Lambassade de France près le Saint-Siège,
le centre culturel Saint-Louis de France, lUniversité
pontificale urbanienne organisent régulièrement
un cycle de conférences, à Rome, autour du
thème La France et 2000 ans de christianisme
.
La journée du 5 octobre 2000 avait pour thème
: La France, pays missionnaire .
Nous sommes dans lactualité du mois consacré
à la mission. Mgr Olivier de Berranger, évêque
de Saint-Denis-en-France, président de la Commission
sociale des évêques de France, a prononcé
une conférence intitulée :
De saint François Xavier à sainte Thérèse
de Lisieux. Et après ?
Ce titre peut paraître insolite. Si personne ne
conteste lorigine normande de Thérèse
Martin, tout le monde sait en revanche que la Navarre nétait
pas une province française quand François
y naquit à Javier, le 7 avril 1506. Aussi nest-ce
pas en tant que Français que je me réclame
de lui, mais comme catholique.
Il se trouve que jai vécu plus longtemps que
lui en Asie, puisquil y partit le 7 avril 1541, comme
sil fût agi pour lui dune nouvelle naissance,
et y mourut un peu plus de onze ans plus tard, face à
la Chine, le 3 décembre 1552, alors que jai
vécu dix-sept années dans la péninsule
coréenne. Rassurez-vous, je naurai pas laudace
de comparer mon itinéraire au sien. Sa figure ma
seulement fasciné, en particulier grâce au
beau livre du père Xavier Léon-Dufour
Saint François Xavier, itinéraire mystique
de lapôtre , publié en 1953, que
jeus la joie de découvrir dans une traduction
anglaise, lors dun séjour en Inde il y a une
quinzaine dannées.
Quand jétais directeur des uvres pontificales
missionnaires en France, javais lhabitude de
dire que le mois missionnaire commençait
bien le 1er octobre, avec la fête de sainte Thérèse
de lEnfant Jésus, mais quil sachevait
le 3 décembre, fête de saint François
Xavier.
LÉglise universelle a choisi ces deux saints
comme patrons des missions . Il est donc juste
de les rapprocher.
Après avoir brièvement évoqué
lexemplarité de leur témoignage, je
tenterai de répondre à la question : Et après
? qui résume le thème de cette journée
détudes.
De Saint François Xavier
Lorsque François rencontre Ignace de Loyola à
Paris en 1550, il a 24 ans, lâge atteint par
Thérèse Martin quand elle meurt au carmel
de Lisieux, le 30 septembre 1897, après avoir parcouru
sa vie terrestre à pas de géants .
Il faudra encore trois ans au bachelier ès arts,
étudiant en théologie plutôt viveur
et soucieux de faire carrière, pour se laisser gagner
par Ignace et faire lexpérience dune
conversion radicale.
Le 15 août 1534, il fait partie du groupe des sept
amis qui prononcent des vux de chasteté et
de pauvreté dans la chapelle des Martyrs, sur la
colline de Montmartre. Il me plaît à penser
quaprès la cérémonie, au dire
de Simon Rodrigues, les pères passèrent
le reste de la journée en grande liesse et exultation,
près de la fontaine où saint Denys, dit-on,
portant son chef, lava le sang qui lui coulait du corps
Ils devisaient de lardeur et de lélan
qui les poussaient à se donner à Dieu .
Ordonné prêtre à Venise le 24 juin 1537,
François Xavier embarque donc pour Goa à peine
quatre ans plus tard. Ce nétait pas lui quIgnace
avait dabord appointé pour cette mission, mais
Bobadilla. Celui-ci étant tombé malade, François
fut appelé sur-le-champ à le remplacer et
partit bien comme membre de la toute nouvelle Compagnie
de Jésus, mais en tant quenvoyé du Pape,
nonce apostolique au sens originel du terme. Il aura toujours
le souci de bien discerner, dans son apostolat, ce qui relevait
de cette mission première et ce qui avait trait au
pouvoir du roi du Portugal, dont dépendaient temporellement
les territoires quil allait évangéliser
avec le titre officiel de délégué de
Sa Majesté.
