Pourquoi pas en communauté ?


Hippolyte SIMON,
prêtre du diocèse de COUTANCES, Supérieur du Séminaire interdiocésain de Basse Normandie jusqu’en juin 1990,
responsable de la formation dans son diocèse

Lorsqu’on a l’occasion de dialoguer de façon très libre avec des séminaristes, on entend souvent exprimer le souhait suivant :

"Moi, si je suis prêtre un jour, je ne me vois pas vivre tout seul dans un presbytère, j’aimerais beaucoup mieux vivre en équipe ou en communauté sacerdotale..."

Parfois ce souhait prend une autre forme :

"Il faudrait inventer un nouveau type de communauté ou de fraternité : une maisonnée avec des familles et/ou des laïcs consacrés et un ou des prêtres. Ce serait mieux pour tout le monde."

Je ne crois pas me tromper en disant que tous ceux qui exercent un ministère de formation auprès de séminaristes ou de jeunes prêtres ont entendu formuler ce genre de projets. Et ces derniers ne sont pas les seuls à parler de cette façon. Leurs familles et leurs amis disent volontiers la même chose. Ils ne "voient pas", comme ils disent, ces jeunes garçons vivre plus tard dans les mêmes conditions de logement et de ministère que les prêtres actuellement en fonction. Beaucoup vont jusqu’à dire que ces conditions de vie sont responsables du petit nombre de vocations sacerdotales diocésaines.

A cette raréfaction du clergé diocésain on oppose facilement la croissance - réelle ou supposée - des ordres religieux contemplatifs :

"Là au moins, les jeunes ne sont pas isolés. Ils ont le soutien d’une communauté. C’est plus facile de tenir durablement dans cette existence-là".

Il est inutile de continuer cette énumération. Chacun l’aura compris : la vie en communauté est facilement présentée, aujourd’hui, comme le remède à tous les problèmes que pose la solitude dont on pense qu’elle est le lot quotidien des prêtres diocésains. Cette idée a la clarté de l’évidence. Est-il sûr pour autant, que cette solution soit aussi simple qu’il y paraît ?

Pour y voir clair, il convient, me semble-t-il, de prendre la question sous plusieurs angles. Je vais donc essayer de présenter maintenant les différents aspects que peut revêtir ce mot un peu magique de "communauté". Il ne suffit pas, en effet, qu’on le retrouve à l’intérieur de tous les souhaits exprimés pour que cette présence ait, à chaque fois, la même signification. Il faut donc ordonner un peu les choses.

1 - UN CONSTAT :

La plupart des prêtres diocésains connaissent la solitude.

Ce constat est objectif. Il n’y a pas besoin de circuler beaucoup pour s’en rendre compte. Dans leur grande majorité, les prêtres diocésains, et parfois aussi les religieux qui exercent un ministère paroissial, vivent seuls dans des presbytères plutôt peu confortables et fort peu pratiques. (1)

Il arrive souvent que ces grandes demeures conservent un réel cachet extérieur. Le presbytère compte souvent parmi les plus anciennes et les plus belles maisons du bourg ou de la petite cité.

A l’origine ces maisons ont été conçues selon le modèle des demeures bourgeoises de l’époque. Il était prévu d’y faire loger un curé, un ou deux, voire plusieurs vicaires et une gouvernante qui tenait la maison. La hauteur des plafonds et la largeur des cheminées témoignent des fastes d’une époque révolue. Mais il n’est pas sûr que la salle de bains et le chauffage aient été faciles à installer dans ces pièces d’un autre âge. En d’autres termes, à la beauté du cadre correspond souvent l’austérité de l’habitat quotidien. Et ce qui est agréable l’été, quand il fait beau et que l’on a la joie de recevoir des amis ou la famille de passage, devient un véritable problème l’hiver, quand il fait humide et que l’on se retrouve tout seul.

