Lettre
des conférences épiscopales catholiques
à M. Georges W. Bush, président des États-Unis
d'Amérique, à M. Tony Blair, premier ministre
du Royaume-Uni, à Mme Angela Merkel, chancelier
de la République fédérale d'Allemagne,
à M. Stephen Harper, premier ministre du Canada,
à M. Nicolas Sarkozy, président de la
République de France, à M. Romano Prodi,
premier ministre de la République d'Italie, à
M. Shinzo Abe, premier ministre du Japon, et à
M. Vladimir V. Putin, président de la Fédération
de Russie.
Monsieur le Premier ministre,
Au moment où vous vous préparez
à participer au Sommet du G8 en Allemagne, nous
vous écrivons au nom des conférences épiscopales
de nos pays respectifs pour vous presser de prendre
des mesures vigoureuses en matière de pauvreté
globale, de soins de santé, de changements climatiques,
de paix et de sécurité. Nous vous exhortons
aussi à favoriser l'accès universel à
une éducation de qualité.
'importance que nous accordons à
ces enjeux tient à l'engagement moral et religieux
que nous avons pris de promouvoir la vie humaine, de
défendre la dignité de la personne et
de protéger la création de Dieu. C'est
là une préoccupation que nous partageons
avec le Saint-Père, le pape Benoît XVI,
qui a rappelé leurs devoirs moraux aux nations
les plus riches dans la lettre qu'il adressait le 16
décembre 2006 à la présidente actuelle
du G8, la chancelière Angela Merkel.
Nos conférences collaborent
étroitement avec l'Église catholique en
Afrique et avec les peuples de ce vaste continent. Notre
expérience nous fait apprécier la priorité
que le Sommet continue d'accorder à l'Afrique.
Les initiatives en faveur de la bonne gouvernance dans
le cadre du Nouveau Partenariat pour le développement
de l'Afrique (NEPAD) méritent d'être soutenues
par les pays les plus puissants.
Nous vous félicitons pour l'engagement
que vous avez pris en 2005 à Gleneagles, en Écosse.
À l'époque, les pays les plus riches de
la planète avaient promis de dépenser
jusqu'en 2010 50 milliards $ de plus par année
en aide à l'étranger, dont la moitié
serait destinée à l'Afrique. Mais nous
nous inquiétons de ce qu'en 2006, selon l'Organisation
de coopération et de développement économiques,
les niveaux de financement de l'aide à l'étranger
n'aient pas augmenté, en dépit de cet
engagement. Nous vous pressons de passer à l'action,
en vertu de l'obligation morale que nous avons tous
à l'égard du bien-être de toute
personne humaine mais aussi parce qu'en faisant renaître
l'espoir en Afrique, on favorise l'avènement
d'un monde plus sécuritaire pour toutes les nations.
Nous trouvons encourageant l'engagement
pris récemment par les ministres du Développement
du G8 de « s'approcher le plus possible d'ici
2010 d'un accès universel à la prévention
et au traitement du VIH/sida et aux soins pour les personnes
qui en sont atteintes ». Nous savons que le VIH/sida
peut frapper n'importe qui; mais les femmes du monde
en développement, plus lourdement désavantagées
sur les plans économique, juridique, culturel
et social, sont d'autant plus vulnérables aux
retombées de la pandémie. Les familles
retirent souvent les jeunes filles de l'école
pour qu'elles prennent soin d'un parent et cette décision
aura des répercussions pendant toute la vie de
ces filles. Pour lutter adéquatement contre la
pandémie du VIH, il faut amplifier la programmation
de l'aide internationale à l'éducation
et au développement, surtout pour les femmes
et les filles.
En outre, les équipements déficients
des établissements locaux de santé compromettent
l'efficacité des programmes de lutte contre toute
une série de problèmes de santé
reliés au VIH/sida et à d'autres maladies
virtuellement mortelles. Il faut accorder du financement
et élaborer des stratégies appropriées
pour renforcer les systèmes de santé et
soutenir ainsi des programmes sur le VIH/sida et d'autres
maladies graves.
À l'ordre du jour du Sommet
figurent les changements climatiques, dossier qui préoccupe
particulièrement les croyantes et les croyants
résolus à protéger la création
de Dieu. À cet égard, nous nous soucions
spécialement des pauvres. Étant donné
les lieux où ils habitent et parce qu'ils ont
un accès limité aux ressources, les pauvres
seront plus directement exposés aux conséquences
néfastes des changements climatiques et des mesures
qu'on prendra pour y remédier, à la hausse
des prix de l'énergie notamment, aux déplacements
de main-d'oeuvre et aux problèmes de santé.
Ce qui vaut autant dans nos pays qu'en Afrique ou ailleurs.
