La Congrégation pour la doctrine de la foi publie
le 10 juillet un document, assorti d’un commentaire
autorisé publié par l’Osservatore romano,
sur « certains aspects de la doctrine de l’Eglise
».
Ce document porte essentiellement sur le sens de l’affirmation
conciliaire selon laquelle l’Eglise du Christ «
subsiste dans l’Eglise catholique » (Constitution
dogmatique sur l’Eglise n° 8) et, en conséquence,
sur l’emploi précis des termes « Eglise
» et « Communautés ecclésiales
» par le même Concile Vatican II et les textes
postérieurs du Magistère.
Quels sont les points essentiels
de ce texte, quel en est le contexte, le dialogue oecuménique
est-il une priorité pour l'Eglise catholique?
Eclairage du Fr M. Mallèvre, Directeur du Service
National pour l’unité des chrétiens
Un nouveau texte de portée œcuménique
vient d’être publié par la Congrégation
pour la doctrine de la foi, de quoi s’agit-il ?
Ce texte porte essentiellement sur le sens de l’affirmation
conciliaire selon laquelle l’Eglise du Christ «
subsiste dans l’Eglise catholique » (Constitution
dogmatique sur l’Eglise n° 8) et, en conséquence,
sur l’emploi précis des termes « Eglise
» et « Communautés ecclésiales
» par le même Concile Vatican II et les textes
postérieurs du Magistère. Il s’agit
d’un document technique qui se présente sous
la forme de cinq questions et réponses et qui est
assorti d’un commentaire autorisé publié
par l’Osservatore romano. Il s’adresse à
des théologiens, capable de reconnaître son
genre littéraire particulier. Il n’a pas de
souci pastoral immédiat, et doit donc être
bien compris par ceux qui sont peu familiers d’un
tel langage
Quel est le contexte de ce document ?
Pour comprendre ce texte, il faut savoir qu’une première
version du n°8 de la constitution sur l’Eglise
du Concile Vatican II disait que l’Eglise catholique
« est » l’Eglise fondée par Jésus-Christ,
ce qui pouvait induire qu’en dehors d’elle il
n’y avait rien. A la suite de débats où
il fut rappelé que l’Eglise catholique reconnaît
le baptême des autres chrétiens et que nous
pouvons percevoir l’action de l’Esprit en eux
et dans les communautés auxquelles ils appartiennent,
il fut décidé de remplacer le verbe «
être » par le verbe « subsister ».
Depuis, ce passage de la constitution sur l’Eglise
a fait couler beaucoup d’encre, car tous ne lui accordent
pas la même portée. Pour certains, réfutés
par le document de la Congrégation pour la doctrine
de la foi, il conduirait au fond à reconnaître
que l’Eglise catholique est « une » Eglise
parmi d’autres et que l’Eglise fondée
par Jésus-Christ n’existerait plus concrètement.
Quelles sont les grandes affirmations de ce document
?
Comme l’explique le commentaire, le document réaffirme
la conviction que « l’Eglise de Jésus-Christ
comme sujet concret en ce monde peut être reconnue
dans l’Eglise catholique ». L’Eglise de
Jésus-christ n’a pas disparu avec les divisions
des chrétiens : elle n’est pas une réalité
en morceaux, ou un idéal qui sera atteint seulement
à la fin des temps lorsque les chrétiens seront
à nouveau unis. Dieu est fidèle à son
dessein : il a maintenu cette Eglise dans l’histoire
et elle est présente dans l’Eglise catholique.
Mais alors qu’en est-il des autres Eglises
?
Cette affirmation ne signifie pas pour autant qu’en
dehors de l’Eglise catholique il y aurait un «
vide ecclésial ». Le pape Jean-Paul II l’avait
dit avec force (encyclique Ut unum sint n° 13). Le document
explique que le verbe « subsister » entend précisément
exprimer plus clairement que les autres Eglises ou communautés
ecclésiales ne sont pas dépourvues de valeur
ecclésiale et il rappelle, à la suite du Concile,
qu’en elles se trouvent de nombreux éléments
de sanctification. Mais il rappelle aussi qu’elles
sont affectées par des « manques » par
rapport à la conception que nous avons de l’Eglise.
