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Engagés en couple au Pain de Vie
Eric et Viviane ANDRILLON,
couple dans la Communauté du Pain de Vie
Lorsqu’il nous a été demandé d’écrire au sujet de notre vocation de couple au sein de la Communauté du Pain de Vie, il nous est apparu, à mon épouse et à moi, que ce témoignage devait aussi porter sur la famille, en tant que fruit premier de la vie de notre couple. Nous le ressentons - en ce qui nous concerne - presqu’avec évidence, car au moment de l’appel de Dieu à vivre en communauté (il y a cinq ans), notre famille était déjà constituée, avec ses quatre enfants : Samuel, Aurélie, Jean-Baptiste et Marthe.
Si l’on considère maintenant notre vocation proprement dite, nous avons le sentiment très net qu’elle a été préparée bien avant notre changement radical de vie. Ainsi notre mariage à l’Eglise, alors que nous ne pratiquions plus notre foi de baptisés ; ainsi le choix de l’évangile des Béatitudes à cette même messe de mariage, parce que cet évangile-là nous apparaissait comme un beau programme de vie.
C’est d’ailleurs cette soif quasi inconsciente de vivre 1’Evangile,- c’est à dire en fait essayer de vivre comme Jésus nous le demande - c’est cette audace de l’Esprit Saint en nous, qui nous a appelés à tout quitter pour rejoindre la Communauté du Pain de Vie (après mûre réflexion bien entendu).
Voilà le sens de notre appel initial. Vivre avec un groupe de personnes acceptant de suivre le Christ pour vivre en sa présence une vie nouvelle. Bien entendu cet aspect peut se vivre partout, mais en ce qui nous concerne nous sentions confusément que la Communauté était un lieu privilégié pour pouvoir vivre cette radicalité évangélique. Nous savons maintenant que l’organisation concrète de la vie de tous les jours : prière, offices, travail, repos, permet l’enracinement de notre vocation de couple. Certes, il ne faut pas idéaliser.
Chez nous aussi, la monotonie du quotidien, les découragements, les incompréhensions entre personnes si différentes par leur provenance sociale, leur caractère, leur intelligence, font partie du lot de souffrances à vivre dans notre maison. Mais leur offrande à Dieu, par le biais des sacrements de l’Eglise, est une source de croissance dans l’amour du prochain. "Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés", nous dit Jésus. Le "comme" est très important pour vivre en communauté. Au pain de Vie, nous avons le "mode d’emploi caché" : c’est le Corps du Christ offert à l’Adoration, fondement de notre vie contemplative de couple.
Placer Jésus ressuscité au centre de notre couple, contempler la Sainte Famille voilà un autre aspect de notre vocation. Cela n’est pas de la rêverie pour personne voulant fuir la société. Cela permet à l’homme et à la femme de tourner leur cœur vers la Source de toute vie, de regarder dans la même direction, pour y puiser la force de rester fidèles à l’appel du Seigneur sur nous.
Petit à petit on s’aperçoit que c’est vraiment Dieu qui "soude" notre mariage, qui nous unit dans le même Amour ; et si il y a dispute ou incompréhension entre nous, c’est que nous nous sommes éloignés de la présence de Jésus au milieu de nous, ou que nous ne sommes plus assidus à la prière ou aux sacrements. La vraie humilité au Pain de Vie, c’est de savoir que sans Dieu - réellement présent dans le Corps du Christ - nous ne pouvons rien faire, même pas vivre avec les plus pauvres, et Dieu sait si c’est difficile de vivre avec eux, surtout lorsqu’ils sont "in-vivables". Mais Dieu n’est-il pas venu offrir son salut pour les personnes malades en tout genre ?
Notre vocation dans l’Eglise
Notre vocation en tant que couple marié vivant à la communauté peut également être située dans l’Eglise et plus particulièrement dans l’Eglise catholique. Dans sa lettre de reconnaissance définitive des Constitutions du Pain de Vie, Mgr PICAN, évêque de BAYEUX & LISIEUX s’exprimait ainsi : "... Je souhaite que se continuent et s’amplifient les deux pôles de votre action : la vie eucharistique et le service des pauvres."
Le nom même de notre communauté est le signe que Dieu nous demande de vivre quotidiennement du Pain de Vie dans son Eucharistie et dans l’adoration perpétuelle. Le cœur de notre vocation en Eglise, c’est de continuer de montrer Jésus vivant dans son Eucharistie et de vivre autour de sa Présence.
