Palangkaraya, 28 février 2001 (CIP)
L'Église locale a invité les Dayaks catholiques
à ne pas prendre part aux violences interethniques
qui secouent le Kalimantan-Central, dans l'île de
Bornéo.
De nombreux Dayaks, qui habitent des régions isolées
de l'île (la plus grande de l'archipel indonésien,
avec 550.000 km² et 10.500.000 habitants) se déplacent
vers le centre de Bornéo, à Sampit et à
Palangkaraya, pour participer au " carnage des intrus
Madurais ".
Des sources de l'Église locale contactées
par l'agence vaticane Fides déclarent que les conflits
n'ont en aucune manière des raisons religieuses :
les églises et les édifices musulmans n'ont
pas été attaqués. Dans un entretien
avec Fides, le Père Subandi, du diocèse de
Palangkaraya, au Kalimantan-Central, confirme qu'il a vu
de nombreux cadavres décapités, abandonnés
sur le fleuve, dans les régions de Sampit et de Palangkaraya.
Des fonctionnaires civils les recueillent et les enterrent.
Les Dayaks ont déclenché leur fureur contre
les immigrés Madurais, qu'ils veulent chasser de
l'île. " Non seulement les Dayaks, mais aussi
toutes les autres communautés indigènes refusent
les Madurais ", explique le P. Subandi, missionnaire
originaire de Java, de retour d'une visite à Sampit,
à 200 km à l'ouest de Palangkaraya, la capitale
de la province.
Les Dayaks ne représentent qu'un petit pourcentage
de la population du Kalimantan-Central. Les indigènes
accusent les Madurais, commerçants habiles et producteurs
de tapis, de ne pas respecter la sensibilité et les
règles sociales des gens du lieu. " À
plusieurs reprises, les Madurais ont violé les accords
passés avec les Dayaks sous le couvert du gouvernement
local. Il manque toutefois quelqu'un pour faire respecter
la loi : de nombreux crimes commis dans le passé
par des Madurais sont restés impunis. Des transgressions
fréquentes de la loi ne sont pas sanctionnées
et, de la sorte, les Dayaks ont perdu leur patience ",
déclare le P. Subandi. À son avis, la police
et l'armée sont du côté des Madurais.
" La discrimination a rendu furieux les Dayaks ",
ajoute-t-il.
Le gouvernement central indonésien a décrété
l'état d'urgence. La police a l'ordre de tirer à
vue sur les rebelles. La fuite des Madurais se poursuit.
Plus de 30.000 ont déjà quitté Bornéo
pour se rendre à Madura et à Java, et 16.000
autre environ sont installés dans des camps de réfugiés
à Sampit. L'Église catholique locale apporte
l'assistance et les secours aux réfugiés.
Les affrontements ethniques ont commencé le 18 février
et le nombre des morts recensés s'élève
à plus de 300. D'après des sources non officielles,
500 Madurais au moins auraient été tués
et décapités.
Dans les années 1960, 60.000 habitants de l'île
de Madura, face à l'île de Java, se sont transférés
dans l'île de Bornéo, selon des programmes
d'immigration organisés par le gouvernement. Il y
a, chez les Dayaks, une minorité catholique et protestante,
de nombreux musulmans et fidèles des religions locales.
Les Madurais sont musulmans. " Les officiers de la
sécurité et le gouvernement n'ont pas été
capables de désamorcer les conflits ethniques, qui
sont toujours restés à l'état latent
", a confié à Fides M. Munir, un militant
des droits de l'homme.
Depuis Djakarta, l'Association " Islam Defender Front
" a lancé un appel. " Derrière les
affrontements à Bornéo, il y a des non-croyants
qui conspirent contre l'islam ", déclare-t-il.
D'après les observateurs, la violence à Bornéo
est un nouveau signe de la désintégration
progressive de la nation indonésienne.
Mgr Sutrisnoatmoko :
"L'Église, même si elle est une minorité,
ne peut rester à regarder les massacres du Kalimantan
: elle doit s'efforcer d'aider le dialogue. Le nombre des
morts pourrait s'élever à 2.000. " Dans
une interview accordée à Fides, Mgr Aloysius
Sutrisnoatmoko, nouvel évêque de Palangkaraya,
au Kalimantan-Central, expose les urgences de son futur
travail pastoral. La priorité des priorités
: la paix à Bornéo.
