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Assemblée plénière,
Conférence des Évêques de France
Lourdes, 4-10 novembre 2000
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Discours de clôture

par Mgr Louis-Marie Billé, Président de la Conférence
10 novembre 2000

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Je voudrais commencer ce bref discours de clôture par quelques propos qui pourront paraître, pour prendre un mot très employé par les temps qui courent, légèrement décalés par rapport aux préoccupations de notre assemblée. Je ne pense pas un instant que celle-ci ait été pour nous un refuge. Elle était bien plutôt un carrefour des attentes et des expériences, et le "discernement pastoral en Eglise" que nous avons commencé à conduire avec le dossier "Des temps nouveaux pour l'Evangile" nous redisait sans cesse que la Parole de Dieu prend corps dans l'histoire des hommes et que nos chemins sont ceux de tous. Mais à l'heure où se termine cette dernière assemblée du XXè siècle et dans l'esprit de l'année jubilaire, je voudrais que nous passions un moment au contact de notre vaste monde et de l'histoire de notre humanité. Même quand nous annonçons l'Evangile à ceux qui nous sont géographiquement proches, nous ne pouvons pas le faire sans tenir compte des événements.

A la recherche de la paix

Il y a quelques jours, les Etats-Unis d'Amérique ont voté démocratiquement pour avoir un président. Comment ne pas évoquer le rôle de ce pays, de ses responsables, de ses communautés religieuses, par rapport à l'établissement des conditions de la paix dans le monde ? Si l'intervention des Etats-Unis en Afrique a été importante, et parfois ambiguë, dans la région des grands lacs, du Rwanda au Soudan, nous avons été attentifs ces derniers temps à leur activité politique au Proche-Orient, particulièrement en ce qui concerne le processus de paix. Nous savons bien que la violence actuelle ne résout rien, que, chaque jour, les morts de l'un ou l'autre camp font monter la haine et désirer la guerre.

Par ailleurs, le Saint Siège, fidèle à sa position depuis vingt ans, propose un statut internationalement garanti pour les lieux saints et souhaite pour Jérusalem une négociation qui tienne compte des droits des uns et des autres. Si la raison commande l'arrêt du conflit, la foi en Dieu appelle les communautés concernées à établir des relations pacifiées dans la conscience des responsabilités communes. Pour notre part, nous ne pouvons qu'espérer la reprise, je ne sais s'il faut dire du ou d'un processus de paix, et rappeler la vocation spirituelle de Jérusalem. Le seul rapport de forces ne peut assurer la paix dans cette région du monde, l'une des plus importantes pour le patrimoine moral et spirituel de l'humanité. Mgr Sabbah, comme Président de Pax Christi International, disait: "Ce dont on a cruellement besoin aujourd'hui, c'est de la référence à un code de valeurs morales qui servirait de soutien à toutes les négociations futures."

Il est d'autant plus nécessaire de rappeler ces convictions que, dans plusieurs régions de France, des sentiments d'agressivité se sont manifestés à l'égard de la communauté juive. Quelle qu'en soit l'origine, sans doute complexe, nous n'avons pu que dire et nous ne pouvons que redire notre désapprobation à l'égard des propos antisémites et des actes de vandalisme à l'encontre des synagogues. A Paris et dans les grandes villes, des déclarations communes, signées par des musulmans, des juifs, des chrétiens, ont exprimé un engagement commun dans l'œuvre de paix et le souhait d'un vivre ensemble fraternel. Nos échanges de ces jours ont montré que, sur le terrain, des catholiques s'emploient, pour leur part, à tisser les liens de ce vivre ensemble.

Puisque je parlais de la paix au Proche-Orient, il me semble que je peux faire allusion à la proclamation conjointe de l'Unesco et de l'unicef en vue d'une "décennie pour une culture de la paix et de la non-violence pour les enfants du monde". Il s'agit de la décennie 2001-2010. Le représentant permanent du Saint Siège près de l'onu, à l'occasion de la 55è session de l'assemblée générale, parlait, à propos de cette décennie, de la culture de la paix, culture qui est une culture des droits humains, basée sur la vérité et la justice, qui respecte les droits des nations, qui rejette la logique des armes, qui s'appuie sur les jeunes, qui commence dans le cœur de l'homme.

Les nouvelles peurs de ce temps

Durant ces jours où s'exprimait notre vigilance pour annoncer l'Evangile dans des temps nouveaux, comme d'ailleurs durant les semaines passées, nous n'avons pas pu ne pas entendre, il faut sans doute dire, une fois de plus, comment l'opinion publique européenne, et en tout cas française, était agitée par des peurs. C'est évident quand il est question de l'environnement, des marées noires, des naufrages de pétroliers ou de bateaux transporteurs de matières chimiques. Cela devient encore plus inquiétant en matière d'alimentation, les manipulations de toutes sortes générant une quasi psychose collective. La revendication du risque zéro, le principe de précaution, contribuent probablement d'ailleurs à ce que l'incertitude devienne angoisse. Nous pourrions évoquer aussi les interventions sur le patrimoine génétique ou sur les processus biologiques, alors que ce n'est souvent qu'après des années que l'on constate les effets nocifs du forcing de la nature.