Comme le montre le père Léon-Dufour, il nest
pas possible de comprendre litinéraire de François
Xavier, indissolublement missionnaire et mystique, hors
de lemprise sur son âme dapôtre
des exercices spirituels quIgnace lui avait fait pratiquer
lui-même en 1533.
Plus encore que la méditation du début de
la Deuxième semaine sur lappel du roi
temporel (qui) aide à contempler la vie du Roi éternel
, cest celle du quatrième jour de cette
même Semaine sur les deux étendards qui permet
dentrer dans le secret de son combat.
François garde toujours conscience quil fait
partie de ces disciples envoyés par
le Seigneur dans le monde entier répandre
sa sainte doctrine parmi les hommes de tout état
et de toute condition . De sorte, comme lécrit
Ignace, quil y ait trois échelons pour tous
ses amis quil envoie à cette expédition
: le premier, la pauvreté opposée à
la richesse ; le deuxième, lopprobre ou le
mépris opposé à lhonneur mondain
; le troisième, lhumilité opposée
à lorgueil.
À travers les lettres, parfois fort longues, que
François confia à la mer et dont un nombre
non négligeable a échappé au hasard
des naufrages ou des intempéries, on peut suivre
la progression constante de cet homme daudace sur
les voies ainsi tracées.
Le fruit, pour lui, en fut une confiance de plus en plus
absolue en Dieu et, plus étonnant peut-être,
une confiance aussi dans les hommes que Dieu mettait sur
son chemin, jusquà ce Chinois encore non baptisé
qui devait lassister dans son agonie sur une île
désolée en face de Canton.
Il est frappant de constater le contraste qui existe entre
les exigences du maître des novices ou du supérieur
pour les jésuites espagnols ou portugais remis à
sa charge et la mansuétude souriante du même
homme pour les Indiens, Moluquois ou Japonais que lEsprit
Saint lui donne tour à tour de visiter au cours de
ces années intenses de périple missionnaire.
Confiant aussi dans le dogme merveilleux de la Communion
des saints, François na cessé de recourir
à la prière de lÉglise visible
et invisible. Nommé, par Ignace, provincial des Indes
en 1551, il écrit à Rodrigues : Demandez
à Dieu notre Seigneur quil me donne douvrir
le chemin aux autres, puisque moi je ne fais rien, no hago
nada ! (1)
à sainte Thérèse de Lisieux
Que dire de sainte Thérèse de lEnfant
Jésus et de la Sainte Face que lon ne sache
déjà ? Je me suis contenté de relire
les lettres quà la demande de sa prieure, elle
écrivit à ses petit frères
missionnaires, et plus particulièrement au père
Adolphe Roulland, des Missions étrangères
de Paris, envoyé en Chine peu après son ordination,
le 28 juin 1896, et la célébration de lune
de ses premières messes au carmel de Lisieux, le
3 juillet.
Un courrier qui va sétaler pendant une seule
année avant le décès de Thérèse.
Six lettres qui lui sont par elle adressées permettent
de se faire une idée de la fibre missionnaire de
cette carmélite qui sétait elle-même
proposée pour partir renforcer le carmel de Saigon.
O mon Frère, lui écrit-elle le jour
de la Toussaint 1896, que vous êtes heureux de suivre
de si près lexemple de Jésus
En
songeant que vous avez revêtu le costume chinois,
je pense naturellement au Sauveur se revêtant de notre
pauvre humanité et devenant semblable à lun
de nous afin de racheter nos âmes pour léternité.
Il est plus facile de changer de vêtement que de parler
une langue asiatique. À Thérèse qui
lui parle du glaive de la parole , le jeune
prêtre répond : Hélas, je ne
suis quun tout petit enfant : je ne sais pas parler.
Thérèse lui recopie de longues citations
dIsaïe sur lesquelles elle a médité.