Conscients des nombreux aspects techniques dont il faut
tenir compte pour remédier aux changements climatiques,
nous tenons à souligner la responsabilité
morale que nous avons de pratiquer une bonne intendance
de l'environnement. Les gestes que nous posons et les
décisions que nous prenons, en particulier quant
à l'utilisation des ressources énergétiques,
ont de profondes répercussions aujourd'hui et
pour les générations à venir. Le
coût des initiatives qu'il faut prendre pour prévenir
et atténuer les conséquences néfastes
des changements climatiques devrait être supporté
par les citoyens et les pays riches puisqu'ils ont le
plus profité des émissions dangereuses
qui ont alimenté le développement; il
ne faut pas les faire peser sur les épaules des
pauvres.
La tragédie humaine qui va
s'aggravant au Darfour requiert de manière urgente
l'attention du G8. De jour en jour augmente le nombre
des victimes qui perdent la vie ou qui sont chassées
de leur foyer, et l'échec de la communauté
internationale, incapable de prendre des mesures efficaces,
devient d'autant plus scandaleux sur le plan moral.
Le G8 doit intensifier ses efforts pour garantir l'appui
de tous ses membres au Conseil de sécurité
afin de faire appliquer totalement le mandat donné
à l'ONU de renforcer la force de maintien de
la paix au Darfour. Il doit insister pour que le gouvernement
de Khartoum accepte le déploiement d'un plus
fort contingent de maintien de la paix, et il doit presser
toutes les parties au conflit soudanais d'adhérer
au cessez-le-feu et de respecter le droit humanitaire
international. Ces mesures nécessaires doivent
être prises de toute urgence si l'on veut mettre
fin à l'hécatombe et permettre à
la population du Darfour de rentrer enfin chez elle
libérée de la peur pour recommencer à
espérer en l'avenir.
Nous encourageons le G8 à renforcer
les efforts de maintien de la paix au Soudan et dans
les autres pays touchés par des conflits mais
aussi à soutenir l'édification de la paix
et les efforts de reconstruction dans les pays qui viennent
de sortir d'un conflit. Une meilleure coordination politique,
économique et sociale avec les États en
situation de conflit ou d'après-conflit amorcera
une approche plus globale visant à bâtir
une stabilité durable.
Nous saluons les efforts accomplis
pour prévenir l'exploitation illégale
des ressources naturelles. Cependant, le lien persistant
entre pauvreté et développement des ressources
naturelles, notamment en Afrique, appelle un engagement
plus poussé des nations les plus riches du monde.
En communion avec le pape Benoît, nous faisons
appel à la communauté internationale pour
qu'elle continue « à œuvrer en vue
d'une réduction significative du commerce des
armes, qu'il soit légal ou illégal, du
trafic illégal de matières premières
précieuses et de la fuite des capitaux des pays
pauvres, et elle doit s'engager à éliminer
les pratiques de recyclage d'argent sale et de corruption
de fonctionnaires dans les pays pauvres. » Enfin,
nous savons aussi qu'un nombre important de pays d'Afrique
travaillent déjà à réformer
leur système d'éducation de base. Un engagement
du G8 à accroître ses efforts pour qu'on
puisse mettre à la portée de tous les
enfants africains une formation de base de qualité
ne manquerait pas de transformer radicalement l'avenir
de l'Afrique.
Le Sommet du G8 étudiera plusieurs
dossiers qui revêtent une importance décisive
pour la vie et la dignité humaine. Nous prions
pour que votre rencontre connaisse la grâce d'un
esprit de collaboration qui permette aux dirigeants
du G8 de faire progresser le bien commun en adoptant
des mesures concrètes sur la pauvreté
globale, sur les soins de santé, sur les changements
climatiques et sur la paix et la sécurité.
Veuillez accepter, chers dirigeants,
l'assurance de nos sentiments les meilleurs.
+ André Gaumond
Archevêque de Sherbrooke
Président de la Conférence des évêques
catholiques du Canada
***
En concertation avec :
Son Éminence M. le cardinal Karl Lehmann, évêque
de Mainz, président de la Conférence des
évêques d'Allemagne
Son Éminence M. le cardinal Jean-Pierre Ricard,
archevêque de Bordeaux, président de la
Conférence des évêques de France
Son Excellence Mgr Augustinus Jun'ichi Nomura, évêque
de Nagoya, président de la Conférence
des évêques catholiques du Japon
Son Excellence Mgr Joseph Werth, évêque
de la Transfiguration à Novosibirsk, président
des évêques catholiques de la Fédération
de Russie
Son Éminence M. le cardinal Cormac Murphy-O'Connor,
archevêque de Westminster, président de
la Conférence des évêques catholiques
d'Angleterre et du pays de Galles
Son Excellence Mgr William S. Skylstad, évêque
de Spokane, président de la Conférence
des évêques catholiques des États-Unis
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