Même si la commune, généralement propriétaire du presbytère, a consenti de gros travaux pour garder un curé dans la paroisse, il n’en demeure pas moins que la solitude du prêtre est bien réelle. Le fait d’avoir échangé ce grand presbytère pour un pavillon plus petit mais plus confortable ne change pas complètement les données de la question. Cela peut faciliter la vie quotidienne et rendre plus supportables les contraintes domestiques, mais cela ne résout pas la solitude morale, redoutée, à juste titre, par beaucoup de séminaristes et de jeunes prêtres.

Il est bien clair que les conditions présentes de la vie chrétienne, en France, ont beaucoup modifié l’exercice du ministère paroissial.

Tout d’abord, la diminution du nombre de prêtres en activité a fortement contribué à l’accroissement de la solitude. Je l’ai dit : beaucoup de presbytères ont été conçus pour accueillir un curé et un vicaire ; et parfois plusieurs vicaires. Il n’est pas sûr que cette cohabitation ait toujours été très communautaire, mais ce n’était pas non plus la solitude. Après son ordination, un jeune prêtre n’avait pas à redouter de se retrouver tout seul. Il pouvait raisonnablement penser qu’il serait d’abord vicaire pendant plusieurs années. Il savait donc qu’il aurait acquis une expérience pastorale relativement longue avant de se retrouver chez lui dans "son" presbytère.

Dans ces conditions, il n’était pas rare d’entendre dire : "enfin je vais me retrouver chez moi ; je pourrai recevoir ma famille...". Loin d’être redouté, ce passage à une habitation plus personnelle était assez souvent souhaitée.

Il faut dire, ici, que la situation du curé dans sa paroisse n’impliquait pas nécessairement la solitude. Assez souvent, la paroisse avait la charge d’une école libre où le curé était bien présent. Il y avait aussi le patronage ou, plus tard, les groupes de l’A.C.(F.) de J.O.C.(F)... etc. De ce fait, un prêtre était bien entouré. Parce que la paroisse exerçait bien d’autres fonctions que la seule fonction religieuse, la vie quotidienne des prêtres était rythmée de nombreuses activités et peuplée de rencontres multiples.

En deux ou trois décennies tout cet environnement social s’est transformé. Les écoles sont devenues autonomes vis-à-vis des paroisses. Les loisirs ont changé et sont entrés dans des circuits plus professionnels, sinon commerciaux. Les conditions de travail font que la vie quotidienne est plus dispersée. La facilité des déplacements conjuguée à l’apparition de loisirs plus individuels a fragmenté les réseaux de relation, l’urbanisation de notre pays et l’exode rural qui est allé de pair, tout ceci a bouleversé l’exercice de la convivialité.

Les administrations et les services se sont professionnalisés et spécialisés ; les usagers ou les clients n’y viennent que pour une raison précise et très délimitée. De la banque, de la poste, du super-marché, etc. chacun n’attend qu’un service très particulier. Réciproquement, les prestataires de services ne visent qu’à répondre, le plus efficacement et le plus rapidement possible, à telle ou telle demande très précise.

Il ne reste plus guère que les cafés et les salles d’attente chez les médecins, où l’on peut encore parler d’autre chose que du service spécialisé que l’on vient chercher. Et encore : chez ce dernier la généralisation des consultations sur rendez-vous diminue la part du temps gratuit, passé à bavarder "de tout et de rien".

Les paroisses n’échappent pas à cette spécialisation des services rendus. On y vient pour telle réunion, tel office, telle rencontre. Mais sitôt après, il faut vite s’en aller ailleurs, parce que autre chose est à faire, ou bien parce qu’il est déjà tard et que demain le travail n’attendra pas.

On passe au presbytère pour demander un papier ou fixer un rendez-vous. Mais pas plus qu’on ne s’intéresse à la vie de famille des employés derrière leur guichet ou leur caisse enregistreuse, pas plus, dans la majorité des cas, les chrétiens ne s’intéresseront à la vie personnelle du prêtre à qui ils viennent demander un "service" religieux. Les comportements acquis dans la société civile sont tenaces et finissent par colorer l’ensemble de l’existence.

