Les vagues d’étonnement et d’inquiétude,
suscitées par certaines confidences de Mère
Térésa sur ses doutes, touchant jusqu’à
l’existence même de Dieu, sont d’autant
plus fortes que d’autres voix se font l’écho
d’un christianisme voire d’un catholicisme puissants,
au corps doctrinal sans faille aux rites immuables ou à
une stratégie d’évangélisation
laissant peu de place à l’hésitation ou
à la fragilité…
Il n’est bien évidemment pas question de remettre
en cause ce roc de la foi sur lequel nous sommes appuyés
et qui n’est autre que l’Evangile du Christ. Construire
sa vie sur le roc et non sur le sable est un conseil du Maître
difficilement contestable (Mt 7,25), mais encore faut-il accepter
qu’au long d’une vie cet appui – qui peut
être une confiance maintenue, une parole ou un amour
– soit par moments, comme en pleine mer, recouvert d’eau
au point de disparaître à nos yeux.
Les grandes traditions mystiques témoignent, chacune
à leur manière, de ces nuits obscures de la
foi, ces traversées douloureuses, ces instants où
tout semble basculer dans la douloureuse conscience de la
vacuité de soi et de tout, alors même que l’on
est dans la main de Dieu. Mais une main qui n’enferme
pas, qui tient sans retenir, qui soutient sans imposer, un
cœur d’où s’écoule sans interruption
ce filet d’eau vive, cet amour capable de fertiliser
nos terres les plus craquelées.
Les évangiles n’hésitent pas à
nous montrer Jésus troublé (Jn 12,27), hésitant
(Mc 14,36), seul face à l’ultime seuil (Mt 27,45).
Et pourtant qui peut contester son lien unique, confiant et
constant au Père ?
Comment, certes, face aux ravages du mal, à l’apparente
domination de la mort, aux souffrances des innocents, ne pas
être tenté par la négation de Dieu ou
l’inutilité de soi ? Ce n’est pourtant
pas en assénant la foi de l’extérieur
ou en partant en croisade contre un monde porteur de tous
les maux, que l’on éloignera la tentation. C’est
davantage en révélant le vrai visage de Dieu,
lui-même « première victime du mal »
comme aimait à dire Maurice Zundel. Dieu, solidaire
du monde par Jésus, résistant au mal par chacun
de nous et continuant d’ouvrir un chemin, sans que soient
pour autant supprimés doutes ou ténèbres.
« Moins j’y vois clair, plus j’avance avec
assurance ! » affirmait paradoxalement saint Michel
Garicoïts. Il faisait à sa façon écho
aux paroles de saint Jean de la Croix : « Je la connais
la source, elle coule, elle court, mais c’est de nuit…
»
Mgr André Dupleix
Secrétaire général
adjoint de la Conférence des évêques de
France
Billet paru dans le Courier français, septembre 2007
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