Et si cette vocation d’adoration est vécue en Esprit et en Vérité par toute la communauté, alors les pauvres vont venir chez nous, de la même manière que cela est décrit dans les évangiles. Là où passait Jésus, là où il se trouvait, les aveugles, les boiteux, les infirmes, les prostituées, les enfants venaient, et parfois même en grand nombre, souvent de manière insistante. C’est la vocation seconde du Pain de Vie, qui découle de la vocation fondamentale citée précédemment. Vivre avec les pauvres que Dieu nous envoie pour leur montrer la réalité de la Présence vivante de Jésus, les présenter au Seigneur et les laisser vivre chez nous, dans la Maison du Pain de Vie, pour se reposer, reprendre des forces, goûter à la miséricorde de Dieu et à sa tendresse, avant de reprendre le cours de leur existence.
Un couple uni, apaisé par l’Amour de Jésus, essayant de se laisser transformer par l’Esprit Saint, un couple donné au Christ peut être une source de guérison intérieure très forte pour la personne affectivement ou psychologiquement très blessée. Sans faire de discours, par leur vie toute simple avec ses tâches quotidiennes, les couples, et certainement davantage les familles, sont une source de paix et de miséricorde pour le pauvre, quel que soit son âge.
Notre vocation dans le monde
L’appel à aller vivre dans une communauté est parfois (pour ne pas dire souvent) ressenti par nos proches comme une fuite du monde. Comme si la réalité du monde était constituée par une seule forme de vie : celle adoptée par la majorité d’un groupe, d’un pays, d’un peuple ou d’une civilisation.
Pourtant, en ce qui nous concerne, mon épouse et moi n’avons à aucun moment eu l’impression de fuir le monde. Simplement nous avons décidé - pour répondre à l’interpellation du Seigneur - de changer notre manière de vivre afin de nous rapprocher le plus possible d’une vie évangélique.
Et comme nous l’avons remarqué au début, Dieu se sert des événements et de nos vies pour signifier son appel sur nous. Ainsi pour notre couple et pour notre famille il nous a demandé d’accueillir la pauvreté radicale avec la maladie de notre fils aîné, Samuel, survenue à l’âge de deux ans. D’un petit enfant beau et très intelligent, la maladie nous l’a rendu avec un handicap mental important, faisant de Samuel un pauvre parmi les plus pauvres.
Très vite, la question s’est posée pour nous au point de devenir lancinante : "que faire pour Samuel ?". Et petit à petit, à force de souffrances, de révoltes, nous nous sommes rendus compte que ce que nous avions de mieux à faire pour notre enfant c’était de vivre avec lui, de l’entourer de notre amour de papa et de maman et de le faire aimer par ses frères et sœurs. Ce mouvement, cette conversion de notre cœur continue encore aujourd’hui dans la communauté du Pain de Vie.
A partir du moment où Samuel a été accepté comme tel dans notre famille, nous nous sommes rendu compte de sa richesse spirituelle pour notre famille, sans que cela diminue pour autant notre volonté de tout faire pour que notre "pauvre" fils grandisse et fasse le plus de progrès possible.
Voilà une autre vocation du couple et de la famille dans le monde : ouvrir le cercle de la famille à la présence du pauvre et le reconnaître comme une source de béatitudes évangéliques. Dieu indiquera à chacun le type de pauvreté qu’on peut accueillir.
Dans la communauté du Pain de Vie, notre vocation n’est pas de réaliser d’abord des oeuvres (même petites) pour le monde ou pour l’Eglise. Nous croyons qu’il convient de se pencher d’abord sur Jésus (en se prosternant à l’Adoration devant le Corps du Christ) avant de se "pencher" sur nos "oeuvres" à faire en faveur du monde. L’efficacité - au sens donné par le monde - n’est pas pour nous première, elle est donnée par surcroît après que le Royaume et sa justice aient été recherchés en esprit et en vérité.
"Notre souci n’est pas de créer une communauté modèle sur quelque point que ce soit ; ni de bâtir une communauté qui préfigure une nouvelle organisation économique et sociale, même si notre vie est prophétique, et que, de fait, notre expérience de vie commune, fondée sur la mise en pratique effective des conseils évangéliques peut servir de base de réflexion pour un ordre social et économique plus conforme au respect des droits de tout homme. Notre souci premier reste le salut des âmes et l’avènement du Royaume des Cieux par la Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres : Jésus est vivant. Il demeure au milieu de nous sous les apparence du pain. Venez, voyez, et prosternez-vous devant Lui."
(Extrait du LIVRE DE VIE)