Logo cef.fr Eglise catholique en France - Conférence des évêques de France Trouver les horaires de messes en France avec MessesInfo
ActualitésParoles d'EgliseGuide de l'EgliseEspace presseAgendaDiocèsesLiens
Vivre en ChrétienPrier   CélébrerArt Culture LoisirsSaint du jourGlossaireForumsRechercher
Actualité
Archives
Dossiers spéciaux
Chroniques
Nominations

En bref
Désolé le fichier n'est pas valide
 
Ecrivez-nous
les sites en .cef.fr
Ajoutez CEF à
   vos favoris
Ouvrez votre navigateur sur cef.fr
Plan du site
Mentions légales
Eglise Catholique
UADF © 1996-2006

CEFM © 1996-2001 Cef. fr

Site optimisé pour malvoyant











 

Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Archives > 2001

Archives Retour à la liste
 
Homélie pour la clôture du centenaire de l'Église
au Rwanda Kigali,
Stade Amahoro 8 février 2001

 
 

Chers frères et soeurs Rwandais,
Ces mots rituels de salut, je vous l'avoue, jamais comme ce matin ils ont brûlé mes lèvres de tant de vérité et de tendresse: "chers frères et soeurs rwandais". Pourquoi? Parce que Dieu, au mois de juin 1994, a voulu me plonger au coeur de votre drame.
J'ai alors tout vu de l'inimaginable, tout entendu de l'incroyable, quand, accroché à une jeep, j'ai visité Butaré, Gikongoro, Kibuyé, Nyundo, Gisenyi puis, pour rejoindre l'autre partie du pays coupé en deux, à travers Goma (Congo) et Kabalé (Uganda), Byumba, Rwanbagana, Kibungo, Kigoma et Kabgayi. Une image significative que j'ose évoquer est celle de cet homme qui s'acharnait à détruire jusqu'à la dernière pierre des fondements la maison d'un voisin appartenant à une autre ethnie.

Mêlé aux victimes de tous bords, aux réfugiés de tous âges, c'est ici sur cette terre meurtrie, que j'ai compris tout le sens de la fraternité humaine et le non-sens de sa négation; c'est ici que j'ai compris qu'il n'y a pas de paix durable là où la vie en commun est subie par nécessité et non savourée par goût de la fraternité. Il y a des choses qu'on ne peut voir comme il faut qu'avec des yeux qui ont pleuré.

Aujourd'hui le Saint-Père m'envoie encore parmi vous, pour partager l'immense, l'invincible espérance dont vous témoignez dès la sortie d'une épreuve abyssale qui avait fait de vous, selon votre propre expression, des "morts vivants". Rarement un Pays comme le vôtre, rarement une Eglise comme la vôtre n'ont eu à surmonter autant d'obstacles pour se relever et reprendre confiance, en dépit des analyses manichéennes et des réactions contradictoires de la colère à la pitié.
Mais on n'écarte pas d'un revers de main comme pour un moustique le bourdonnement d'un génocide qui vous poursuit de ses fantasmes. Cette mémoire, conforme aux exigences de la justice, ne saurait cependant devenir ruminante, harassante, obsédante; nul ne peut rester prisonnier de son passé si lourd soit-il. Les mémoires se guérissent aussi bien que les corps, elles sont appelées simplement à se "purifier" comme n'a cessé de le dire Jean-Paul II tout au long de l'Année Sainte.

La réconciliation doit être chez vous un fruit des quatre saisons, cueilli dans le jardin de l'Eglise. L'Eglise seule est capable de désigner le mal par son vrai nom qu'est le péché. Tant qu'on ne touchera pas à sa racine religieuse, le mal, comme les mauvaises herbes, repoussera toujours et les jardiniers se fatigueront à l'extirper.
Dieu seul peut briser la logique du mal et nous aider à sortir du cercle vicieux de la suspicion, de la vengeance, de la violence; car pour Lui le pardon n'est pas une attitude passagère, tactique, c'est sa nature même.
Depuis le péché du premier homme, Dieu ne peut aimer qu'en pardonnant et sa seule manière de pardonner est de substituer l'escalade de l'amour à l'escalade du mal, comme il le fit avec Pierre après son triple reniement, en lui demandant par trois fois: "Pierre, m'aimes tu?" Peuple rwandais, entends cette même demande et, quelque soit ton passé, ose répondre: "Seigneur, tu sais que je t'aime". S'il en est ainsi, pécheur pardonné par le Père tu auras la force de pardonner à tous tes frères, quels qu'ils soient. Alors, le pardon deviendra plus contagieux que le mal; alors seulement, le Rwanda redeviendra respirable et habitable sur ses mille collines.

Il y a exactement cent un ans - c'était hier, puisque certains anciens parmi vous ont connu des témoins de cette épopée - Savé accueillait la première demeure du Christ au Rwanda, construite par des Pères Blancs (les "Terebura") dont le fondateur, le cardinal Lavigerie, était né à vingt km. de mon village basque.
Vous connaissez les tâtonnements humains de ces premiers missionnaires mais aussi les certitudes divines qui leur ont inspiré des gestes souvent héroïques. Leur Evangile était celui de Dieu fait homme, celui des Apôtres, de Paul qui osait affirmer: "Vous avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ" Il n'y a plus ni esclave, ni homme libre; il n'y a plus l'homme et la femme, car tous vous n'êtes qu'un en Jésus Christ (Ga. 3, 27-28)". Et dans le droit fil de cet Evangile, vos évêques vous disaient dans une lettre pastorale pour le carême 1993: "Pour qui appartient au Christ, il n'y a plus de Hutu, de Tutsi, de Twa, de Mukiga, de Munyanduga.Tous nous sommes un en Jésus Christ".

