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Dossiers spéciaux
Interview du père Philippe Vallin, c.o., secrétaire de la commission doctrinale de la conférence des évêques de France, Snop 1158, 5 avril 2004



 

"II n'y a pas assez d'amour dans la croix de Mel Gibson"
Bien avant sa sortie en France, le mercredi 31 mars, La Passion du Christ, de Met Gibson, a suscité de nombreuses réactions et polémiques. Le père Philippe Vallin, secrétaire de la Commission doctrinale, nous livre son analyse du film.

SNOP : La Passion du Christ est-il, selon vous, un film réussi ?

Père Philippe VALLIN : Je ne dirai pas que c'est un film réussi, car c'est très difficile de réussir un film qui suggère le mystère du Christ. Le cinéma est trop mimétique : il croit tout montrer et il manque ce qui se montre à peine. Le Christ de l'Évangile, par exemple, est un Dieu résistible : on peut dire oui ou non à son amour immense, alors que le Christ de ce film ne laisse pas de liberté : il fait un choc irrésistible qui prend en otage la sensibilité du spectateur. Comment dire oui ou non à l'horreur de la souffrance ?

C'est en revanche un film efficace, avec un très bon casting, susceptible de toucher un public adepte d'un cinéma aux sensations fortes. En fait, c'est un film sidérant, au sens propre : il confisque la liberté du jugement, et donc la liberté d'écoute constitutive de l'acte de foi.

L'intention de Mel Gibson de réaliser un film avec de gros moyens sur la Passion du Christ n'est-elle pas louable ?

Il faut saluer l'engagement personnel d'un cinéaste qui risque sa réputation dans un témoignage de foi : la chose n'est pas si fréquente. Ceci dit, s'il n'y a aucune raison de douter de la sincérité chrétienne de M. Gibson, son témoignage n'est pas chimiquement pur. Celui de Michel-Ange, dans la fresque du Jugement dernier de la chapelle Sixtine, ne l'est pas non plus ! Un film qui mélange les récits des quatre évangiles, qui prétend confondre quatre témoignages en un, ne peut échapper aux déformations imposées par ses choix. Et il y a ici des déformations de grave portée. En revanche, ce témoignage rude interroge à coup sûr la foi des chrétiens français, victimes d'un probable affadissement de leur vision du Christ. On a sans doute trop mélangé d'eau le message du Christ qui est un vin nouveau.

N'y a-t-il pas un véritable danger sur le plan théologique à isoler la Passion du reste de la vie du Christ ?

Dans son film, Mel Gibson éclaire d'une lumière blafarde le bout du chemin sans montrer le chemin du Christ : on ne sait pas d'où il vient ni où il va.

En isolant la Passion de la prédication de Jésus, d'un côté, et de sa Résurrection de l'autre, ce film gomme des aspects essentiels de la vie du Seigneur, et cet isolement des scènes de la Passion débouche sur une brutalité presque absurde. La violence - qui n'est pas exagérée sans doute - réduit la dramaturgie de la Passion à un lynchage. Il est particulièrement regrettable que soient occultés tous les motifs complexes qui ont suscité à la fois l'adhésion des foules à Jésus et les controverses sur sa personne. En dissociant la Passion du Christ de ses paroles, on éclipse le fait qu'il a tissé avec ses auditeurs des liens de compréhension et d'incompréhension mutuelles, des liens pris au fond commun des Écritures et des prophéties. Combien d'heures d'échanges pendant lesquelles s'est prononcée la vive Parole de Dieu ! Les terribles silences de "l'agneau muet mené à l'abattoir" ne viennent qu'après ces tentatives de l'amour qui parle et qui écoute.

On entre, chez Mel Gibson, dans un système paradoxal de la non-violence : il redouble la violence parce que le Christ semble n'avoir jamais résisté aux méchants, et qu'il appellerait presque sur lui leurs coups. Or, le Jésus des évangiles n'a aucune prédisposition psychologique à la non-violence masochiste, comme pourrait le laisser croire le film, faute de montrer toutes les controverses. Jésus ne fut pas un prophète de guimauve : il fut le Christ d'une prédication et d'une prétention fortes et neuves. Les évangiles sont saturés de la liberté de Jésus et de ses initiatives souveraines. Et l'acte de la croix lui-même est le comble d'un acte de force et non de démission : la force divine d'aimer.

