En cette fête qui réunit traditionnellement
les autorités de l'Etat, de la Région, du
Département et de la Ville, à l'invitation
du président de la Chambre de Commerce et d'Industrie,
et qui veut que l'Archevêque aborde un "problème
de société" particulièrement d'actualité,
mon propos portera sur le rapport de l'Eglise catholique
aux médias
Un journal titrait récemment : "les cathos
ont le blues". Il faisait allusion à de nombreuses
réactions -dont le livre de René Rémond
sur "le christianisme en accusation" est une expression-
suscitées par un certain matraquage médiatique
dont serait victime l'Eglise catholique dans des émissions
de télévision, des articles de journaux nationaux
ou de province de notre pays.
Il est vrai que toute institution dans notre société
hyper médiatisée est mise à nu à
commencer par l'État, le Pouvoir politique, la Justice,
l'Éducation. L'Église catholique qui a conscience
de faire partie du patrimoine de la nation, qui irrigue
sa culture et teinte son humanisme n'échappe pas
à ce dévoilement.
D'une certaine manière, le fait d'être constamment
sous les sunlights oblige à faire la vérité
sur soi-même et à cultiver la transparence.
En ce sens l'agressivité opiniâtre de certains
médias nous rend service : elle nous invite à
être ce que nous annonçons, à vivre
l'Évangile que nous proclamons.
Nous ne pouvons pas oublier non plus que les grands moyens
de communication aujourd'hui, fut-ce pour s'en détacher
ou pour le critiquer, transmettent le message de l'Evangile,
rendent compte de la vie et du témoignage des communautés
chrétiennes, évoquent de grandes figures du
christianisme d'hier et d'aujourd'hui
Le visage de
Jean-Paul II sur tous les écrans du monde échappe
à toutes les idéologies et arrières
pensées : il dit à la fois la faiblesse de
l'homme dans son extrême vieillesse et la tendresse
de Dieu dans le don de sa vie.
Le monde des médias sait souvent répondre
à la notion de qualité. Des émissions
de télévision, des sites Internet, des articles
de journaux sont riches de connaissances, ouvrent l'intelligence
et le cur. Ils permettent de découvrir de nouveaux
savoirs, d'autres cultures, ils font réfléchir
sur le sens de l'histoire, ils questionnent sur la condition
humaine, ses fragilités et ses coups de cur.
Le réalisateur, l'animateur, le journaliste deviennent
alors de merveilleux éducateurs qui s'effacent derrière
leurs sujets, en s'efforçant de servir la vérité
de l'homme.
Des émissions, souvent de bon niveau, mettent en
débat les problèmes de société
les plus aigus et invitent ainsi des millions de téléspectateurs
à confronter leurs points de vue à la lumière
des témoignages portés et des questions posées.
Quelle tâche passionnante, mais redoutable, que celle
des "communicateurs" !
Voilà pourquoi nous avons à leur égard
une grande estime, d'autant plus que nous savons que plusieurs
-je pense notamment aux grands reporters- font preuve d'un
courage physique qui force l'admiration, et de qualités
morales mises au service de la défense des libertés
et du respect des minorités. Les médias ne
soutiennent-ils pas les grandes causes humanitaires ?
Pourquoi faut-il alors que nous soyons si souvent déçus,
parfois meurtris, par la superficialité des écrits
ou des images, d'une presse ou télévision
"poubelle" qui se laisse aller à toutes
les démagogies et qui jette en pâture à
l'opinion les personnes privées et les collectivités
publiques pour les déstabiliser ? Quand on sait le
pouvoir extraordinaire d'une image forte et particulièrement
tragique -je pense à celle d'un enfant palestinien
tué sous les yeux de son père- image qui suffit
à discréditer un camp par rapport à
un autre et à faire basculer une opinion publique,
on ne peut pas ne pas se poser la question : le monde des
réalisateurs, animateurs, présentateurs, journalistes,
a-t-il conscience d'être un nouveau Magistère
? A t-il conscience de l'extraordinaire pouvoir qui est
le sien, et par un découpage savant des séquences
ou des interview, du risque perpétuel de manipulation
des consciences qui le guette ?