C’est à ce niveau qu’il explique la distinction
entre les « Eglises » orientales locales séparées,
qui ont la succession apostolique mais ne sont pas en communion
avec l’évêque de Rome, et les «
Communautés ecclésiales » issues de
la Réforme protestante du XVI° siècle,
qui n’ont pas cet « élément essentiel
constitutif de l’Eglise » qu’est la succession
apostolique dans le sacrement de l’Ordre, et donc
toute la réalité du sacrement de l’eucharistie.
Il refuse donc de reconnaître dans les communautés
anglicanes ou protestantes de véritables Eglises
?
Ce point avait été souligné par des
documents antérieurs, notamment la déclaration
Dominus Iesus (n° 17) en l’an 2000, et cela avait
suscité de grands remous, dont le futur pape s’était
étonné i
. Il avait rappelé alors que ces Eglises ne veulent
pas se définir comme Eglise au sens où l’Eglise
catholique comprend ce qu’est pleinement l’Eglise.
C’est une perspective théologique, qui est
assez éloignée de l’expérience
des fidèles engagés dans l’oecuménisme.
Il est vrai qu’il peut y avoir quelque chose de blessant
pour des chrétiens de voir refuser à la communauté
dans laquelle ils vivent leur foi le titre d’Eglise.
Mais le document n’est pas dans la logique du tout
ou rien : comme le dit le commentaire, ces communautés
« ont sans aucun doute un caractère ecclésial
et une valeur salvifique conséquente ». Encore
une fois, il s’agit ici d’un document technique
qui fait une application stricte de la définition
rigoureuse de ce qu’est l’Eglise pour le Magistère
catholique.
Pourquoi avoir publié un tel texte qui risque
de blesser d’autres chrétiens ?
Le document explique qu’il entend « préciser
la signification authentique de certaines expressions ecclésiologiques
du Magistère » face à des études
jugées « non exemptes d’erreurs et d’ambiguïtés
». Peut-être traduit-il aussi le souci actuel
du pape de rétablir la communion avec des fidèles
qui soupçonnent le Concile Vatican II d’avoir
« changé » la doctrine catholique, ce
qui est nié plusieurs fois par le document. Mais
il faut surtout se rappeler que tous les dialogues œcuméniques
portent aujourd’hui sur la question de la nature de
l’Eglise. La commission Foi et Constitution du Conseil
Œcuménique des Eglises, à laquelle participe
des théologiens catholiques, a d’ailleurs publié
en 2005 un important texte de convergence soumis à
la réception des Eglises et communautés ecclésiales.
Le document de la Congrégation pour la doctrine de
la foi montre bien que nous ne sommes pas encore parvenus
à une reconnaissance mutuelle par les partenaires
du dialogue qu’ils sont l’Eglise de Jésus-Christ
dans sa plénitude et qu’ils peuvent rétablir
la communion entre eux.
Un tel texte ne donne-t-il pas une image arrogante
de l’Eglise catholique ?
C’est la limite d’un texte de ce genre qui n’est
peut-être pas très adapté aux modes
de communication actuels. Il faut se souvenir qu’il
a un objectif limité et que ses affirmations doivent
donc être équilibrées par des convictions
complémentaires exprimées dans d’autres
documents du Concile Vatican II et du magistère ultérieur.
Je pense aux affirmations du Concile selon lesquelles l’Eglise
catholique est composée de pécheurs et appelée
à une nécessaire purification. Par exemple,
le décret sur l’œcuménisme reconnaît
que « bien que l'Église catholique ait été
enrichie de la vérité révélée
par Dieu ainsi que de tous les moyens de grâces, néanmoins
ses membres n'en vivent pas avec toute la ferveur qui conviendrait.
» Et le Concile ajoute : « Il en résulte
que le visage de l'Église resplendit moins aux yeux
de nos frères séparés, ainsi que du
monde entier, et la croissance du royaume de Dieu est entravée
» (n°4).
Le dialogue œcuménique est-il encore
considéré comme une priorité par l’Eglise
catholique ?