Son mot, bien connu, selon lequel, si elle avait été
prêtre, elle aurait étudié à
fond lhébreu et le grec afin de connaître
la pensée divine, telle que Dieu daigna lexprimer
dans notre langage humain , tout en anticipant sur
une expression remarquable du concile Vatican II, inspirée
de Chrysostome(2), trouve un autre écho dans cette
lettre de la Toussaint. Ne pouvant être prêtre,
dit-elle delle-même, elle voulait quà
sa place un prêtre reçut les grâces du
Seigneur, quil ait les mêmes aspirations, les
mêmes désirs quelle. Désirs
infinis qui se résument en un seul : celui daimer
Jésus et de le faire aimer.
Dailleurs, si Thérèse est profondément
joyeuse dentretenir une telle correspondance, elle
fait à sa prieure un aveu qui montre, en même
temps que sa soif de fécondité universelle,
quelle ne se faisait pas dillusion sur les difficultés
des prêtres, missionnaires ou non, dans lexercice
de leur ministère.
Après avoir cité sainte Thérèse
dAvila disant que le zèle dune
carmélite doit embraser le monde , elle écrit
: Jespère avec la grâce du Bon
Dieu être utile à plus de deux missionnaires
et je ne pourrais oublier de prier pour tous, sans laisser
de côté les simples prêtres dont la mission
est parfois aussi difficile à remplir que celle des
infidèles .
Elle se passionne pour la vie de Théophane Venard
et dautres saints missionnaires. Mais elle sait, avec
saint Jean de la Croix, que le plus petit mouvement
de pur amour est plus utile à lÉglise
que toutes les uvres réunies , ce qui
lautorise à engager son correspondant à
accepter les lenteurs, les peines et les épreuves
de ses premières expériences.
Elle est surtout convaincue quentre elle et ce missionnaire
de Chine, lunion qui sest nouée est,
comme elle le répète, tout apostolique
. Jésus, lui écrit-elle, a daigné
nous unir par des liens apostoliques. Pour sen
souvenir à chaque instant, elle a fixé la
carte de Sutchuen au mur de lemploi où elle
travaille, et limage de son ordination est insérée
dans son livre des évangiles qui ne la quitte jamais.
Ainsi, mon frère, pendant que je traverserai
la mer en votre compagnie, vous resterez près de
moi, bien caché dans notre pauvre cellule. (3)
Et après ?
Je nai garde doublier quavant le témoignage
fulgurant de la petite carmélite déclarée
docteur de lÉglise en 1997, bien dautres
personnes, moins connues, ont illustré le génie
missionnaire de lÉglise de France.
Comment ne pas mentionner Pauline Jaricot, en particulier,
qui, jeune laïque de 20 ans, fonda à Lyon le
premier noyau de la Propagation de la foi en 1819, et qui,
au milieu des humiliations, ne cessa jusquà
sa mort de mettre ses talents dorganisatrice au service
de lévangélisation, tant par la prière
du Rosaire vivant que par des initiatives dordre social
? Elle non plus na jamais quitté lEurope.
Mais le cardinal Joseph Tomko, préfet de la Congrégation
pour lévangélisation des peuples, en
visite à Lyon le 19 septembre 1999, a souhaité
publiquement sa béatification, citant à son
propos ce mot de Claudel : Elle a demandé
à Dieu lÉglise catholique pour sa part
et pas autre chose que toute la terre qui est ronde .(4)
Cest une troisième figure féminine,
plus proche de nous, que je voudrais évoquer maintenant.
Auteur de Ville marxiste, terre de mission ,
Madeleine Delbrêl, sans avoir bénéficié
de la vision de la Storta, avait, jen suis convaincu,
la même intuition quIgnace de Loyola, à
savoir quêtre avec le Pape, cétait
se mettre avec le Fils .
On sait quil ne faisait pas toujours bon être
romain en France, dans les années 50. La crise
des prêtres ouvriers, si elle a culminé avec
le coup darrêt de 1954, avait commencé
beaucoup plus tôt et sest poursuivie bien au-delà.
