Interview de Mgr Gérard Defois, archevêque-évêque
de Lille
« Il y a une responsabilité des chrétiens
»
La politique peut-elle être définie
comme l’art de vivre ensemble ?
La finalité du politique est bien le « vivre
ensemble » et les perspectives chrétiennes
colorent ce « vivre ensemble » pour ne pas l’abandonner
à la loi de César ou à celle de l’argent
et mettre au centre de la société le service
de l’homme et le bien commun. Le politique doit viser
la justice et la charité, car la justice seule ne
suffit pas.
Le texte des évêques « Qu’as tu
fait de ton frère ? » a rencontré des
attentes et le besoin de situer le politique sur un autre
plan que la seule prise du pouvoir, en le centrant sur des
questions fondamentales comme la famille, l’emploi,
l’accueil de l’étranger. Dans le diocèse
de Lille, nous avons axé les rencontres concernant
l’engagement dans la cité sur les municipales
parce que c’est la politique à portée
de main. C’est à ce niveau-là que les
problèmes concrets se posent, au-delà des
questions idéologiques et des querelles de partis
et de prise de pouvoir qui ressortent à la télévision.
Existe-t-il une approche
chrétienne du politique ?
Les chrétiens ont à apporter un certain sens
de la vie et de l’autre, marqué par l’Évangile.
Au nom de la laïcité, certains hommes politiques
« privatisent » leurs convictions et parlent
à un niveau terne au plan spirituel et éthique
sous prétexte que c’est la volonté de
la majorité qui doit gouverner. En novembre 2002,
le cardinal Ratzinger avait envoyé une note sur l’engagement
des catholiques dans la vie politique. Il montre qu’il
y a une responsabilité des chrétiens à
insister sur certains aspects de la vie collective et de
la vie personnelle marqués par l’esprit de
l’Évangile : l’attention à l’enfant,
aux faibles et aux pauvres.
La Doctrine sociale de
l’Église peut-elle aider au discernement en
la matière ?
Oui ! Mais elle est malheureusement très peu connue.
Je l’ai enseignée longtemps moi-même,
y compris en Afrique. Elle est très riche dans la
mesure où elle permet d’analyser le réel
et de le relire avec une finalité qui consiste en
une vision éthique de l’homme sans laquelle
on en reste à un rapport de force économique
ou partisan.
Si vous n’avez plus de nature humaine qui soit respectée,
vous pouvez faire n’importe quoi et la morale devient
quelque chose de flottant. Si ni la Révélation,
ni la Loi naturelle ne sont prises en compte, nous sommes
sans repères, ce qui laisse libre jeu à un
libéralisme éthique souvent destructeur des
relations humaines et même de la fraternité,
de l’égalité et de la liberté.
Interview parue dans la revue Catholiques
en France, N°25