«Cest Noël, lOccident sempiffre ».
Qui se souvient de ce mot de Mauriac ? Que dire, 40 ans
plus tard, après une entrée dans le nouveau
millénaire marquée par cette impuissance de
lhumanité à vivre dans la fraternité
et la paix ? Faut-il, quau-delà des réveillons
à 20.000 euros par tête, il nous soit possible
de songer encore «au gui, lan neuf »,
en regardant lavenir avec espoir ? Je me propose
ici doffrir deux pistes de renouveau possible. Distinctes
lune de lautre, elles ne sont pas sans rapport
lune avec lautre. La première concerne
les échéances électorales de 2002. La
seconde certaines leçons à méditer après
les attentats du 11 septembre.
Le goût de la démocratie
Notre vieille démocratie montre à lévidence
des signes de lassitude. Elle est usée, malade. Et
pourtant, jusquà plus ample informé, nest-elle
pas le moins mauvais des régimes ? Les élections
sont une opportunité pour lui redonner un peu de souffle.
Avant délire un nouveau Président de la
République, puis un Parlement, quelques questions méritent
dêtre posées. A nos candidats dabord,
puis à nous autres, les électeurs. Mais au fait,
les candidats, en démocratie, sont aussi des électeurs.
Mesdames, Messieurs, qui vous présentez à nos
suffrages, soyez félicités pour votre courage.
A court ou à moyen terme, nous écouterons vos
promesses avec attention. Le long terme nest-il pas
cependant encore plus important ? Que nous dites-vous
de la France, dans lUnion européenne et dans
le monde ? Quelle lecture faites-vous de son histoire,
de son tissu humain, des valeurs qui lui ont permis de se
hisser à son rang, de sa capacité de médiation
entre civilisations et cultures ? Nous avons certes besoin
de vos compétences techniques pour nous aider à
résoudre les difficiles problèmes du quotidien.
Mais, las du prêt à penser, nous serons plus
vigilants encore sur votre hauteur de vue.
Nous, vos électeurs, nous sommes prêts à
remplir notre devoir. Mais nous ne voulons pas être
considérés comme de simples consommateurs. Nous
avons notre expérience propre de la vie individuelle,
familiale, associative, et celle-ci, dans sa substance, échappe
aux paramètres des instituts de sondage. Nous ne boudons
ni le débat ni laction. Mais est-ce pour en rester
à la défense de nos acquis catégoriels ?
Ou bien, croyons-nous encore quil existe un bien commun,
supérieur au seul partage équitable de «la
cagnotte » ? Par-delà leurs divergences
légitimes, quest-ce qui unit les membres dun
même pays ? Quelle est la note quil leur
faut faire entendre ensemble dans le concert de lEurope
et du monde ? Sans réponse sur ces points, toute
politique est condamnée à linsignifiance.
La question sécuritaire est grave, cest vrai.
Le sens de lautorité, que ce soit à lécole
ou aux divers échelons de lEtat, lest davantage.
Faire face au défi du terrorisme
Dans son message de Paix pour le 1er janvier, Jean-Paul II
évoque le combat de sa vie pour préserver la
dignité de la personne face aux totalitarismes. Il
condamne sans appel le terrorisme. Artisanal ou techniquement
très sophistiqué, comme lors des attentats du
11 septembre, celui-ci prétend faire justice au moyen
dune violence absolue dont les premières victimes
sont des innocents. Mais deux choses intriguent dans ce phénomène.
Dabord, son rapport caché, à léchelle
planétaire, avec les réseaux de largent
sale. Ensuite, son utilisation de la religion.
Les totalitarismes du siècle passé, eux aussi,
avançaient masqués. Le nazisme prétendait
défendre les prérogatives dune race et
le marxisme se disait le porte-parole des pauvres : ils ont
semé des millions de morts. Mais après tout,
ces totalitarismes-là niaient Dieu. Le terrorisme,
lui, va plus loin. Il tue au nom de Dieu ! Il prend des
populations entières en otage sous prétexte
de les libérer du «modèle occidental »
et sème le chaos en quelques minutes, au prix de la
vie de ces «kamikazes », pauvres jeunes entraînés
sur la voie dun sectarisme fermé à tout
dialogue.
Comme laffirme le Pape, «cest une profanation
de la religion que de se proclamer terroriste au nom de Dieu ».
Mais nous devons nous interroger sur la persistance dinégalités
qui alimente les frustrations, terreau possible du terrorisme :
«Il ny a pas de paix sans justice. Il ny
a pas de paix sans pardon ». Il ne suffira donc
pas de débusquer le terrorisme et de le combattre.
Il est nécessaire de réfléchir sur ses
causes et sur les paradis fiscaux où se réfugient
ses commanditaires. Il est au moins aussi urgent de redonner
sens à laventure humaine.
Dans mon cur dévêque, je prierai,
la nuit de Noël, pour que se lèvent dautres
chercheurs de Dieu. Le Dieu de Pascal et de Bach, de Martin
Luther King et Mère Teresa. Un Dieu de vérité,
de beauté et damour. Jésus-Christ. Le
«modèle occidental », dans le respect
des consciences et le dialogue des religions, y perdra en
arrogance. Mais il y gagnera en humanisme pour des temps nouveaux.
Il ne se satisfera pas dune compétition entre
le dollar, le yen et leuro. Il puisera dans ses sources
pour donner à la fraternité un Visage capable
de mobiliser des libertés au service de la famille
humaine.
+ Olivier de Berranger, évêque de Saint-Denis
décembre 2001
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