Message du Cardinal Ricard
Chers amis, au terme de cette assemblée,
je voudrais vous partager les sentiments qui m’animent
et les conclusions que j’en tire :
1) La joie et l’action
de grâce
Je suis très heureux d’avoir
participé à une assemblée comme celle
de Sibiu, qui s‘est tenue en Roumanie, un des derniers
états à être entrés dans l’union
européenne. Merci à nos frères de Roumanie
qui nous ont si bien accueillis.
Je n’ai pas participé aux précédentes
assemblées de Bâle et de Graz. Aussi suis-je
plein d’admiration pour l’expérience de
Sibiu. Je pense, en effet, que ce n’est pas rien de
réunir ainsi 2.300 personnes passionnées par
la foi chrétienne, son annonce, par l’engagement
des chrétiens dans cette grande aventure œcuménique
et européenne et par cette solidarité que doit
vivre l’Europe avec le reste du monde. Certains pourront
dire : c’était une réunion de convaincus.
C’est vrai, mais nous avons besoin de ces convaincus,
de ces veilleurs et de ces éveilleurs que vous êtes,
et en particulier les jeunes qui êtes ici, pour aider
nos Eglises et notre opinion publique chrétienne à
porter davantage ces grandes préoccupations. Nous avons
bénéficié de toute la réflexion
de Bâle et de Graz. Là où il nous faut
justement avancer désormais c’est sur une action
plus résolue envers nos opinions publiques chrétiennes,
pour une plus grande conscientisation et pour une plus grande
mobilisation de leur part
2) Un échange des dons de
Dieu entre Eglises
J’ai envie, avec vous, de rendre grâce
à Dieu pour ce qu’il nous a donné de vivre
ensemble ces jours-ci. J’ai été particulièrement
marqué par la scène évangélique
de la transfiguration. Celle-ci donne bien le sens de notre
démarche. Avec le Christ, nous avons gravi la montagne.
Nous avons contemplé le Seigneur dans toute sa lumière,
celle de sa transfiguration, celle de sa résurrection.
Nous avons été invités à nous
laisser éclairer, transfigurer par lui. Nous avons
été appelés à écouter sa
parole qui vient dire à chacun : tu es aimé
; qui que tu sois, tu es aimé, tu es le fils, tu es
la fille bien-aimés du Père. Laisse-toi aimer.
Et tu verras combien cet amour sera en toi une illumination,
une puissance de renouvellement et de transformation. Il mettra
dans ta vie une joie, une confiance, une paix, une espérance
et un courage que le monde ne peut pas donner. Il te libèrera
de la peur. Et si tu es aimé, entre à ton tour
dans cette dynamique d’amour. Tu es invité à
aimer.
Voilà cet Evangile que nous avons
à accueillir et dont nous avons à témoigner.
Voilà la Bonne nouvelle que nous avons
à annoncer sur cette terre d’Europe. C’est
bien là le défi qui nous est lancé. Or,
pour devenir disciples et témoins du Christ aujourd’hui,
nous devons nous entraider les uns les autres. Nous avons
besoin ainsi les uns des autres pour accueillir cette lumière
qu’est le Christ, pour chasser nos zones d’ombre,
pour nous convertir toujours plus profondément à
l’Evangile. Aucun de nous, aucune de nos Eglises ne
peut dire : je n’ai pas besoin de mon frère pour
cela. Dans cette conversion à l’Evangile, dans
cet accueil du don de Dieu, nous avons à nous appeler,
nous stimuler, nous entraider les uns les autres. Nous sommes
porteurs de dons spirituels, de charismes, que l’Esprit
a donnés gratuitement à chacune de nos Eglises,
que nous ne pouvons pas garder pour nous tout seuls, comme
nous le rappelle saint Paul, mais que nous avons à
mettre au service de tous (1 Cor. 12, 7) Cela suppose entre
nous, entre nos Eglises, une connaissance fraternelle, une
humilité, car nous sommes tous sous l’Evangile,
une bienveillance et une estime mutuelles. Il y a encore un
vrai chemin à parcourir mais ce sera aussi - n’en
doutons pas - un chemin de joie et de grâce.
