Si nous parlions du Carême
!
Texte du P. Gildas Kerhuel
Secrétaire général adjoint de la Conférence
des évêques de France
Le Carême, qui cette année revient
très tôt, est comme à chaque fois une
nouvelle page qui s’ouvre dans le livre de notre année
de chrétien. Certains l’aborderont avec regret,
car le temps de Noël n’est pas encore très
loin et la période des vœux à peine terminée.
D’autres par habitude, qui permet au prêtre de
changer la couleur de sa chasuble et aux laïcs de faire
un hygiénique effort symbolique de partage. Il y a
ceux qui le vivront pieusement, car c’est l’occasion
d’intensifier leurs pratiques spirituelles, ou encore
intensément comme l’un des grands « temps
forts » de l’année. Sans oublier le grand
branle-bas de toutes les organisations humanitaires qui nous
aident à concrétiser notre amour pour le prochain.
En même temps, nous tous, évêques, prêtres,
équipes pastorales, liturgiques ou autres, feront notre
cure de réunions du soir, d’homélies à
thème, d’efforts multiples pour sortir nos communautés
des ornières du quotidien, en accélérant
le pas sur la route qui mène au Christ… Il y
a, enfin, last but not least, tous ceux pour qui cela ne dit
plus rien… au-delà de la faible nostalgie des
engouements d’antan !
Le Carême
se vit « la tête parfumée »
Coincés entre mondialisation et sécularisation,
individualisme, confort et stress semi-permanent, la première
ascèse que nous ayons à faire n’est-elle
pas de prendre un peu de hauteur pour redonner et renforcer
le sens de cette entreprise ? Regardons de plus près…
L’élan du Carême se nourrit de l’attractivité
de Pâques. Si celle-ci, à l’aune du monde
moderne, décline, celui-là sombre. Il n’en
devient dans le contexte actuel, par contraste, que plus étonnant
que, préparant si rapidement ou bien peu nos messes
de chaque dimanche, nous ne prenions pas moins de quarante
jours pour préparer celle de Pâques ! Consentir
à un tel effort et l’organiser souligne, dans
les faits au-delà des mots, l’exceptionnalité
et la centralité de cette grande fête dans notre
vie de croyants. Cela rappelle en même temps à
tous ceux qui s’y consacrent et la promeuvent que nos
efforts de Carême dans les trois grandes directions
du partage, de la prière et de l’ascèse
l’ordre n’est pas indifférent , traditionnels
en Église depuis que Matthieu eut écrit le chapitre
six de son évangile, ne sont pas des préalables
à cette fête, mais des conséquences de
notre foi. C’est bien elle qu’il convient de nourrir
en premier, en contexte d’évangélisation,
si l’on veut dépasser nos simples habitudes pour
atteindre un point de vérité dans le va-et-vient
œuf et poule… entre la foi et les œuvres dont
parle si bien saint Jacques…
L’une des conséquences en est que le Carême,
au-delà de la nécessaire reprise en main de
nos travers récurrents, se vit « la tête
parfumée » (Mt 6) dans la lumière et la
joie pascale qui nous baignent depuis deux mille ans. Évidemment,
pour la visibilité médiatique, c’est moins
payant ! Il y a manière et manière d’en
rendre compte. L’arbre, dit-on, se juge à ses
fruits…
À ce niveau, il est évident que la joie profonde
dont nous devons rayonner est bien différente des paillettes
d’une société souvent artificielle. La
grâce du Carême est à inscrire dans les
attentes de nos contemporains sur de vrais sujets qui tracassent
les personnes et interrogent les systèmes socio-économiques
comme les régimes politiques. De quelle qualité
humaine, de quel équilibre de vie, de quel respect
de la nature entre pénurie de pétrole, taux
d’oxyde de carbone en ville et de nitrate en rural,
de quel souci de l’autre, à notre porte ou au
loin, sommes-nous artisans à notre niveau et selon
nos responsabilités, avant de devenir témoins
? L’opinion publique de Jean-Baptiste déjà,
dans le sillage de tous les saints ensuite, et jusqu’à
aujourd’hui, ne s’y trompera pas. Le Carême,
de par nos actes, nous appelle à « rendre compte
de l’espérance qui est en nous ».
L’action se
nourrit de la prière et de l’Eucharistie
Vivre le Carême nous engage simultanément dans
trois directions inséparables qui interfèrent
les unes avec les autres : notre propre sanctification qui
nous permettra de vivre de façon plus intense la fête,
la construction du Royaume en nous et autour de nous par notre
réflexion, notre prière et nos œuvres,
et par le témoignage rendu de cette façon au
Christ lui-même dans le contexte pragmatique qui nous
entoure… Ce qui est œuvre d’évangélisation
! Celle-ci passe par les efforts de chacun et sa manière
de vivre ces quarante jours. Elle passe aussi par les différents
moyens que l’on pense au Festival de la charité
organisé par un diocèse – et les différents
efforts proposés par des organismes d’Église
pour alerter les consciences et catalyser les ressources au
service des plus démunis de par le monde, comme à
bien d’autres choses encore.
L’étonnant raccourci de Benoit XVI qui, dans
les numéros 12 à 14 de sa première encyclique
Deus caritas est, passant en vingt lignes de l’incarnation
par la rédemption à l’Eucharistie, recentre
bien nos démarches sur Celui qui en est la source.
Il nous redit que l’action, après l’analyse,
se nourrit de la prière et de l’Eucharistie,
et nous constitue vraiment disciple du Christ. C’est
par Lui et en Lui que nous avançons pour Lui, en puisant
sans cesse dans son corps la force de vivre de son Esprit
: « L’Eucharistie nous attire dans l’acte
d’offrande de Jésus. […] L’union
avec le Christ est en même temps l’union avec
tous ceux auxquels Il se donne. […] La communion me
tire hors de moi-même […] » (Deus caritas
est 13-14).
Devant un tel programme à mettre en œuvre comme
à vivre, comment s’étonner qu’il
nous faille nous préparer quarante jours, avant de
renouveler au cœur de la nuit notre engagement à
sa suite à l’occasion de ce grand anniversaire
?…
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