(Mercredi 10 Janvier 2001)
Dans la dynamique de " Réhabiliter la politique
"
" Réhabiliter la politique* " (RLP), tel
était l'appel lancé voici deux ans par la
Commission sociale des évêques de France. Un
appel toujours très actuel, en vue des élections
municipales de mars 2001. La progression des taux d'abstention
aux différentes consultations électorales
manifeste en effet le désintérêt croissant
des Français, spécialement des jeunes, vis-à-vis
de la politique.
Cette démobilisation naît du doute sur le
sens et l'efficacité de la politique. Les hommes
et les femmes politiques eux-mêmes ont conscience
de leur faiblesse et éprouvent un sentiment d'impuissance
: la mondialisation ne semble leur laisser que des marges
d'initiative de plus en plus réduites. Il y a une
évacuation progressive de la politique par l'économie
et par la finance.
Bien que ce que l'on appelle " les affaires "
ne concerne que quelques-uns, elles sont cependant suffisamment
graves pour que les citoyens éprouvent méfiance
et désaffection vis-à-vis de ceux qui les
gouvernent.
Les citoyens, sous l'emprise des valeurs consuméristes,
s'intéressent surtout à ce qui touche à
leur vie quotidienne : on assiste à une montée
de l'individualisme, dès lors érigé
en valeur suprême.
L'individu va-t-il supplanter le citoyen ? Les manifestations
corporatistes vont-elles se substituer au vote démocratique
et le pouvoir politique être subordonné aux
groupes de pression ? Allons-nous vers une société
où règnera la loi du plus fort, de celui qui
peut se faire entendre ? Existe-t-il une volonté
commune de construire un avenir commun ?
Or, la politique a
comme ambition de réaliser
le "vivre ensemble" de personnes et de groupes
qui, sans elle, resteraient étrangers les uns aux
autres " (RLP, n° 8). La politique contribue à
la maîtrise de l'avenir commun de la collectivité.
Elle est faite de gestion d'intérêts souvent
contradictoires et en tension. Elle suppose aussi un souffle,
un idéal, des valeurs sans lesquels elle ne peut
rassembler..
C'est pourquoi l'engagement politique est une noble tâche
et la prise de responsabilité comporte aujourd'hui
l'acceptation du risque. Aussi faut-il reconnaître
le mérite de tous " ceux qui, animés
par le souci de la justice et de la solidarité, se
dépensent pour le bien commun et conçoivent
leur activité comme un service et non comme un moyen
de satisfaire leur ambition personnelle " (RLP, n°
11).
La commune, lieu de proximité
Dans les quelque 36 000 communes de France, les 11 et 18
mars prochains, les Français vont élire leurs
conseillers municipaux qui, à leur tour, éliront
leurs maires. Ces élections vont-elles être
l'occasion d'un sursaut du civisme ? Candidats et citoyens
vont-ils prendre conscience qu'ils ont à bâtir
ensemble la démocratie au plus près de la
vie des gens ?
La commune est, en effet, le premier échelon administratif
et politique de notre pays, le plus accessible aux citoyens.
C'est le lieu de la proximité, le premier territoire
de la solidarité, le socle humain de la démocratie.
Les charges des élus communaux et spécialement
celles du maire, sans oublier les nombreux professionnels
qui les secondent, sont de plus en plus lourdes en raison
de responsabilités multiples qui se sont accrues
depuis vingt ans avec la décentralisation. Ils sont
chargés du " vivre ensemble " et de sa
qualité, à travers des choix souvent difficiles
: sécurité, environnement, équipements,
cohésion sociale, logement
La tâche du
maire, et souvent de ses adjoints, ressemble de plus en
plus à une profession dans laquelle ils doivent s'investir
pleinement, ce qui implique les qualités de disponibilité,
d'écoute, de tolérance, si indispensables
au dialogue.
Dans le même temps, les citoyens, mieux informés,
deviennent plus exigeants et même procéduriers
au point d'accuser leurs élus d'être la cause
de ce qui ne va pas et de les poursuivre en justice. On
comprend que de nombreux maires hésitent à
solliciter le renouvellement de leur mandat.
Pourtant, la vie locale se révèle être
un champ d'initiatives et d'expériences d'une réelle
fécondité. En témoignent de nombreuses
expériences de démocratie de voisinage, soutenues
ou non par la volonté des élus : moyens d'information
et d'expression accessibles au plus grand nombre, citoyens
associés à l'élaboration de projets
communs, réunions de quartier, commissions extra-municipales,
conseils consultatifs
Les associations se révèlent
souvent comme les véritables poumons de la démocratie
et témoignent de la volonté de nombre de citoyens
de mieux maîtriser leur " vivre ensemble ".
Des initiatives sont toujours à prendre pour responsabiliser
les jeunes générations, les minorités
oubliées, les anciens à la sagesse trop souvent
négligée.
Nouvelles attentes, nouvelles responsabilités
Pour la première fois en France, à l'occasion
des prochaines élections municipales, la loi impose
la parité entre hommes et femmes sur les listes des
candidats pour les communes de plus de 3 500 habitants (soit
environ 3 000 communes concernées).
