autres Eglises avec d’autres responsables avec qui il faut être en communion ecclésiale.

Quand l’Eglise raisonne en termes de territoires, elle s’oblige à une vision large de la mission. Elle ne peut restreindre son champ d’activité aux seuls adhérents ou sympathisants. Elle ne peut raisonner la mission uniquement en termes de prosélytisme : augmenter le nombre de ses adhérents. L’Eglise de Dieu qui est à Corinthe est toute l’Eglise là, dans cette ville, signe de la miséricorde de Dieu pour tous les Corinthiens quel que soit le nombre de chrétiens et leur qualité. "Considérez, frères, qui vous êtes, vous qui avez reçu l’appel de Dieu : il n’y a parmi vous ni beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens de bonne famille", dit St Paul à "l’Eglise de Dieu qui est à Corinthe".

Tenir compte du territoire, c’est considérer les personnes dans leur environnement géographique, social, culturel et économique : l’évangélisation concerne tout l’être, dans tous ses aspects, il est donc normal que la charge pastorale soit liée à une responsabilité territoriale. Le prêtre diocésain est le coopérateur direct et immédiat de l’évêque dans sa charge pastorale d’un diocèse.

Dernièrement le diocèse de MEAUX s’est réorganisé pour adapter davantage la vie ecclésiale aux besoins des fidèles et aux nécessités de la mission dans un département à très forte croissance démographique. Pour faire ce réaménagement ecclésial, il a été tenu compte tout autant de réalités propres à l’Eglise diocésaine que de réalités humaines de notre département. Et il est bon qu’il en soit ainsi car l’Eglise manifeste alors sa mission universelle. C’est tout l’homme et toute son activité qui sont appelés à être récapitulés en Christ.

La spiritualité du prêtre diocésain

Deux courts passages du Décret sur le Ministère et la Vie des Prêtres (Vatican II) sont à mon avis très éclairants sur la spiritualité du prêtre diocésain :

"C’est en exerçant le ministère d’Esprit et de Justice que les prêtres s’enracinent dans la vie spirituelle pourvu qu’ils soient accueillants à l’Esprit du Christ qui leur donne vie et les conduit. Ce qui ordonne leur vie à la perfection, ce sont leurs actes liturgiques de chaque jour, leur ministère tout entier exercé en communion avec l’évêque et les prêtres." (n° 12)

"Le Christ pour continuer toujours à faire dans le monde, par l’Esprit, la volonté du Père, se sert de ses ministres. C’est donc lui qui demeure la source et le principe de l’unité de leur vie. Les prêtres réaliseront cette unité de vie en s’unissant au Christ dans la découverte de la volonté du Père et dans le don d’eux-mêmes pour le troupeau qui leur est confié. Menant ainsi la vie du Bon Pasteur, ils trouveront dans la charité pastorale le lien de la perfection sacerdotale qui ramènera à l’unité leur vie et leur action"
(n° 14)

Dans ces deux textes nous avons l’essentiel :

  1. notre lien au Christ Pasteur qui donne sa vie pour la multitude est la source et le fondement de notre vie spirituelle ;
  2. le lieu même de notre sanctification est l’exercice de notre ministère de charité pastorale, en communion avec l’évêque.

Ces deux principes sont simples et permettent au prêtre de réviser sans cesse son activité, sa vie de prière, son amour des gens, sa communion à l’Eglise.

Ainsi la méditation des Evangiles où nous pouvons contempler le Christ à l’œuvre sera toujours au cœur de la prière du prêtre diocésain, la "chair" de cette prière étant la reprise et l’intériorisation des nombreux actes de notre ministère.

A titre personnel, j’aime beaucoup prier, l’évangile ouvert, avec mon cahier de notes à proximité, celui où j’ai noté les rencontres faites, les noms, les propos tenus ou les confidences que des personnes m’ont faites, les événements survenus..., et inlassablement je vais passer de l’un à l’autre, confiant au Christ et à son Père le salut de tous. Après seulement, je passerai à la prière d’un ou deux psaumes proposés par la liturgie des heures du jour pour entrer dans la prière même de Jésus.

Cette façon de faire explique aussi peut-être que, contrairement aux religieux, beaucoup de prêtres diocésains aiment bien dire leur bréviaire seuls.

Le célibat du prêtre diocésain

"Il n’est pas bon que l’homme soit seul". Cette petite phrase du livre de la Genèse, pleine de bon sens, combien de fois ne l’avons-nous pas entendue de la part de gens ayant du mal à saisir la portée de notre engagement dans le célibat et la chasteté. Mais cette même opinion publique a moins de doute sur le vœu de chasteté des religieux, en particulier des moines et des moniales. "Ils sont tout donnés à Dieu". Même si on ne saisit pas toujours les raisons d’un tel choix de vie, on comprend qu’il implique célibat et chasteté. Par contre, on attend du prêtre qu’il soit proche des gens et pour cela on imagine qu’il lui faut vivre comme tout le monde. Dans cette distinction - entre prêtre et religieux - il y a quelque chose de très juste, d’ailleurs pointé par le Concile Vatican II (Ministère et Vie des Prêtres, n° 16).

Le religieux choisit Dieu avant tout. Il manifeste par sa vie que Dieu comble parfaitement et totalement son existence, aussi s’engage-t-il à la pauvreté, à la chasteté, à l’obéissance, à la prière et à la contemplation, au service des plus démunis, à l’amour fraternel. Toute son existence, son être, sont ainsi consacrés par ce choix décisif, radical de Dieu et de son Royaume.

