Le
comportement des chrétiens à l'égard
de l'Église du ciel est étrange et dramatique
mais heureusement, la fête de la Toussaint nous donne
l'occasion de tourner nos regards vers le ciel. L'Église
du ciel et l'Église de la terre ne sont qu'une seule
Église, un seul et unique corps du Christ bien que
sous deux états différents. Malheureusement
trop souvent nous rechignons à regarder du côté
du ciel. Il est vrai que notre imagination n'a aucune part,
mais pourtant la révélation et la foi nous apprennent
un certain nombre de vérité concernant l'Eglise
du ciel.
Laissons de côté l'imagerie selon laquelle les
bienheureux passeraient leur ciel à se promener dans
les allées du Paradis avec des palmes à la main.
La vie des bienheureux est toute illuminée et habitée
par la vision de Dieu, par leur intimité avec lui,
mais cette intimité, si elle forme l'essentiel de leur
vie, n'en est pas le tout. Il y a dès avant la Résurrection
de la chair, une vie intense dans le ciel, de nombreux événements
s'y produisent: de nouveaux bienheureux arrivent et sont accueillis,
des amitiés se nouent, des échangent s'établissent
entre les bienheureux et avec les anges; chaque fois qu'un
pécheur se convertit sur la terre, les anges et les
saints se réjouissent et laissent éclater leur
joie ; de même, des âmes nouvellement délivrées
du purgatoire arrivent à leur tour dans la cité
du ciel.
Et ce monde qu'ils ont quittés, les bienheureux continuent
à s'y intéresser, et ils s'instruisent les uns
les autres de ce que Dieu attend d'eux et de leur prière
pour l'Église de la terre. Ils interviennent dans notre
monde, ils y sont présents par leur amour et leur action,
par leur prière et les inspirations qu'ils nous donnent.
L'amour qu'ils avaient ici-bas pour leurs amis, leur famille,
n'a pas disparu dans la mort, bien au contraire, il est maintenant
purifié de tout ce qu'il pouvait avoir de trop humain
et ils peuvent maintenant donner libre court à la charité
qui les habitent.
Ainsi, le ciel est bien présent, invisiblement, au
coeur de notre monde, dans chacune de nos églises,
en chacun de nos tabernacles, auprès de l'eucharistie.
Certes les bienheureux ne sont pas sacramentellement présents,
mais ils le sont par leur adoration de Jésus, leur
amour pour lui et leur amour pour nous.
N'ayons pas peur de prier nos frères les saints, n'ayons
pas peur d'en faire nos amis, mais peut-être, au lieu
de les prier à nos intentions à nous, nous pourrions
les prier davantage à leur intentions à eux
nous concernant et concernant notre Église de la terre.
En effet, ils ont sûrement leur idée et leurs
intentions à eux au sujet de la vie et du comportement
de chacun de nous et de ce qui est le meilleur pour notre
Église de la terre aujourd'hui. Une communion vivante
devrait nous unir à eux et nous conduire à prier
pour la réalisation de leurs désirs à
eux touchant les choses d'ici-bas.
Il faudrait prendre également le temps de parler non
pas des saints canonisés, mais des autres saints, saints
inapparents qui ont vécu ici-bas la vie de tout un
chacun, mais qui sont entrés tout droit paradis au
moment même de leur mort car ils s'étaient laissés
habiter par l'amour de charité répandu dans
leur coeur par l'Esprit Saint qui leur avait été
donné. Et cette foule immense nous touche tous, car
dans chacune de nos familles il y a certainement des saints
cachés, parmi nos parents, nos amis, ceux que nous
avons connus et qui nous ont connus et aimés ici bas.
Dieu n'est pas avare de sa grâce.
Tous ces saints ont emportés au ciel le souvenir de
leur époux ou épouse, de leurs enfants, de leurs
amis. Ils continuent de les aimer comme ils les aimaient ici-bas,
même si cet amour est maintenant surélevé
et transfiguré par l'amour surnaturel qui les habite
maintenant pleinement. Ils continuent à porter et à
partager leurs soucis, à prier pour eux.
Tous ces gens qui commencent leur éternité pendant
que nous sommes encore sur la terre, nous nous souvenons d'eux,
nous pouvons les évoquer, les tirer par la manche pour
leur demander un coup de main, ils forment une espèce
de frange par laquelle l'Église du ciel est à
chaque génération en contact direct avec l'Église
de la terre. Il me semble même que Dieu leur confie
une nouvelle mission, celle de nous aider à prendre
à notre tour le chemin du ciel, à nous préparer
à les rejoindre quand le moment sera venu.
Alors n'ayons pas peur de tourner résolument nos regards
vers l'Église du ciel.
+ Jean-Pierre Cattenoz
N.B Je me suis inspiré pour écrire
ce texte d'une conférence de Jacques Maritain, publiée
dans le volume XIII de ces oeuvres complètes sous le
titre "A propos de l'Église du ciel"
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