Ce n’est qu’une image d’Epinal et elle est sans doute caricaturale, mais il reste que cette image a fait le tour de la France : on y voit un prêtre qui célèbre un baptême le dimanche midi et quitte une famille en fête pour se retrouver, seul, devant un repas frugal, sinon spartiate, et sa télévision. Cette image est un cliché, c’est vrai, mais elle n’est pas dénuée de ressemblance avec la réalité.

La réalité c’est que la vie du prêtre et l’exercice de son ministère se sont comme "éloignés" de la, ou plus exactement, des communautés au service desquelles il est envoyé. Il existe de moins en moins de curés qui soient "immergés" au quotidien dans un village ou un quartier qui leur seraient comme une "famille" toute proche. Au contraire, la plupart des curés se déplacent pour animer plusieurs paroisses qui ont été rattachées à celle où ils résident. Ils doivent aussi se déplacer pour aller visiter des malades à l’hôpital, pour participer à des réunions de formation, des rencontres de doyennés, de mouvements, etc. Ils sont pris dans le mouvement général de la mobilité et de la spécialisation par "services" sectoriels.

Il convient d’autant plus d’insister sur cet aspect, que l’exercice du ministère presbytéral est encore appelé à se transformer. En effet, non seulement la relation directe, interpersonnelle, entre le curé et les fidèles devient de plus en plus spécialisée, limitée à un aspect particulier de l’existence humaine, mais en plus il est probable que cette relation directe devra faire place à une relation indirecte. Ceci est lié à l’émergence, nouvelle pour l’Eglise de France, des Conseils pastoraux, des Conseils économiques et des diverses équipes d’animation pastorale. Le curé devient "animateur d’animateurs" et aussi "formateur de formateurs". Son rôle pastoral consiste à "veiller à" (c’est le sens premier de "curare" qui a donné précisément le terme : curé) ce que le travail apostolique soit fait, mais il n’accomplit pas lui-même toutes les tâches du ministère. Bien sur, ce rôle de coordination, d’authentification et d’unification le met en contact avec les différents animateurs, bénévoles ou salariés, qui travaillent en communion avec lui. Mais là aussi, la conséquence en est que la relation pastorale se spécialise et parfois se "professionnalise", si l’on peut employer cette expression.

Du même coup, la convivialité s’en trouve dispersée à travers plusieurs pôles : il faut apprendre à passer de l’un à l’autre et d’abord à maîtriser l’emploi de son temps.

J’ai entendu souvent des séminaristes exprimer leur hantise d’avoir à gérer un jour des agendas aussi compliqués que ceux de leurs aînés. Un temps morcelé, un espace éclaté, des relations spécialisées : tout ceci contredit largement l’aspiration à l’unification de leur vie qui anime, au moins dans un premier temps, la majorité des jeunes en formation vers le sacerdoce ou la vie religieuse.

2 - LA VIE COMMUNAUTAIRE : MYTHE OU REALITE ?

Je ne voudrais pas donner l’impression, même involontairement, de suspecter cette aspiration. Je la crois sincère et profonde quand elle s’exprime par mode de refus de ce qui semble constituer la vie de beaucoup de prêtres ou par mode de valorisation des formes communautaires de la vie sacerdotale. Mais le respect de cette sincérité ne doit pas exclure la lucidité. C’est la raison pour laquelle je me permettrai de noter ici un certain nombre d’observations.

A/ Dans le même moment où ils affirment vouloir une vie plus régulière et plus communautaire, beaucoup de séminaristes affirment qu’ils ne peuvent "absolument" pas manquer tel rassemblement de jeunes, telle réunion de mouvement, telle activité d’aumônerie, telle ordination d’un de leurs amis à l’autre bout de la France, etc. Je pourrais multiplier les exemples.

Il apparaît vite qu’il est difficile de faire respecter la cohérence entre les aspirations subjectives et les obligations "objectives". Autrement dit : ces jeunes sont bien de leur temps et comme tous ceux de leur génération, ils ont beaucoup de mal à vivre dans un temps uniforme, un espace limité et des relations intégrantes mais, de ce fait, imposées. Ils n’ont d’ailleurs pas attendu d’entrer au séminaire pour apprendre à gérer un emploi du temps compliqué !

