Les 908 Kurdes qui ont été jetés
sur la côte Sud de notre pays, dans les conditions
dramatiques que l'on sait, ont suscité un large courant
de sympathie.
Alors que beaucoup d'études d'opinion ont pu attribuer
à nos concitoyens des attitudes de rejet ou de xénophobie,
ce courant manifeste que peuvent prévaloir chez eux
des sentiments de compassion, fondés sur une éthique
de solidarité avec tout être humain dans la
détresse.
Nous souhaitons que cette saine réaction, où
le cur et la raison parlent plus fort que l'intérêt
ou les réflexes stéréotypés,
se manifeste à l'avenir envers tous les demandeurs
d'asile, même ceux dont l'arrivée sur notre
sol, moins massive et moins dramatique, n'attire pas l'attention
des médias.
Ces événements, ainsi que les violences à
Sangatte (Pas de Calais) dans le Centre de la Croix Rouge
où sont hébergées les 800 à
900 personnes qui, nuit après nuit, souvent au péril
de leur vie, tentent de pénétrer clandestinement
au Royaume Uni, rappellent à nos consciences de citoyens
français et européens la nécessité,
à propos du droit d'asile, de clarifier nos choix
juridiques, politiques, sociaux, éthiques.
Nous nous trouvons face à un débat qu'il faut
mener désormais à l'échelon européen,
puisque le traité d'Amsterdam a décidé
de transférer à l'Union européenne
les compétences des Etats membres en matière
d'asile et d'immigration ; un débat dans lequel les
chrétiens sont invités à faire entendre
avec vigueur les convictions qu'ils puisent dans la tradition
biblique et dans la fidélité au Christ, qui
nous dit : "J'étais un étranger et vous
m'avez accueilli" (Mt 25,35). Ces convictions inspirent
ces récentes paroles du pape Jean-Paul II : "Dans
le contexte d'une mobilité humaine qui croît
partout, l'invitation à l'hospitalité devient
actuelle et urgente. Comment les baptisés pourront-ils
prétendre accueillir le Christ, s'ils ferment leur
porte à l'étranger qui se présente
à eux ?" (Message pour la Journée des
Migrants - 2000).
Les drames de Saint-Raphael et de Sangatte offrent l'occasion
de nous poser ensemble quelques questions, sans attendre
que les grandes options sur le long terme soient définies
: La transparence dans les critères d'attribution
du droit d'asile.
Pour accorder ou refuser à un demandeur d'asile la
qualité de réfugié dans notre pays,
l'OFPRA (office de protection des réfugiés
et apatrides) se réfère au texte de la convention
de Genève de 1951. Mais ses critères d'interprétation
ne sont pas explicités. N'est-ce pas une occasion
pour que l'opinion publique découvre les raisons
pour lesquelles certaines demandes sont acceptées,
d'autres refusées ?
L'asile territorial.
La loi Chevènement de 1998 donne la possibilité
d'accueillir, au titre d'un "asile territorial",
des personnes menacées dans leur vie ou leur liberté,
même si elles ne peuvent être reconnues "réfugiés
politiques" par une interprétation restrictive
de la Convention de Genève. Mais cette possibilité,
dont dispose le seul Ministre de l'Intérieur, sans
avoir à fournir aucune justification, a été
très peu utilisée jusqu'ici. Ne serait-il
pas souhaitable qu'il y soit fait davantage recours, non
seulement pour les Kurdes de Saint Raphaël (au cas
où ils seraient déboutés de leur demande
d'asile politique), mais aussi pour d'autres personnes arrivant
individuellement ou en petits groupes ?
La situation des "sans papiers".
Si certains de ces exilés Kurdes n'obtenaient ni
l'asile politique ni l'asile territorial, il est peu probable
qu'ils soient reconduits à la frontière :
il restera toujours un doute sur les risques réels
qui pèseraient sur leur vie en cas de retour dans
leur pays. On les versera donc, de facto, dans une catégorie
dont la loi de 1998 visait précisément la
disparition, celle des personnes "non-régularisables,
non-expulsables". La situation de ces réfugiés
kurdes ne doit-elle pas être mise à profit
pour regarder la situation des milliers de sans-papiers
- ni régularisables ni expulsables - qui vivent cachés
dans notre pays ? Le moment est sans doute arrivé
de chercher comment faire disparaître cette catégorie,
pas seulement en droit mais aussi en fait. Le bon sens comme
l'éthique ne voudraient-ils pas que toute personne
reconnue non-expulsable soit régularisable et régularisée
?
En prenant la parole, nous souhaitons que les événements
douloureux qui touchent ainsi nos consciences de citoyens
soient pris au sérieux et deviennent une occasion
de sortir du silence et de l'anonymat toutes ces vies détruites
par la misère ou la violence. "Dans cette perspective,
comme le disait en 1996 le Pape Jean-Paul II, il est très
important que l'opinion publique soit bien informée
sur la condition réelle dans laquelle se trouvent
les pays d'origine des migrants, sur les drames dans lesquels
ils sont impliqués et sur les risques encourus en
cas de retour dans leur pays".
Cet accueil de l'étranger, nous le devons à
l'homme en qui les chrétiens voient le Christ souffrant,
le Christ cheminant vers la Croix. Nous le devons à
notre foi au Christ ressuscité sorti du tombeau de
la mort. Nous joignons ainsi notre voix à la voix
de tous ceux et celles qui, chaque jour, s'engagent dans
l'accueil, l'accompagnement et la protection des exilés.
Le président du Comité épiscopal des
migrations
Mgr Daniel LABILLE, évêque de Créteil
Les évêques de la Commission sociale
Mgr Olivier de BERRANGER, Président, évêque
de Saint-Denis
Mgr Philippe BARBARIN, évêque de Moulins
Mgr Georges PONTIER, évêque de La Rochelle
Mgr Jean BONFILS, évêque de Nice
Mgr Michel POLLIEN, évêque auxiliaire de Paris
Mgr Jacques NOYER, évêque d'Amiens
Mgr Lucien DALOZ, président de Justice et Paix-France,
archevêque de Besançon
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