Bien sûr, dès son élection le pape Benoît
XVI l’a rappelé, et le commentaire le souligne
en conclusion. Précisément l’un des
apports de ce dialogue oecuménique, c’est de
nous aider dans ce travail de purification dont je viens
de parler. Les textes du Concile soulignent que dans cette
démarche de conversion, nous avons tous besoin les
uns des autres, et que « tout ce qui est accompli
par la grâce de l'Esprit-Saint dans nos frères
séparés peut contribuer à notre édification
» (décret sur l’œcuménisme
n°4). Le pape Jean-Paul II reconnaissait aussi qu’
« en tant qu'Église catholique, nous avons
conscience d'avoir reçu beaucoup du témoignage,
des recherches et même de la manière dont ont
été soulignés et vécus par les
autres Églises et Communautés ecclésiales
certains biens communs aux chrétiens.. » (encyclique
Ut unum sint n°87)
Ce document ne signifie donc pas que la conception
de l’œcuménisme reviendrait à l’idée
du « retour » des autres chrétiens dans
l’Eglise catholique ?
Non, dans son important discours lors de la rencontre œcuménique
de Cologne le 19 août 2005ii
, le pape Benoît XVI avait rappelé que la conception
catholique de l’unité n’est pas celle
du « retour », contrairement à ce qu’une
lecture superficielle du document pour la doctrine de la
foi pourrait suggérer. Tout en réaffirmant
déjà la conviction qui est au centre du présent
document, le pape avait alors dit que le dialogue œcuménique
est, selon une expression chère à son prédécesseur,
un « échange de dons ». Les affirmations
techniques du document de la Congrégation pour la
doctrine de la foi ne doivent pas nous le faire oublier.
****
i
Voir aussi l’ entretien du cardinal Ratzinger avec
le quotidien allemand Frankfurter Allgemeide Zeitung du
22 septembre 2000, dont la traduction était parue
dans l’Osservatore romano, édition en langue
française, n° 42, 43 et 44 d’octobre 2000,
sous le titre « la pluralité des confessions
ne relativise pas l’exigence de la vérité
»
ii Cette unité, selon notre conviction,
subsiste, oui, dans l'Eglise catholique sans possibilité
d'être perdue (cf. Unitatis redintegratio, n. 4);
l'Eglise en effet n'a pas totalement disparu du monde. D'autre
part, cette unité ne signifie pas ce que l'on pourrait
appeler un oecuménisme du retour: c'est-à-dire
renier et refuser sa propre histoire de foi. Absolument
pas! Cela ne signifie pas uniformité de toutes les
expressions de la théologie et de la spiritualité,
dans les formes liturgiques et dans la discipline. Unité
dans la multiplicité et multiplicité dans
l'unité: dans l'homélie pour la solennité
des saints apôtres Pierre et Paul, le 29 juin dernier
[2005], j'ai souligné que pleine unité et
vrai catholicité, au sens originel du mot, vont de
pair. Une condition nécessaire pour que cette coexistence
se réalise est que l'engagement pour l'unité
se purifie et se renouvelle continuellement, croisse et
mûrisse. Le dialogue peut apporter sa contribution
à cet objectif. Il est plus qu'un échange
de pensées, qu'une entreprise académique:
il est un échange de dons (cf. Ut unum sint, n. 28),
dans lequel les Eglises et les Communautés ecclésiales
peuvent mettre leurs trésors à la disposition
des uns et des autres (cf. Lumen gentium, nn. 8; 15; Unitatis
redintegratio, nn. 3; 14s; Ut unum sint, nn. 10-14). C'est
bien grâce à cet engagement que le chemin peut
continuer pas à pas, jusqu'au moment où, finalement,
comme le dit la Lettre aux Ephésiens, nous arriverons
"tous ensemble à l'unité dans la foi
et la vraie connaissance du Fils de Dieu, à l'état
de l'Homme parfait, à la plénitude de la stature
du Christ" (Ep 4, 13). Il est évident qu'un
tel dialogue ne peut en définitive se développer
que dans un contexte de spiritualité sincère
et cohérente. Nous ne pouvons pas "faire"
l'unité par nos seules forces. Nous pouvons seulement
l'obtenir comme un don de l'Esprit Saint. L'oecuménisme
spirituel, c'est-à-dire la prière, la conversion
et la sanctification de la vie, constituent donc le coeur
de la rencontre et du mouvement oecuménique (cf.
Unitatis redintegratio, n. 8; Ut unum sint, nn. 15s; 21,
etc.). On pourrait dire aussi: la meilleure forme d'oecuménisme
consiste à vivre selon l'Evangile.