Il reste cependant qu’on ne peut pas, à la fois et dans le même temps, souhaiter la vie communautaire pour les services qu’elle rend, et revendiquer l’individualisme pour la liberté qu’il permet ! Il faut donc accepter d’apprendre à négocier, comme on dit aujourd’hui, entre ces aspirations divergentes.

B/ A en juger par l’expérience, forcément très empirique - d’une seule région, il m’apparaît que parmi les jeunes qui entrent dans des communautés de vie religieuse, relativement peu nombreux sont ceux qui y restent jusqu’aux vœux définitifs prononcés quatre ou cinq ans plus tard (cf. Annexe).

Il est normal que certains de ceux qui essaient de vivre cette existence s’aperçoivent, après un temps de discernement, que telle n’est pas leur vocation. Mais je me suis parfois demandé si une idéalisation exagérée de la vie communautaire, pendant les premiers temps du noviciat ne rendait pas encore plus difficile, par la suite, l’engagement durable dans la vie religieuse. A présenter la vie en communauté comme la réponse à toutes les difficultés du ministère presbytéral, on se prépare de grandes désillusions.

C/ Les expériences tentées ici ou là par des prêtres diocésains montrent que la vie en équipe présente elle aussi de très grandes exigences. Il est une épreuve de vérité qui ne permet pas d’échappatoires : c’est l’épreuve de la durée.

Je ne sais pas s’il existe des sondages sur cette question. Mais à en juger par des réactions spontanées, il me semble que beaucoup de prêtres affirment être prêts à travailler en équipe, sans être pour autant désireux de vivre en équipe ou en communauté.

D/ Enfin, il faut noter que la réflexion s’oriente vers une distinction entre les locaux paroissiaux et le logement personnel du ou des prêtres (2).

Au lieu que le presbytère soit à la fois la maison de Monsieur le Curé et le centre de la vie paroissiale, on en arrive à dissocier les deux fonctions dans la mesure où des animateurs, bénévoles ou permanents, prennent leur part dans l’animation de la paroisse.

Cette dissociation va aussi à la rencontre du souhait d’un certain nombre de séminaristes stagiaires ou de jeunes prêtres. Il leur devient difficile d’habiter "chez" le curé de leur paroisse et ils souhaiteraient volontiers être un peu autonomes quant à leur logement personnel, tout en désirant être intégrés à la vie d’une équipe pastorale. Ces deux souhaits peuvent sembler, en apparence, contradictoires. Ils ne le sont peut-être pas autant qu’on pourrait le croire. C’est, tout simplement, que l’équilibre entre autonomie personnelle et vie en communauté ne se satisfait pas de solutions trop simples.

3 - LA COMMUNAUTE EXIGE L’AUTONOMIE ET... RECIPROQUEMENT

Pour avoir vécu les vingt premières années de mon ministère sacerdotal en communauté, je crois pouvoir dire au moins ceci : n’opposons pas trop vite, comme si c’était deux termes exclusifs l’un de l’autre, solitude et communauté.

Certains peuvent vivre de façon très individualiste alors même qu’ils habitent dans une communauté. D’autres peuvent vivre une très forte vie de relations alors même qu’ils résident seuls dans une maison ou un appartement. Car ce qui compte, dans l’un et l’autre cas, c’est la qualité des relations qui s’établissent dans l’exercice même du ministère.

A/ Il ne suffit pas de vivre en communauté, il faut essayer d’établir et de faire durer une véritable communion dans le respect de l’autonomie de chacun.

Pour ne prendre qu’un point particulier à titre d’illustration : la vie en communauté suppose un partage aussi simple et fraternel que possible de ce que les uns et les autres vont faire dans la journée ou la semaine. Cela suppose donc que l’on se sente assez libre pour dire l’essentiel de ce qu’on envisage de faire. Un tel échange n’est possible que si chacun des équipiers apporte volontiers sa contribution. Il faut donc que chacun prenne des initiatives et en fasse part aux autres.

