Le pape a donc adressé deux invitations aux catholiques
dans le voisinage de Noël : une invitation au jeûne
le 14 décembre et une invitation à la prière,
dans " l'esprit d'Assise ", le 24 janvier.
La première de ces deux invitations ne risque pas d'être
relayée médiatiquement, car elle n'a, en elle-même,
rien de spectaculaire. Dans le monde musulman, chaque soir
du ramadan, la rupture du jeûne donne lieu à
des festivités dont le journaliste et le photographe
peuvent rendre compte. Mais il n'est pas prévu de banquet
au Vatican le 14 décembre au soir.
Si nous voulons que la journée du 14 décembre
marque la célébration de Noël 2001, il
faut donc que nous nous mobilisions nous-mêmes, sans
attente et sans écho dans l'opinion. La première
tâche est de réfléchir au(x) sens que
ce geste peut avoir. Remarquez la bizarrerie du mot "
sens ". Il s'écrit de la même manière
au singulier et au pluriel. Y aurait-il donc plusieurs sens
légitimes, convergeant dans une même direction
? Ce serait un bel exemple de communion !
Une pratique chrétienne
Le jeûne n'est-il pas complètement dépassé
dans le Nouveau Testament ? N'est-ce pas une observance commune
aux religions, dont l'Evangile nous a libérés
?
Les questions de nourriture et de repas tiennent une place
importante dans le Nouveau Testament. Jésus supprime
la distinction entre les aliments purs et impurs. Toute nourriture
est sainte si elle est prise dans l'action de grâce.
S'il ne faut pas consommer les viandes sacrifiées aux
idoles, c'est pour ne pas scandaliser (mot très fort
dans le Nouveau Testament) ceux qui y verraient un sacrilège.
" Le Royaume de Dieu ne consiste pas en des questions
de nourriture et de boisson ", écrit Saint Paul
dans l'épître aux Romains. II s'agit toujours
du problème de la pureté rituelle. Quant au
jeûne, nous voyons dans les Actes des Apôtres
et dans les épîtres de Paul que la communauté
primitive pratique le jeûne, par exemple avant des envois
en mission.
Les évangiles nous montrent souvent Jésus à
table: les peintres et les cinéastes s'en félicitent.
Jésus lui-même établit le parallèle
entre Jean-Baptiste et lui : le Précurseur était
un ascète ; le " Fils de l'homme ", mange
et boit. II est traité de " glouton " et
d' " ivrogne ".
Mais il ne faudrait pas oublier d'autres scènes ou
paroles évangéliques. Certains esprits ne seront
pas expulses sans le jeûne et la prière. Le discours
sur la Montagne donne des indications sur le jeûne qui
plaît à Dieu : c'est celui qui est accompli sincèrement,
sans désir de se montrer ou de faire la leçon
aux autres. Les disciples n'ont pas à jeûner
tant que l'Epoux est avec eux ; mais un temps viendra ou l'Epoux
leur sera enlevé : en ce temps-la, ils jeûneront.
Ce temps, c'est celui de la Passion, mais aussi le temps présent,
entre les deux venues corporelles du Christ, dans l'humilité
pour la première, dans la gloire pour la seconde.
Après son baptême, Jésus a jeûné
quarante jours. C'est une des sources de notre Carême.
Suivre le Christ, s'inspirer du Christ, c'est donc aussi jeûner
puisqu'il nous enseigne par ses actes plus clairement encore
que par ses paroles.
Jeûner avant Noël 2001
Pour la raison évoquée plus haut, le jeune
est plutôt associé au Carême qu'à
l'Avent : nous sommes accoutumés, durant le Carême,
aux soirées " bol de riz " dans les paroisses
ou à leur équivalent dans les écoles
catholiques.
Mais cette année, le pape nous propose de marquer l'Avent
par une journée de jeune. Cela doit nous permettre
de redécouvrir le sens de l'Avent comme temps de pénitence
et non comme l'anticipation des " fêtes ".
Depuis longtemps, les catholiques fervents regrettent que
Noël ait été annexé par le commerce.
Or dès le jour de Noël, la France entre en léthargie
: ce n'est plus le moment d'acheter. Les commerciaux sont
donc presque obligés d'anticiper Noël. Dès
le lendemain de la Toussaint, les magasins réorganisent
leurs vitrines et leurs rayons en fonction de Noël :
cette tendance est durable (humainement, rien n'est définitif.
Plutôt que de se lamenter sur ce qui nous échappe,
mieux vaut, pour les chrétiens, conquérir une
certaine indépendance dans la façon de vivre
la préparation de Noël. La célébration
elle-même sera positivement affectée par la préparation.
Une journée de jeûne peut être un signe
marquant sur la route de Noël.
Cette année, le battage publicitaire autour de Noël
a baissé d'un ton et a commencé plus tard :
le climat n'y était pas et un minimum de décence
s'imposait. II est souhaitable que les catholiques aillent
plus loin et ne se contentent pas de subir l'ambiance du jour
: un acte de jeune sans ostentation, mais sans honte, susciterait
peut être un certain intérêt dans un public
plus vaste que celui du noyau dur des pratiquants.
La crise terroriste n'a pas son origine dans les problèmes
économiques. Mais la frustration des pays du Sud en
majorité par rapport à la puissance économique
du monde occidental et de son emblème, les Etats-Unis,
est le carburant qui entretient et risque d'entretenir durablement
l'hostilité à l'échelle planétaire.
Les catholiques occidentaux font partie du monde libéral.
Ils ne doivent pas être hypocrites puisque, pour la
plupart, ils en profitent : " Rendez à César
". Mais la journée de jeûne pourrait nous
faire prendre conscience de notre passivité dans l'évolution
économique du monde : il ne faut pas laisser le pape
parler tout seul. Le jeûne est une prise de distance
par rapport à l'idéologie dominante, poussant
a la consommation maximale.
Le jeûne authentique ne peut être séparé
du partage. II en est ainsi en Islam parce qu'il en était
déjà ainsi dans le monde biblique. Chaque année,
au Carême, nous réentendons l'oracle d'Isaïe
sur le " jeûne " que Dieu " aime ".
Un chant liturgique largement répandu a popularisé
ce message.
Quand Jésus propose à quelqu'un de le suivre
en abandonnant ses biens, il demande de les vendre pour en
donner le profit aux pauvres. La où les paroisses prendront
l'initiative d'inviter leurs membres à jeûner,
qu'elles n'oublient pas cette dimension.
A la Grotte de Lourdes, une heure de prière sera animée
par le Père Yves Chalvet, le 14 décembre entre
12 heures et 13 heures. Une collecte sera organisée
au profit de l'Afghanistan et sera confiée à
la Caritas internationale.
+ Jacques Perrier
évêque de Tarbes et Lourdes
|
|