Doù vient-il que le terme mission
ait alors peu à peu pris chez nous une densité
critique ? Lorsque fut fondée la Mission de France
(qui nest pas à confondre avec la Mission de
Paris), ce terme ne revêtait ni la signification institutionnelle
ni en quelque sorte théorique quil a prise
par la suite. Comme la écrit fort justement
Jean Vinatier, ces trois mots, dans leur raccourci
plein de sève évangélique , désignaient
un projet du cardinal Suhard en direction du renouveau dans
les campagnes(5).
À leur manière, on peut dire que ses fondateurs,
comme ceux de la Mission de Paris dailleurs, avaient
lintuition anticipée de la nécessité
dune nouvelle évangélisation
. Or, de fait, Madeleine Delbrêl, proche de
bien des prêtres lancés dans cette double aventure,
eut, avant dautres, lintuition que le mot
mission se chargeait peu à peu dun sens
ni originel ni seulement institutionnel mais différent,
et comme je viens de le dire, théorique, critique.
Ecoutons-la:
En juillet 1953, elle est reçue en audience semi-privée
par le pape Pie XII. Elle rapporte les impressions que lui
a laissées cette brève rencontre dans une
lettre du 12 août 1954 adressée à Mgr
Veuillot, grâce à qui elle avait obtenu cette
faveur : Quand je lui eus dit ce que je voulais lui
dire, entre les questions quil ma posées
et la bénédiction quil ma donnée,
le Saint-Père ma dit par trois fois et avec
beaucoup dinsistance Apostolat.
Jai été immédiatement frappée
par ce que ce mot avait pour moi détranger
: depuis longtemps, en France, nous disions mission (
).
Jai essayé de redécouvrir ce que voulait
dire Apostolat. Jai cru comprendre quentre
lui et notre mot mission, il y avait tout un
décalage. Il mest apparu, petit à petit,
que cétait le motif même de lapostolat
qui manquait à ce que jappelais ou peut-être
à ce que nous appelions mission : cest-à-dire
par-delà la Bonne Nouvelle annoncée aux hommes,
par-delà leur salut lui-même : la Gloire de
Dieu.
Cette perspective rétablissait, comme dun seul
coup, le manque de dimension dont la Mission semblait souffrir.
Elle faisait tomber les fausses patiences en éclairant
le premier impératif apostolique : que Dieu, pour
tout le monde marxiste, cesse dêtre mort .(6)
Madeleine Delbrêl retrouvait donc, de lintérieur
du ferment missionnaire dans la France daprès
guerre, la veine de sainte Thérèse et de saint
François Xavier. Faut-il lappeler une veine
mystique ? En tout cas, son intuition, si
audacieusement formulée, écartait immédiatement
tout risque de réduction sociologique, voire idéologique,
en rééquilibrant fondamentalement lappel
à évangéliser toute la création
avec celui de sanctifier de Nom du Père et
de lui rendre gloire, comme cela avait été
diversement la passion de ces deux saints à des époques
bien différentes, et, plus encore, au témoignage
de Jean lévangéliste, celle du Fils
incarné lui-même.
Madeleine, avec son génie propre, renouait par ailleurs
avec une autre intuition, celle de labbé Godin
dans France, pays de mission ? Pour cet aumônier jociste,
comme plus tard pour un Mgr Ancel, le modèle de la
première évangélisation, tel que les
grands instituts missionnaires lavaient mis en uvre
en Afrique, en Océanie ou en Asie, devait désormais
être transposé dans nos villes industrialisées
de France, en particulier parmi les masses ouvrières.
Jai tenté de retracer longuement, dans la biographie
de mon ancien supérieur du Prado, la recherche qui
fut la sienne, parmi dautres protagonistes de lapostolat
en France dans les années qui ont précédé
ou suivi immédiatement le second concile du Vatican(7).
Cest grâce à son impulsion notamment
que je fus lun de ces nombreux prêtres diocésains
français qui ont entendu lappel de Pie XII,
en 1957, à partir comme prêtres fidei donum.