3) Une compassion pour l’homme
déshumanisé
L’œcuménisme ne saurait
enfermer nos Eglises dans une seule communication interne.
Quand les disciples reçoivent le souffle du Ressuscité,
c’est pour être ses témoins. On ne peut
rester sur la montagne.
Il faut redescendre dans la plaine. Avez-vous
remarqué que chez saint Luc l’épisode
de la transfiguration est immédiatement suivi de celui
de la guérison du fils épileptique ? Dans les
deux cas, il s’agit de « fils uniques »
Après le Fils transfiguré, le fils défiguré.
Après le Fils bien-aimé, qui apparaît
en gloire, celui qui est rendu inhumain par un esprit démoniaque.
A la suite de Jésus, ses disciples sont invités
à venir en aide à cet homme, à le libérer,
à le guérir et à le rendre à sa
pleine humanité.
A notre tour, nous devons lutter, avec tous
les hommes qui se retrouvent dans ces combats, contre tout
ce qui déshumanise l’homme :
- Une vue purement marchande de l’homme
qui ne tient pas compte de sa dimension filiale et fraternelle.
Un non-respect de la liberté religieuse dans ses dimensions
personnelle et collective.
- Un non-respect de la personne humaine à toutes les
étapes de sa vie.
- La destruction de l’environnement et l’inattention
vis-à-vis des générations qui viennent
- L’injustice sociale grandissante entre les pays du
monde, entre les pays d’Europe, entre catégories
de population – Les situations d’exclusion.
- Une vue purement sécuritaire de l’immigration.
- Les guerres fratricides et leur exploitation.
- Le racisme, l’antisémitisme et bien d’autres
formes du rejet de celui qui est différent.
- Le fléau de la drogue.
- Une indifférence envers le handicap et les handicapés.
- La fragilisation de la structure conjugale et familiale.
- ……………
Sur tous ces points, nous ne pourrons pas
dire : je ne savais pas. Sur toutes ces situations, chrétiens,
nous sommes attendus, dans nos pays, en Europe, mais aussi
comme européens vis-à-vis des autres pays du
monde (et en particulier du continent africain).
4) L’invitation à la
confiance et à l’engagement
Nous sommes en 2007. Devant l’aventure
européenne, nous constatons que bien des sentiments
peuvent traverser les opinions publiques de nos pays européens
: le désintérêt pour ce projet, la peur
face l’avenir, le besoin de sécurité,
le repli nationaliste, le fatalisme de ceux qui pensent que
rien ne peut changer ou le cynisme de ceux qui ne se préoccupent
que de leurs propres intérêts. Il est important
que les chrétiens, se désaltérant à
la source qu’est le Christ, soient témoins, de
confiance, d’espérance, de sens des autres, de
paix et de réconciliation. Le Ressuscité vient
toujours ouvrir des brèches là où la
pierre du tombeau semblait condamner toute issue.
L’œcuménisme et le dialogue interreligieux
doivent témoigner avec force que les religions, qui
sont souvent accusées d’absolutiser les conflits,
peuvent aussi être des ferments de paix, de purification
des mémoires et de réconciliation. Là
aussi, la violence n’est pas appelée à
avoir le dernier mot !
Les chrétiens doivent aussi s’engager
concrètement. On parle beaucoup de « valeurs
européennes » (solidarité, respect des
droits de l’homme, tolérance, justice, paix)
Attention à ce que ces valeurs ne soient pas des coques
vides ou des slogans non suivis d’effets. Il faut qu’elles
s’accompagnent de mises en œuvre, de mises en pratiques,
de programmes d’action avec la volonté politique
que cela exige. Là aussi, il est important d’être
présent.
La mission, à certains jours, peut
nous paraître lourde. N’oublions pas que c’est
le Seigneur qui nous la confie. Sur sa Parole, n’ayons
pas peur d’aller au large et d’avancer en eau
profonde.
Jean-Pierre cardinal RICARD
Archevêque de Bordeaux
Vice-Président du CCEE
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