Si ces deux conditions ne sont pas remplies c’est ou bien la passivité totale ou bien l’ignorance mutuelle. Dans les deux cas le dialogue et la communion s’éteignent vite.

Le révélateur en sera le téléphone ! Tout bêtement. Si dans une communauté se produit trop souvent ce type de dialogue téléphonique : "Je voudrais parler à X..." - "Ne quittez pas, je l’appelle... Ah, excusez-moi, il est parti" - "Quand pourrai-je le joindre ?" -"Je ne sais pas, il ne m’a pas dit combien de temps il serait absent. . ."

Il est probable que cette communauté aura du mal à rester vivante et chaleureuse. Accepter de dire aux autres où l’on va et pour combien de temps est le B.A. BA de la vie en équipe ou en communauté. Cela suppose que l’on ne redoute pas de se sentir jugé par eux. En d’autres termes, cela suppose liberté et initiative de la part de celui qui s’absente, avec, en réciprocité, discrétion et respect de l’autonomie de chacun de la part de ses collègues.

Cet exemple pourra sembler bien prosaïque. Mais c’est à régler ces problèmes quotidiens que s’use ou s’affermit une véritable vie communautaire.

Pour le dire autrement, on pourrait formuler le théorème suivant : "ne peut vivre en communauté que celui ou celle qui est prêt(e) à y apporter plus qu’il ne demande". Sinon ce sera, au mieux, l’ "auberge espagnole" où chacun consommera rigoureusement tout ce qu’il a apporté ; au pire la faillite et la disparition de la communauté si chacun s’empresse d’y consommer plus qu’il n’apporte.

En d’autres termes encore, c’est dire que pour vivre en communauté il ne faut pas en avoir "besoin" d’abord pour soi, ou pour exorciser sa peur de ne pas pouvoir vivre seul ; il faut être prêt à s’y engager sans attendre que les autres commencent par le faire les premiers. Il ne faut pas vouloir s’y faire "re-connaître" avant de s’y être fait "connaître" par sa propre capacité à prendre des initiatives pour les autres. Et il faut être assez libre vis-à-vis de ses propres initiatives pour accepter que les autres ne les reconnaissent pas toujours. Bref, la communauté suppose que l’on se sente assez autonomes ! A ce prix, c’est une expérience précieuse et fort enrichissante.

B/ Réciproquement, le fait de ne pas vivre en communauté n’implique pas nécessairement l’absence de communion. Là encore, c’est la capacité d’autonomie et d’initiative qui est la condition de ce renversement des apparences.

Dès lors que quelqu’un décide de ne pas subir sa solitude mais d’en faire la chance d’une plus grande disponibilité à autrui, il se retrouvera vite au centre d’un réseau vivant de relations. Parce qu’on sait qu’il est seul, il sera plus facile de l’inviter. Et réciproquement, on hésitera moins à lui rendre visite parce que l’on ne craindra pas de déranger d’autres que lui.

C/ Dans l’un ou l’autre cas, il convient de chercher des solutions pratiques à un certain nombre de problèmes quotidiens, pour ne pas dire domestiques.

Il est important, dans une communauté, que la disposition des locaux permette à la fois de se sentir un peu chez soi et de prendre des initiatives "comme chez soi", par exemple à la cuisine, sans avoir le sentiment de déranger les autres ou "le règlement" !

Il est aussi important, quand on vit seul, de savoir se faire aider à tenir sa maison de telle sorte qu’elle soit accueillante au visiteur. Il faut donc s’organiser, non pas en fonction de soi tout seul, mais aussi en fonction d’autrui, ce qui oblige à une plus grande rigueur et peut éviter la tentation de tout laisser dans un désordre tellement "singulier" qu’il en devient irréversible.

CONCLUSION

Au terme de ces quelques remarques je voudrais redire qu’elles n’avaient pas la prétention de faire le tour de la question. Simplement, elles avaient pour but de montrer que l’opposition n’est pas si profonde qu’on le dit entre communauté et autonomie. Ce qui importe avant tout c’est que la communauté ne soit pas juxtaposition d’individualismes et que le fait de vivre seul ne conduise pas à l’isolement.

