Le CRIF, en association avec le Congrès
juif européen et le service national des évêques
de France pour les Relations avec le judaïsme, organisait
un colloque, le 11 décembre, sur le thème :
« Dix ans après la Déclaration des Evêques
de France à Drancy : quel dialogue pour l’avenir
? ».
« Il faut continuer
»
Extrait de l’intervention du cardinal André Vingt-Trois
L’heure tardive m’oblige à être bref.
Je serai bref : il faut continuer. Mais vous n’êtes
restés là pour m’entendre ne dire que
cela ; il me faut donc développer un peu cette affirmation
essentielle. Il faut continuer dans trois directions qui sont
des lignes de pédagogie, d’instruction et d’approfondissement.
Deux voyages et un troisième. Deux voyages à
la surface de la terre, un voyage en profondeur en chacun
de nous.
Premier voyage : Auschwitz-Birkenau,
ainsi que le font de plus en plus nombreux des jeunes catholiques
venus des écoles catholiques ou des aumôneries
de lycées. Pourquoi ce voyage est-il nécessaire
? Parce qu’on ne peut pas expliquer conceptuellement
ce qui est impensable. On ne peut le faire découvrir
que par une expérience sensible. On n’explique
pas la Shoah, mais on peut l’éprouver un peu
en allant sur place. Cette connaissance de la Shoah est un
élément fondamental du changement dans nos relations
avec les Juifs et avec la réalité juive qui
a été salué ce soir. Elle doit, bien
sûr, se traduire aussi dans une connaissance scientifique
aussi exhaustive que possible.
Deuxième voyage : la Terre Sainte.
On ne peut pas non plus convaincre conceptuellement que Jésus
était Juif. On ne peut que le montrer par les traces
historiques, archéologiques, de son passage et par
l’expérience du pays où il a vécu.
Voyage par lequel on peut aider les générations
qui montent à mieux communier à l’humanité
de Jésus, véritable accès à sa
divinité. Ce voyage contribue aussi à faire
découvrir concrètement quelque chose de la confrontation
et du dialogue des religions : judaïsme, christianisme
à travers les chrétiens d’Orient, islam.
On nous a rappelé tout à l’heure les conditions
du dialogue. Il suppose une certaine connaissance mutuelle,
celle qui permet le respect, et le respect ne peut être
réel, concret, que lorsqu’il est éprouvé
dans une rencontre, en quelque sorte, physique.
Troisième voyage, en profondeur
: acquérir le minimum d’équipement nécessaire
pour mettre des mots sur les deux voyages précédents.
Avoir des mots pour dire et por comprendre, pour interpréter
et pour partager ce qu’on a vécu. Ce sont les
mots que nos traditions nous transmettent à travers
l’Écriture sainte de l’un et de l’autre
Testaments, ceux des commentaires de l’Écriture
et ceux de la prière de nos communautés.
Après Drancy des années 40 et Drancy de 1997,
notre histoire a basculé. Ce pas irréversible
doit s’inscrire dans les cœurs par les trois voyages
que j’ai dit. Cela vaut pour tous les âges mais
particulièrement pour les jeunes générations,
en attendant, en espérant que ces trois voyages nous
conduisent vers le voyage définitif, celui par lequel
on atteint les pâturages verdoyants où Dieu nous
appelle.
+ André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris,
Président de la Conférence des Evêques
de France
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Mon ami le cardinal
Lustiger
Extrait de l’intervention de Richard Prasquier, président
du CRIF,
vice-président du CJE et de la Commission interreligieuse
du CJE
S'il y a un domaine où l'action du Cardinal Lustiger
a été irremplaçable, c'est son influence
sur les hommes. A commencer par Jean Paul II. On sait les
rapports privilégiés qu'il entretenait avec
celui-ci, rapports fondés sur l'estime réciproque
entre personnalités exceptionnelles et sur des mémoires
personnelles ou familiales communes: la ville de Bendzin berceau
de la famille Lustiger, la ville de Wadowice de la famille
Wojtyla et la ville d'Auschwitz sont fort proches les unes
des autres. Pour certains, il s'agit de coïncidences,
d'autres y verront un signe, mais le fait est là: né
à quelques kilomètres du lieu du plus grand
crime de l'histoire et entré à l'âge d'homme
au moment où ce crime se déroulait, Jean Paul
II a choisi comme cardinal et comme conseiller un homme dont
la famille avait été largement exterminée
en ces lieux, parce qu'elle était juive. Et aucun des
deux ne désirait mettre le passé sous le boisseau.
Prise de conscience par l'Eglise de la signification juive
de la Shoah, visite à la synagogue de Rome en 1986,
reconnaissance de l'Etat d'Israël en 1993 ou visite du
Pape à Jérusalem 2000 à laquelle il ne
participa pas personnellement: quel fut le rôle du cardinal
dans tous ces actes extraordinaires du pontificat de Jean
Paul II? Ce sera aux historiens de le définir: on peut
penser qu'il fut souvent consulté. Sa proximité
avec le cardinal Ratzinger, devenu Benoit XVI fait penser
qu'il en aurait été de même lors du présent
pontificat.
