Á la cathédrale
Sainteté,
Vous venez d’entrer dans cette cathédrale dédiée
par ses constructeurs à la Vierge Marie, dans la gloire
de son Assomption. Voilà cinquante ans, les États
fondateurs du Conseil de l’Europe ont en quelque sorte
renouvelé cette dédicace en offrant le vitrail
sous lequel nous nous trouvons, représentant la Mère
de Dieu portant son Fils Jésus, en remplacement d’un
vitrail semblable, pulvérisé sous les bombes
de la seconde guerre mondiale.
Vous l’avez compris, Sainteté, la région
qui vous accueille, l’Alsace, mais aussi singulièrement
la ville de Strasbourg et sa cathédrale, se trouvent
placées par la géographie et par l’histoire
en un lieu de déchirures et de combats sanglants. Le
fleuve du Rhin a symbolisé pendant plusieurs siècles
une coupure entre deux nations qui appartenaient pourtant
à la même culture européenne et se revendiquaient
de la même religion chrétienne.
C’est la raison pour laquelle les Pères de
l’Europe ont jugé que ce lieu était prédestiné
pour recevoir l’Institution chargée de construire
la « maison commune » de tous les peuples de notre
vieux continent. Depuis, de multiples ponts ont été
édifiés sur le Rhin, les uns réels, les
autres –bien plus nombreux– symboliques, économiques,
juridiques, mais aussi spirituels.
Il est heureux que nos Églises chrétiennes
se situent résolument au cœur de ce grand mouvement
qui voit converger des peuples jadis opposés. L’enseignement
du Christ les y engage. De plus, la longue expérience
qu’elles ont acquise en matière de divisions
–hélas !– mais aussi –grâce
à Dieu !– de réconciliations les qualifie
pour se situer aux avants postes de la construction européenne.
Peut-on dire que la chute du Mur de Berlin, et ses conséquences
pour la réunification de l’Europe, appelle une
autre chute, celle de ce mur invisible qui, voici bientôt
mille ans, a séparé douloureusement l’Orient
et l’Occident ? Comment pourrions-nous, en vérité,
inciter les responsables politiques à œuvrer à
la réconciliation entre nos pays si nous, responsables
religieux, ne nous consacrions pas de toutes nos forces à
une réconciliation semblable, en vue d’une pleine
communion de l’Église du Christ ?
Á travers vous, Sainteté, nous saluons ce
soir la grande Tradition de l’Orient et ses multiples
richesses mystiques, patristiques et liturgiques. Depuis des
décennies, l’Église catholique se désaltère
à la source ancienne et toujours actuelle des Pères
de l’Église, d’Orient tout autant que d’Occident,
sans ignorer, en France notamment, le précieux apport
des théologiens orthodoxes russes du XXème siècle.
Nous avons appris à mieux connaître et apprécier
les trésors de la liturgie orthodoxe mis à notre
portée : le concert spirituel de ce soir en est un
exemple évident. Il convient enfin de souligner l’intérêt
grandissant des chrétiens occidentaux pour les vénérables
icônes de la tradition orthodoxe, notamment russe, qui
introduisent si bien à l’invisible du Mystère
divin.
Á travers votre personne, c’est encore l’Église
de la persécution et du silence que nous accueillons
et saluons avec un profond respect. Ici, en Alsace, région
annexée brutalement par le Reich nazi, nous avons une
expérience particulière qui nous permet probablement
de communier plus facilement aux souffrances qu’un régime
totalitaire vous a fait si longtemps subir.
Mais voici que nous nous tournons vers l’avenir. Persuadés,
avec le grand pape Jean-Paul II, que l’Europe ne saurait
être complète sans ses « deux poumons »
oriental et occidental, nous sommes désormais décidés
à unir nos forces pour les grands défis que
nous avons à relever. Puisque nous sommes les uns et
les autres dépositaires du riche héritage chrétien,
il nous appartient ensemble de veiller à ce que les
valeurs qui ont façonné la culture européenne
ne soient pas altérées ou rejetées. Le
pape Benoît XVI s’est exprimé clairement
à ce sujet le 27 mars dernier, à l’occasion
du 50° anniversaire des Traités de Rome : «
Les valeurs qui constituent l’âme du continent
doivent rester dans l’Europe du troisième millénaire
comme un ‘ferment’ de civilisation » , et
encore « Une communauté qui se construit sans
respecter la dignité authentique de l’être
humain, en oubliant que chaque personne est créée
à l’image de Dieu, finit par n’accomplir
le bien de personne » . Nos valeurs communes constituent
le support évident de nos actions concertées.
Cependant, il paraît important que nous n’apparaissions
pas, orthodoxes et catholiques, comme un front du refus face
à toute évolution de notre continent, comme
si nous mettions en commun nos forces pour obtenir ensemble
ce que nous ne pouvons plus espérer obtenir séparément.
Une telle image serait caricaturale du rôle que nous
prétendons jouer. Voilà pourquoi, en plus de
défendre des valeurs humaines fondamentales qui nous
paraissent menacées, nous voulons nous situer comme
des forces de proposition dans de nouveaux domaines qui interrogent
la conscience humaine.
Dans ce cadre, la question de l’écologie et
du devenir de notre planète constitue probablement
un lieu majeur qui appelle notre engagement commun. Puisque
nous reconnaissons que la terre est un don de Dieu, nous comprenons
que nous ne pouvons ni mépriser ce don, ni le dilapider.
Par nos prédications et nos catéchèses,
nous pouvons aider nos fidèles à prendre la
mesure des efforts à entreprendre et des progrès
à réaliser.
Sainteté, soyez vraiment bienvenu à Strasbourg
et dans cette cathédrale, qui se souvient de la venue
de Sa Sainteté le Patriarche œcuménique
Bartholoméos Ier il y a six mois, mais aussi de celle
du Métropolite Daniel, l’année passée,
appelé depuis à succéder au Patriarche
Teoctist de Roumanie. Nous sentons ainsi fortement combien
la Tradition de l’Orient est décidée à
prendre toute sa place en Europe et, selon la belle expression
du cardinal Schönborn, à apporter « le trésor
de l’orthodoxie à l’Occident » .
À un journaliste français vous citiez, récemment,
la parole de Pascal : « Pour comprendre il faut aimer
». Aussi, « avec compréhension et amour
», au nom de tous les chrétiens ici présents
ce soir, Sainteté, nous vous saluons et vous accueillons
dans la charité qu’est Dieu.
Puisque l’Europe est notre maison commune, aménageons-la
ensemble !
Puisque l’Évangile du Christ nous est commun,
annonçons-le en concertation !
Puisque la confession de la Très Sainte Trinité
est notre foi commune, agissons pour sa gloire et pour le
salut de notre monde !
Puisse la Sainte Mère de Dieu, honorée en cette
Cathédrale, présenter cette prière à
son Divin Fils, AMEN !
+ Jean-Pierre GRALLET
Archevêque de Strasbourg
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