L'histoire de toute l'Eglise, depuis 2000 ans, est composée de pages glorieuses et de pages douloureuses, d'ombres et de lumières, de flux et de reflux Il faut prendre l'histoire comme un tout. Il faut endosser l'Eglise comme un prêt-à -porter, que l'on s'y trouve flottant ou à l'étroit. Il faut aimer l'Eglise comme elle est, d'un amour aussi fort qu'exigeant. Il est parfois difficile de croire à une Eglise qui apparait "à la fois antique et prophétique, amas de ruines et faisceau de germes, occupée à défaillir et à renaître" (Jean Guitton).
Est-ce-que nous nous aidons les uns les autres à aimer vraiment l'Eglise? Sommes-nous les uns pour les autres des signes vivants de cet amour?
Oh, mon Eglise! C'est vrai que tes pieds sont parfois dans la boue de la médiocrité et du péché de tes enfants, c'est ma propre et triste espérience de chaque jour.
Oh, mon Eglise! C'est aussi vrai que ta tête est toujours en plein soleil de la justice de Dieu; c'est tout autant ma propre et joyeuse expérience de chaque jour. Pauvre et sainte Eglise du Seigneur! Notre Eglise, au Rwanda, comme partout dans le monde.

Il n'y a sans doute qu'une seule "mission" de l'Eglise à travers les temps, mais on peut lui reconnaître des "âges" différents selon l'état et les besoins de la société où elle s'insère. Ainsi, au Rwanda, s'ouvre maintenant pour les catholiques une nouvelle donne. Relisant avec lucidité et sérénité sa récente histoire, éclairée par le Synode extraordinaire de tous vos diocèses et le Grand Jubilé universel, forte de sa jeunesse et de ses jeunes, votre Eglise se sent appelée à aller jusqu'au bout de l'Evangile, pour une Pâque nouvelle offerte à des hommes nouveaux "purifiés du vieux levain" (1 Co 5, 7) et vivant dans un monde nouveau, car le Rwanda a bien changé depuis un siècle.

Vous serez jugés sur le courage avec lequel vous remplirez votre service de sentinelles de l'Evangile. Votre référence constante et totale au Christ Sauveur sera la vraie source de votre dignité, de votre liberté, de votre paix. Vous êtes conviés à une vérification de votre foi, qui ne peut s'opérer que dans un climat de communion ecclésiale, humble et joyeuse, d'où il ne peut sortir ni vainqueurs ni vaincus, mais simplement des frères devenus, les uns par les autres, encore plus perméables au souffle créateur de Dieu. Cette vérification évangélique, chaque fois que c'est possible, doit se faire avec ceux des autres confessions chrétiennes qui partagent avec nous la grâce de l'obéissance à la Parole de Dieu, signe et prémisses de l'unité visible de l'Eglise du Seigneur que nous désirons voir revêtu de sa robe sans couture.

Si l'Eglise est un don qui nous précède, elle est aussi une promesse qui requiert nos énergies tout autant que nos fidélités. Ne nous attardons pas à ramasser ses balayures et épluchures, et repérons sur cette belle terre africaine les semences plus que les déchets. Hâtons-nous de proclamer les merveilles que le Seigneur fait en nous et autour de nous, car il en fait même dans les moments les plus sombres. Je pense à ceux qui ont donné leur vie pour protéger d'autres vies sans discimination aucune; je pense à tant de femmes, de mères, de veuves qui, par leur sens familial, ont contribué au relèvement du pays; je pense à tous ces orphélins qui ont trouvé un foyer d'accueil et d'éducation; je pense aussi à ceux qui cherchent obstinément à améliorer le fonctionnement de la justice et les conditions carcérales de si nombreux détenus.

Catholiques rwandais, regardez en avant, même si votre mémoire demeure endeuillée. Allez de l'avant, même si vous vous sentez encore titubants. Connaissez-vous la lettre que le Pape Jean-Paul II vient d'écrire au terme du Grand Jubilé? C'est une longue lettre d'une beauté et d'une fraîcheur juvéniles, toute ruisselante de la tendresse du Christ pour nous. Je souhaite qu'elle soit traduite sans tarder en kinyarwanda et qu'elle devienne la feuille de route de vous tous. "Duc in altum ...avance au large." C'est le mot du début et de la fin de la lettre du Saint-Père. C'est le mot d'ordre de Jésus à Simon-Pierre, pêcheur du lac de Tibériade devenu "pêcheur d'hommes" (cf. Lc 5,1-11)- Vous êtes de cette région dite des Grands Lacs où l'on sait bien ce qui veut dire "jeter les filets en eau profonde".

N'ayez pas peur d'avancer au large, et même d'aller loin, loin. Une Eglise est évangélisée à fond lorsqu'elle est capable à son tour d'évangéliser d'autres peuples, d'autres cultures. Plus une Eglise évangélise ailleurs et plus elle s'évangélise elle-même. Eglise du Rwanda, apprends à faire de tes blessures des sources nouvelles non seulement pour toi-même mais pour toute l'Afrique et au-dela. C'est le meilleur merci que tu peux donner aux missionnaires qui, il y a un siècle, ont fondé ton Eglise. Vis toi-même avec une âme de fondateur, une âme de missionnaire.

Que ton Eglise soit une Eglise sans rivages pour un monde sans frontières. Que ton Eglise soit tendue vers l'avant, vers l'Avent, toute gonflée d'espérance! Considérant Marie qu'un âne portait allègrement vers Bethléem, un poète (Jules Supervielle) a cette réflexion délicieuse: "Elle pesait si peu, n'étant occupée que de l'avenir en elle".

Avec l'aide de Marie, qu'il en soit de même pour toi, mon frère rwandais, por toi ma soeur rwandaise!
Amen.

Cardinal Roger Etchegaray