La souffrance et la vie
Chantal Sébire a été
retrouvée morte mercredi 20 mars à Dijon. Sa maladie
défigurative et incurable a fait l’objet d’un
vaste débat sur la légalisation de l’euthanasie
et du suicide assisté. Plusieurs évêques
sont revenus cette semaine sur la question de l’euthanasie
et ont proposé des éléments de discernement.
Cardinal Philippe Barbarin
Evêque de Lyon
Interview parue dans Aujourd’hui en France
16 mars 2007
« Il faut rendre hommage à la médecine
et au personnel soignant qui fait le maximum pour diminuer
la souffrance des malades. Ceux-ci ont besoin de notre compassion,
de notre présence et d'une infinie délicatesse,
pleine de silence et de respect. Mais il ne faut jamais légiférer
sous le choc de l'émotion. La loi Léonetti a
été votée à l'unanimité
par le Parlement. Au lieu de reconnaître un droit à
donner la mort comme en Belgique ou en Hollande, nous accompagnons
les malades jusqu'au terme de leur parcours, en luttant avec
eux contre la souffrance. Mais personne n'a le droit de donner
la mort. Cette loi a ouvert une « voie française
» qui inspire plusieurs de nos voisins. »
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Mgr Roland Minnerath
Archevêque de Dijon
Editorial de la Revue diocésaine
17 mars 2008
« J’ai été sollicité de
divers côtés de donner la position de l’Eglise
devant une demande d’euthanasie active, formulée
par une personne de Plombières-lès-Dijon. J’ai
préféré ne livrer ces réflexions
que maintenant, plutôt que de réagir sous la
pression des médias. Les réactions à
chaud ne permettent pas d’aborder avec le recul nécessaire
des problèmes humains aussi graves. Dans cette affaire,
nous ne voulons pas passer pour des donneurs de leçons,
mais nous présenter comme des frères en humanité
qui aident à discerner le chemin vers la lumière.
1. Tout d’abord
nous nous trouvons face à une personne qui souffre
et qui le fait savoir. Au-delà de la dimension médiatique,
nous pensons à elle et à son épreuve.
Les paroles sont toujours maladroites pour dire, avec toute
la retenue et la proximité nécessaires, notre
compassion et notre solidarité. Dans ces moments, il
est important qu’une personne ne se sente pas seule
à porter le poids de son épreuve. Nous prenons
alors tous conscience de la fragilité de nos existences.
Le drame de la souffrance interroge notre liberté.
Réclamer d’un tiers le geste qui vous prive de
la vie est un cri de désespoir. Mais aussi un appel
à l’aide. Comment aider une personne à
bout de force à ne pas en vouloir à la vie ?
Supprimer la souffrance est une chose, supprimer la vie en
est une autre.
2. Un large courant
d’opinion estime qu’il devrait être permis,
à certaines conditions, de donner la mort à
une personne atteinte d’une maladie incurable et qui
en fait la demande. Sous le coup de l’émotion,
on se laisse convaincre que la seule issue est alors de hâter
la mort. Cependant, notre jugement ne peut pas être
conditionné uniquement par l’émotion et
son amplification médiatique. Ce qui est en jeu, c’est
la valeur que nous accordons à notre humanité
même.
On prétend que la dignité d’une personne
serait diminuée en proportion de sa dégradation
physique ou psychique. Mais la dignité n’est
pas une variable, fonction de notre état de santé
physique ou mental, de notre âge, de notre fortune,
de notre culture ou de n’importe quoi. La dignité
nous est donnée avec la vie, elle est inaliénable.
Il ne nous appartient pas de décider qui est digne
de vivre, ou qui est digne d’être considéré
comme une personne humaine. La dignité doit toujours
être respectée.
Devant une maladie incurable, on doit rappeler les éléments
de discernement qui peuvent conduire à :
- soulager la douleur par les soins palliatifs, même
si les analgésiques peuvent amoindrir la conscience
de soi et abréger la vie,
- interrompre un traitement curatif sans espoir de guérison,
- éviter tout acharnement thérapeutique.
Dans ces critères apparaît le souci de soulager,
d’accompagner la personne, d’éviter la
douleur. Cette attitude est bien différente de celle
qui consiste à décider du moment de la mort
et à la donner. Le médecin a prêté
un serment dans lequel il promet d’exercer son art pour
guérir et non pour tuer. La raison et le cœur,
ces profondeurs de notre humanité, répondent
sans hésiter que la vie est inviolable, que nous devons
l’accueillir, l’éduquer, l’entretenir,
la soigner, la guérir. Mais pas la supprimer, même
si l’intention est d’éviter la souffrance.