Pour le prêtre diocésain, les choses vont autrement. Fondamentalement, ce n’est pas lui qui choisit, il est choisi. Il est désigné pour être le collaborateur pastoral de l’évêque. N’est pas prêtre qui veut, mais seulement ceux qui sont retenus par l’évêque. Ceci pour marquer l’origine dans le Christ de l’appel au ministère pastoral : "je ferai de toi un pêcheur d’hommes" , "ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais moi qui vous ai choisis et institués..." "Sois le pasteur de mon troupeau !"

Ce qui est demandé en premier au prêtre diocésain est d’accepter la charge pastorale confiée. Avoir soin du troupeau, veiller sur lui, le guider, lui annoncer l’Evangile. Pour le prêtre ce qui est premier c’est le ministère à la suite de Jésus. Et le célibat "n’est pas exigé par la nature du sacerdoce comme le montre la pratique de l’Eglise primitive et la tradition des Eglises orientales" (Vatican II, MVP 16). Pourtant, ajoute le Concile, le célibat a "de multiples convenances" avec le sacerdoce. En effet, l’évêque et avec lui les prêtres sont appelés à être pasteurs comme le Christ, c’est à dire à investir toutes leurs forces d’intelligence, d’affection et de compassion au service de ceux qui leur sont confiés. Ainsi le prêtre diocésain trouve raisons et force pour vivre son célibat dans une grande proximité au Christ-Pasteur et dans une charité pastorale toujours renouvelée vis-à-vis des gens vers qui il est envoyé, que "ni la chair ni le sang" ne lui ont donnés mais qui sont pour lui des dons de Dieu.

Le prêtre signe du Christ-Tête et de son Eglise

Rencontrant dernièrement un évêque religieux, je recevais de lui cette confidence : "Je découvre en ce moment la force du clergé diocésain, vous êtes envoyés à tous, vous n’avez pas comme nous votre cour". Le Christ a choisi des disciples, non pour se les garder auprès de lui comme une communauté d’éternité mais pour les envoyer. "Il en établit douze auxquels il donna le nom d’apôtres". C’est à dire envoyés. Les évêques successeurs des apôtres sont d’abord des envoyés. Le prêtre diocésain, coopérateur de l’évêque, pareillement. Il est envoyé auprès d’une communauté chrétienne qu’il n’a pas choisie. Il n’a pas été non plus choisi par celle-ci.

Il pourra ainsi signifier, à la tête de cette communauté, qu’elle n’est pas rassemblée par le simple désir associatif de ses membres, mais bien par le Christ, pour être à son tour envoyée porter la Bonne Nouvelle à tous. Nous avons là une des structures fondamentales de l’Eglise qui garantit son origine en Christ et qui maintient son orientation missionnaire.

Actuellement beaucoup de jeunes sont attirés par des formes de vie d’Eglise plutôt communautaires parce qu’elles manifestent davantage de convivialité, de force, voire de sécurité. Pourtant la destinée du prêtre est d’aller, de quitter sans cesse la tranquillité de la bergerie pour rechercher la brebis oubliée ou égarée. Il y a là plus de risques et une telle perspective peut aviver les craintes des jeunes. Aussi les communautés chrétiennes doivent-elles valoriser l’appel et le soutien de telles vocations : le Christ accompagne ceux qui ont accepté la charge apostolique. Il n’y a pas lieu de craindre. "Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps", dit Jésus aux Onze, en les quittant. En contre-partie de ce "manque" communautaire, il y a devoir impératif pour les prêtres diocésains : vivre en presbyterium leur ministère.

Prêtres avec d’autres prêtres

Nous sommes de pauvres bougres, plus peut-être que d’autres. Nous ne sommes pas prêtres par mérite, mais par choix de l’Eglise et notre faiblesse est là pour que la force du Christ soit manifeste et reconnue. Il y a peu de chances que l’on trouve beaucoup de "gourous" chez les prêtres diocésains. Mais alors l’isolement, la lassitude, l’adversité, le vieillissement (on devient vite vieux garçon !), l’opiniâtreté des brebis égarées à refuser de se laisser rassembler, bref bien des choses peuvent nous user et nous fatiguer, même atteindre en nous le cœur, c’est-à-dire notre foi en Jésus.

Nous avons donc un devoir fraternel de vigilance entre prêtres. Nous avons en premier à être prêtre pour nos frères prêtres. Veiller ensemble à la qualité de notre foi et de notre charité pastorale. Cela se fait en équipe de prêtres ou en doyenné, par des rencontres amicales, ou en équipe de révision de vie. Des prêtres ne perdent jamais leur temps à se retrouver quand ils portent ensemble la charge pastorale.

Avec quatre amis prêtres, nous nous retrouvons depuis vingt ans une journée par mois pour réviser notre vie et prier ensemble. Nous sommes de plusieurs diocèses différents, tous avec des charges pastorales lourdes et pourtant nous n’avons que très rarement reporté notre rendez-vous mensuel. Ce lien entre prêtres est vital, il est inscrit dans la nature même du ministère. Il est plus important que les liens de sympathie ou d’affection que le prêtre peut nouer avec les communautés dont il a la charge. C’est quand il manque que le ministère se dilue. Il est bon que toute l’Eglise y veille.

En conclusion, deux paroles de Jésus que je médite inlassablement :

"Simon, Simon, Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme on fait pour le blé. Mais moi j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne disparaisse pas. Et toi, quand tu seras revenu, affermis tes frères". (Luc 22, 31-32)

"Pierre m’aimes-tu plus que ceux-ci ? - Seigneur, tu sais bien que je t’aime. Alors, sois le pasteur de mes brebis".
(Jn 21, 15)