Cette loi, s'ajoutant à la limite des cumuls des
mandats, va entraîner un profond renouvellement du
monde des élus. Il faudra soutenir et encourager
les femmes dans leur engagement pour que la collectivité
bénéficie pleinement de leur grande attention
aux problèmes du quotidien, de leur intuition, de
leur savoir-faire.
Ces élections communales se situent au moment où
s'opère une réforme des collectivités
territoriales qui va modifier à terme le paysage
institutionnel : mise en place des communautés de
communes et d'agglomérations prélevant directement
l'impôt, création des structures de pays avec
leur Conseil de développement.
Cette évolution irréversible ouvre de nouveaux
espaces et de nouveaux territoires pour tous les citoyens.
L'horizon s'élargit. C'est une chance. C'est une
nouvelle manière de vivre ensemble et autrement.
Cette évolution sera d'autant plus bénéfique
qu'elle sera lisible et compréhensible pour la majorité
des citoyens : d'où l'importance du rôle pédagogique
des élus.
Si l'abstention appauvrit profondément la collectivité,
il ne suffit pas cependant de mettre périodiquement
un bulletin dans l'urne pour que vive la démocratie.
La démocratie de représentation ne peut que
se renouveler en s'associant à une démocratie
de participation (RLP, n° 20). Tous les habitants ont
la responsabilité de faire vivre la démocratie.
À chaque collectivité locale de trouver les
formes appropriées : conseils de quartiers, soutien
de la vie associative
pour expliquer les enjeux, les
difficultés, les contraintes, pour élargir
l'horizon de la réflexion.
Les prochaines élections municipales constituent
également un enjeu important pour permettre à
de plus jeunes de faire l'apprentissage de la politique.
Les municipales peuvent être pour eux l'occasion d'"
entrer " en politique, de s'y essayer, de prendre un
engagement durable, et l'occasion également pour
les partis de renouveler leurs cadres.
Endossant les responsabilités municipales, ils découvriront
les problèmes techniques et entreront dans des réalités
humaines qui leur sont probablement peu familières
: écoles, maisons de retraite, crèches, services
sociaux, fêtes et animations de quartiers, qui sont
autant d'occasions de rencontre.
La commune, lieu de fraternité
Notre société, de plus en plus atomisée,
peine à créer du lien social. Les incivilités
et les violences sont fréquentes dans les moyens
de transport, les écoles et les quartiers difficiles.
Le " vivre ensemble " est à construire
et à développer sans cesse. Les prochaines
équipes municipales devraient pouvoir donner plus
de consistance à la fraternité, cet idéal
de notre devise républicaine, cette valeur fondamentale
du message évangélique. La recherche commune
de cet idéal ne pourra-t-elle pas apporter le souffle
dont notre société a grand besoin ? Pour cela,
chacun doit se sentir chargé de faire renaître
des solidarités proches, de recréer des liens
entre les générations, de développer
la sociabilité et de renforcer chez tous le sentiment
d'appartenance à une collectivité et le respect
actif des différences.
Chaque jour, la peur de l'autre, qui se manifeste dans
le racisme et la xénophobie, est une menace pour
la démocratie. Les membres de l'Union européenne
résidant en France ont le droit de voter aux élections
municipales : il est utile de le rappeler. Ne serait-il
pas souhaitable que l'on examine les conditions dans lesquelles
les résidents originaires d'autres pays que ceux
de l'Union européenne pourraient obtenir le droit
de vote dans le cadre des élections municipales ?
Ne participent-ils pas à la vie économique
et sociale ?
Il n'est pas souhaitable que les chrétiens fassent
de leur appartenance à l'Église un signe partisan.
Ils peuvent, bien entendu, partager avec d'autres des ambitions
et des projets. Mais ils trouvent dans l'Évangile
le souci d'une fraternité sans exclusive. Ils seront
donc de ceux qui refusent les campagnes électorales
faites de calomnies et d'injures de bas étage. Vainqueurs
ou vaincus, ils refuseront le mépris de l'adversaire
et resteront activement soucieux du bien commun.
Concevoir l'activité politique comme un service,
s'engager en faveur de la cohésion sociale, s'opposer
aux tendances égoïstes de la société,
nécessite de grandes qualités.
" Pour s'engager dans la respublica, il importe d'avoir
une attention particulière à toute personne
et de réaliser un service humble de l'ensemble de
ses frères, lequel s'identifie avec le service du
bien commun, dans un souci particulièrement aigu
de la probité et de l'honnêteté. En
effet, toute fonction sociale suppose que l'on développe
sa vie intérieure, qui oriente l'action et lui donne
sa profondeur et son sens véritable ". (Jean-Paul II, Lettre aux Semaines sociales de France, en 1999).
Le 10 janvier 2001
La Commission sociale des évêques
de France :
Mgr Olivier de BERRANGER,
évêque de Saint-Denis,
président de la Commission sociale des évêques
de France.
Mgr Philippe BARBARIN,
évêque de Moulins.
Mgr Georges PONTIER,
évêque de La Rochelle.
Mgr Jean BONFILS,
évêque de Nice.
Mgr Michel POLLIEN,
évêque auxiliaire de Paris.
Mgr Jacques NOYER,
évêque d'Amiens.
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