Il faut éviter d’idéaliser la communauté et de dévaloriser le fait d’habiter seul. Il faut donc d’abord bien comprendre que les "peurs" qui s’expriment à ce sujet peuvent être dépassées. Elles ne sauraient suffire, en toute hypothèse, à fonder une orientation de vie.

A/ Il est probable que la sur valorisation de la vie communautaire, au commencement d’une formation vers le sacerdoce, tienne au petit nombre actuel des candidats. C’est un réflexe de "minoritaires", que de vouloir s’aider à "tenir". Et c’est tout à fait compréhensible.

Il est possible aussi que la quasi-disparition des internats, au cours des études secondaires, ajoute à ce phénomène d’idéalisation. Les générations antérieures, après sept ou huit ans de vie en internat, étaient sans doute plus réalistes.

B/ Il est logique que les séminaristes, au cours de leur formation, insistent beaucoup sur la vie communautaire. Ils ne peuvent pas se rendre compte, par définition, de ce que représente la communion avec un peuple dont on a reçu la charge pastorale. La première communauté d’un curé, c’est son peuple. Les liens tissés jour après jour constituent le tissu d’amitié qui peut justifier la vie de celui qui s’est consacré totalement au service de l’Eglise.

Il faut donc laisser le temps pour que cette découverte se fasse. La pédagogie actuelle des séminaires, avec des insertions pastorales en week-end et des stages d’initiation au ministère, a précisément pour but de favoriser cette prise de conscience. Et, de fait, l’expérience montre que le passage peut se faire : à la fin du séminaire, il est fréquent qu’il faille aider les futurs prêtres à ne pas se laisser trop "absorber" par leurs activités pastorales, au détriment de leur engagement dans la communauté du séminaire.

C/ Tout ce qui précède n’invalide en rien la recherche de ceux qui pensent être appelés à s’engager dans des congrégations religieuses ou canoniales. Il y a là une expérience riche de tradition et féconde pour l’Eglise.

Mais il en va pour cette recherche comme pour toute recherche d’orientation : elle doit être une réponse à un Appel positif et non pas être perçue comme un moyen d’échapper à des peurs confuses.

Car toute vocation est d’abord un engagement dans la Confiance, autre nom de la Foi.

NOTES : --------------------------------------

1) cf. Mgr GILSON "Les prêtres : la vie au quotidien" - DESCLEE DE BROUWER p.135 et sq. Paris 1990 [ Retour au Texte ]

2) cf. Mgr GILSON, op. cité p.127 [ Retour au Texte ]


ANNEXE -


Chez les hommes, SUR UNE PERIODE DE 5 ANS (de 1981 à 1985)
les chiffres des premiers vœux sont les suivants :

MONASTERES
159
 
INSTITUTS CANONIAUX
133
368
INSTITUTS CLERICAUX
170
INSTITUTS MISSIONNAIRES
23
INSTITUTS DE FRERES
42

Quatre ans plus tard (durée moyenne des professions temporaires)
SUR UNE MEME PERIODE DE 5 ANS (de 1985 à 1989)
les chiffres définitifs sont les suivants :

MONASTERES
153
(- 4%)
 -
INSTITUTS CANONIAUX
99
(- 25 %)
243 (- 34 %)
INSTITUTS CLERICAUX
100
(- 41 %)
INSTITUTS MISSIONNAIRES
22
(- 4 %)
INSTITUTS DE FRERES
22
(- 48 %)

On constate donc un très faible pourcentage (4%) de profès temporaires ne prononçant pas leur profession définitive dans les monastères et chez les Missionnaires. Ceci s’explique sans doute chez les uns et les autres par le très long temps communautaire préparant aux premiers vœux (long postulat "fermé" chez les moines - long "expériment. ad gentes" doublé souvent de la coopération chez les missionnaires).

Par contre dans les trois autres formes de vie religieuse masculine ce pourcentage va d’un quart à la moitié des profès temporaires, ce qui semble bien correspondre à ce qui est écrit dans cet article par le Père Hippolyte SIMON. [Revenir au Texte ]