Le XXè siècle était né sous le signe du progrès et de la science, que l'on estimait opposés à la foi et aux valeurs religieuses. La fin de ce même XXè siècle tend plutôt à dévoiler les inconsciences que voilait la crédulité scientiste. La foi ne refuse ni les progrès de la science, ni ceux de la technique, mais fonde ultimement la dignité de l'homme créé à l'image de Dieu, dignité qui est la référence même des droits de l'homme. L'Eglise en appelle à une éthique de la responsabilité, garante du vrai respect de la nature et respectueuse de la norme de la grandeur de l'homme et de ses relations.

            La mondialisation à vivre

Le rapprochement spontané que je fais entre les événements de ce temps et les Journées Mondiales de la Jeunesse, dont nous avons parlé en Assemblée, m'incite à dire un mot de la mondialisation. Celle-ci n'est pas seulement une donnée économique. En France même, nous constatons les effets destructeurs d'une concurrence terrible dans la recherche du plus bas prix. Cette recherche entraîne l'exploitation du travail des pays pauvres, et même des pauvres parmi les pauvres que sont les enfants et les femmes. Des salaires de misère sont versés à des travailleurs dont les conditions de vie rappellent ce que l'on a connu en Europe à la fin du XIXè siècle. L'individualisme du consommateur peut voiler les interdépendances dans la distribution des richesses, la construction de la paix, le vivre ensemble.

            La parabole de Lazare et du riche de l'Evangile se joue aujourd'hui au plan universel. Jean-Paul II le remarquait déjà il y a dix ans, dans l'encyclique Sollicitudo Rei Socialis: "Il est urgent de convertir les relations d'interdépendance en lien de solidarité". La mondialisation peut être une chance spirituelle (les JMJ n'en sont-elles pas un signe?), si la famille humaine assume, dans une vraie solidarité et dans une recherche de justice, les interdépendances économiques. La vie de la communauté internationale, qui a été la préoccupation constante des papes du XXè siècle, est un enjeu d'évangélisation pour assurer à tous les moyens de vivre d'une manière digne leur dignité d'hommes.

            Revenir en Europe

            Pour boucler ce petit tour du monde, je reviens en Europe. Chaque année, à l'assemblée plénière, nous apprécions la présence fraternelle d'évêques représentant d'autres Conférences épiscopales d'Europe. Leur participation traduit nos relations mutuelles, mais aussi ce que l'on pourrait appeler une forme de conscience européenne, qui habite l'Eglise catholique dans nos différents pays. Leur participation ne traduit-elle pas aussi l'existence de ce patrimoine chrétien qui nous est commun ? Avec d'autres traditions, ce patrimoine fait partie de l'héritage religieux qui a contribué à ce que la civilisation européenne soit ce qu'elle est. C'est avec raison que l'on peut qualifier cet héritage de moral et de spirituel, mais il serait dommage, c'est le moins que l'on puisse dire, que soit niée sa dimension proprement religieuse. Nous ne rêvons pas de refaire une quelconque chrétienté. Nous voulons être fidèles à l'histoire et nous disons qu'en Europe, l'Evangile nous est confié, source d'humanisation et de vraie liberté, à nous les catholiques et aux autres chrétiens. C'est dans toute l'Europe qu'il y a des temps nouveaux pour l'Evangile.

            Pardonnez-moi ce bref parcours, presque un vagabondage, mais ces réalités font aussi partie de ces temps nouveaux qui s'offrent à l'Evangile, et dont Jean-Paul II a confié l'évangélisation à Rome, en août dernier, à la jeunesse du monde.

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            Même si ce que je viens de dire n'est pas étranger à nos préoccupations de cette semaine, il ne faut pas tout mélanger, et je voudrais revenir un instant à nos échanges de ces jours.

            Des temps nouveaux pour l'Evangile

            A la jonction de deux millénaires et à l'aube d'un siècle nouveau, nous nous sommes interrogés sur la fécondité de l'appel à "former une Eglise qui propose la foi". Le sous-titre de ce dossier, "Pour un discernement pastoral en Eglise", a couru comme un fil rouge tout au long de cette assemblée. C'est bien de cela qu'il s'agissait: comment nos Eglises diocésaines proposent-elles l'Evangile ? Quelles initiatives, même modestes, sont prises ici et là ? Lesquelles faut-il prendre ? Si nous connaissons bien les fatigues et les faiblesses des différents acteurs de la mission, nous avons aussi la charge et la joie d'accompagner, de coordonner, d'encourager les nombreux et divers dynamismes dont nous sommes les témoins. C'est pour cela que nous avons ressaisi avec sympathie ce foisonnement d'initiatives créatrices ou de réalisations plus anciennes en cours de renouvellement. Nous avons cherché à voir comment, au nom de l'Evangile, se manifeste la nouveauté chrétienne, ici comme présence évangélique discrète, et là comme présence évangélisatrice audacieuse.

