Devant les événements tragiques de New York
et de Washington, la communauté chrétienne
au Maroc, qui comprend de nombreux anglophones et en particulier
de nombreux américains, a voulu célébrer
une messe en la cathédrale de Rabat le samedi 15
septembre.
Cette célébration pleine de ferveur et de
recueillement se déroula dans une cathédrale
archi pleine. C'était notre manière de vivre
devant le Seigneur ces événements, lui demandant
la force de prendre notre part à la construction
" d' un monde sans violence, un monde qui aime la vie,
et grandit dans la justice et la solidarité "
(Jean-Paul II)
Le lendemain, juste après la messe dominicale, le
Gouverneur de la ville avertit le curé de la cathédrale
que, en fin d'après midi, se déroulerait une
célébration de prière dans cette même
cathédrale où seraient invités des
personnalités musulmanes, juives et chrétiennes.
Ce fut un grand moment d'écoute, de réflexion,
de prière entre musulmans, juifs et chrétiens,
dans la cathédrale catholique " lieu où
le nom de Dieu est invoquée " (S.M. Mohammed
VI), à la demande de nos amis musulmans.
Dans l'assemblée, à côté de l'ambassadrice
des USA, le Premier Ministre, des Conseillers de Sa Majesté
le Roi, pratiquement tous les membres du Gouvernement, en
djellabas blanches, de nombreux membres du corps diplomatique
et de nombreux amis musulmans, israélites et chrétiens
de toutes nationalités : là encore une cathédrale
pleine.
Dans le chur, un Conseiller du Roi, un représentant
du Conseil Supérieur des oulémas, le Nonce
Apostolique, le grand Rabbin de Casablanca, le Vicaire général
représentant l'Archevêque absent du pays, un
pasteur protestant, un laïc anglican et le curé
de la cathédrale qui essaya de faire un lien entre
tout ce qui allait être vécu.
Après le mot d'accueil en arabe, anglais, et français,
fait par le curé de la cathédrale, un Conseiller
du Roi lut le message, en arabe, adressé par Sa Majesté
le Roi pour cet événement ; message qui, à
l'aide de versets du Coran et du Hadith, condamnait, au
nom de l'Islam, l'assassinat d'innocents et la violence
aveugle. " L'islam est une religion qui prône
le droit et le bien, la justice et l'égalité,
la sécurité et la quiétude, tout comme
il recommande la communication et la connaissance mutuelle
entre l'ensemble des humains
.L'Islam appelle
au dialogue et au débat par la bonne parole. "
(S.M. Mohammed VI)
Puis le Nonce Apostolique lut en Anglais l'intervention
de Jean-Paul II à l'audience du mercredi 12 septembre,
élevant une prière pour que cesse la spirale
de la haine et de la violence . " Mardi a été
un jour sombre dans l'histoire de l'humanité, un
affront terrible à la dignité de l'homme "
(Jean-Paul II)
Ensuite, le Secrétaire général du Conseil
Supérieur des Oulémas, le Grand Rabbin de
Casablanca et un Pasteur américain de Casablanca
prononcèrent des allocutions condamnant la violence
et prônant le dialogue, la cohabitation et la bonne
intelligence entre les religions et les hommes et principalement
entre descendants d'Abraham. " Nul n'ignore que les
religions révélées et leurs lois qui
émanent de la même source divine ne peuvent
diverger sur les grandes questions fondamentales qui se
rapportent à l'Homme, à l'univers et à
la vie
..L'islam considère que toute l'humanité
est issue d'un même père et d'une même
mère et que l'humanité est faite de peuples,
de tribus et de nations qui coexistent ensemble sans rivalité
ni conflits, ni haine et ont vocation à s'entre connaître,
à coopérer et à se prêter assistance
" ( Conseil Supérieur des Oulémas) .
" La création du monde n'a de sens que si elle
est destinée à l'homme. Le Talmud nous enseigne
que sauver une vie c'est sauver le monde et détruire
une vie humaine c'est participer à l'anéantissement
du monde
..On ne dira jamais assez la nécessité
absolue de rappeler que l'humanité est une grande
famille
" (Grand Rabbin)
A la fin de son allocution, le grand Rabbin demanda à
toute l'assemblée de se lever, et de s'unir à
lui, tandis qu'il récitait , en hébreu, une
prière au Dieu puissant et miséricordieux
pour les victimes des attentats
Des gestes symboliques furent posés ; ceux qui le
voulaient, pouvaient venir déposer une bougie allumée,
en souvenir de ceux qui étaient disparus ; les dignitaires
et tous les membres de l'assemblée participèrent
à ce geste. Puis pendant un long moment, ce fut pour
chacun le temps de la prière silencieuse. Et avant
un chant final en anglais, chacun fut invité à
donner la paix à son voisin, quelle que soit sa religion.
Une grande partie de la cérémonie fut retransmise
à la télévision et même sur des
chaînes étrangères, tandis que durant
deux jours sur plusieurs pages, beaucoup de journaux reprenaient
les textes avec des interviews des plus hautes autorités
politiques. Depuis le passage de Jean-Paul II au Maroc(19
Août 1985), on n'avait jamais autant parlé,
publiquement, de rencontre possible entre des membres des
trois religions monothéistes.
Ce fut un moment fort, il était important de le vivre
; mais tout le monde, peut-être, ne partageait pas
la même analyse des événements, tout
en s'insurgeant de l'horreur des faits, y compris parmi
les membres de la communauté chrétienne, multinationale
de notre pays..
Ce fut un moment fort, il était important de le
vivre, même si nous n'avions pas eu toute la responsabilité
de l'organisation et de la préparation.
Une rencontre en vérité, est-elle à
cadrer ? Pouvons-nous toujours la prévoir, pouvons-nous
toujours en maîtriser les conséquences ?
Sur la route d'Emmaüs, la rencontre avec " Jésus
lui-même qui les rejoignit et fit route avec eux "
(Lc 24/15), plus qu'imprévue, permit, à deux
hommes, de comprendre le sens de beaucoup d'événements.
Une telle célébration, inédite, dans
ce pays qui nous accueille, n'est-elle pas riche de sens
et ne doit-elle pas être source de beaucoup d'espérance
?
Vincent Landel s.c.j.
Archevêque de Rabat
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