Parler d’une « exception d’euthanasie »,
c’est ouvrir une brèche non seulement dans la
déontologie médicale universelle, mais dans
la notion même de l’indisponibilité de
la vie humaine. Il faut s’attaquer à la douleur,
pas à la vie. Avec affection et compassion, dans l’écoute
et l’espérance.
3. Les croyants ne
prônent pas une autre éthique que l’éthique
humaine accessible à tous. Mais notre foi nous éclaire
dans nos choix et nous comptons sur la grâce de Dieu
pour persévérer.
La vie n’admet pas d’être réduite
à ce qu’elle n’est pas. La vie ne nous
appartient pas comme un objet à notre disposition.
Nous sommes dans la vie. Il y a la vie biologique qui un jour
nous quitte ; il y a la vie relationnelle qui nous fait découvrir
la puissance de l’amour ; il y a l’Esprit qui
s’offre à notre accueil et anticipe en nous la
vie éternelle. Acceptons la vie comme une promesse.
Laissons-nous surprendre jusqu’au bout.
Ecoutons Saint Paul (2 Corinthiens
4,16-18) : « Nous ne perdons pas courage et
même si, en nous, l’homme extérieur
[notre être charnel] dépérit,
l’homme intérieur [notre être spirituel]
se renouvelle de jour en jour. Car nos détresses
d’un moment paraissent légères
au regard du poids extraordinaire de gloire qu’elles
nous procurent. Aussi nous attachons-nous non pas
à ce qui se voit, car ce qui se voit est provisoire,
mais à ce qui ne se voit pas, qui est éternel
».
En cette Semaine sainte, les chrétiens célèbrent
le mystère de la passion et de la résurrection
de Jésus. Comment ne pas reconnaître
que Dieu nous a rejoints dans nos souffrances, pour
nous en délivrer ? Pour nous dire qu’elles
ne doivent pas avoir le dernier mot sur nous. Le dernier
mot est la vie transfigurée du matin de Pâques.
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Mgr Dominique Rey
Evêque de Fréjus
Toulon
20 mars 2008
Chantal Sébire vient d’être retrouvée
morte à son domicile. Son décès marque
l’issue d’un drame humain atroce qui a été
largement médiatisé. Sa maladie défigurative
et incurable a fait l’objet d’un vaste débat
sur la légalisation de l’euthanasie et du suicide
assisté.
Il faut se garder d’instrumentaliser la tragédie
particulière d’une personne qui lutte avec la
mort. La législation actuelle est claire. Elle n’autorise
pas l’euthanasie qui serait la complicité par
l’Etat et le corps médical de la destruction
d’une personne. L’acceptation légale du
meurtre volontaire d’un malade de la part des médecins
et de la société ferait vaciller les principes
fondamentaux sur lesquels sont fondés le vivre ensemble
et le respect de chacun. On ne peut disposer de la vie d’autrui.
Confronté au problème de la mort, le médecin
est d’abord au service de la santé. Le code de
déontologie médicale le rappelle : " Le
médecin n’a pas le droit de provoquer délibérément
la mort ". Une société ne peut décider
qui doit vivre et qui doit mourir et si telle vie vaut la
peine d’être vécue. Un passé récent
souligne les dangers eugénistes que ferait encourir
une telle dérive. En viendra-t-on à refuser
de réanimer quelqu’un qui aurait décidé
de se suicider ? Pour supprimer la souffrance, doit-on supprimer
la vie ?
Le cadre législatif actuel sur l’accompagnement
vers la fin de vie propose des solutions palliatives qui respectent
à la fois le caractère inviolable de la vie
humaine, et d’autre part, le refus d’un acharnement
thérapeutique, qui mettrait en œuvre des moyens
disproportionnés. Dans certains cas, le médecin
pourra proposer des sédations avec un effet anesthésiant,
ou l’utilisation adaptée d’antalgiques,
en phase terminale. Il revient aux spécialistes de
la douleur de définir les justes prescriptions pour
soulager les souffrances et les douleurs, tout en ne provoquant
pas activement la disparition d’un être humain,
car sa vie est sacrée.
La méditation de la passion du Christ au cœur
de cette semaine sainte peut éclairer la manière
dont les croyants peuvent aborder la question de la mort et
de la souffrance qui l’accompagne. L’agonie de
Jésus souligne le caractère intolérable
de la mort d’un Juste innocent.
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