Mais, dès le temps de mes études secondaires,
jai été marqué par la lecture
de deux ouvrages qui ont nourri, chacun à sa manière,
la générosité de notre génération.
Je veux parler dabord du fameux Au cur des masses,
du père René Voillaume (1950), et ensuite
de la Vie du Père Lebbe, Chinois avec les Chinois,
du chanoine Jacques Leclerc.
Vincent Lebbe (1877-1940) nétait pas
dorigine française, mais belge. Ce qui ma
frappé, entre autres, cest justement la résistance
quil rencontra, du côté des lazaristes
français, dans sa lutte pour létablissement
dun épiscopat autochtone en Chine.
Son meilleur allié, ne loublions pas, fut alors
le cardinal Costantini, envoyé à Pékin
comme délégué apostolique en juillet
1922, soit six mois après lélection
du pape Pie XI. Ce que je trouvais en filigrane, dans la
biographie de Lebbe, cétait la critique dun
certain relent desprit colonialiste attaché
au jus commissionis, qui, curieusement, na été
aboli quen 1969. Cest aussi ce que javais
lu, sous un autre mode, dans lune des conférences
dactylographiées du père Voillaume qui circulait
dans les collèges et les séminaires, et dont
je nai pu vérifier si elle fut publiée
ou non dans Au cur des masses.
"Nous avons tous rencontré, écrivait-il
en substance, de ces missionnaires admirables, solides prêtres
issus de nos provinces françaises, qui y venaient
faire un tour à la faveur de congés dété.
Nous les écoutions avidement, heureux dapprendre
comment de nouvelles communautés chrétiennes
croissaient et se multipliaient dans toutes les parties
du monde. Mais combien de fois aussi navons-nous pas
ressenti comme une gêne ou davantage devant la manière
de certains dentre eux de sexprimer quand ils
parlaient des populations de ces contrées lointaines
? Avions-nous affaire à des missionnaires ou à
des colons, sûrs de leur supériorité
culturelle et même méprisants pour des gens
avec qui ils étaient en rapport permanent au nom
de Jésus ?
Ce sentiment ne retire rien à limmense labeur
accompli avec abnégation par les membres des Instituts
missionnaires. Il reste aujourdhui plus de 5000 prêtres,
frères et religieux français parmi eux, ainsi
que 200 prêtres fidei donum. Parmi tous ces expatriés,
le siècle qui sachève en a vu mourir
plus dun à la tâche, dont quelques-uns
dans des conditions qui les rapproche certainement du martyre
le plus authentique.
Dautres ont du quitter leur pays dadoption pour
des raisons dintolérance politique ou religieuse.
Certains, après avoir vécu plusieurs décades
en Asie, se réinsèrent en Amérique
latine ou en Afrique. Nous en accueillons aussi dans nos
diocèses de France, qui, comme le mien, sont de plus
en plus des territoires de mission.
Mais si jai gardé en mémoire cette conférence
du père Voillaume et la figure du père Lebbe,
cest que leur vision me semble avoir anticipé
sur lesprit du concile Vatican II. Je men suis
souvenu déjà en 1994 quand, à la suite
du rassemblement Planète Mission , jai
rédigé le document du Comité épiscopal
de la Coopération missionnaire, publié en
la fête de lÉpiphanie, le 6 janvier 1995(8).
Mais, devenu évêque à Saint-Denis lannée
suivante, je vous avoue que je relis autrement le décret
conciliaire Ad gentes.
Qui, parmi les théologiens et les pasteurs de chez
nous qui avaient contribué à sa rédaction,
imaginaient que les gentes seraient bientôt nos diocésains,
et pas seulement parmi les populations venues de loin ?
Il ne sagit pas de céder à la nostalgie,
encore moins au découragement. Toute épreuve
peut être salutaire, pourvu quelle invite à
retrouver, comme Madeleine Delbrêl en fit si vivement
lexpérience, les sources vives de lapostolat.
Deux faits, dordre très différent,
simposent à notre discernement, qui mériteraient
par eux-mêmes des développements spécifiques.