Cette option d'isolement de la Passion conduit à une autre équivoque théologique de grande portée : l'intention de salut et de pardon qui dirige l'existence du Fils de Dieu venu parmi les hommes n'est pas a priori sous la nécessité de se négocier au prix du sang, selon une espèce de règle abstraite de compensation qui obligerait Dieu lui-même. " Ma vie, nul ne la prend mais c'est moi qui la donne", dit Jésus.

"Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi ne peut pas être mon disciple", peut-on également lire dans saint Luc (14,27). Ce film ne risque-t-il pas de dénaturer le Mystère de la croix ?

C'est une des limites du film. Il montre une croix repoussante et inimitable. Chez lui, les déraisons de la violence ont plus l'occasion de s'exprimer que les raisons de l'amour. On est plus occupé de la trahison de Judas, travaillée en forme fascinatoire, que par la fidélité bien plus mystérieuse du "disciple bien-aimé". On ne saisit guère les raisons de la foi et de l'amour qui conduisent ce dernier, avec Marie, à suivre Jésus jusqu'au calvaire, alors qu'on est cerné par les déraisons du Sanhédrin. Si Mel Gibson avait montré la vie publique de Jésus, on aurait compris les raisons des disciple, et leur montée en puissance après la Résurrection.

Il y a beaucoup plus qu'une compassion désespérée dans les gens qui suivent Jésus jusqu'au bout : il faudrait voir qu'il y a plus de foi que de douleur, plus d'agapé, de charité reçue de Dieu, que de dévouement viscéral dans Marie debout devant la Croix. Est-ce qu'elle n'a pas compris déjà que commence là l'histoire nouvelle ? Est-ce qu'elle ne contemple pas dans la croix de son fils quelque chose de l'extrême de l'amour qui dépasse pour jamais l'extrême du mal. C'est cet amour qu'il faudrait imiter à l'invitation de Jésus. Il n'y a pas assez d'amour dans la croix de M. Gibson.

On a accusé ce film de véhiculer un message antisémite ? Quel est votre sentiment sur cette question ?

Je ne crois pas qu'il y ait d'intention antisémite. En revanche, le choix de ne pas montrer les controverses très fortes entre Jésus et les Pharisiens et les scribes aboutit à un effet de mutilation mécanique. Le film ne montre que l'hypocrisie et le péché des juifs du Sanhédrin, en oblitérant leurs motifs beaucoup plus légitimes, comme cette résistance à la prétention de Jésus, exorbitante à leurs yeux, que Dieu est son Père, prétention difficilement soutenable au regard de l'Ancien Testament lui-même, au moins dans sa lettre. En les faisant apparaître au procès animés d'une colère démente et sournoise, le film livre une représentation tronquée du choc que Jésus a pu provoquer au milieu de ses frères par ses "prétentions", comme dit la théologie actuelle.

M. Gibson s'est en outre référé, paraît-il, aux révélations privées de Catherine Emmerich, avec des références à des diableries sans doute très filmiques, mais susceptibles de faire ressurgir de vieux fantasmes antisémites (comme cet enfant au visage déformé qui mord Judas jusqu'au sang).

Conseilleriez-vous d'aller voir ce film ?

Objectivement, un chrétien convaincu n'a pas besoin d'aller voir ce film, qui pourrait même déséquilibrer sa foi dans son rapport à la croix. En même temps, les chrétiens doivent se sentir le devoir, la responsabilité, d'y aller pour répondre aux questions de tous ceux qui n'ont pas ou peu la foi, afin de témoigner du mystère intégral de la croix glorieuse et de la croix de vie. Il faut en tout cas reconnaître un côté positif du film, c'est que grâce à sa sortie, Jésus revient sur le devant de la scène. Ce serait meilleur de notre point de vue qu'Il y trouve l'occasion de revenir au dedans des cours !

Propos recueillis par David Moussu