- Lire l’intégralité sur le site du
CRIF
Les participants
- Anne Hidalgo, adjointe au maire de Paris
- Richard Prasquier, président du CRIF, vice-président
du CJE et de la Commission interreligieuse du CJE
- Joseph Sitruk, Grand rabbin de France
- André Vingt-Trois, cardinal archevêque
de Paris et président de la Conférence des
évêques de France
- Norbert Hofmann, secrétaire du conseil pontifical
pour la promotion de l’unité des Chrétiens,
représentant le Saint-Siège
- Jean-Pierre Ricard, cardinal archevêque de Bordeaux,
vice-président de la Conférence des évêques
européens
- René-Samuel Sirat, Grand rabbin du Consistoire
- Pinchas Goldschmidt, Grand rabbin de Moscou, vice-président
de la Conférence des rabbins européens
- Gilles Bernheim, Grand rabbin de la synagogue de la
Victoire
- Patrick Desbois, directeur du service national des
évêques de France pour les relations avec
le judaïsme
- Pour
en savoir plus
Les différents sujets abordés
- un hommage à Jean-Marie Lustiger
- le rôle pionnier de la France dans le dialogue judéo-catholique
- le dialogue entre Juifs et Catholiques dix ans après
Drancy
- la transmission de l’enseignement de l’estime
aux jeunes générations
Déclaration
des évêques de France à Drancy -
30 septembre 1997 |
Evénement majeur de l'histoire
du XXème siècle, l'entreprise d'extermination
du peuple juif par les nazis pose à la conscience
des questions redoutables qu'aucun être humain
ne peut écarter. L'Église catholique,
loin d'en appeler à l'oubli, sait que la conscience
se constitue par le souvenir et qu'aucune société,
comme aucun individu, ne peut vivre en paix avec lui-même
sur un passé refoulé ou mensonger.
L'Église de France s'interroge. Elle y est conviée
comme les autres Églises par le Pape Jean Paul
II à l'approche du troisième millénaire
: " Il est bon que l'Église franchisse ce
passage en étant clairement consciente de ce
qu'elle a vécu ( ... ) Reconnaître les
fléchissements d'hier est un acte de loyauté
et de courage qui nous aide à renforcer notre
foi, qui nous fait percevoir les tentations et les difficultés
d'aujourd'hui et nous prépare à les affronter
" [2].
Après la célébration, cette année,
du 50ème anniversaire de la Déclaration
de Seelisberg (5 août 1947), petit village de
Suisse où, au lendemain de la guerre, des juifs
et des chrétiens avaient posé les jalons
d'un enseignement nouveau à l'égard du
judaïsme, les évêques de France soussignés,
en raison de la présence de camps d'internement
dans leur diocèse, à l'occasion de l'anniversaire,
dans quelques jours, du premier statut des juifs décidé
par le gouvernement du Maréchal Pétain
(3 octobre 1940), désirent accomplir un pas nouveau.
Ils le font pour répondre aux exigences de leur
conscience éclairée par le Christ. Le
temps est venu pour l'Église de soumettre sa
propre histoire, durant cette période en particulier,
à une lecture critique, sans hésiter à
reconnaître les péchés commis par
ses fils et à demander pardon à Dieu et
aux hommes.
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Une parole
de liberté et de réconciliation
L’importance de l’événement
de Drancy a été, je crois, très
fortement ressentie dans l’opinion. Il me semble
que beaucoup ont apprécié, et d’une
manière qui n’était pas superficielle,
que soit prononcée une parole de repentance,
qui était une parole de liberté spirituelle,
une parole qui voulait servir, dans notre pays, la
vraie liberté de notre peuple par rapport à
son histoire, servir, dans la vérité,
la réconciliation toujours à reprendre
de notre communauté nationale avec elle-même
et avec son passé. Nous sentons bien que, par
rapport à ce passé, les réactions
épidermiques ou profondes sont diverses. On
peut penser que, pour une part, il en va de notre
Assemblée comme de notre pays. En France, beaucoup
ont compris aussi que cette déclaration s’inscrivait
sur l’arrière-plan de l’histoire,
si complexe et si difficile, des rapports de l’Église
au peuple juif.
En même temps, je ne peux pas faire comme si
le courrier reçu ensuite était majoritairement
positif. Beaucoup de chemin reste à faire.
Parmi les sources d’incompréhension,
je relève le trouble de certains chrétiens,
quant à l’image qu’ils ont de la
sainteté de l’Église; je relève
la difficulté qu’ont un certain nombre
de gens à saisir ce que peut avoir d’unique
la relation de l’Église au judaïsme;
je relève beaucoup de demandes ou de revendications
du genre: ‘Vous n’avez pas le droit de
parler de ceci puisque vous ne dites rien de cela,
et de cela.’, et d’autres choses encore.
Je relève surtout, hélas, que l’antisémitisme
n’est pas mort, et que ses arguments les plus
classiques, si j’ose employer ce mot, ont toujours
cours.
Extrait de l'intervention de Mgr Louis-Marie Billé,
président de la Conférence des évéques
de France
Novembre 1997
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