Le premier, signalé par Jean-Paul II dans sa grande
encyclique Redemptoris missio comme un signe des temps,
cest justement cette mobilité des personnes
dues autant à des situations collectives de pauvreté
ou doppression politique quà la globalisation
des échanges. Parmi les migrants que nous recevons
de plus ou moins bon gré dans nos pays développés,
se trouvent des hommes dautres religions, avec qui
simpose un dialogue qui oblige peu à peu à
se réidentifier soi-même comme chrétiens
; dautres sont chrétiens et appellent de notre
part une attention pastorale particulière, dans le
respect de leurs traditions et lespoir de trouver
chez eux un apport stimulant pour nos communautés
devenues souvent minoritaires.
Conclusion
Pour ce premier phénomène, disons que
lecclésiologie du concile, avec son insistance
sur la communion des Églises particulières
dans lÉglise universelle, nous apporte lumière
et force. Tandis que lautre phénomène
que je veux au moins mentionner semble, lui, nous avoir
pris un peu au dépourvu. Je veux parler de la pléiade
encore relativement nébuleuse qui a nom Renouveau
charismatique, communautés nouvelles, mouvements
ecclésiaux . Je ne doute pas personnellement
que limpulsion missionnaire qui conduit tant de membres
de ces divers groupes au service des Églises locales
souvent les plus exposées vienne du Saint Esprit.
Mais je constate que leur greffe sur le vieux tronc de lÉglise,
en France, ne se fait pas sans douleur ni perplexité.
Dans la confusion qui règne dans le monde
daujourdhui, il est si facile de se tromper,
de céder aux illusions , disait le Saint-Père
lui-même à ces groupes rassemblés sur
la place Saint-Pierre à la Pentecôte 1998.
Il nen ajoutait pas moins, sous forme de prière
(que je fais mienne pour conclure), avant de les envoyer
dans le monde entier proclamer la Bonne Nouvelle :
Viens, Esprit Saint, et rends toujours plus féconds
les charismes que tu as répandus. Donne une force
nouvelle et un élan missionnaire à tes fils
et à tes filles ici rassemblés. Dilate leur
cur, ravive leur engagement chrétien dans le
monde. Fais deux des témoins de lÉvangile,
des témoins de Jésus Christ ressuscité,
Rédempteur et Sauveur de lhomme. Affermis leur
amour et leur fidélité à lÉglise.
(9)
(1) X. Léon-Dufour, Saint
François Xavier, itinéraire mystique de lapôtre,
Paris,
DDB/Bellarmin, 1997 (réédition), p. 297.
(2) Les paroles de Dieu, passant par les langues
humaines, ont pris la ressemblance du langage des hommes,
de même que jadis le Verbe du Père éternel,
ayant pris linfirmité de notre chair, est devenu
semblable aux hommes , Dei Verbum, n° 13.
(3) uvres complètes, Paris,
Le Cerf, 1992, Lettres 189, 193, 201, 226, 254, avec les
notes et le Manuscrit C, p. 280
(4) Lactualité du message de Pauline Jaricot,
D.C, n°2214, 21 novembre 1999, p.1010-1013.
(5) Le cardinal Suhard, lévêque du renouveau
missionnaire, 1874-1949, Paris,
Le Centurion, 1983, p.7-8.
(6) Cité par Christine de Boismarin, Madeleine Delbrêl,
rue des villes, chemins de Dieu, 1904-1964, Paris, Nouvelle
cité, 1985, p.122-123.
(7) Un homme pour lÉvangile, Alfred Ancel,
1898-1984, Paris, Le Centurion, 1988.
(8) La mission aujourdhui , Mission
de lÉglise, n°108, juin 1995, p.15-66.
Une nouvelle étape souvre devant vous,
celle de la maturité ecclésiale ,
D.C. n°2185, 5 juillet 1998, p.626.
(9) La mission aujourdhui , Mission
de lÉglise,
n° 108, juin 1995, p.15-16
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