            Ce discernement pastoral que nous avons commencé, je suis persuadé qu'il nous aidera dans les mois et les années qui viennent. Nous le poursuivrons d'ailleurs à un autre rythme dans et avec nos diocèses, afin de former une Eglise qui propose la foi, le regard fixé sur le Christ Sauveur, cœur de l'annonce de l'Evangile.

Il serait malvenu, me semble-t-il, que je tente ici une synthèse des synthèses. Je me contente d'énoncer trois impressions très simples que je garde de nos échanges. Il me semble que les orientations de la Lettre aux catholiques de France demeurent toujours présentes dans notre Eglise. Réalisme dans la manière d'appréhender la société; Liberté de croire et de témoigner; liberté dans l'Esprit qui est à la source de notre foi et de notre témoignage; proposition de la foi qui vient de l'intérieur même de cette foi et qui est le fruit de la charité évangélique… Je pourrais continuer longtemps. Il me semble qu'au long de notre recherche, nous avons ainsi retrouvé un certain nombre de ces données dont nous avions mûri l'expression dans la Lettre aux catholiques de France.

            Ma seconde impression tient à l'espérance qui marquait nos partages. Nous avons tellement l'habitude d'entendre des plaintes sur l'Eglise qui ne change pas ou des réclamations touchant une Eglise qui devrait changer. Et voilà qu'en regardant en pasteurs ce qui se passe dans nos diocèses, dans les communautés chrétiennes que nous connaissons, dans les groupes que la foi constitue, nous découvrons de l'inattendu, de la nouveauté, nous rencontrons des hommes et des femmes enracinés dans l'Evangile, aimant ce monde qui est le leur. Ils inventent souvent humblement de nouvelles manières d'être chrétien dans cette société. Ils sont sensibles à des attentes nouvelles, attentifs aux besoins de tous. Comme le dit la Lettre aux catholiques de France, "par leur attente et leur démarche, ils attestent la liberté de Dieu et le travail de l'Esprit Saint qui peut éveiller en tout être humain le désir d'aller au-delà de ce qu'il vit immédiatement."

            Enfin, j'ai eu souvent le sentiment que lorsque les chrétiens puisent dans les trésors de l'Evangile, de la tradition ecclésiale, des sacrements et de la prière de l'Eglise, et qu'ils les offrent humblement à ceux dont ils se font les frères, il peut vraiment surgir du neuf. Le même Esprit qui fait vivre l'Eglise depuis la Pentecôte se manifeste librement en ceux auxquels, par les chrétiens, l'Eglise s'adresse, gratuitement et librement.

            Vers de nouvelles provinces ecclésiastiques

            Sur le registre des structures et de l'organisation, nous nous sommes orientés vers la création de nouvelles provinces ecclésiastiques. Je dis "orientés vers", puisque cette création dépend d'un acte du Saint Siège. Par ailleurs, nous ne pourrons lui exprimer ce désir que lorsque nous aurons précisé beaucoup de choses et regardé de plus près les implications d'une telle orientation quant à l'ensemble des structures de la Conférence. Ces nouvelles provinces devraient permettre de meilleures collaborations de voisinage. Ce changement nous donnera ensuite, je l'espère, la liberté d'effectuer d'autres changements qui s'avéreraient nécessaires, pour que l'Eglise en France constitue vraiment un ensemble organique, comme cela a toujours été recherché depuis des décennies.

            Mieux armés pour discerner

            Enfin - il est impossible de ne pas le mentionner – nous avons parlé de la pédophilie et de toutes les questions que pose à l'Eglise et à nous-mêmes ce difficile problème, surtout lorsque les adultes en cause sont des prêtres. Nous avons travaillé et réfléchi avec sérieux, dans une vraie confiance mutuelle, aidés par une préparation rigoureuse, et conscients de la gravité des enjeux. Nous avons pu nous rendre compte de la très grande complexité de ces réalités. Nous n'avons pas mis au point un catalogue de recettes. Mais il me semble que nous sommes un peu mieux armés pour le discernement multiforme que nous avons à faire.

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            Lorsque, dans un an, nous nous retrouverons de nouveau pour une assemblée plénière, nous serons pour de bon, cette fois, dans le XXIè siècle. C'est à l'aube de ce siècle nouveau que le Christ ressuscité nous confie l'Evangile, nous confie l'avenir de la foi. Puisse-t-il nous rendre dignes de la confiance qu'il met en nous.

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