À loccasion du Jubilé pour les militaires,
la police et les pompiers, SNOP et EGMIL (revue mensuelle
de lÉglise catholique dans le monde militaire)
publient un article commun rédigé par Mgr
Patrick Le Gal, évêque aux Armées françaises.
Une opération extérieure
très spéciale.
Les 17, 18 et 19 novembre prochains, tous les militaires
et leurs familles, des Armées françaises et
du monde entier, sont conviés à Rome pour
le pèlerinage jubilaire des forces de lordre.
Comme tous les pèlerins de lan 2000 aux tombeaux
des apôtres, nous ferons cette démarche spirituelle
pour accueillir et prendre davantage conscience de la puissance
de la grâce du Christ, qui nous est offerte pour «
administrer les choses temporelles en les ordonnant selon
Dieu », chacun pour sa part et selon sa vocation.
Si le format des Armées diminue, les tâches
« dadministration » et « dordonnancement
» qui incombent aux militaires, elles, tendent à
sélargir et à se multiplier, dans un
contexte de mutation rapide qui touche directement la vie
des militaires et leur travail.
En venant à Rome en pèlerins, les militaires
ne chercheront pas dabord à vivre une parenthèse
spirituelle toute paisible, ni des solutions toutes faites
aux questions qui se posent à eux dans ce climat
tendu, mais à réécouter le Christ qui
nous parle et nous sauve, toujours le même et toujours
actuel, comme nous lavons tous chanté mille
fois au cours de cette année :
Christ hier, Christ aujourdhui,
Christ demain pour tous et toujours.
Tu es la Vie, tu es lAmour,
Tu mappelles, me voici.
Venez un moment à lécart
et reposez-vous un peu (cf. Mc 6, 30)
Toute parole du Christ est porteuse de sens et de vie.
Certaines prennent tout à coup une actualité
et une pertinence prépondérante : comme
à ses disciples, tout joyeux et quelque peu survoltés
à leur retour de mission, le Christ avertit ses fidèles
des dangers de la suractivité, quelle que soit la
nécessité du moment et la générosité
avec laquelle on cherche à y répondre sans
murmurer. Il y a une vérité et un courage
à venir à lécart reconstruire
les éléments de la paix intérieure.
Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur ce sujet
où Jésus revient souvent, par exemple face
à son amie Marthe : « Une seule chose
est nécessaire » ; si on perd ce trésor,
cet équilibre intérieur, il y a fort à
parier que toute notre généreuse activité
se trouvera privée de la fécondité
quon en attend. Évidemment, il ne sagit
pas daccuser ceux, nombreux, qui sont en opération
plus de 220 jours par an, au risque même de ne plus
pouvoir vivre un minimum de temps de formation ou dentraînement
(sans compter la vie de famille). Cest lensemble
de linstitution qui est interrogée et, au-delà,
la nation qui doit se redonner les moyens humains des missions
quelle veut soutenir.
Homme et femme il les créa
(Gn 1, 27)
Sur un plan différent, le tissu des Armées
françaises dans son ensemble connaît un autre
challenge, celui de la féminisation des armées,
davantage encore dactualité que la question
de la « surchauffe ». Les exceptions que lon
admet au principe de la féminisation, au moment même
où on lannonce, montrent bien quil sagit
bien dun sujet délicat, on pourrait sans doute
même dire douloureux. Certains pourraient être
tentés de se raidir par rapport à cette « nouveauté »,
dautres de jouer les apprentis-sorciers en mettant
en oeuvre sans discernement cette directive...
Sans doute nest-il pas inutile de prendre quelques
jours de prière et de méditation pour laisser
résonner la parole même de Dieu qui devrait
apporter quelques lumières à ses fidèles
sur ce vaste sujet.
Dieu ne nous révèle-t-il pas que dans sa
généreuse providence Il a voulu créer
la personne humaine homme et femme, unique distinction concernant
sa créature, quil a cru bon de souligner, manifestant
à la fois la différenciation et la complémentarité
heureuse (soulignée par le cri de joie dAdam :
Gn 2, 23).
Si le sujet est dimportance aux yeux mêmes de
Dieu, si linsistance du texte biblique nous avertit
dêtre attentifs à ce don éminent
mais fragile et subtile, sûrement est-il urgent que
lon puisse réécouter Dieu qui nous parle
et, loin des raidissements idéologiques, discerner
les chemins libérateurs où lEsprit veut
nous entraîner : sûrement aux antipodes
d'une relation de domination ou de méfiance réciproque,
sûrement bien loin des solutions indigentes de la
discrimination ou de légalitarisme à
tout crin.
Contentez-vous
de votre solde (Luc 3, 14)
Lexternalisation de nombreuses tâches aux sein
des Armées, accélérée par la
fin toute prochaine du service national, modifie bien des
aspects de la vie des militaires ; de même que
laugmentation rapide du nombre du personnel civil
de la Défense.
Face à des changements qui peuvent, pour partie,
sanalyser en terme de perte davantages ou didentité,
la tentation peut survenir, lancinante et délétère,
détablir des comparaisons ou de lever des interrogations
sur le sens de la disponibilité et des astreintes
de la vie militaire dans un pays qui met en place les 35
heures ; sur les rigueurs de la discipline ou sur lopportunité
dun devoir strict de réserve, et encore sur
linexistence des syndicats quand les civils de la
Défense ont les leurs...
Aux militaires de son temps, tentés de compenser
les insuffisances de leur statut en recourant à différents
expédients, saint Jean-Baptiste disait : «
Ne faites violence à personne et contentez-vous de
votre solde », cest-à-dire, ne vous laissez
pas séduire par lappât du gain et par
dautres convoitises ; ne vous laissez pas piéger
par la volonté de puissance : le prophète
ne voulait pas les enfermer dans une mentalité de
gagne-petit sans envergure, mais les avertir de ne pas mettre
leur ambition dans une stratégie daccaparement,
finalement très réductrice en matière
de quête évangélique du bonheur. Cest
au contraire en cherchant le bonheur par le don de soi,
à la suite du Christ serviteur, que la vie prend
sens et consistance ; alors, contentez-vous de votre
solde, mais ne vous contentez pas dun petit bonheur,
ne laissez pas se mutiler votre liberté.
Le combat est dabord en nous ; la puissance
de lEsprit Saint, son esprit de sagesse et de force,
imploré et reçu avec la grâce jubilaire,
nous seront des plus nécessaires pour accueillir
les mutations actuelles et les conduire, chacun pour sa
part avec une intelligence éclairée den
haut.
Quelques minutes suffisent pour passer la Porte sainte,
plusieurs jours ne seront pas de trop pour que nous entrions
dans un véritable esprit de conversion, susceptible
de nous faire écouter plus finement la parole de
Dieu, au point dy trouver une vraie lumière
pour répondre aux défis du moment et dinscrire
dans nos vies ce que lEsprit nous suggère.
+ Patrick Le Gal
Évêque aux Armées françaises
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