Cet univers de l'écrit et de l'image, frondeur à
l'égard des institutions se rend-il compte qu'il
est lui-même une institution avec ses lois et son
langage, qui risque à tout instant d'aliéner
les libertés de ceux-là même qui s'en
disent les maîtres ? Quand une institution asservit
la personne au lieu de la servir, ne doit-elle pas se remettre
en cause ? Ne dit-on pas que dans certaines rédactions
de grands journaux ou de chaînes de télévision,
règne une atmosphère insupportable de surveillance
et de délation ? Lorsqu'on ne respecte plus une élémentaire
déontologie, lorsqu'on ne cherche plus la vérité
des faits mais le "scoop" qui fait vendre le journal
ou croître l'audimat, non seulement on manifeste un
véritable mépris du lecteur ou du téléspectateur,
mais finalement on se déconsidère soi-même.
Le journaliste de la presse écrite ou télévisée
a des droits, notamment celui d'informer en toute liberté,
mais il a aussi des devoirs, notamment celui de ne pas travestir
l'événement par le commentaire qu'il en fait.
Quand il n'y a plus de morale professionnelle, quand la
seule finalité est le produit à vendre, quand
il n'y a plus le respect de la liberté d'autrui,
de sa croyance et de ses convictions, le pire devient possible
et les victimes ne sont pas seulement les institutions visées,
mais les auteurs eux-mêmes qui se discréditent.
Non, "les cathos n'ont pas le blues". Ils ne
sont pas atteints du "complexe de persécution".
Leur Eglise, pas plus que les autres institutions de la
République, ne réclame un régime de
faveur de la part des médias. Elle reconnaît
l'importance de la liberté de l'information. Elle
demande seulement de ne pas être tournée systématiquement
en dérision, forme moderne et subtile de l'intolérance,
et d'être pour le moins respectée au même
titre que les autres religions : Que dirait-on si on faisait
subir le même sort aux autres communautés religieuses
dans ce pays ? La réaction ne se ferait pas attendre
et on ne manquerait pas de dénoncer à juste
titre l'antisémitisme et le racisme !
Malheureusement aujourd'hui certains médias, au
lieu de présenter la réalité de la
vie ecclésiale selon l'objectivité des faits,
préfèrent accorder une oreille complaisante
aux ragots de sacristies
qui n'intéressent
d'ailleurs que ceux qui les cultive.
Sans doute notre Eglise n'est pas sans péchés.
Des événements récents ont montré
qu'elle avait ses faiblesses, faiblesses de discernement
et de comportement. Des chrétiens ont leurs étroitesses
d'esprit et de cur, des prêtres eux-mêmes
connaissent des faux-pas, le jeu des ambitions et les querelles
de pouvoir peuvent exister dans l'Eglise comme ailleurs.
Mais pourquoi systématiquement occulter le souffle
évangélique qui habite nos communautés,
les témoignages de solidarité et de présence
aux plus pauvres ?
Il ne s'agit pas de préserver l'institution à
tout prix. Nous n'avons pas de leçons à donner.
Mais nous sommes porteurs d'un message pour l'homme que
nous avons reçu de Jésus, qui se traduit symboliquement
par un Cur ouvert à tous, et nous entendons
pouvoir le délivrer en toute liberté sans
qu'il soit caricaturé.
Frères et surs, au-delà des opinions
philosophiques et quelque soient les croyances qui nous
habitent, un chemin nous est commun : celui de l'homme.
En ce sens la liberté des médias a une limite
qu'elle ne saurait franchir : le respect de la dignité
de l'homme et de ses convictions les plus profondes.
Pour les chrétiens, ce visage de l'homme mérite
d'autant plus qu'on lutte pour qu'il ne soit pas défiguré
qu'il a pris, en Jésus-Christ, le visage de Dieu.
Le visage de la paix, de la défense des déshérités,
de la solidarité humaine. Le visage qui ouvre la
voie à la communication la plus haute qui est celle
de l'homme avec son Dieu.
+ Bernard Panafieu
Archevêque de Marseille
|
|