L'évêque, un Javanais de 47 ans qui est membre
des Missionnaires de la Sainte famille, sera ordonné
au mois d'avril prochain pour prendre en charge une communauté
de 51.000 catholiques. Il explique les pas nécessaires
pour ramener la paix à Bornéo : réunir
les dirigeants des deux camps en des rencontres non officielles,
et, comme solution provisoire, séparer les deux ethnies
des Madurais et des Dayaks ; assurer l'intégration
des Dayaks dans le cadre socio-économique, partager
avec les indigènes l'administration locale des Provinces,
qui sont l'apanage des Javanais et des Madurais.
- Quelles priorités avez-vous fixées pour
votre travail pastoral à Palangkaraya
Mgr Sutrisnoatmoko : Il est urgent de travailler en
vue du dialogue et de la réconciliation entre Madurais
et Dayaks, qui sont la majorité dans le pays. Cette
violence est tragique et surprenante. L'administrateur diocésain
de Palangkaraya m'a dit que le nombre des morts pourrait
s'élever à 2.000. L'Église mettra à
disposition toutes les ressources dont elle dispose pour
permettre le dialogue. Je parlerai avec les dirigeants des
factions. D'autres aspects du travail pastoral touchent
l'amélioration des conditions économiques
des tribus indigènes, et l'oeuvre sociale et éducative
des gens.
- Quels sont les pas nécessaires à accomplir
pour ramener la paix ?
Il faut réunir les dirigeants des deux factions
en conflit dans des rencontres non officielles, en trouvant
des solutions tampon : avant tout, la séparation
ethnique de la population. Un deuxième pas, consiste
à promouvoir le travail pour les Dayaks et l'intégration
des indigènes dans le cadre socio-économique.
En troisième lieu, il faut partager l'administration
locale des provinces, apanage des Javanais et des Madurais.
L'Église, même si elle est une minorité,
doit déployer des efforts de médiation, pour
encourager le dialogue et la réconciliation. La tâche
est difficile, mais, en tant qu'homme de foi, j'ai confiance
dans la paix et je suis optimiste.
- Vous ne craignez pas d'être refusé, étant
donné votre ethnie javanaise ?
Je n'ai pas peur : la communauté catholique Dayak
est douce, les indigènes ont un coeur tendre, et
ils acceptent les immigrés. Je chercherai à
aider le clergé local et les catéchistes dans
les domaines théologique et pastoral, et de me procurer
des aides économiques à l'étranger.
Avec les autres évêques de Bornéo, dont
deux appartiennent à ma congrégation, nous
travaillerons ensemble pour la paix au Kalimantan
- Quelles sont les racines du conflit ?
La raison principale est le contraste entre la richesse
des Madurais et la pauvreté des Dayaks. Les premiers
sont travailleurs et actifs dans le commerce, les indigènes
ont comme seules ressources la nature et la terre. Parfois,
les immigrés Madurais ne respectent pas la culture
des tribus indigènes. C'est ce qui a suscité
la haine que le gouvernement n'est pas parvenu à
contrôler.
- Comment va l'évangélisation à
Bornéo ?
Les transports se font par voie fluviale ; il n'y a
pas de téléphone ni de lignes électriques
ans les villages. L'évangélisation est très
difficile, et est faite par les contacts humains. Les catéchistes
et les missionnaires visitent les villages et parlent avec
les chefs des tribus. Leur rôle est très important
: les gens les écoutent. Ces quatre dernières
années, il y a eu plus de 10.000 nouveaux baptisés
dans le diocèse de Palangkaraya.
- Comment jugez-vous la situation politique de l'Indonésie
?
L'Indonésie est en proie à des luttes
politiques qui engendrent l'incertitude et la crainte d'une
fragmentation du pays. L'unité est un grand bien
: dans le pays, il y a plus de 300 tribus qui peuvent vivre
ensemble dans la liberté et la démocratie,
non pas par l'oppression, comme dans le passé. (CIP-FS)
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